Nous finirons ensemble ★☆☆☆

Les années ont passé depuis la mort de Ludo (Jean Dujardin).
Max (François Cluzet) va mal. Il s’est séparé de Véronique (Valérie Bonneton). Ses affaires ont périclité et il doit se résigner à vendre sa maison du Cap-Ferret.
Mais ses amis lui sont toujours  fidèles et ont décidé de venir lui faire une surprise pour son soixantième anniversaire. Marie (Marion Cotillard) n’a rien perdu de sa punk attitude. Eric (Gilles Lellouche) a eu un enfant. Antoine (Laurent Lafitte) est toujours aussi immature. Vincent (Benoît Magimel) assume désormais son homosexualité. Isabelle (Pascale Arbillot) se console de son divorce en enchaînant les rencontres d’un soir.

Les Petits Mouchoirs et ses cinq millions d’entrées en 2010 appelaient immanquablement une suite. Elle arrive huit ans plus tard et attirera probablement trois millions de spectateurs. La plupart seront déçus. J’en fais partie.

La presse est assassine. Jacques Mandelbaum dans Le Monde, volontiers sociologue, dénonce « l’entre soi au Cap-Ferret ». Louis Guichard dans Télérama critique « une succession de sketches sans charme ». Pour Nicolas Schaller dans Le Nouvel Observateur « on navigue entre du Sautet de sitcom, un humour balourd et des intermèdes musicaux parrainés par l’office du tourisme. »

Il y a en effet beaucoup de raisons de ne pas aimer Nous finirons ensemble. La première est de s’insurger contre la paresse des producteurs – et des réalisateurs et des acteurs – qui ne peuvent s’empêcher de tourner une suite dispensable à un succès qui n’en appelait pas. La deuxième tient de la désolation sociologique devant cette « élite beauf » qui, pendant plus de deux heures de film censées résumer une semaine de vacances, se regarde le nombril. La troisième est l’indigence du scénario qui, une fois posé le postulat du film choral, ne sait pas où donner de la tête et invente un saut en parachute et une noyade dans les passes pour pimenter l’action.

La quatrième est la plus rédhibitoire. Nous finirons ensemble ne fait ni rire ni pleurer. À une exception (voir infra), on ne sourit pas aux blagues pas drôles. Et on n’est ému par aucun des personnages, ni par la soixantaine dépressive de Cluzet ni par la rage inextinguible de Cotillard.

J’ai toutefois mis une étoile au film pour une seule raison : Laurent Lafitte. Au milieu d’une pléiade de stars, il les éclipse toutes. Pourtant Marion Cotillard n’est pas mauvaise, que filme avec des yeux enamourés son Guillaume Canet de mari. Mais le sociétaire de la Comédie-française a un talent fou, fait de mille riens. On lui doit la seule scène drôle du film. Merci.

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Douleur et Gloire ★★☆☆

Pas facile d’émettre quelques réserves au sujet du dernier film de Pedro Almodóvar. Les critiques sont en pâmoison. Mes amis l’ont déjà vu et adoré : l’un d’entre eux, parmi les plus grands, le plaçant même « au-delà de tout éloge ». Avant même la clôture du festival de Cannes, la Palme d’or lui est déjà décernée – au motif, à mon sens cruellement inopérant, qu’elle n’aurait jamais été donnée au célèbre réalisateur espagnol.

Commençons par l’affiche. Son héros regarde vers la gauche, vers le passé. Bienvenue dans l’autobiographie du réalisateur madrilène dont on reconnaît la silhouette dans l’ombre chinoise de son acteur fétiche. Le nom de Pedro Almodóvar est juste au-dessus de celui de Antonio Banderas qui s’est vieilli de dix ans, s’est blanchi la barbe et frisé le chef pour endosser le rôle. Celui de Penélope Cruz est aussi en gros caractères, un peu plus bas, qui incarne la mère, idéalisée, jeune, belle, aimante et dure à la tâche, du héros.

Le titre Dolor y Gloria ne brille pas par sa finesse. L’antithèse est transparente : il n’y a pas d’ombre sans lumière, de célébrité sans servitude, de gloire sans douleur.

Le générique qui lance le film entrelace les images psychédéliques de ces merveilleux papiers marbrés utilisés pour relier les vieux livres. Les couleurs intenses s’interpénètrent et créent les motifs les plus inattendus : marbrures, zigzags, fleurs, tourniquets, plumes, chevrons et cailloux. Chaque image est unique ; la figure qu’elle dessine n’est pas figée.

Douleur et Gloire, construit comme un patchwork avec de nombreux flash-back, est une autofiction. Un des plus célèbre cinéastes du moment : Pedro Almodóvar (69 ans) a choisi pour alter ego dans la force de l’âge Antonio Banderas (58 ans) et dans la petite enfance le malicieux Asier Flores, rebaptisés Salvador Mallo, un anagramme quasi-parfait.

Antonio Banderas évite le piège du cabotinage en interprétant ce personnage égocentrique, homosexuel, artiste génial et fortuné. Il vit dans un appartement-musée où se côtoient des bibelots d’exception, un mobilier design rare (le cabinet aux papillons et le secrétaire à armoires Architettura de Piero Fornasetti), une admirable commode syrienne, une collection de toiles contemporaines (dont Antonio Lopez Garcia). Les livres d’art et d’architecture (Gaudi, Sottsass) témoignent de la culture du maître qui lit le dernier Goncourt (L’Ordre du jour de Eric Vuillard) pendant ses insomnies. Tout est parfaitement agencé, rangé, codifié, mais aussi exhibé dans une furieuse quête d’esthétisme.

Cette carapace ne suffit plus à protéger le créateur. Fragilisé par mille infirmités (acouphènes, pharyngites, maux de dos, migraines, difficulté à avaler), il ne parvient plus à créer. Sa vie n’a plus aucun sens.
C’est avec humour que Pedro Almodóvar nous parle de ses douleurs tant physiques que morales. Les faiblesses du corps le révèlent hypocondriaque et sujet à l’automédication. Les chagrins du cœur dévoilent son incapacité à être aimé, sinon de sa mère Jacinta (interprétée successivement par la sensuelle Penélope Cruz et l’entêtée Julieta Serrano) et de son assistante dévouée Mercedes (Nora Navas).

En pleine dépression, il retrouve l’acteur d’un de ses premiers films avec lequel il s’était brouillé : Alberto Crespo (Asier Etxeandia). Ce dernier lui apprend à “chasser le dragon” en l’initiant aux plaisirs interdits de l’héroïne. Ce puissant véhicule calme les douleurs de Salvador, apaise son spleen et le renvoie à ses souvenirs : la poésie de la vie à la campagne où sa mère et ses voisines lavent le linge à la rivière, l’installation dans une cave sordide qui deviendra, avec sa chaux blanche et ses azulejos chatoyants, le monde enchanté du jeune Salvador, l’éveil à la sexualité avec un jeune maçon analphabète au corps d’albâtre, puis l’amour fou pour Federico (Leonardo Sbaraglia) qui s’expatriera en Argentine pour se marier et faire des enfants…

J’évoquais au début de cette longue présentation quelques réserves. Elles sont de deux ordres. Sur le fond et sur la forme.
Le fond : Almodóvar ne se foule pas. La septantaine approchant, il se filme en artiste vieillissant. Quelle imagination ! Il le fait en enchâssant les flash-back. Quelle audace ! Un peu de Volver (l’ode à la mère), un chouïa de La Mauvaise Éducation (l’enfance au séminaire, les sévices sexuels en moins). Quelle originalité !
La forme. Avec l’âge, le porte-drapeau de la movida a perdu son chien. Où est passée l’ironie subversive de ses premiers films ? Almodóvar s’est embourgeoisé. Il s’est institutionnalisé. Tout baigne désormais dans une profonde bienveillance, ni touchante ni drôle. Comme la purée que son héros ingère, tout y est fade.

On me dira que j’ai l’esprit bien chagrin pour ne pas me laisser émouvoir par les retrouvailles de Salvador et de Federico : le long baiser qu’ils échangent – écho à celui du Labyrinthe des passions qui en 1982 avait fait scandale – a vocation à devenir iconique. Et on n’aura pas tort.

Mais une scène ne fait pas un film.
Et la Palme d’or n’a pas vocation à récompenser une œuvre ni à corriger les oublis des palmarès antérieurs.

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Permanent Green Light ☆☆☆☆

Roman (Benjamin Sulpice) est hanté par une obsession : se faire exploser. Son geste n’a aucune dimension politique. Il n’entend pas commettre un attentat ni mettre la vie de quiconque en danger. Il veut simplement s’effacer. Il met plusieurs de ses amis dans la confidence.

Permanent Green Light est un film à quatre mains cosigné par le plasticien français Zac Farley et le romancier américain Dennis Cooper. Né en 1953, Cooper est l’auteur d’une œuvre romanesque, dramaturgique et poétique au parfum de scandale. Son blog et son compte GMail avaient été suspendus en 2016 par Google en raison de son contenu avant d’être rétablis deux mois plus tard suite à la campagne de presse qu’avait provoquée cette décision.

Permanent Green Light porte un discours très ambigu sur le suicide. Sans doute n’encourt-il pas les foudres de l’article 223-13 du code pénal qui criminalise l’incitation au suicide. Mais il s’en approche dangereusement. Il donne à voir successivement trois suicides : par pendaison, par défenestration, par explosion. Il ne met en scène aucun adulte – sinon deux parents éplorés par la mort de leur enfant – susceptible d’offrir une référence à ces adolescents déboussolés. Il n’offre aucun contrepoint aux pulsions mortifères de Roman.

Permanent Green Light est un film perturbant. Présenté l’an passé sous la forme d’un moyen métrage de cinquante-huit minutes, il sort cette année en salles lesté de trente minutes supplémentaires qui ne lui apportent rien. C’est un pensum interminable qui met en scène des adolescents catatoniques et passifs. La direction d’acteurs est calamiteuse. Le scénario souffre d’un vice insurmontable : au lieu de se concentrer sur le seul Roman, il suit la route de ses camarades au point qu’on ne comprend bientôt plus qui est qui.

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Les Chinois et moi ★★★☆

L’équipe chinoise de « Une famille du Whenzou », une série à succès diffusée en prime time sur CCTV1 – l’équivalent chinois de TF1 – a débarqué à Marseille en janvier 2015 pour y tourner quelques épisodes de sa deuxième saison. La série a conquis 145 millions de spectateurs, séduits par son cosmopolitisme : la première saison se déroulait en partie aux États-Unis et en Australie.
L’équipe chinoise a recruté un réalisateur français sinisant, Renaud Cohen, pour l’aider dans le casting des acteurs français, le choix des lieux de tournage et la production de leur série.
Malgré la bonne volonté de tous, le fossé culturel semble infranchissable.

On avait déjà remarqué la facétie de Renaud Cohen qui avait réalisé en 2011 Au cas où je n’aurais pas la Palme d’or, une comédie sur un cinéaste quadragénaire qui, lorsqu’il se découvre une maladie mortelle, décide de s’atteler au tournage de son dernier film.  Dans son nouveau documentaire, sept ans plus tard, ce réalisateur trop rare fait preuve d’une drôlerie rafraîchissante. Des Chinois stakhanovistes, obsédés par la maîtrise des coûts, dénués de la moindre ambition artistique, des Provençaux pantois devant ces étrangers incompréhensibles, une star coréenne narcissique, un résultat navrant avec un doublage ridicule : Renaud Cohen se moque gentiment de tous, à commencer par lui-même, sans jamais se départir de sa bienveillance.

Les Chinois et moi est une pépite. Perdu au milieu d’une actualité cinématographique écrasante (il sort en plein festival de Cannes la même semaine que le Jarmusch et le Almodovar), diffusé dans une seule salle parisienne à des horaires baroques, il est condamné à l’invisibilité. Et c’est bien dommage.

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Norilsk, l’étreinte de glace ★☆☆☆

À l’embouchure du Ienisseï, au nord de la Sibérie, Norilsk revendique le titre de ville la plus septentrionale du monde. Aucune route ne la relie au « continent » sinon la voie aérienne et un chemin de fer de quatre vingts kilomètres jusqu’à l’Océan arctique. Ses quelque deux cent mille habitants sont quasiment tous employés par Norilsk Nickel qui exploite les mines de la région. Véritable « scandale géologique », elle produit 17 % de la production mondiale de nickel et 41 % de celle de palladium, ce qui représente 2 % du PIB russe. La ville fut d’abord un goulag – connu sous le nom de Norillag. Il fut fermé à la mort de Staline et transformé en municipalité.

Le documentariste français François-Xavier Destors a choisi d’y planter sa caméra. Il est allé à la rencontre de ses habitants qui bravent la nuit polaire et les températures extrêmes – qui peuvent tomber l’hiver jusqu’à -50°C. Il interviewe une babouchka survivante du goulag, la patronne d’un salon de coiffure, un jeune musicien…

Tous entretiennent à l’égard de la ville des sentiments ambigus : ils sont unanimes à dénoncer la dureté des conditions de vie et à rêver de la quitter mais ils ont du mal à s’en arracher. Tout se passe comme si, engourdis par le froid et la nuit, ses habitants, incapables de se réacclimater à une vie normale, s’y faisaient piéger. Ce sentiment est renforcé par le parti pris du documentariste qui a choisi d’y filmer exclusivement des paysages enneigés, presque poétiques, qui font oublier l’âpreté du climat et la pollution de l’air.

Déjà diffusé en milieu de nuit le 27 mars sur France 2, Norilsk sort en salles en catimini : il n’est projeté qu’au seul Lucernaire à des horaires improbables. Si le sujet est fascinant, son traitement ne se distingue pas du tout-venant télévisuel.

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The Dead Don’t Die ★☆☆☆

La petite ville de Centerville, au cœur de l’Amérique, coule des jours paisibles. Mais, le réchauffement climatique et la fonte des glaces modifient l’axe de rotation des pôles et conduisent à de biens étranges phénomènes. Le jour et la nuit se confondent ; les animaux s’affolent ; et les morts reviennent parmi les vivants. La petite brigade de police de Centerville et les trois agents qui la composent s’avèrent vite débordés.

Le treizième film de Jim Jarmusch a fait l’ouverture du film de Cannes mardi soir. Les concepteurs de son affiche ne s’y sont pas trompés qui font de son casting son principal atout. On y retrouve en effet la bande d’acteurs dont Jarmusch s’entoure depuis toujours. Tom Waits était déjà à l’affiche de Down by Law en 1986 et Steve Buscemi à celle de Mystery Train en 1989. Bill Murray, Tilda Swinton et Chloë Sevigny partageaient celle de Broken Flowers en 2005, à mon sens le meilleur film de Jarmusch – et celui qui de loin a rencontré en France le plus grand succès au box office. Et Adam Driver était le héro de Paterson, son dernier film en date sorti en 2016.

Cette pléiade de stars était la garantie d’une montée des marches haute en couleurs. Mais c’est bien là hélas le seul atout de ce film décevant. Et on s’inquiète, l’espace d’un instant, que la sélection cannoise puisse désormais s’opérer non pas sur la qualité intrinsèque des films, mais sur la réputation, plus ou moins frelatée de leurs réalisateurs et le glamour de leurs acteurs.

Comme l’affiche le montre sans détour ainsi que son titre apodictique, The Dead don’t Die est un film de zombies. Le genre oscille entre deux sous-genres. Le premier, lancé dès l’origine par La Nuit des morts-vivants de George Romero en 1968, est politique : les zombies sont autant de métaphores de corps étrangers qui sont exclus du corps social mais qui entendent y (re)trouver leur place. Le second est ironique. C’est une satire du genre qui en moque les recettes stéréotypées. La comédie britannique Shaun of the dead (2004) en constitue le modèle indépassable.

The Dead don’t Die ne se rattache à aucun des deux sous-genres. En dépit de son pitch, qui évoque le réchauffement climatique et, implicitement, le déni absurde dans laquelle l’administration Trump le tient, The Dead don’t Die n’a rien de politique. Pas plus ne verse-t-il dans la franche rigolade. Jarmusch invente un troisième sous-genre qui s’inscrit dans la filiation de ses films précédents, nonchalants et désabusés : le film de zombies cool. Mais la formule ne marche pas : la coolitude ne sied pas aux zombies.

Si Tilda Swinton est toujours impériale dans le rôle d’une thanatopractrice décalée qui se mue en ninja blanc façon Kill Bill, si un Iggy Pop caféinomane fait une apparition aux petits oignons, le reste du casting semble un peu perdu dans cette histoire . Le scénario – ou plutôt le fantôme de scénario – fait du surplace. En Cassandre omniscient, Adam Driver en annonce la conclusion dès le début du film. On se dirige vers elle benoîtement, sans surprise, ni frisson – on se demande d’ailleurs bien pourquoi le film est interdit aux moins de douze ans.

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Tous les dieux du ciel ☆☆☆☆

Dans une ferme perdue au milieu des champs de la  Beauce, Albert (Jean-Luc Couchard) vit seul avec sa sœur Estelle lourdement handicapée (Mélanie Gaydos). Elle a été victime dans son enfance d’un grave accident. Robert, qui s’en estime responsable, l’entoure de ses soins jaloux et sombre lentement dans la folie.

Le réalisateur Quarxx avait d’abord raconté cette histoire dans un court métrage de trente-sept minutes intitulé Un ciel bleu presque parfait. Sur la même base, il réalise un film trois fois plus long en y rajoutant quelques seconds rôles confiés à des acteurs connus (Thierry Frémont, Albert Delpy).

Le passage du court au long ne convainc guère. Le scénario n’est pas assez riche pour justifier un tel format. La curiosité que l’histoire suscite dans son premier quart d’heure ne tient pas la durée.

Plus grave : la relation entre ce frère paranoïaque et cette sœur grabataire dérange. Pendant tout le film, on voit Estelle nue, en couches, immobile, le corps couvert de bleus ou d’escarres, impuissante face aux délires de son frère. Mélanie Gaydos, cette mannequin affectée d’une maladie génétique rare, une dysplasie ectodermique qui entrave la croissance des cheveux, des poils, des dents et des ongles, prête ses traits à cette jeune femme victime d’abus de faiblesse. Le comble est atteint lorsque Albert recrute un gigolo pour faire l’amour à Estelle. L’épilogue lumineux arrive trop tard pour dissiper le malaise.

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Alpha – The Right to Kill ★★☆☆

À Manille, de nos jours, la police philippine mène une lutte sans merci contre les trafiquants de drogue. Bon mari, bon père, le lieutenant Espino est à la pointe du combat. Pour l’aider, il peut compter sur Elijah, son indic – un « alpha » dans l’argot policier.

Avec son titre à la Rambo et son pitch simpliste, Alpha – The Right to Kill n’a rien pour lui. D’ailleurs, quatre semaines après sa sortie, il a quasiment disparu des écrans. Mais ce serait oublier le talent de son réalisateur.

Brillante Ma Mendoza est le plus grand cinéaste philippin contemporain – c’est en vérité le seul que je connaisse, n’ayant jamais eu le courage de regarder les films de Lav Diaz dont les plus courts dépassent les deux cents minutes. Sa dernière réalisation Ma’Rosa, présentée à Cannes en 2016, avait valu à son actrice principale la Palme d’Or de la meilleure interprétation féminine.

On retrouve dans Alpha les mêmes décors que dans Ma’Rosa : les bidonvilles de Manille, l’inextricable lacis des ruelles qui les sillonnent filmées caméra à l’épaule dans d’impressionnants plans séquence. Mais le point de vue n’est pas tout à fait le même : si dans ces précédents films, Brillante Mendoza s’était intéressé aux petites gens et à leurs déboires face à un pouvoir autoritaire, il renverse ici la perspective en prenant pour héros un flic corrompu.

On a beaucoup reproché au réalisateur d’avoir pris parti en faveur du nouveau président philippin, Rodrigo Duterte, partisan de la manière forte pour démanteler les réseaux de trafic de drogue. On a même fait à Alpha le reproche de s’en faire la propagande. Je ne comprends pas ce mauvais procès. Je ne vois aucune complaisance dans la caméra de Mendoza. Au contraire : Alpha est une dénonciation implacable de la corruption qui gangrène, à tous les niveaux, la police philippine. Et la prise d’armes qui le conclut loin de lui rendre hommage stigmatise son cynisme.

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La Flor ☆☆☆☆

La Flor dure 814 minutes. Vous avez bien lu. Je vous fais grâce de la division sexagésimale que vous étiez en train d’effectuer : 814 min = 13 h 34 min. Autant dire que La Flor est un OVNI cinématographique. Une œuvre qui défie le sage précepte d’Alfred Hitchcock : « La durée d’un film devrait être directement liée à la capacité de la vessie humaine. »

L’endurance humaine ayant ses limites, La Flor est diffusé en quatre parties – de plus de trois heures chacune quand même – sortie l’une après l’autre en salles à une semaine d’intervalle en mars dernier. L’ensemble est lui même divisé en six épisodes d’une inégale longueur (entre 5 h 20 pour le plus long et 22 minutes pour le dernier) : le premier est une «série B» fantastique, le second un mélodrame avec des chansons, le troisième un film d’espionnage, le quatrième «une mise en abîme du cinéma», le cinquième un remake muet de Partie de campagne de Jean Renoir et le sixième la libération de femmes captives d’Indiens au XIXe siècle en camera obscura. Le générique de fin est au diapason qui dure à lui seul plus d’une demie heure.

Dans un préambule, le réalisateur se met lui même en scène pour donner le mode d’emploi de son film résumé par le croquis qui illustre son affiche. Six flèches entrelacées y esquissent le dessin d’une fleur. Il nous explique que les quatre premiers épisodes partiront chacun dans une direction différente, que le cinquième fera retour sur lui même et que le dernier les réconciliera. Vaine promesse à laquelle il ne faut prêter trop de crédit : les interrogations soulevées dans les premiers épisodes ne trouveront pas la réponse dans les suivants.

Filmé pendant plus de dix ans dans des conditions budgétaires dont on imagine volontiers la précarité, La Flor est un geste cinématographique d’une folle audace. Quel producteur censé se lancerait dans une pareille entreprise ? Il s’agit de faire tenir en un seul film toutes les formes possibles de cinéma, d’en explorer toutes les potentialités. La quatrième et dernière partie (Le Monde évoque spirituellement un « bouquet final ») le montre qui filme tour à tour un asile psychiatrique, un réalisateur qui s’égosille sur son tournage, un Casanova en perruque poudrée, les arabesques dessinées par les pirouettes d’avions, des baigneuses dénudées…

Si La Flor se caractérise par son éclectisme, il n’est pas non plus sans unité. Il s’organise autour d’un quatuor de comédiennes, des actrices argentines qui formaient une troupe de théâtre et que le réalisateur Mariano Llinas a voulu filmer, qui endossent d’un épisode à l’autre toutes sortes de rôles. Il se caractérise aussi par une unité formelle : le jeu des focales, la voix off envoutante, la musique omniprésente.

Pour autant, il est des limites à ce que le spectateur est capable d’endurer. La liberté que s’arroge le réalisateur est au détriment de l’intelligibilité de son film. Chaque épisode ouvre des pistes, pose des questions, mais n’y répond pas. On se dit à la fin de la première partie qu’on les trouvera plus tard. On revient donc de semaine en semaine mu par cette vaine attente. Las… quatre semaines plus tard – et au bout de treize heures de film – on n’aura rien compris.

Est-ce un problème ? En philo, on demande aux élèves de terminale  : « faut-il comprendre une œuvre d’art pour l’apprécier ? ». La réponse évidemment est négative. Pourtant….

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Monrovia, Indiana ★★☆☆

Monrovia est une petite ville de l’Indiana au cœur du MidWest à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Indianapolis. Sa population : 1400 habitants. Aux élections présidentielles de novembre 2016, elle a voté à 76 % pour Donald Trump.
Le grand documentariste Frederick Wiseman en fait la radioscopie.

On imagine volontiers que si Monrovia a été choisi comme sujet de ce documentaire, c’est pour répondre à une question : qui sont ces Américains « moyens » qui ont élu, contre toute raison, Donald Trump à la Maison-Blanche en 2016 ? On imagine tout aussi volontiers le traitement désopilant qu’en aurait fait un Michael Moore, déployant probablement la même méchanceté à se moquer de ces ploucs rétrogrades que celle dont il avait fait preuve dans Bowling for Columbine ou Fahrenheit 9/11.

Or, le spectateur candide qui regarderait Monrovia, Indiana sans avoir été prévenu du sens du vote de cette petite ville pourrait fort bien ne rien comprendre de son sous-thème. Car, Frederick Wiseman, fidèle à la méthode qu’il a déjà utilisée pour faire le portrait des grandes institutions américaines (le zoo de Miami, l’université Berkeley, la New York Public Library, ne prend pas parti. S’interdisant l’usage de la voix off, l’interview, la mise en perspective, il se contente – en apparence du moins – de poser sa caméra au bord de la route et de capter des fragments de vie. Sa neutralité rigoureuse lui interdit tout à la fois l’empathie et la critique.

Aussi son documentaire distille-t-il un parfum d’ennui, qui filme le quotidien d’une petite ville sans histoire. On assiste à des comices agricoles, à une kermesse, au spectacle de fin d’année du lycée, à plusieurs réunions du conseil municipal, à une curieuse assemblée de la loge maçonnique locale (dont on n’imaginait pas qu’elle laisse si volontiers les caméras filmer leurs rites d’un autre âge), à un mariage, à un enterrement, à la caudectomie d’un boxer, etc. On visite le lycée, le supermarché, les deux salons de coiffure (pour hommes et pour femmes), la salle de sport… C’est long. C’est très long, même si les 2h23 que dure Monrovia, Indiana font figure de court métrage comparé aux 3h17 de Ex Libris ou aux 4h04 de At Berkeley.

C’est seulement à la fin du documentaire, une fois assemblées toutes les pièces, qu’on peut esquisser une réponse à la question posée. Qui sont les électeurs de Trump ? Ce qui saute aux yeux : ils sont Blancs. Quasiment aucun Afro-Américain à Monrovia, aucun Latino, Aucun Asiatique. Une religiosité omniprésente, qui accompagne les grands moments de la vie : le mariage, la mort. Un sexisme décomplexé qui s’exprime sans vergogne sur les stickers à la vente lors de la kermesse annuelle.

C’est déjà beaucoup ; mais ce n’est pas le plus important. Ce qui, tout bien réfléchi, frappe le plus, ne saute pas aux yeux : c’est l’enfermement de cette communauté sur elle-même. Aucune curiosité pour le monde extérieur. Aucune vie culturelle : personne ne lit, ne va au cinéma, n’écoute de la musique. Aucune vie tout court dans cette communauté désespérément triste dont l’existence sans joie ni délicatesse suinte l’ennui.

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