La Tendre Indifférence du monde ★★☆☆

La belle Saltanat doit quitter la ferme familiale après que son père couvert de dettes s’y est donné la mort. Sur les conseils de sa mère malade, elle part en ville se placer sous la protection de son oncle. Kuandyk, fort comme un Turc, l’aime en silence et l’accompagne.
Tandis que Saltanat est placée face à un marché sordide, contrainte de se donner à l’associé de son oncle pour rembourser les dettes contractées par son père, Kuandyk trouve à s’employer par le chef de la mafia des fruits et légumes.

Quand on tape « cinéma kazakh » sur Google, on trouve… Borat ! Pourtant le Kazakhstan a produit quelques films, peu ou mal diffusés en France, qui méritent qu’on s’y arrête. Avec Chouga (2007), Darezhan Ormibaev a transposé Anna Karénine dans le Kazakhstan contemporain. L’Étudiant (2012) du même transpose cette fois-ci Crime et châtiment. Le Souffle (2014) est un des plus beaux films que j’aie vus ces dernières années, qui montre l’immense plaine kazakhe dans de longs travelings sans dialogue.

La Tendre Indifférence du monde a été diffusé à Cannes en mai dans la section Un certain regard. C’est l’œuvre d’un réalisateur kazakh inconnu qui invoque bravement Camus (auquel le titre du film est emprunté), Shakespeare et Jean-Paul Belmondo. Mais c’est surtout à l’ironie tendre et à la violence des films de Takeshi Kitano que l’emprunt est le plus visible.

La Tendre Indifférence du monde raconte moins les amours contrariées de Saltanat et de Kuandyk, sorte d’Esmeralda et de Quasimodo centre-asiatique, qu’il ne fait le portrait sans concession d’une société post-soviétique rongée par le féodalisme. Ce milieu d’empire, coincé entre la Russie – dont les habitants parlent la langue – et la Chine – dont ils empruntent à leurs ressortissants les traits – semble avoir hérité le pire des deux systèmes. D’ailleurs les cinémas russe et chinois contemporain nous envoient régulièrement quelques œuvres traumatisantes : qu’on pense aux films de Zviaguintsev ou aux documentaires de Wang Bing.

Le portrait que Adilkhan Yerzhanov dresse du Kazakhstan n’est guère plus reluisant. Rien n’est épargné à la belle Sultanat ni au fort Kuandyk : à elle la lubricité des hommes, à lui leur violence, à eux deux une société régie par l’appât du gain et l’absence de compassion. Chacun va être placé face à un dilemme qui les obligera à se renier : d’elle on exige qu’elle se donne, de lui qu’il sacrifie un ami. Pourtant, Saltanat et Kuandyk réussissent à rester entiers. Pas sûr que la façon tragique dont le film se termine invite à l’optimisme sur l’espèce humaine en général, et sur la glorieuse nation Kazakhstan en particulier.

La bande-annonce

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *