Come as you are ★★☆☆

Parce qu’elle a été prise sur le fait avec sa copine le jour du bal de fin d’année, Cameron (Chloë Grace Moretz) est envoyée par ses parents adoptifs soigner son homosexualité à God’s Promise un établissement tenu par une psy born again et par son frère, homosexuel repenti.

Considérer l’homosexualité comme une maladie qu’on peut soigner est une croyance hélas tenace. L’action est censée se dérouler en 1993 ; elle pourrait aussi bien avoir lieu de nos jours. Des organisations  évangéliques existent aux Etats-Unis, telles Restoration Path, qui proposent à leurs membres des programmes afin de les guérir ou de guérir leurs enfants de leurs « déviations sexuelles ».

Adapté d’un roman pour ados de Emily Danforth, The Miseducation of Cameron Post, Come as you are en a les qualités et les défauts. Du côté des qualités : des personnages positifs et attachants, à commencer par Cameron elle même interprétée par la délicieuse Chloë Grace Moretz qui réussit à donner un tournant bienvenu à sa carrière qui risquait de s’embourber dans des blockbusters répétitifs (Kick-Ass, Equalizer…). Du côté des défauts : une situation pachydermiquement manichéenne qui oppose les « ‘gentils » ados rééduqués contre leur gré aux rééducateurs, aveuglés par une foi dévoyée, qui tentent, sans guère de succès au demeurant, de les soigner en leur inculquant la haine de soi.

Une fois Cameron installée à God’s Promise, une fois le tour du propriétaire effectué et les différents locataires, dont chacun incarne stéréotypiquement une caricature (le Lakota transgenre, la rebelle fumeuse de joint, la fille en surpoids…), l’action fait du surplace. On est reconnaissant à Desiree Akhavan de ne pas l’avoir artificiellement dramatisée, qui refuse la facilité de dépeindre l’encadrement de God’s Promise en dangereux tortionnaires. Mais on aurait aimé plus de nerfs à ce scénario qui en manque cruellement jusqu’à un dénouement téléphoné et prévisible que l’affiche du film nous a déjà révélé.

La bande-annonce

Paul Sanchez est revenu ! ★☆☆☆

Paul Sanchez, disparu depuis une dizaine d’années après la mort de sa femme et de ses quatre enfants, aurait été aperçu à la gare des Arcs-sur-Argens dans le Var.
La rumeur alerte Marion (Zita Henrot), une jeune gendarme dont le zèle de bien faire n’a d’égale que la maladresse, qui se met en tête de retrouver le mystérieux disparu. Pendant ce temps, un homme taciturne (Laurent Lafitte) sillonne la région en se cachant des forces de l’ordre. S’agit-il de Paul Sanchez ?

Patricia Mazuy est une réalisatrice rare. Elle n’a réalisé que six films en trente ans. Paul Sanchez est revenu ! ne ressemble en rien à ses œuvres précédentes sinon par le souci donné au cadre. La maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr-l’Ecole, filmée dans des lumières crépusculaires, était le personnage principal de Saint-Cyr, volant presque la vedette à Isabelle Huppert qui y campait madame de Maintenon. Dans Paul Sanchez… Patricia Mazuy prend autant sinon plus de soin à filmer les décors que les personnages qui y évoluent.

Décors étonnants loin de l’image de carte postale qu’on peut avoir du Var, de ses plages, de ses stations balnéaires (qu’on vient de voir filmés sans imagination dans Milf ou Mon Ange). La région des Arcs, de Vidauban, du Muy est située dans l’ouest varois, une des terres d’élection du Front national. Elle est traversée par l’autoroute du soleil. Un rocher sédimentaire culminant à près de quatre cents mètres d’altitude domine la plaine de l’Argens. Saint-Tropez n’est pas loin. Mais l’arrière pays varois n’est pas riche pour autant, défiguré par un urbanisme chaotique et des équipements commerciaux hideux.

C’est dans cet environnement que vont se croiser les deux principaux protagonistes du film. Et c’est là peut-être que le bât blesse. Car si, pris isolément, les deux personnages campés par Laurent Lafitte et Zita Henrot sont attachants, leur rencontre, au demeurant très brève, fait pschitt. Sans doute, s’agissant de la traque du premier par la seconde, n’avaient-ils pas vocation à partager l’écran (ainsi l’affiche est-elle un montage maladroit). Pour autant, l’enjeu dramatique du film est si faible qu’on s’en désintéresse dans son dernier tiers là où précisément la tension devrait aller crescendo.

La bande-annonce

Dark River ★★☆☆

Le décès de son père ramène Alice (Ruth Wilson) à la ferme familiale qu’elle a quittée depuis quinze ans pour des motifs qui se dévoileront progressivement. Pendant ce temps, Joe (Mark Stanley), son frère aîné, en a assuré seul l’exploitation. Alice et Joe vont se disputer l’héritage paternel.

En 2013 était sorti le premier film de Clio Barnard, Le Géant égoïste, une fable déchirante mettant en scène deux gamins et un ferrailleur. La réalisatrice anglaise quitte les villes pour filmer les champs. Elle adapte dans son Yorkshire natal un roman de Rose Tremain censé se dérouler dans les Cévennes.

On retrouve devant sa caméra les paysages immortalisés par les romans des sœurs Brontë et les innombrables adaptations cinématographiques qui en ont été faites : cieux bas et lourds pesant comme un couvercle (poke Baudelaire), landes battues par la pluie, verts pâturages… le tout assaisonné avec la musique folk de PJ Harvey.

Remarquablement servi par l’interprétation aux petits oignons de Ruth Wilson, Dark River n’en déçoit pas moins. La faute à un montage qui mêle systématiquement l’histoire du retour d’Alice à la ferme à des flash-back qui tentent sans y parvenir de rendre mystérieux un passé qui ne l’est guère. On comprend (trop) vite les motifs du brutal départ d’Alice et les causes du traumatisme que son retour ne contribue pas à cicatriser. Le récit est d’abord minimaliste, pauvre en dialogues. On craint de s’ennuyer mais on se laisse néanmoins émouvoir par la dureté des personnages et des situations. L’histoire a le tort de s’accélérer jusqu’à un épilogue déconcertant que je ne suis pas certain d’avoir compris. Si j’en crois les discussions de mes voisins à la sortie de la salle, je ne suis pas le seul.

La bande-annonce

The Guilty ★★☆☆

Asger Holm est officier de police. Il va être jugé pour une bavure qu’il a commise et compte sur le témoignage de son coéquipier pour le blanchir. En attendant son procès, il a été affecté au 112, le service téléphonique d’urgence de la police danoise.
Au milieu des appels plus ou moins fantaisistes qu’il reçoit, Asger Holm reçoit celui d’une femme qui prétend avoir été kidnappée. Elle raccroche brutalement. Asger Holm mettra tout en œuvre pour la retrouver et lui porter secours.

The Guilty constitue un tour de force. Il filme une traque policière sans quitter le policier qui la mène, sans mettre les pieds hors du service depuis lequel il reçoit les appels plus ou moins hachés d’une femme prénommée Iben et tente de contacter son mari, Michael, sa fille, Olivia, et les forces de police qu’il lance sur leurs traces.

Sacrée gageure que Gustav Möller relève haut la main aidé par son acteur principal, sinon unique, Jakob Cedergren, croisé en 2010 dans un film mineur de Thomas Vinterberg. On imagine volontiers le défi qu’il s’est lancé : « Et si on filmait une enquête policière sans quitter une pièce, sans une seule image de ses auteurs et de ses victimes ? ».  Hitchcock aimait à dire qu’il rêvait de réaliser un film se déroulant dans une cabine téléphonique. Il allait à moitié réaliser ce fantasme de réalisateur avec Lifeboat (1941) , rassemblant sur un canot de sauvetage les neuf survivants du torpillage d’un paquebot américain par un sous-marin allemand. Phone Game (2002) avec Colin Farrell est construit sur le même principe : la caméra ne le lâche (quasiment) pas, qui décroche le combiné d’une cabine publique et s’entend dire par le sniper qui le vise qu’il sera tué s’il raccroche. Plus claustrophobe encore, Buried (2010) filme avec quelle efficacité un subcontractor américain enterré vivant en Irak, relié au monde extérieur par un téléphone mobile à la connexion défaillante.

Le film, qu’un aveugle pourrait suivre sans quasiment en rien perdre, repose en grande partie sur ce qu’entend Asger Holm. Le travail sur le son est remarquable. Un plus grand parti aurait pu en être tiré, par exemple en disséminant des indices dans les appels de Iben, que le policier retrouverait en écoutant la bande de l’enregistrement.

Pour tenir la durée, il faut des rebondissements. Il y en a un, de taille, au milieu du film, que je n’avais pas vu venir. C’est bien. Mais ce n’est pas assez pour tenir la durée. À défaut, le scénario donne à son héros un passé – cette bavure dont il s’est rendu coupable – dont on se demande un temps si elle a un lien avec le drame qu’il est en train d’aider à élucider. La clé est à rechercher dans le titre et dans sa promesse de rédemption. La ficelle est un peu grosse, la béquille trop voyante. Dommage…

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Trois contes de Borges ☆☆☆☆

Un vieil homme aveugle raconte à une jeune femme trois histoires : la rencontre au bord d’un fleuve du jeune Borges avec son double vieillissant, celle d’un mendiant prétendant détenir dans le creux de sa main un disque qui n’a qu’une seule face, celle d’un vendeur de bibles qui possède un livre infini.

J’ai découvert Borges très jeune quand un ami m’a mis Fictions dans les mains et, comme tant d’autres, j’ai été immédiatement emporté par ses courtes histoires qui posent, l’air de rien, d’insolubles questions métaphysiques. Son intelligence aiguë, son érudition, sa façon de jouer avec le lecteur m’ont dérouté, séduit, fasciné.

Aussi, trente ans plus tard, je n’ai pas voulu rater l’adaptation au cinéma qui était faite de trois nouvelles tirées du Livre de sable. Bernardo Bertolucci en 1970 et Carlos Saura en 1992 ont réalisé deux films que je n’ai pas vus inspirés de deux de ses nouvelles. Quelle ne fut ma déception !

Trois contes de Borges est un film prétentieux, bavard, mal joué dont les personnages s’apostrophent indifféremment en français, en espagnol, en portugais, en anglais ou en allemand – histoire d’illustrer le plurilinguisme de l’écrivain qui partagea sa vie entre l’Europe et l’Amérique latine. Chacun des trois contes, très courts (El otro, El disco, El libro de arena) est tour à tour mis en images et déclamé par le personnage principal, au cas où on ne l’ait pas compris du premier coup. Le tout voudrait « mettre en péril nos rapports au temps, à l’image, au langage » (sic). La seule chose mise en péril est notre résistance à l’ennui qui nous gagne, aussi bref soit ce film de soixante-dix-sept minutes à peine.

Le film de Maxime Martinot tourné en 2014 a mis plus de quatre ans à trouver le chemin des écrans. Encore n’est-il sorti à Paris que dans deux salles confidentielles. En deuxième semaine, une seule le programmait encore. On comprend pourquoi…

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Joueurs ★☆☆☆

Ella (Stacy Martin) travaille jusqu’à l’épuisement dans le restaurant de son père. Elle y rencontre Abel (Tahar Rahim) et tombe instantanément sous son charme.
Abel est un joueur compulsif qui passe ses nuits dans un cercle de jeu. Il y entraîne Ella qui espère le guérir de son addiction.

Joueurs est un film noir comme on n’en fait plus sur un monde aujourd’hui quasi-disparu : celui des cercles de jeux plus ou moins clandestins, celui des bas-fonds de la capitale que le cinéma  des années cinquante et soixante avait magnifiquement filmés.

On le découvre à travers les yeux d’Ella avec la même excitation et la même répulsion qu’elle. En suivant Abel autour d’une table de punto banco [une variante du baccara], Ella sait qu’elle pourrait elle aussi s’y perdre. Mais elle sait surtout qu’elle devra passer par là pour conquérir l’homme qu’elle aime. Car, à la différence des films noirs des années cinquante, c’est ici la femme qui court après un « homme fatal » dont elle s’est éprise passionnément et qui ne cesse de lui échapper.

Tahar Rahim et Stacey Martin sont l’un et l’autre parfaits. Lui retrouve la fièvre de ses premiers rôles, que des choix de carrière parfois hasardeux avaient tendance à étouffer. Elle réussit, d’un plan à l’autre, à être tour à tour saisissante de beauté et d’une parfaite banalité. Autour d’eux, Karim Leklou confirme son talent atypique.

Le problème de Joueurs est ailleurs. Dans son scénario sans tension, aux enjeux convenus, aux rebondissements courus d’avance et à la conclusion exagérément pathétique. Si les lumières nocturnes de Joueurs nous fascinent pendant son premier tiers, son histoire dénuée d’intérêt nous laisse ensuite au bord du chemin.

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Au poste ! ★☆☆☆

Dans un poste de police, le commissaire Buron (Benoît Poelvoorde) flanqué d’un adjoint borgne et stupide (Marc Fraize) interroge Fugain (Grégoire Ludig) qui tente de s’innocenter d’un crime qu’il n’a pas commis.

On connaît Quentin Dupieux et ses comédies volontiers absurdes : Steak (2007), Rubber (2010), Wrong (2012)… Après plusieurs années à Hollywood, il revient en France pour y tourner une parodie revendiquée d’un polar des années soixante-dix. L’affiche annonce la couleur, sa typographie, sa palette chromatique. Il s’agit de revisiter tout à la fois Garde à vue (pour le long interrogatoire de police entre Ventura et Serraut), Peur sur la ville (pour son héros borgne) et Le Père Noël est une ordure (pour Zézette dont s’inspire le personnage de blonde fantasque interprété par Anaïs Demoustier).

Mais, malgré la présence au générique de Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig, sans doute deux des comédiens les plus hilarants du moment, Au Poste ! n’est pas une comédie déjantée. Creusant le sillon tracé par ses précédents films, Quentin Dupieux préfère l’humour absurde, ou plutôt le non-sens façon Monthy Python, qui provoque l’hilarité par la trivialité des situations qu’il croque.

Ainsi, une bonne part de l’interrogatoire de Fugain sera consacrée à reconstituer les sept allers-retours (ou va-et-vient) qu’il aura effectués le soir du crime entre son appartement et le rez-de-chaussée d’un immeuble déshumanisé : une première fois pour aller acheter un insecticide, une deuxième pour avoir oublié son portefeuille, une troisième pour avoir fait tomber un pot de fleur, une quatrième pour chercher sa femme somnambule, etc. Ces va-et-vient sont reconstitués en autant de flash-back [non ! ceci n’est pas une dictée à thème « noms composés invariables » !] dans lesquels le réalisateur s’amuse à jouer avec la chronologie en y réintroduisant des personnages et des situations situés dans le futur.

La distanciation est encore accrue par le coup de théâtre final, dont l’ambition n’est pas de surprendre, comme l’ambition du film n’était pas d’amuser. Mais à force de manquer d’ambition, à force de n’avoir comme seule ligne de conduite que celle de refuser tout effet, Au poste ! court souvent le danger d’atteindre son but : raconter avec insgnifiance une histoire insignifiante.

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The Strange Ones ★★☆☆

Sam part camper avec son grand frère Nick. C’est du moins ce que l’on pourrait penser. Sauf que Nick n’est pas son frère et que les deux garçons ne partent pas vraiment camper.

The Strange Ones est construit sur un principe efficace quoiqu’il complique considérablement la tâche du critique : son sujet se découvre lentement. Sauf à dévoiler les ressorts de l’intrigue et le sel de son sujet, on ne dira pas quel lien unit Sam à Nick, quelle menace ils fuient, quel objectif ils poursuivent.

Dans ces conditions là, il est difficile de parler de The Strange Ones. Sinon pour dire qu’il vaut plus par l’ambiance malaisante qu’il crée que par l’enchaînement des faits qu’on découvre progressivement – et qu’on n’est pas d’ailleurs absolument certain d’avoir réussi à reconstituer si on en croit les interprétations qui sont avancées par certains spectateurs.

La plus intéressante serait que Nick n’existe pas et que Sam s’est inventé cet ami imaginaire pour rendre la réalité plus douce – un peu comme Tayler Durden dans Fight Club (oh ! zut ! vous ne saviez pas ? désolé !) ou le petit Bonzi de Sorj Chalandon. Si j’en parle aussi ouvertement c’est que je ne crois pas crédible cette hypothèse, aussi stimulante soit-elle. Je n’irai pas revoir The Strange Ones pour la tester. Mais je serais curieux de savoir ce que vous en pensez.

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Dogman ★★★☆

Marcello est toiletteur pour chiens. Il s’occupe de ses bêtes avec tendresse. Il partage avec sa fille la passion de la plongée sous-marine. Il est apprécié de ses voisins avec lesquels il joue régulièrement au football.
Tout irait pour le mieux pour Marcello s’il n’y avait Simoncino, une brute aussi violente qu’obtuse, qui terrorise le quartier.

Mateo Garrone est de retour sept ans après Gomorra – on oubliera Tale of Tales et Reality. L’affiche est la même. Même fond bleu et marin. Même titre rouge utilisant presque les mêmes lettres : un O, un G, un M, un A. Même palme cannoise en surplomb – hier le Grand Prix, aujourd’hui le prix d’interprétation masculine.

Et pourtant Dogman et Gomorra n’ont quasiment rien à voir.
Adapté du best-seller de Roberto Saviano, Gomorra était une plongée kaleidoscopique dans la Camorra napolitaine, un film choral entrelaçant les histoires, multipliant les points de vue – au point, à mon avis, d’en perdre en cohérence.

Dogman relève plutôt du conte abstrait. Tout se passe autour du salon de Marcello, dans un quartier déshérité de Rome, au bord de la mer, là même où fut assassiné Pasolini, dans des décors si typés qu’on les croirait sortis d’un film de Fellini. Sans minorer l’extraordinaire prestation de Marcello Fonte, un ancien gardien de prison devenu par les hasards d’un casting sauvage le héros du film, le décor de Dogman est le principal personnage du film. Minéral, pluvieux, on est loin du soleil de carte postale du Latium.

Dans ce décor misérable évoluent deux personnages archétypaux. D’un côté Marcello, des faux airs de Luis Rego, chétif, souffre-douleur, avec son seul sourire immense pour se défendre. De l’autre Simoncini, le visage couturé de cicatrices, le front bas, la diction pâteuse, les accès de colère aussi imprévisibles qu’incontrôlables. On pense un instant au duo formé par Georges et Lennie dans Des souris et des hommes ; mais il n’en a pas la fraternelle tendresse. Marcello rappelle plutôt les grandes figures du cinéma néo-réaliste italien, ces figures pleines de dignité filmées par De Sica : le voleur de bicyclette, Umberto D.

Pendant tout le film, Marcello encaisse les brimades, les coups, les trahisons de Simoncino. On pressent que la riposte viendra. On l’imagine d’autant plus meurtrière qu’elle se fait attendre. Et, si on connaît le fait divers sanglant dont Dogman est inspiré, on en devine la nature. Pour autant, le film ne nous prend pas en otage, pas plus qu’il nous conduit vers un dénouement sans surprise. Interrompu en son milieu par une ellipse d’une année, il nous fait suivre la vie dérisoire de Marcello, un personnage qu’on n’oubliera pas de sitôt.

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L’Empire de la perfection ★★☆☆

Au début des années quatre-vingts, après la retraite de Björn Borg, John McEnroe domine le tennis mondial. Mais il n’a jamais gagné à Roland Garros. Il est l’ultra-favori de l’édition 1984.
Gil de Kermadec le filme pour la Fédération française de tennis dont il fut le premier directeur technique national. Le jeune réalisateur Julien Taraut a retrouvé ses rushes en 16mm dans les archives de l’Insep.

Il fut un temps fort lointain où je jouais passionnément au tennis. En ce temps là, le croirez-vous fidèle lecteur, je portais même un bandeau-éponge pour chasser de mes yeux l’épaisse chevelure qui aurait risqué d’en obstruer la vue. Je regardais avec passion Roland Garros dont je rejouais fidèlement les matches les plus épiques en frappant la balle sur le mur du garage. Mes héros avaient pour nous Björn Borg, Jimmy Connors, Mats Vilander et Vitas Gerulaitis.

Je me souviens bien de la finale de 1984 – même si, dans mes souvenirs, rien ne surpassa la finale dames de 1985 entre Chris Evert et Martina Navratilova – et la victoire en cinq sets de Ivan Lendl contre John McEnroe. Je n’aimais ni l’un ni l’autre. Ils incarnaient chacun à leur façon ce qu’on contre quoi toute mon éducation m’avait dressé. McEnroe : les gros mots, la contestation de l’autorité. Lendl : la froideur calculée et indestructible d’un héros soviétique.

Tournées à des fins pédagogiques, les images de Gil Kermadec filmées par trois caméras disposées autour du cours ne cherchent pas à rendre compte du match, mais du seul John McEnroe, de son jeu et de son comportement. On comprend, en les voyant, que ses accès de colère périodiques, contre l’arbitre, les journalistes, le public – mais jamais contre son adversaire – loin de le déconcentrer, lui permettaient paradoxalement de se galvaniser. On (re)découvre aussi la grâce féline de son jeu qui peut sembler aujourd’hui totalement démodé quand les stars mondiales du tennis sont devenues des athlètes hyper-puissants ahanant des coups de bûcheron : pas très grand, un peu rondouillard, McEnroe danse plus qu’il ne court, reprenant à mi volée les coups sans vraiment les frapper, utilisant son toucher de balle plus que sa puissance.

J’avais adoré le film Borg/McEnroe sorti l’an dernier avec Shia LeBeouf dans le rôle du bouillonnant New-Yorkais. Il est de bon ton de critiquer ce film qui a fait un bide. Les puristes lui préféreront ce documentaire qui refusent toute dramatisation pour rechercher, sous une forme volontiers ascétique, l’essence de la perfection tennistique. À chacun ses goûts…

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