J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd ★★☆☆

Les sourds veulent se faire entendre. Voilà le titre de la critique de ce beau documentaire que j’aurais écrit pour Libération.

Deux approches médico-sociales se combattent dans le monde des sourds. La première, née au XIXe siècle en réaction à leur marginalisation, est l’oralisme : grâce à un appareillage, à la pose d’implants cochléaires, à la lecture labiale et à l’apprentissage de la parole, les sourds pourront s’intégrer au monde des entendants. Rejetant cette école qui pose la surdité comme un handicap qu’il faut soigner à tout prix, une autre école promeut au contraire la langue des signes comme moyen d’expression et de communication.

C’est pour cette seconde école que Laetitia Carton prend fait et cause. Son documentaire témoigne avec sincérité et justesse des amitiés kaléidoscopiques que cette entendante a nouées dans la communauté sourde. Il rassemble une galerie de portraits attachants : un professeur de la langue des signes, des parents confrontés à la difficile scolarisation de leur enfant,  l’artiste Levent Beskardes et la chanteuse Camille… Il nous fait découvrir la langue des signes et sa richesse : une chorégraphie qui sollicite le corps tout entier. J’aurai appris qu’on signe avec les yeux, le même signe ayant une signification différente selon l’expression faciale qui l’accompagne.

Le documentaire montre Emmanuelle Laborit, dont le Molière en 1993 avait donné à la communauté une visibilité inédite. Depuis 20 ans dit-elle – ou plutôt signe-t-elle – sa situation ne s’est guère améliorée. Si la langue des signes est désormais une option au baccalauréat, les écoles bilingues se comptent sur les doigts d’une main. Les sourds sont inaudibles – si vous m’autorisez le jeu de mots facile.

La préférence revendiquée pour l’apprentissage de la langue des signes sur l’oralisme m’est spontanément suspecte. La première me semble renfermer les sourds sur leur communauté tandis que la seconde leur permettrait de s’intégrer aux entendants. J’aurais aimé que Laetitia Carton laisse s’exprimer les tenants de l’oralisme. Mais son parti pris assumé, s’il fait obstacle à une présentation équilibrée des positions, n’enlève rien à ce documentaire émouvant.

La bande-annonce

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