Nous les coyotes ★★★☆

Amanda et Jake ont quitté l’Illinois en voiture pour la Californie. Ils arrivent à Los Angeles et espèrent y commencer une vie ensemble. Mais hélas, les déconvenues s’accumulent sur leur chemin. Ils se fâchent avec la tante d’Amanda qui les héberge et juge Jake de haut. L’entretien d’Amanda pour un emploi dans une maison de disques tourne au fiasco. Leur voiture mal garée est emmenée à la fourrière et ne leur sera restituée qu’en échange d’une amende qui assèche leurs maigres économies.

Amanda et Jake ont vingt ans et aimeraient pouvoir dire, n’en déplaise à Paul Nizan, que c’est le plus bel âge de la vie. Hélas, Paul Nizan n’a pas tort si l’on en croit les déboires qu’ils rencontrent. Dès les premières images on s’attache à ce couple fusionnel, uni l’un à l’autre comme le sont des adolescents pas tout à fait sortis de l’enfance. On sent par avance que le monde adulte ne leur sera pas tendre et on endure avec eux les avanies de leur première journée dans la mal-nommée Cité des anges. Les co-réalisateurs et co-scénaristes Hanna Ladoul et Marco La Via, deux Français exilés en Californie dont on imagine aisément la part d’autobiographie que recèle leur premier film, nous racontent des galères qui n’ont rien de comique ni d’imaginaire.

Le charme de Nous les coyotes doit beaucoup au talent de ses deux jeunes acteurs. On avait déjà croisé McCaul Lombardi et sa coolitude branchée dans deux films américains indé Sollers Point et American Honey. On se souvient de la  moue boudeuse de Morgan Saylor, la fille du héros de la série Homeland. L’un et l’autre ont grandi et on espère les revoir bientôt dans des productions plus ambitieuses.

Avec son petit budget, son sujet rebattu, la linéarité de sa narration, Nous les coyotes vacille sur le gouffre de l’insignifiance. Mais il n’y tombe pas. Et c’est ce qui fait tout son prix. Nous les coyotes réussit, grâce à sa durée ramassée, à ne jamais être ennuyeux. Mieux, il n’est jamais moraliste. Il ne verse ni dans le cynisme ni dans l’angélisme. S’il se conclue par un deus ex machina qui nous met le sourire aux lèvres et nous donne foi dans l’humanité, il ne verse pas dans le feel good movie niaiseux et tire-larmes.

Nous les coyotes est un film minuscule, quasiment pas distribué, qui risque fort de passer sous les radars en cette période de fêtes bien chargée. Au bout de deux semaines d’exploitation, seul le MK2 Beaubourg le distribue encore dans Paris intra muros. C’est pourtant une pépite rare, d’une fraîcheur revigorante, dont le moindre mérite n’est pas de donner tort à Paul Nizan : vingt ans est décidément le plus bel âge de la vie pour ceux qui sont prêts à le croquer à pleines dents.

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After My Death ★★☆☆

Kyung-min, une jeune lycéenne, disparaît mystérieusement. La police suspecte un suicide. Young-hee, une camarade, est la dernière à l’avoir vue vivante. La police, la mère de la disparue, ses amies d’école l’accablent de reproches.

Pour apprécier After my death, un avertissement n’est pas inutile. On se tromperait en attendant un thriller sur l’élucidation du mystère qui entoure la mort de Kyung-min. Le sujet du film n’est pas là. Il n’est pas dans le suicide de cette adolescente mais dans les conséquences qu’il provoque dans son entourage et au premier chef sur Young-hee.

L’enquête menée autour du suicide de Kyung-min n’est donc pas le fil directeur du film. Et ce serait faire un mauvais procès à After My Death de lui reprocher de ne pas l’élucider. Le personnage principal du film est bien Kyung-min – étonnamment interprétée par Jeon Yeo-bin, une jeune inconnue prometteuse – tout aussi suicidaire devenue le bouc émissaire du malaise provoqué par la disparition de Kyung-min.

Si le taux de suicide des adolescent.e.s en Corée du sud est parmi les plus élevés au monde, deux fois plus important qu’en France, After My Death ne tourne pas pour autant au film-à-thèse. Il conserve tout du long son ambiguïté : moitié thriller, moitié drame contemporain. C’est sa principale qualité ; c’est aussi son principal défaut. Car on est tout à la fois frustré d’une intrigue policière qui ne se noue jamais vraiment et se dénoue a fortiori moins encore et pas vraiment convaincu par l’exposé du mal être suicidaire adolescent autour duquel Gus Van Sant et Sofia Coppola ont livré des œuvres indépassables.

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L’Empereur de Paris ★☆☆☆

Après avoir une nouvelle fois réussi à déjouer la vigilance de ses gardiens,  Eugène-François Vidocq (Vincent Cassel) s’est échappé du bagne de Toulon. Il est l’évadé le plus célèbre de la France de Napoléon. Mais la clandestinité lui est devenue insupportable. Arrêté pour un crime qu’il n’a pas commis, il propose au chef de la sûreté (Patrick Chesnais) un marché : il accepte de mettre sa connaissance du crime au service de la police en échange de sa lettre de grâce.

Précédé d’une campagne publicitaire envahissante, L’Empereur de Paris envahira les écrans de Noël et a l’ambition d’y être un blockbuster familial. Les frères Altmayer et Gaumont n’ont pas lésiné sur les moyens, consacrant à la superproduction un budget de 22 millions d’euros et convoquant autour de Vincent Cassel une pléiade de stars, confirmées ou riches d’avenir. On reconnaît ainsi Fabrice Luchini dans le rôle de Fouché, la splendide Olga Kurylenko dans celui d’une fausse baronne et la prometteuse Freya Mavor dans celui d’Annette, la fiancée de Vidocq.

Le résultat déçoit. Sans doute l’argent investi se voit-il dans quelques reconstitutions splendides du Paris du Consulat : ainsi de l’Arc de Triomphe en cours de construction ou de la Cour du Louvre que venait clore vers l’Ouest le palais des Tuileries incendié sous la Commune (seule erreur dans ce plan splendide : la lumière du soleil y vient du… Nord !). Mais le scénario manque cruellement de chien, réduisant L’Empereur de Paris à une (longue) succession de combats plus ou moins répétitifs, à coups de poings, de sabres ou de pistolets.

Jean-François Richet, qu’on avait connu plus iconoclaste dans ses précédents films, louche ostensiblement vers Alexandre Dumas ou Eugène Sue dans la peinture feuilletonesque d’un Paris sale et violent, gangrené par le crime, peuplé de personnages pleins de gouaille et de vie. Mais cette galerie de trognes irrésistibles – au premier rang desquelles Denis Lavant qui, comme toujours, en fait trop – ne suffit pas à faire un film. Il y faudrait une histoire. Or celle de Vidocq ne nous réserve aucune surprise. La raison de ce manque de subtilité est peut-être dans le choix du public visé, entre douze et seize ans. Pas sûr qu’il accroche à ce produit trop lisse, trop sage, trop formaté pour emporter l’enthousiasme.

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High Life ☆☆☆☆

L’action de High Life se déroule dans une navette spatiale projetée aux marges de notre univers. On comprend que son équipage a été constitué de repris de justice dont la condamnation à mort a été commuée pour participer à cette mission probablement sans retour. Ils sont accompagnés d’une doctoresse (Juliette Binoche) qui travaille sur la reproduction humaine.
Monte (Robert Pattinson) est l’un des membres d’équipage dont on découvrira le crime qu’il a commis sur terre et qui l’a conduit dans cette odyssée. Ses co-équipiers ont disparu l’un après l’autre. Il se retrouve seul à bord avec son bébé.

High Life est un faux film de science fiction, sans extra-terrestres ni combats intergalactiques. Comme Solaris (dont le remake par Steven Soderbergh est bien plus comestible que l’original de Tarkovski porté au pinacle par des cinéphiles qui ne l’ont pas toujours vu) comme Sunshine de Danny Boyle, il s’agit d’un voyage intérieur et d’une quête métaphysique.

Le problème est que ce voyage et cette quête tournent à vide. Dans un grand méli-mélo passablement prétentieux, il y est question d’amour, de filiation, d’inceste et de paternité. Si Robert Pattinson, le regard éteint, fixe l’infini des astres, le regard du spectateur s’éteint vite face à cet infini désastre.

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Frères de sang ★★☆☆

Manolo et Mirko ne savent pas que faire de leurs vingt ans. Vaguement inscrits dans un lycée hôtelier, ils tuent le temps en discutant et en roulant dans la banlieue de Rome. Mais une nuit, alors qu’ils ont bu plus que de raison, ils fauchent un piéton et le laissent pour mort.
Le drame pourrait briser leur vie. Mais paradoxalement, il se révèle pour eux une seconde chance. Le piéton fauché est en effet un mouchard recherché par la mafia. L’avoir liquidé ouvre aux deux jeunes gens des perspectives inespérées dans le crime organisé.

Le cinéma italien prend décidément un plaisir malsain à filmer la violence, à rebours des images ensoleillées de carte postale que la péninsule inspire. Gomorra, Suburra, Dogman, autant de films coup de poing qui dépeignent une Italie pluvieuse, misérable, violente. Une banlieue sans âme, une « terre de rien » (pour reprendre le titre original intraduisible : « La terra dell’abbastanza »), est le décor déprimant de ce Frères de sang dont le principal défaut est précisément d’emprunter un sillon déjà bien défriché.

Le titre français et l’affiche voudraient nous entraîner dans une autre direction, qui insistent sur le duo formé par les deux personnages principaux. Manolo et Mirko, aux prénoms si proches, ont grandi depuis l’enfance dans des foyers dysfonctionnels. Si l’un est plus timide, l’autre plus extraverti, ils se ressemblent. Face au dilemme auquel ils sont confrontés, ils ont des réactions différentes : Manolo n’hésite pas à rejoindre la mafia là où Mirko a plus de réticence.

Mais le film a une autre dimension : celle du contrôle parental. Manolo a un père perdu dans l’alcool et dans les jeux d’argent qui, loin de le dissuader de ses mauvaises fréquentations, l’y encourage. Marko au contraire a une mère qui entend le maintenir dans le droit chemin mais qui n’y peut mais. C’est sur ces deux parents que le film se clôt, une fois scellé le funeste destin de leurs deux enfants. Comme si c’était eux en vérité les deux héros du film.

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Dakini ★☆☆☆

Dans les montagnes du Bhoutan, une nonne boudhiste vient de disparaître. Le détective Kinley est chargé de l’enquête. Les villageois accusent Choden, une femme aussi belle que mystérieuse. Sa fuite dans la forêt semble signer sa culpabilité. Kinley part à ses trousses. Mais Choden est une « dakini », mi-femme mi déesse, qui a la capacité de dialoguer avec l’au-delà.

Dakini nous vient du Bhoutan, un minuscule royaume niché au pied de  l’Himalaya, entre Inde et Chine. Son cinéma est à la mesure du pays : minuscule et inconnu. Le seul réalisateur à en avoir franchi les frontières était Khyentse Norbu qui avait signé en 1999 un film gentillet, La Coupe, sur deux enfants tibétains passionnés de football. Il faut désormais compter sur Dechen Roder.

Son film est un mélange curieux. Son pitch a l’apparence d’une enquête policière. Le duo formé entre les deux héros laisse augurer une romance convenue. Son titre et son affiche – avec ses beaux caractères alphasyllabaires – louchent vers l’exotisme.

Malheureusement Dakini échoue sur tous ces terrains. L’enquête policière emprunte de telles méandres qu’elle finit par perdre le spectateur en cours de route. La romance est si fade qu’elle peine à émouvoir. Quant à l’exotisme, le Bhoutan filmé par Dechen Roder, ses cieux bas et gris, ses villages sans charme, s’avère nettement moins joli que celui qu’on avait fantasmé. Seule consolation : l’époustouflante beauté de l’héroïne Sonam Tashi Choden aux faux airs de Gong Li. Souhaitons-lui une carrière aussi riche.

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Marche ou crève ★★★☆

Élisa est à l’âge de tous les commencements. Elle est sur le point de quitter la maison familiale, une ferme perdue dans les montagnes du Vercors, pour poursuivre ses études à Montpellier en colocation avec sa meilleure amie. Mais Élisa a une sœur aînée, Manon, lourdement handicapée. Et quand leur mère abandonne le foyer, Élisa se sent obligée de seconder son père dans l’attention de chaque instant que Manon exige.

Marche ou crève filme une réalité rarement dite : celle de ces milliers de parents asservis au handicap de leur enfant, condamnés à la répétition harassante, sans espoir de rémission, des mêmes gestes, des mêmes soins, celle de ces parents dont l’amour infini et inconditionnel qu’ils portent à leur enfant est lentement érodé par la fatigue et la colère, celle du choix impossible entre une « vraie » vie libérée de cette contrainte, qu’on aurait aimé choisir, et celle toute d’altruisme et de désintéressement que le destin leur a imposée et dont ils ne peuvent s’affranchir sauf à passer aux yeux des autres et à leurs propres yeux pour le pire des monstres.

Marche ou crève est un film dont on peine à se remettre, qu’on ait soi-même vécu pareille situation ou qu’on l’imagine. Il le fait sans voyeurisme ni sentimentalisme en trouvant le ton juste pour traiter un sujet propice à tous les dérapages.

Car ses personnages ne sont jamais manichéens. Manon, la sœur handicapée, n’est ni adorable ni détestable : elle est simplement une jeune femme lourdement dépendante qui nécessite une présence permanente. Le père, interprété par Cédric Kahn, aussi bon devant que derrière la caméra, est aussi admirable par le dévouement qu’il manifeste à sa fille que critiquable pour avoir transformé sa vie en sacerdoce masochiste.

Celle qui résume le mieux ces contradictions est Élisa, la sœur cadette. Diane Rouxel l’interprète dont le visage hyperboréen (cheveux blonds presque blancs, yeux bleus pâles un peu bridés) mangeait déjà l’affiche de Volontaire où elle jouait le rôle d’un vaillant petit soldat. La jeune fille déborde d’amour pour sa sœur et vit comme une culpabilité l’urgence du désir de voler de ses propres ailes, de découvrir d’autres lieux, d’autres gens… Marche ou crève est l’histoire de son accomplissement, un coming of age movie sans mièvrerie.

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Mon cher enfant ★★☆☆

À Tunis de nos jours. Sami est fils unique. Il prépare son bac. Il est l’enfant chéri de Riad et de Sazli, un couple déjà âgé dont on comprend qu’il a eu Sami sur le tard.
L’adolescent a de violentes céphalées qui inquiètent ses parents. Ils le font consulter sans succès : un neurologue, un psychiatre… Puis, soudain, Sami disparaît. Ses parents comprennent qu’il est parti en Syrie faire le djihad. Son père décide d’aller l’y chercher.

La radicalisation est un sujet brûlant dont le cinéma n’a pas tardé à s’emparer avec un succès inégal. Dès 2011, avant les attentats de Charlie Hebdo ou du Bataclan, Philippe Faucon suivait dans La Désintégration avec une belle prescience la dérive d’un groupe de jeunes dés-intégrés. En 2015,  Thomas Bidegain filmait dans Les Cowboys un père à la recherche de sa fille. Moins inspirée, en 2016, Marie-Castille Mention-Schaar racontait dans Le ciel attendra l’histoire de deux jeunes filles, l’une en cours de radicalisation, l’autre en voie de déradicalisation.

On attendait avec intérêt ce film sur le même sujet d’un réalisateur tunisien qui, sans prétendre se faire l’ambassadeur de son pays, nous éclaire sur la radicalisation vue de l’autre côté de la Méditerranée. On en est pour son compte d’une analyse politique ou sociologique. Ce n’est pas dans ce registre là que Mon cher enfant s’inscrit. Au contraire, comme son titre et son affiche l’annoncent, c’est moins un processus de radicalisation qu’une relation père-fils que Mohamed Ben Attia, déjà remarqué pour Hedi, un vent de liberté, analyse.

On ne saura rien de la façon dont Sami a été recruté, ni des motifs profonds pour lesquels il quitte la Tunisie. Le sujet est entièrement filmé du point de vue du père et du regard aimant qu’il porte sur son fils. Sans doute son amour l’aveugle-t-il. Mais on aurait scrupule à lui en faire le reproche. Quand la vérité s’impose à lui, il a la seule réaction digne : tout mettre en œuvre pour ramener son fils. Le film le suit en Turquie et aurait pu prendre un virage vers le thriller. Mais Mohamed Ben Attia n’en fait rien. L’attitude du père, sa décision surprennent. On ne peut rien en dire sinon qu’elle est profondément crédible et profondément touchante. Humain, trop humain…

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Pig ★☆☆☆

À Téhéran, de nos jours, un mystérieux serial killer assassine les cinéastes les plus réputés, tranche leurs têtes et trace sur leur front au cutter les lettres du mot « cochon » (« khook »).
Hassan Kasmai, la cinquantaine, est interdit de tournage par le régime. Il survit en tournant des spots publicitaires insipides. Il étouffe entre sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, sa femme et sa fille qui lui sert d’attachée de presse. Il vit très mal de n’avoir pas été pris pour cible par le serial killer et y voit le signe du déclin de sa célébrité au moment où son actrice fétiche menace de le quitter pour un réalisateur plus populaire.

Le cinéma iranien est d’une étonnante richesse, au point de faire jeu égal, en qualité sinon en quantité avec celui des autres géants asiatiques : Chine, Inde, Japon… Pas un mois ou presque sans que nous arrive de Téhéran une curiosité. Rien qu’en 2018, on a vu notamment La Permission de Soheil Beiraghi, Invasion de Sharam Mokri, Trois visages de Rafar Panahi, Un homme intègre de Mohammad Rasoulof…

Pig a toute sa place dans cette brillante galerie. Son sujet est audacieux et on se demande comment il a franchi la censure iranienne. Jugez-en par vous-même : un réalisateur bâillonné par le régime (poke Jafar Panahi), un meurtrier qui assassine impunément, un policier ridicule et impuissant, des soirées chic qui rassemble la haute société téhéranaise…

Le héros narcissique, aux faux airs de Gustave Kervern iranien, est irrésistible. On l’imaginerait volontiers dans un film d’Almodovar intitulé Réalisateur au bord de la crise de nerfs. Pig est une parodie de film de genre, un faux thriller, une farce entrecoupée de quelques scènes purement oniriques… Les thèmes qu’il traite sont ambitieux, trop peut-être : la célébrité, la tyrannie des réseaux sociaux, la maturité…

Le problème est que la mayonnaise ne prend pas. Passée la première demie-heure et l’étonnement que le sujet suscite, on se lasse vite des rebondissements d’une intrigue cruellement dépourvue de crédibilité. On peine à s’attacher aux personnages pas plus qu’on n’adhère à un scénario qui se termine en queue de poisson. Dommage…

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Utøya , 22 juillet ★★★☆

Le 22 juillet 2011, Anders Breivik, un fanatique d’extrême droite, commet un double attentat. Il fait d’abord exploser une bombe dans le centre d’Oslo, puis se rend sur l’île d’Utøya où se tient l’université d’été des jeunes socialistes. Lourdement armé, il assassine de sang froid les jeunes qu’il traque dans l’île minuscule. La tuerie dure soixante douze minutes jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre.

Peut-on filmer Utøya (ou le Bataclan ? ou Charlie Hebdo ? ou Nice ?) ? Certains se le demandent pointant du doigt le voyeurisme sinon le sensationnalisme dont les films prenant ces tueries pour sujet seraient inévitablement lestés. La réponse est moins éthique que cinématographique : tout est question de point de vue et de distance. Il n’y a aucune raison d’interdire au cinéma certains sujets a priori.

Passons à la question suivante. Comment filmer Utøya (ou le Bataclan ? ou Charlie Hebdo ? ou Nice ?) ? Plusieurs points de vue sont concevables.Quand Oliver Stone filme le 11-septembre, il choisit de suivre une escouade de sapeurs pompiers dans les tours en feu. Martin Guigui dans 9/11 s’attache lui à cinq personnes bloquées dans un ascenseur du World Trade Center. Pour raconter une catastrophe aérienne, l’amerrissage sur la Hudson River du vol 1549, Clint Eastwood se concentre sur le capitaine de l’avion Chesley « Sully » Sullenberger.

Pour la tuerie de Utøya plusieurs angles d’attaque étaient imaginables. On aurait pu se glisser dans le peau de Breivik, décrire son enfance, ses délires idéologiques, la préparation minutieuse de l’attentat, son exécution méthodique. On aurait pu au contraire éclater les perspectives : un film chorale filmant les mêmes scènes de plusieurs points de vue (celui de l’assassin, celui des jeunes pourchassés, celui d’un parent ou d’un ami au bout du téléphone portable, celui des vacanciers sur la rive inquiétés par les détonations venues de l’île toute proche, etc.)

On ne connaît pas celui de Paul Greengras qui vient de sortir sur Netflix (soupirs) Un 22 juillet. Le réalisateur américain semble se faire une spécialité de ces événements puisqu’il a déjà consacré deux films, aussi remarquables l’un que l’autre, le premier aux affrontements de 1972 à (London)Derry Bloody Sunday, le second aux attentats du 11 septembre, Vol 93.

Le Norvégien Erik Poppe adopte un point de vue radical. Il tourne une seule scène, en temps réel, le temps exact de la tuerie. Le plan séquence est d’une virtuosité impressionnante et permet immédiatement à Utøya , 22 Juillet de prendre rang parmi des films aussi célèbres que La Soif du mal, La Corde, Les Fils de l’homme ou Snake Eyes.

Mais ce plan-séquence n’est pas que de l’épate, de la poudre aux yeux. Il a un sens : nous faire ressentir, dans la durée et de l’intérieur, ce qu’ont éprouvé les jeunes. Au départ, pendant quelques minutes, on les voit discuter de l’attentat dont ils viennent d’apprendre la nouvelle dans le centre d’Oslo. Ils sont inquiets pour leurs proches restés en ville, mais n’ont aucune raison de s’inquiéter pour eux-mêmes. Puis des bruits se font entendre. Pétards ? détonations ? L’inquiétude se mue en terreur. Les jeunes courent dans tous les sens, cherchent un refuge, qui dans une tente, qui dans une souche d’arbre. La police, monopolisée par la gestion de l’attentat d’Oslo, est injoignable. Y a-t-il un tireur ? ou plusieurs ? Nous le savons ; mais les jeunes, eux, ne le savent pas.

Le procédé est d’une redoutable efficacité. Ils nous prend à la gorge, nous interpelle : qu’aurais je fait ? où serais-je allé me cacher ? Aurais-je porté secours à mon voisin au risque de ma vie ? La caméra choisit de s’attacher aux pas de Aya, une jeune fille passionnée de politique, effondrée d’avoir perdu la trace de sa petite sœur dans la bousculade. Cette héroïsation ne va pas de soi. Un autre parti aurait été de passer d’un jeune à l’autre. Mais elle nous permet de mettre un – beau – visage sur les victimes d’Utøya.

La bande-annonce