Blanche comme neige ★★★☆

Claire (Lou de Laâge) travaille dans un hôtel de luxe avec sa belle-mère Maud (Isabelle Huppert). Claire est orpheline : sa mère est décédée dans son enfance et son père – qui s’était remarié avec Maud – vient de mourir. Maud a un amant (Charles Berling) qui n’est pas insensible au charme de Claire. Sous le coup de la jalousie, Maud décide de faire éliminer Claire. Mais la jeune fille est sauvée in extremis et recueillie dans un chalet perdu au cœur des Alpes.
Autour d’elle sept hommes : deux jumeaux, un violoncelliste hypocondriaque, un vétérinaire dévoré de jalousie, un prêtre compréhensif, un libraire lubrique et son fils karatéka et timide.

Anne Fontaine est désormais une figure consacrée. Même si son nom n’est pas connu du grand public, elle a signé une œuvre riche marquée par son éclectisme : Marvin ou la belle éducation (2017), adaptée du roman autobiographique d’Émile Louis, Les Innocentes (2015), Gemma Bovery (2014), Coco avant Chanel (2008), Nettoyage à sec (1997), etc. Elle sait s’entourer de ce que le cinéma compte de meilleur, un casting plaqué or, un plateau technique hors pair (Pascal Bonitzer au scénario, Yves Angelo à l’image, Bruno Coulais à la musique).

Elle se lance dans une adaptation moderne et joyeuse du Blanche-Neige des frères Grimm portée par la sensuellissime Lou de Laâge – qui avait déjà tourné avec Anne Fontaine dans Les Innocentes et que j’avais découverte un an plus tôt dans Respire où elle partageait l’affiche avec une autre révélation, Joséphine Japy. Avec une grâce naturelle et l’une des plus jolies bouches du cinéma français, la jeune femme incarne, avec ou sans soutien-gorge, une héroïne dionysiaque qui s’éveille au plaisir.

Les relations qu’elle noue avec chacun de ses sept anges-gardiens sont tour à tour amicales, complices, érotiques ou libératrices. Ne manquez pas la scène hilarante qui la met face à – ou plutôt sur – Benoît Poelvoorde, décidément excellent dans tous les registres imaginables. Sans tabou, à son corps de moins en moins défendant, Claire invente à sa façon, comme la « jeune femme  » du film de Léonor Séraille avec Laetitia Dosch, une manière bien à elle de vivre sa vie et d’explorer son rapport aux autres.

À sa sortie la semaine passée, Blanche comme neige a reçu des critiques mitigées, le condamnant à l’insuccès. C’est injuste pour ce film élégant et léger, sensuel et printanier, qui fait souffler un vent de fraîcheur dans un cinéma français parfois trop compassé.

La bande-annonce

Dans la terrible jungle ★★☆☆

L’Institut médico-éducatif (IME) La Pépinière à Loos accueille depuis 1974 des jeunes entre six et vingt ans déficients visuels multi handicapés. Caroline Capelle et Ombline Ley y ont posé leur caméra pendant plus d’un an, captant le quotidien des pensionnaires.

Filmer le handicap n’est pas simple. Filmer le handicap mental est plus compliqué encore. D’ailleurs les œuvres qui mettent en scène des personnages en chaise roulante se cantonnent prudemment à filmer des handicapés moteurs : Tout le monde debout, Intouchable, Le Scaphandre et le PapillonLe Huitième Jour est le rare exemple d’un film touchant et courageux osant traiter la trisomie 21 à bras le corps.

Pour filmer le handicap, on peut avoir recours à la fiction : c’était le cas par exemple du très réussi Marche ou crève avec Diane Rouxel (qui aurait amplement mérité le César du meilleur jeune espoir féminin). On peut avoir recours au documentaire : ce fut le cas en 2014 de La Porte d’Anna tourné dans un établissement pédopsychiatrique francilien accueillant des adolescents autistes et psychotiques.

Dans la terrible jungle a le défaut de traiter un sujet qui l’a déjà été. Il n’est pas question de remettre en cause l’acuité et l’empathie du regard que les deux jeunes co-réalisatrices portent sur les patients de La Pépinière. Elles réussissent à nous rendre attachants quelques uns d’entre eux : Ophélie, l’aveugle mélomane, Médéric, paraplégique et druide à ses heures, Gaël et ses impressionnantes crises auto-destructrices. Leur caméra évite le double écueil de la complaisance et du voyeurisme. Mais rien dans l’enchaînement des saynètes qu’elles captent d’un œil malicieux ne permet de distinguer ce documentaire de ceux qu’on a déjà vus et de ceux qu’on verra encore.

La bande-annonce

L’Époque ★★☆☆

Pendant deux ans, de novembre 2015 à mai 2017, Mathieu Bareyre et Thibaut Dufait, son ingénieur du son, ont arpenté les rues de Paris pour y capter l’esprit de « l’époque ». Chaque nuit, inlassablement, ils ont interrogé des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans.

Mathieu Bareyre n’invente rien. Avant lui, Edgard Morin et Jean Rouch s’étaient livrés à un exercice de sociologie urbaine (Chronique d’un été, 1961). Chris Marker et Pierre Lhomme avaient tendu leur micro aux Parisiens au lendemain de la guerre d’Algérie (Le Joli Mai, 1963). Plus récemment, David André avait filmé en 2013 un bijou Chante ton bac d’abord qui suivait des lycéens durant l’année précédant leur bac. En 2018, Claire Simon s’est quant à elle essayée à brosser le portrait d’une génération au sortir de l’adolescence (Premières solitudes).

L’Époque ne raconte pas une histoire. Il ne raconte pas non plus l’Histoire. On n’y parle ni du Bataclan, ni de la campagne présidentielle, ni même de la loi El Khomry quand bien même de nombreuses séquences sont filmées sur cette place de la République où ses opposants se sont rassemblés.
L’Époque ne fait pas non plus œuvre de sociologie même si on y filme un enfant de la bourgeoisie – qui se désespère d’avoir cédé à la pression parentale et de faire du commerce plutôt que de la philo – une étudiante de Sciences Po – franchement crétine sous l’effet de l’alcool – une khâgneuse en rupture de ban qui a rejoint les Black Blocks et confesse hors écran son addiction à la castagne, des petits dealers de banlieue, des Renois en demande d’intégration qui prônent l’éducation plutôt que la violence…

L’Époque filme des fragments poétiques de nuit. C’est ce qui fait sa beauté. C’est ce qui fait aussi sa limite. Au son de Nekfeu et de Vivaldi, L’Époque est une accumulation kaléidoscopique de courtes saynètes, de rencontres improbables, sans autre fil conducteur que celui de cette nuit et des substances euphorisantes qu’on y consomme. Parmi toutes ces silhouettes s’en distingue une, inoubliable. Sous ses couches de vêtements, on hésite sur son sexe. Rose a la langue bien pendue, un humour à toute épreuve. Française d’origine africaine, elle vomit les contrôles d’identité à répétition qui foulent au pied sa citoyenneté. Place de la République, face aux CRS impassibles, ce Gavroche du vingt-et-unième siècle a les traits d’une Marianne en colère.

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El Reino ★★★☆

Manuel Lopez Vidal (Antonio de la Torre) est un politicien professionnel. Il est le dauphin du président du conseil régional, un cacique vieillissant dont la succession lui est promise. Pour occuper les fonctions qu’il occupe, Manuel Lopez Vidal participe depuis toujours à un système de corruption généralisé : marchés publics faussés, fraude aux subventions européennes…
Mais la mécanique se dérègle lorsque la Justice met le nez dans les affaires du Parti. Un élu, Paco Castillo, est arrêté. Manuel Lopez Vidal sera le suivant. Ses amis le lâchent les uns après les autres. Mais si Manuel Lopez Vidal doit tomber, il entend entraîner ses collègues dans sa chute.

El Reino a triomphé aux derniers Goya, les César espagnols, raflant notamment ceux du meilleur réalisateur, du meilleur acteur, de la meilleur musique. Il mérite largement ces lauriers. C’est un film haletant qui culmine dans un épilogue à couper le souffle. Que celui ou celle qui n’aura pas été scotché à son fauteuil par la dernière demie-heure me le dise : je lui rembourserai sa place.

Qu’on ne se méprenne pas : El Reino n’est pas un film sur la corruption, comment on y glisse, quel dilemme moral on doit trancher pour en sortir. Manuel Lopez Vidal est un héros dépourvu d’ambiguïté. Il est corrompu par nécessité, sans en tirer ni honte ni fierté. D’ailleurs on ne s’appesantit guère sur les faits qui lui sont reprochés, pas plus qu’on ne met en cause son évidente culpabilité. Là n’est pas l’enjeu du film.

El Reino est plutôt un survival movie qui ne quitte pas d’une semelle un homme traqué. Pour se sauver, il essaie de rassembler les preuves de l’existence d’un système de corruption généralisé qui lui permettront d’acheter son impunité. Mais chacune de ces tentatives échoue, qu’il copie des fichiers compromettants sur des clés USB découvertes par la police ou obtienne avec un micro caché les confessions désopilantes d’un acolyte. J’en ai déjà trop dit sur les rebondissements qui ponctuent El Reino. Je ne dévoilerai pas cette dernière demie heure qui m’a bluffé ni la logomachie sur laquelle le film se conclut magistralement.

La bande-annonce

J’veux du soleil ! ★★★☆

En décembre 2018, François Ruffin, député de La France insoumise, et Gilles Perret, le documentariste qui a signé le making off de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2017, décident d’aller filmer les Gilets jaunes. À bord du break Picasso Citroën de François Ruffin – une voiture familiale que sa compagne l’avait poussé à acheter pour y véhiculer leurs deux enfants, deux jours avant leur rupture – les deux comparses sillonnent la France du nord au sud à leur rencontre pour combattre un préjugé : les Gilets Jaunes seraient un rassemblement de « fachos radicalisés »

Il est difficile de se débarrasser des préjugés qui précèdent la vision de J’veux du soleil. Préjugés à l’égard des deux coréalisateurs dont on a tout lieu de suspecter que le timing de la sortie de leur documentaire, en pleine campagne européenne, est lesté d’arrières-pensées politiciennes. Préjugés à l’égard du mouvement des Gilets jaunes au sujet desquels chaque spectateur s’est progressivement forgé son opinion personnelle, plus ou moins bonne, de moins en moins bonne en fait, au fur à mesure que les samedis égrenaient leur lot de violences inutiles.

C’est à cause de ces préjugés que j’ai bien failli rater J’veux du soleil, ayant bêtement décrété que je n’irais pas le voir mais me laissant finalement convaincre du contraire par un ami persuasif. Et force m’est de reconnaître que mes préjugés étaient – comme souvent les préjugés – bien mal fondés.

Car il faut voir J’veux du soleil. Quoi qu’on pense de Ruffin et de La France insoumise. Quoi qu’on pense des Gilets jaunes.

Son message est simple : les Gilets jaunes expriment une souffrance trop longtemps tue. Loïc, Cindy, Marie, que les coréalisateurs ont croisés sur les ronds-points de l’Oise, de l’Ardèche et de l’Hérault sont les visages d’une France digne, dure à la peine, en mal de lien social, minée par la misère financière, morale, esthétique.

François Ruffin et Gilles Perret pourraient en faire un prétexte à un tract électoral. Ils ont la décence de s’en abstenir. Certes, ils ne résistent pas à mettre en regard la souffrance des plus démunis et l’insolente richesse des plus nantis. Ils ne résistent pas à décocher quelques piques bien senties à Emmanuel Macron. Mais ces images, rajoutées au montage, ne retirent rien à l’intérêt du documentaire.

Les Gilets jaunes ne portent pas un programme politique. L’évolution du mouvement, sa fuite tragique dans une violence gratuite, l’a amplement démontré. Les Gilets jaunes témoignent d’une détresse sociale. Elle touche tout particulièrement cette « France périphérique », révélée par les travaux du géographe Christophe Guilluy : des Français qui peinent à boucler leurs fins de mois et à faire le plein d’une automobile qu’un logement rurbain excentré les condamne à utiliser. On les voit autour des braseros retrouver un peu de chaleur humaine. François Ruffin et Gilles Pierret ne viennent ni les endoctriner ni les instrumentaliser. Ils les filment avec délicatesse. Ce n’est pas grand-chose. Mais c’est déjà beaucoup.

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Ray & Liz ★☆☆☆

Richard Billingham est un photographe britannique reconnu. Son champ d’exploration est d’abord autobiographique. Il doit sa renommée à ses clichés réalistes sinon trash qui mettent en scène sa famille dans l’album Ray’s Laugh publié en 1996. Les protagonistes : son père alcoolique et sa mère obèse et tatouée, entourés de leurs nombreux animaux de compagnie. L’autre sujet de prédilection de l’artiste est l’étude des animaux (il a photographié les zoos du monde entier) : ceux qui sont domestiqués et acceptent leur servitude, ceux qui sont encagés et perdent leur raison d’être.
Dans ce premier film, construit en trois épisodes ( 1- un après midi où les deux jeunes enfants du couple, Jason et Richard, sont gardés par un oncle débile et alcoolique 2- quelques années plus tard, la fugue du jeune Jason qui manque mourir de froid sous l’appentis d’un voisin 3- la déchéance du père, Ray qui, quitté par sa femme, vit enfermé dans une chambre et ne se nourrit plus que de la bière “ faite maison” apportée par un proche), on retrouve les thèmes obsessionnels du photographe qui donne à deux acteurs professionnels le rôle ingrat de ses parents au milieu de l’Angleterre des années quatre-vingts.

Richard Billingham explore l’animalité de cette humanité déchue. La misère est autant physique (corps abîmés par l’alcool, la nourriture bon marché, le mauvais tabac, les tatouages, le manque d’hygiène) que morale (ennui, absence totale d’éthique, d’amour, d’autorité parentale, de projets de réinsertion sociale).
Les protagonistes comme les animaux du zoo ( Liz ressemble à un pachyderme) sont mis en cage. Ils sont enfermés dans un appartement sale dont ils ne sortent plus par honte, découragement, peur d’affronter le réel.
Leurs réactions finissent par ne plus être emprises d’aucune humanité: ainsi la joie sadique de Liz à taper à coups de chaussures à talons sur la tête de son beau-frère vautré dans son vomi.

Le film est brutal, violent, déroutant, outrancier, repoussant et même grand-guignolesque dans l’excès de ses représentations.
Si l’on comprend parfaitement les intentions de l’auteur, elles ne suffisent pas à lui pardonner les errances ni les longueurs insupportables des prises de vue. Encore moins une complaisance certaine à répéter certains plans comme ceux des mouches à bière mises sous verre, métaphore appuyée de ces humains prises au piège. Certes ces belles images symboliques sont là pour forcer la réflexion et l’imagination du spectateur. La bande sonore avec notamment “ Pass the Dutchie” du groupe reggae Musical Youth l’empêche de sombrer dans une profonde léthargie. Néanmoins, il ne faudrait pas trop lui demander : ce n’est pas à lui de transformer ce riche galimatias en un scénario qui tienne la route.

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Synonymes ★☆☆☆

À la fin de son service militaire, Yoav (Tom Mercier, révélation du film) a quitté Israël pour s’installer en France. Il y fait la connaissance d’un jeune couple, Émile (Quentin Dolmaire découvert chez Desplechin) et Caroline (Louise Chevillotte, remarquée chez Garrel), qui prend le jeune homme sous sa coupe. Yoav tire le diable par la queue dans un minuscule studio situé près de la place de la République. Il pose pour des photos X, trouve un emploi au consulat général d’Israël, tente de fuir son père venu le ramener en Israël.

Synonymes est inspiré de la vie de Nadav Lapid, enfant terrible du cinéma israélien, qui, en rupture de ban avec son pays, est venu vivre en France au début des années 2000. Synonymes est un film sur l’exil, sur la haine de soi, sur le désir d’ailleurs. C’est un film profondément français, au point parfois de reproduire les tocs d’un certain auteurisme germanopratin, tourné par un étranger à Paris. C’est une œuvre d’une incroyable énergie, qui divisera les spectateurs : on l’adorera ou on le détestera.

J’appartiens hélas à la seconde catégorie. Si, bien sûr, j’ai été impressionné par la puissance du jeu de Tom Mercier que la caméra ne quitte pas d’une semelle de tout le film, j’ai trouvé assez vaine la surenchère de saynètes, pas toujours crédibles censées résumer son exil parisien. On le voit successivement manquer mourir de froid dans un immense appartement de la rue Saint-Dominique après le vol de son sac à dos (sic), ouvrir grand les portes du consulat d’Israël au nom d’une idéologie sans-frontiériste, se mettre les doigts dans l’anus et mimer un orgasme en hébreu (re-sic) pour satisfaire les fantasmes d’un photographe lubrique. C’est beaucoup. C’est trop. Et au bout d’un moment, tandis que le scénario fait du sur place, on décroche sans attendre la scène suivante, qu’on imagine déjà plus audacieuse, plus scabreuse – ce sera un compatriote de Yoav qui remonte une rame de métro, kippa vissée sur la tête en fredonnant la Hatkiva devant des voyageurs tétanisés (dénonciation de l’antisémitisme ambiant ? critique du sionisme ?).

Le plus gênant peut-être est qu’à aucun moment Yoav ne nous touche. Il nous impressionne. Il nous dérange. Mais il ne nous touche jamais. Ce manque d’empathie nous interdit définitivement de partager sa douleur et d’en comprendre les motifs.

La bande-annonce

Les Estivants ★☆☆☆

Anna (Valeria Bruni-Tedeschi) est réalisatrice de cinéma. Elle travaille à son quatrième film pour lequel elle demande au CNC l’avance sur recettes. Son conjoint lui annonce qu’il la quitte. C’est donc seule qu’elle part en vacances dans la luxueuse villa familiale sur la Côte d’Azur. Servie par une abondante domesticité, elle y retrouve sa mère (Marisa Borini), sa sœur (Valeria Golino) et le mari de celle-ci (Pierre Arditi). Passe le fantôme de son frère mort.

Valeria Bruni-Tedeschi réalise son quatrième film. Comme dans les trois précédents (Il est plus facile pour un chameau…, Actrices, Un château en Italie), elle met en scène son double impulsif et hystérique. Elle s’entoure des membres de sa propre famille : sa mère joue sa mère, sa fille Oumy, une Sénégalaise adoptée en 2009 avec Louis Garrel, joue le rôle de sa fille. Elle évoque – sans jamais le nommer directement – sa rupture avec l’acteur français qu’elle avait rencontré sur le tournage d’Actrices. Elle n’a pas poussé l’ironie jusqu’à proposer à son beau-frère, Nicolas Sarkozy, d’interpréter son propre rôle mais a confié ce soin à Pierre Arditi qui, aux bras d’une femme plus jeune que lui, campe un ancien patron de droite acculé à la faillite et réduit à une oisiveté forcée (sic).

Après avoir raconté sa vie parisienne, Valeria Bruni-Tedeschi translate ses proches sur les bords de la Méditerranée, dans une villa dont le luxe et la localisation sont sans doute comparables à ceux de la maison de sa mère, près du cap Bénat, à une encablure du fort de Brégançon. Ses occupants n’ont rien à y faire, sinon à y lézarder au soleil, à se baigner dans la piscine ou dans la mer toute proche, à s’attabler pour d’interminables repas. Pendant que les riches devisent, la domesticité cancane. Rien n’a changé depuis La Règle du jeu.

Il y a de la part de sa réalisatrice/interprète/co-scénariste un certain culot dans cette « autobiographie imaginaire ». On imagine volontiers les rires jaunes et les grimaces qui ont accompagné son visionnage autour de la table familiale. On paierait cher pour connaître la réaction de Nicolas Sarkozy.

Mais jeter les masques n’est ni nécessaire ni suffisant pour réaliser un bon film. Même s’il est inspiré d’une pièce de Gorky et s’il a fallu pas moins de quatre co-scénaristes pour écrire son histoire (dont Noémie Lvovsky qui interprète le rôle… d’un script doctor qui vient aider l’héroïne à écrire le scénario de son prochain film), Les Estivants ne réussit pas à maîtriser son sujet. Étiré sur plus de deux heures, il se noie dans une succession de saynètes théâtrales. Chacun des trop nombreux acteurs a successivement droit à sa scène et s’en sort plus ou moins bien. Si Pierre Arditi cabotine et Yolande Moreau campe le rôle qu’elle a déjà trop joué d’une gouvernante amoureuse, Vincent Perez, censé interpréter un acteur suisse auquel est confié le rôle du frère dans l’autobiographie que l’héroïne s’apprête à filmer, n’est paradoxalement pas le plus mauvais.

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Boy Erased ★★☆☆

Jared Eamons (Lucas Hedges propulsé ado à problèmes depuis Manchester by the sea) est le fils unique d’un couple aimant. Son père (Russell Crowe lesté – ou pas – de trente kilos supplémentaires) est un prêcheur baptiste. Sa mère (Nicole Kidman joue sans maquillage le rôle d’une épouse botoxée) accepte sans mot dire les oukases de son mari.
Lorsque ses parents découvrent l’homosexualité de leur fils, ils envoient Jared suivre une thérapie de conversion dans l’espoir de l’en « guérir ».

Inspiré de l’autobiographie de Garrard Conley, Boy Erased est construit autour d’un ressort simple sinon simpliste : nous révolter face à ces cures de réorientation sexuelle, mélange improbable de croyance mystique et de psychologie new age. Elles étaient déjà le sujet de Come As You Are sorti l’été dernier. On pense dans le même registre au stupéfiant documentaire Jesus Camp sorti en 2007 sur l’endoctrinement des enfants dès leur plus jeune âge dans des colonies de vacances évangéliques.

Le problème de Boy Erased est que son ressort dramatique est faible : Jared entre en cure… et en sort. Du coup, le scénario est obligé de chercher désespérément les moyens de nourrir ce squelette : en multipliant les flash-back pour découvrir les rencontres qui ont émaillé la prise de conscience par Jared de son homosexualité, en donnant sa minute de célébrité à chacun de ses compagnons de cure (l’obèse, le rebelle, la lesbienne…) et au directeur de l’institut Love In Action (interprété par le réalisateur) dont un carton final nous révèle l’étonnant destin, etc.

Le plus intéressant est ailleurs : dans le triangle familial magnifiquement résumé dans la photo qui fait l’affiche. Joel Edgerton joue sur du velours avec deux acteurs hors pair. Nicole Kidman et Russell Crowe sont l’un comme l’autre impressionnants, chacun dans son registre. Et Lucas Hedges est décidément un solide comédien pour réussir à ne pas se faire voler la vedette par ces deux monstres sacrés.

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Comme si de rien n’était ★★★☆

Janne (Aenne Schwarz) la petite trentaine vit avec Piet (Andreas Döhler). Le couple, très investi dans son travail, a fondé une maison d’édition qui bat de l’aile après le départ de leur associé. Il prend la décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne dans une maison que leur cède un proche.
À l’occasion d’une réunion d’anciens élèves bien arrosée, Janne croise Martin (Hans Löw). Mais la situation dérape…

Pour une fois, le titre français est au moins aussi pertinent que le titre original. « Alles ist gut » (« tout va bien ») a été traduit par « comme si de rien n’était ». Le titre annonce la couleur au risque de réduire le film à une seule thèse : Janne veut ignorer le viol dont elle vient d’être la victime. Au point de refuser de le nommer : le mot « viol » ne sera pas prononcé une seule fois. Elle le considère – et on nous le montre – comme un accident de fin de soirée, minable, pathétique. Et on imagine déjà la suite : aucun viol n’est anodin, qui laisse durablement une trace indélébile même si sa victime aimerait le nier.

Par bonheur, Comme si de rien n’était évite de sombrer dans cette pesante démonstration. C’est moins un film sur le viol et son impossible dénégation que sur une femme. Aenne Schwarz – qu’on avait déjà vue, sans vraiment la remarquer, dans le rôle de la femme de Stefan Zweig  – est de tous les plans. Elle est bouleversante.

Le viol dont elle est victime cristallise plusieurs syndromes : les relations avec son fiancé, avec sa mère, avec son nouvel employeur. Elle est brutalement submergée par une succession d’ennuis, de tracas, qui lui interdisent de revendiquer sa propre souffrance. Le procédé pourrait sembler artificiel. Il ne l’est pas.

Comme si de rien n’était se termine en queue de poisson. On pourrait être frustré par cette conclusion qui laisse bien des questions en suspens. Mais, à la réflexion, elle n’est pas sans qualités, qui laisse le personnage principal, et nous avec elle, dans le désarroi dont elle n’est pas prête d’émerger.

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