L’Époque ★★☆☆

Pendant deux ans, de novembre 2015 à mai 2017, Mathieu Bareyre et Thibaut Dufait, son ingénieur du son, ont arpenté les rues de Paris pour y capter l’esprit de « l’époque ». Chaque nuit, inlassablement, ils ont interrogé des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans.

Mathieu Bareyre n’invente rien. Avant lui, Edgard Morin et Jean Rouch s’étaient livrés à un exercice de sociologie urbaine (Chronique d’un été, 1961). Chris Marker et Pierre Lhomme avaient tendu leur micro aux Parisiens au lendemain de la guerre d’Algérie (Le Joli Mai, 1963). Plus récemment, David André avait filmé en 2013 un bijou Chante ton bac d’abord qui suivait des lycéens durant l’année précédant leur bac. En 2018, Claire Simon s’est quant à elle essayée à brosser le portrait d’une génération au sortir de l’adolescence (Premières solitudes).

L’Époque ne raconte pas une histoire. Il ne raconte pas non plus l’Histoire. On n’y parle ni du Bataclan, ni de la campagne présidentielle, ni même de la loi El Khomry quand bien même de nombreuses séquences sont filmées sur cette place de la République où ses opposants se sont rassemblés.
L’Époque ne fait pas non plus œuvre de sociologie même si on y filme un enfant de la bourgeoisie – qui se désespère d’avoir cédé à la pression parentale et de faire du commerce plutôt que de la philo – une étudiante de Sciences Po – franchement crétine sous l’effet de l’alcool – une khâgneuse en rupture de ban qui a rejoint les Black Blocks et confesse hors écran son addiction à la castagne, des petits dealers de banlieue, des Renois en demande d’intégration qui prônent l’éducation plutôt que la violence…

L’Époque filme des fragments poétiques de nuit. C’est ce qui fait sa beauté. C’est ce qui fait aussi sa limite. Au son de Nekfeu et de Vivaldi, L’Époque est une accumulation kaléidoscopique de courtes saynètes, de rencontres improbables, sans autre fil conducteur que celui de cette nuit et des substances euphorisantes qu’on y consomme. Parmi toutes ces silhouettes s’en distingue une, inoubliable. Sous ses couches de vêtements, on hésite sur son sexe. Rose a la langue bien pendue, un humour à toute épreuve. Française d’origine africaine, elle vomit les contrôles d’identité à répétition qui foulent au pied sa citoyenneté. Place de la République, face aux CRS impassibles, ce Gavroche du vingt-et-unième siècle a les traits d’une Marianne en colère.

La bande-annonce

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