Au crépuscule de sa vie, le grand écrivain suisse Jacques Chessex se souvient.
C’était en 1942, à Payerne sa ville natale, à quelques encablures du lac de Neuchâtel. le jeune Jacques avait huit ans à peine. Son père était maître d’école. Quelques jeunes désœuvrés, manipulés par le pasteur Lugrin, sympathisants à la cause nazie, se réunissaient à la nuit tombée, pour siffler des bières et s’exercer au tir à la carabine. Enivrés de haine, ils avaient décidé de tuer un Juif « pour l’exemple » : le marchand de bétail Arthur Bloch dont la richesse attisait la jalousie.
Jacob Berger adapte le court roman de Jacques Chessex publié en 2009. Largement autobiographique, il y fait un portrait mordant de sa ville natale, « confite dans la vanité et le saindoux », rompant avec l’image lénifiante de la Suisse sous l’Occupation, officiellement neutre pour s’éviter d’être attaquée par l’Allemagne, mais silencieusement résistante. Son bref roman, qui se lit d’une traite, lui valut bien des critiques et même des menaces de mort.
Le film de Jacob Berger amalgame ces deux dimensions : le livre de Chessex sur les événements de 1942 et sa réception en 2009. Il mêle deux époques. Il le fait curieusement comme dans Peau d’âne ou Marguerite & Julien : en introduisant dans les séquences supposées se dérouler en 1942 des éléments contemporains. On peine à comprendre la raison d’être de ce procédé. On est d’autant plus à la peine qu’on ne comprend pas toujours à quelle époque on se situe. Et on finit par comprendre : si le réalisateur choisit de nous laisser dans le flou sur l’époque où est censé se dérouler ce qu’il nous montre, c’est parce que les époques se confondent, parce que ce qui s’est passé en 1942 pourrait encore se passer aujourd’hui.
Pourquoi pas ? Sauf que le coup du « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde », on nous l’a déjà servi bien souvent. Et qu’on en a un peu marre…