Noureev ★☆☆☆

Rudolf Noureev (Oleg Ivenko) est la star du ballet du Kirov en tournée en Europe en 1961. Accueilli à bras ouverts par le danseur Pierre Lacotte (Raphaël Personnaz), par la belle-fille d’André Malraux, Eva Saint (Adèle Exarchopoulos), le jeune danseur est vite fasciné par la vie parisienne. Mais le KGB, qui ne le quitte pas d’un chausson, voit d’un mauvais œil ses fréquentations.

J’ai couru voir le soir de sa sortie ce biopic, dont la bande-annonce fiévreuse tournait en boucle depuis quelques semaines. Tout m’y faisait envie : la Guerre froide racontée à travers l’histoire du plus célèbre danseur russe depuis Nijinsky, la reconstitution aussi soignée qu’élégante du Paris du début des années soixante, la si sensuelle Adèle Exarchopoulos, le toujours parfait Ralph Fiennes…

Hélas tout sonne faux dans ce pensum de plus de deux heures qui transpire l’ennui. Il tisse trois fils narratifs. Le premier, couleur sépia, est l’enfance misérable de Noureev dans l’hiver permanent d’Oufa, au cœur des monts Oural. Le deuxième est sa formation à Leningrad auprès du célèbre maître de ballet Alexandre Pouchkine, interprété par un Ralph Fiennes neurasthénique. Le troisième, le plus intéressant, celui sur lequel on nous vend le film, et celui qui hélas n’en constitue qu’un (gros) tiers se passe dans un Paris d’opérette, acrobatiquement cadré pour éviter qu’on en voie la tour Montparnasse ou le centre Pompidou. Le film est construit autour d’un faux suspense qui peine à tenir en haleine ceux, sans doute nombreux, qui connaissent déjà la destinée de Noureev.

On pardonnera Oleg Ivenko de mal jouer. C’est un danseur professionnel, catastrophique dès qu’il a une ligne de texte, sublime dès qu’il s’élance sur le plateau. En revanche, Noureev réussit à vider Adèle Exarchopoulos de toute sensualité. Et ça, c’est impardonnable.

La bande-annonce

L’Adieu à la nuit ★★☆☆

Muriel (Catherine Deneuve) dirige un centre équestre dans les Pyrénées orientales. Son petit-fils Alex (Kacey Mottet Klein) vient lui rendre visite. Il a perdu sa mère, la fille de Muriel ; il est en froid avec son père qui a refait sa vie en Guadeloupe ; il vient d’abandonner ses études.
Il annonce à sa grand-mère son désir de partir au Canada. Mais ses projets sont tout autres. Au contact de Lila (Oulaya Amamra), une amie d’enfance musulmane, et intoxiqué par ce qu’il a lu sur le Net, Alex s’est converti et s’est radicalisé. Il a l’intention de gagner la Syrie et de participer au jihad.

La radicalisation est décidément un thème qui inspire le cinéma : La Désintégration, Made in France, Les Cowboys, Le ciel attendra, Mon cher enfant, Exfiltrés, Le Jeune Ahmed… Les films qui en parlent sont chaque fois ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. Ils dessinent un paysage que pourrait présenter un séminaire ou un article : « La radicalisation au prisme du cinéma ». Chacun de ces films explore un pan du sujet. La sociologie : qui se radicalise ? La psychologie : pourquoi se radicalise-t-on ? L’action : comment se radicalise-t-on ?

Beaucoup traitent le sujet de biais en s’intéressant moins au radicalisé lui-même qu’aux effets de cette radicalisation sur son environnement. C’était l’angle d’attaque des Cowboys, de Mon cher enfant. C’est le sujet de cet Adieu à la nuit dont le héros est moins Alex que Muriel.

On imagine volontiers ce que André Téchiné, la septantaine bien entamée, a pu ressentir en lisant le livre de David Thomson Les Revenants consacré aux Français revenus en France après avoir combattu dans les rangs de Daesh. C’est la question que n’importe quel parent, n’importe quel grand parent pourrait se poser : comment réagirais-je si cela arrivait à mon (petit) fils ?

Pour mettre en histoire cette interrogation, il convoque sa muse : Catherine Deneuve avec laquelle il a déjà tourné sept fois depuis Hôtel des Amériques en 1981. Le problème est qu’il ne sait pas trop qu’en faire. Mamie Nova idéale, aussi aimante qu’allante (à soixante-quinze ans, elle en fait quinze de moins), Catherine Deneuve est bien entendue impeccable. Elle tient parfaitement son rôle ; sauf que son rôle ne tient pas. Elle est d’abord tout à la joie de voir revenir chez elle ce petit-fils trop absent. Puis, elle découvre sa confession à l’Islam, en est tourneboulée, ne sait pas comment réagir entre malaise spontané et respect dû à la liberté de croyance de son petit-fils. Enfin elle comprend son projet djihadiste mortifère et essaie de l’en dissuader.

André Téchiné avait un sujet en or. Aussi surprenant que cela puisse paraître pour un réalisateur de cet acabit, il n’a pas su quoi en faire.

La bande-annonce

Coming Out ★★☆☆

Le monteur français Denis Parrot est allé sur Youtube glaner des vidéos de coming out postées entre 2012 et 2018. On y voit des garçons et des filles du monde entier y annoncer leur homosexualité ou leur décision de changer de sexe.

Il n’y a ni exhibitionnisme ni militantisme dans ces confessions. Leur montage n’a pas cette indécence. Il véhicule un message simple sinon simpliste : l’homosexualité n’est pas un choix mais un état dont on ne devrait pas avoir à faire la révélation. Et ceux qui la font sont autant de sources d’inspiration pour ceux qui n’ont pas encore eu le courage de franchir le pas.

Ce tour du monde du coming out soulève bien des questions et apporte plusieurs réponses. Un témoignage d’un Japonais et d’une Sud-africaine ainsi que celui, poignant, d’un Russe qui vit aujourd’hui au Canada et qui raconte l’homophobie qui règne dans son pays, tissent une géographie très partielle du coming out, sans doute plus facile à faire dans l’Occident libéral que dans les sociétés qui pénalisent l’homosexualité et la transidentité. Posté sur les réseaux sociaux, le coming out s’adresse à tous ; mais il est en général annoncé à une seule personne : la mère beaucoup plus souvent que le père et jamais un ou une amie. Les témoignages proviennent exclusivement de jeunes voire de très jeunes gens. Aucun coming out d’adultes étonnamment : personne ne fait-il son coming out à trente ou quarante ans ? ou personne à cet âge ne le fait-il sur YouTube ?

Dans un cas, le coming out se passe mal. On y entend plus qu’on ne voit les tombereaux d’injures dont un malheureux adolescent dans le Sud des États-Unis est agoni lorsqu’il fait sa révélation. Dans la plupart des cas au contraire, on assiste à des scènes émouvantes d’épiphanie familiale où l’anxiété de celui qui fait son coming out n’a d’égale que l’amour dont lui témoigne en retour la mère ou la grand-mère à laquelle cette confession est destinée.

La scène la plus désopilante, la plus légère et au fond la plus juste est celle où l’on voit sur le même plan le fils et sa mère. « Maman, j’ai une confession à te faire… » dit-il tout tremblant « Oui ? Tu es hétéro ?? » répond sa mère en riant. « Mais non, je suis GAY » confesse-t-il en éclatant en sanglots. « Mais je le savais depuis toujours et je t’aime comme tu es » lui répond-elle en l’embrassant.

La bande-annonce

Zombi child ★☆☆☆

En 1962, à Haïti, Clairvius Narcisse est victime d’une tentative de zombification. Empoisonné, il est laissé pour mort, mis en bière, inhumé. À la nuit tombée, des hommes déterrent son cercueil. Réduit à l’état de mort-vivant, privé de parole, de volonté, il est employé dans une plantation de canne à sucre. Mais Clairvius, après avoir mangé un morceau de viande, retrouve une partie de sa conscience et réussit à s’enfuir.
De nos jours, sa petite-fille Mélissa, intègre en classe de seconde la Maison de la Légion d’honneur, un établissement scolaire réservé aux jeunes filles dont l’un des parents s’est vu attribué la Légion d’honneur ou l’Ordre national du mérite. Un groupe de jeunes filles accepte de l’accueillir dans la sororité à condition que Mélissa partage avec elles un secret.

Zombi sans e. L’orthographe du titre interpelle. Elle se décrypte aisément. Zombie est dérivé de l’anglais. Zombi est utilisé à l’origine en français, dérivé de zonbi en créole haïtien, nzumbe ou nzambé en kimbundu/kikongo (merci Wikipédia).
Il s’agit donc d’un zombi haïtien, baigné dans une culture ancestrale, pas d’un de ses vulgaires ectoplasmes hollywoodiens qui – comme le relève une des étudiantes de la Légion d’honneur, friande du genre -se déplaçait à tâtons avant de connaître, dans le cinéma le plus contemporain, une soudaine accélération de leur vélocité (Cf. les zombies sprinteurs de 28 jours après ou World War Z).

Dans un montage alterné, Zombi Child tisse deux fils narratifs. D’un côté on suit Clairvius Narcisse en 1962, Lazare haïtien, ramené à la vie par un sortilège vaudou dont il essaie de se désenvoûter. Histoire sans parole languissante qui filme des paysages sauvages et grandioses. De l’autre, on suit une bande de jeunes filles façon Virgin Suicides dans leur lycée hors norme : la maison de Saint-Denis de la Légion d’honneur dont on s’étonne que l’atmosphère si particulière n’ait pas déjà inspiré le cinéma.

Zombi Child a plus de défauts de qualités. Les plus irritants sont ceux qui constellent la description de la vie des lycéennes de la légion d’honneur. Pourquoi avoir prêté à ces jeunes filles de bonne famille un vocabulaire de cagoles ? Pourquoi leur avoir donné comme enseignant d’histoire Patrick Boucheron qui leur assène un discours digne d’une leçon d’ouverture au collège de France sur les « hoquettements » du dix-neuvième siècle auquel il n’y a guère ed chance que des lycéennes de seconde, aussi précoces soient-elles, entendent goutte ?
Mais le plus grave est l’ennui que distille ce film de près de deux heures dont le scénario étique se résume à rien, ou du moins à pas grand-chose. Bertrand Bonello tenait pourtant là un sujet fascinant qu’il gâche à force de paresse. Quel dommage !

La bande-annonce

Lune de miel ★★★☆

Anna (Judith Chemla) et Adam (Arthur Igual) sont juifs d’origine polonaise. Ils viennent de se marier. Ils confient aux bons soins des parents d’Anna leur nourrisson pour partir en voyage de noces. Si Adam serait volontiers parti à New York, Anna a décidé de se rendre en Pologne sur les traces de leurs deux familles.

Aucune tromperie sur la marchandise : le trailer de Lune de miel annonce la couleur. Il s’agira d’entrelacer comédie de couple et enquête sur les origines.

Sur les deux terrains le pari est réussi.

On rit beaucoup au personnage d’Anna qu’interprète la décidément remarquable Judith Chemla qui a réussi à se frayer patiemment un chemin jusqu’à la tête d’affiche depuis son passage à la Comédie-Française et sa nomination en 2013 au César de la meilleure actrice dans un second rôle pour Camille redouble. Elle est hilarante en ashkénaze hystérique, couturée de complexes, entretenant avec sa mère (impeccable et trop rare Brigitte Roüan) une relation compliquée, enthousiasmée au-delà du raisonnable de ce pèlerinage sur les traces de ses ancêtres. Face à une telle tornade, Arthur Igual fait le pari réussi de la sobriété.

Si Lune de miel fait rire, il réussit aussi à émouvoir. On aperçoit dans la bibliothèque de l’appartement parisien du couple une exemplaire des Disparus de Daniel Mendelsohn, poignante enquête historique sur les traces des ancêtres juifs polonais de l’auteur. On pense aussi à Tout est illuminé, le roman de Jonathan Safran Froer porté à l’écran par Liev Schreiber avec Elijah Wood dans le rôle principal. Sans avoir l’air d’y toucher, Lune de miel évoque en trois plans la disneylandisation de la Shoah dans laquelle a viré l’industrie touristique à Cracovie avec ses tours guidés à Auschwitz et ses concerts de musique klezmer, le devoir de transmission à travers le personnage d’Evelyn Askolovich, qui raconte sa déportation à Bergen Belsen et enfin l’oubli lourd d’antisémitisme et teinté de négationnisme dans lequel tombe irrésistiblement cette mémoire.

La bande-annonce

Bianca ★★☆☆

La trentaine, Michele Apicella est célibataire. Il enseigne les mathématiques dans un collège qui se pique de mettre en œuvre une pédagogie alternative. Dans son appartement, il occupe ses loisirs à espionner ses voisins. Quand la locataire de son étage est assassinée, la police le suspecte.

Dans les années 80, le cinéma italien était en ruines. Fini le néo-réalisme. Fini les satires mordantes des années soixante. Fini les westerns spaghettis. Fellini lançait ses derniers feux. Bertolucci s’était expatrié à Hollywood pour y tourner Le Dernier Empereur, son film le plus célèbre et le moins personnel. Même chose pour Sergio Leone et Il était une fois en Amérique. Un jeune réalisateur était en train de se faire une réputation. Sorti en 1985, Bianca était son quatrième film. Viendraient ensuite les films de la maturité : Palombella Rossa (1989), Journal intime (1994), Aprile (1998)…

Regarder trente ans après les œuvres de jeunesse d’un grand réalisateur est toujours troublant. On y décèle les indices informes de ses succès ultérieurs. Mais on y voit surtout les maladresses d’une œuvre encore en maturation.

Bianca annonce les films autobiographiques qui suivront. Nanni Moretti est le héros omniprésent de ses propres films. Il le sera encore pendant vingt années avant de décentrer lentement son regard, s’intéressant à ceux qui l’entourent (La Chambre du Fils, Mia Madre), ou se gommant totalement du cadre (Le Caïman, Habemus Papam). Ce nombrilisme peut séduire ou horripiler.
Ce qui frappe le plus est la similitude avec les films de Woody Allen qui était à l’époque au pic de sa gloire. Nanni Moretti déploie la même énergie, exprime la même ironie mordante, manifeste la même inquiétude existentielle. La ressemblance confine au plagiat.

La bande-annonce

Charlotte a 17 ans ★☆☆☆

Charlotte a dix-sept ans – bien qu’elle en fasse facilement cinq de plus. Elle vient de connaître son premier chagrin d’amour qui vient de lui confesser son homosexualité (sic) après deux ans de relation (re-sic). Charlotte peut compter sur ses deux amies d’enfance pour la consoler : Mégane, qui tempête contre le monde et ses injustices, et Aube, qui essaie de cacher sans y parvenir son inexpérience avec les garçons.
Les trois jeunes filles trouvent un job dans un magasin de jouets. L’ambiance y est très détendue. Les garçons qui y travaillent leur réservent un joyeux accueil. Charlotte y collectionne les conquêtes au point de s’y faire une funeste réputation.

Nous vient du Canada ce petit objet filmique difficile à classer. S’agit-il d’un petit film amateur tourné à la va vite en noir et blanc par une bande de copains façon Clerks ? D’un teen movie racontant les émois amoureux d’une poignée d’adulescents façon Friends ? D’un pamphlet féministe revendiquant le droit des femmes au donjuanisme ou au polyamour façon Lutine ?

Un peu des trois. et c’est bien là que le bât blesse.
Soit on trouvera à ce film hors normes, qui joue sur ces trois tableaux, une fraîcheur originale. Soit on lui reprochera de ne pas savoir à quel sein (!) se vouer, quel parti prendre.
Dans un cas comme dans l’autre, on lui reconnaîtra néanmoins de ce côté-ci de l’Atlantique la saveur inégalable de ses truculents québécismes qu’on aurait eu bien du mal à comprendre sans les sous-titres.

La bande-annonce

Piranhas ★☆☆☆

Nicola a quinze ans à peine. Avec quelques camarades de son âge, il passe ses journées à arpenter les rues de Naples en scooter. Ses aînés de la Camorra terrorisent les commerçants du quartier en exigeant d’eux le paiement du « pizzo » pour les prémunir d’une insécurité qu’ils sont les premiers à nourrir.
Les familles de la Camorra se livrent une guerre à mort qui crée, au gré des assassinats et des arrestations, un vide de pouvoir dont Nicola et sa bande entendent profiter pour se tailler une place au soleil.

Naples ou l’enfance d’un chef. On se souvient du film élégiaque de Eric Valli tourné dans les montagnes himalayennes en 1999. La comparaison s’arrête au titre. Piranhas (étrange traduction de La paranza dei bambini qui fait plus spontanément penser à un film d’horreur dans la forêt amazonienne qu’au portrait d’un jeune caïd napolitain) raconte, comme son affiche l’annonce, « l’ascension des baby gangs ». Cette histoire n’est guère crédible où l’on voit des gamins qui se disputent un pot de Nutella avant d’aller assassiner leurs rivaux. Mais elle peut se réclamer de Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra, dont elle constitue l’adaptation à l’écran d’un roman publié en 2016.

Des histoires de jeunes mafiosi, on en a déjà vu beaucoup. Sans remonter à Gomorra ou à Suburra, on avait bien aimé l’automne dernier Frères de sang, un petit film italien passé inaperçu.

De ce côté-ci des Alpes, Piranhas souffre de la comparaison avec Shéhérazade sorti l’an passé. Ses héros se ressemblent : l’un comme l’autre sont des chiens fous à peine sortis de l’enfance, en mal de référent paternel, qui s’éveillent à l’amour (si Viviana Aprea n’a pas le bagout de Kenza Fortas, César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans Shéhérazade, elle est d’une beauté à couper le souffle). Mais Shéhérazade atteint, dans sa dernière demie heure une densité émotionnelle que Piranhas n’approche pas.

La fin de Piranhas est étonnante. Jusque là, le film avait déroulé un scénario ternaire bien huilé : l’ascension, la gloire, la chute. On se dirigeait tranquillement vers une scène finale qu’on s’imaginait déjà. Et soudainement, dans les deux derniers plans, le scénario prend une autre bifurcation, aussi surprenante que déconcertante. S’il ne l’avait pas fait, on aurait regretté son manque d’audace ; mais la façon dont il le fait l’expose au reproche de l’incohérence.

La bande-annonce

Greta ☆☆☆☆

Frances McCullen (Chloé Grace Moretz) se remet douloureusement de la mort de sa mère. Elle partage un loft luxueux à Tribeca avec une amie (Maika Monroe). Dans le métro, elle trouve un sac à main. Bonne fille, elle se rend au domicile de son propriétaire, Greta Hideg (Isabelle Huppert), une veuve esseulée et affable. Les deux femmes se lient bientôt d’amitié. Mais l’attitude de Greta devient vite inquiétante.

Neil Jordan fait partie de ces réalisateurs qui ont construit leur carrière à cheval sur les deux rives de l’Atlantique à l’instar de Stephen Frears, Paul Greengrass ou Danny Boyle. Ses meilleurs films remontent aux années quatre-vingt-dix : Entretien avec un vampire, The Crying Game, Michael Collins… On se demande bien pourquoi Metropolitan est allé le chercher pour diriger ce film, sinon que ses ingrédients recyclent un cinéma qu’on pensait définitivement démodé.

Car Greta n’innove pas. Comme l’annonce son affiche, son histoire oppose deux figures de femmes : d’un côté la jeune et fraîche Chloé Grace Moretz (la plus petite bouche du cinéma américain), de l’autre la froide et vénéneuse Isabelle Huppert – qu’il aurait été discourtois de qualifier de vieille et défraîchie.

La formule est bien rodée. Elle s’articule en trois temps. 1. La proie repère sa victime, endort sa vigilance et gagne sa sympathie. 2. Quand la victime réalise les intentions de la proie, il est trop tard. Elle se retrouve prise au piège 3. La victime, moins innocente et moins fragile qu’on ne l’aurait augurer, réussit à victorieusement échapper à sa proie en retournant la violence qu’elle a subie et en châtiant son tortionnaire.
Des films construits sur ce modèle, on en a vu treize à la douzaine, des excellents et des plus médiocres : Eve, La Valse des pantins, Liaison fatale, Misery, JF partagerait appartement, Persécution

Le problème de Greta est son défaut de construction. La première partie est trop vite expédiée. Elle n’est pas la plus spectaculaire ; mais elle aurait pu être la plus angoissante. Un hasard de circonstances – que révèle allègrement la bande-annonce – fait basculer Greta dans sa deuxième partie autrement plus convenue : c’est l’histoire, plus irritante qu’excitante, d’un harcèlement de plus en plus violent qui se conclut par la victoire – temporaire – de l’harceleuse sur l’harcelée. Car hélas vient la troisième partie. Comme si Hollywood n’avait pas le courage de refuser les happy end. Ce paradigme étant posé, la certitude que l’innocente héroïne s’en sortira, qu’on ait lu ou pas les lignes qui précèdent, on reste insensible à la tension du film et à ses rebondissements cousus de fil blanc.

Reste la prestation particulièrement embarrassante d’Isabelle Huppert dont on se demande ce qu’elle est allée faire dans cette galère.

La bande-annonce

Parasite ★★★☆

Appelons cela le jeu des deux familles. Il se joue à huit cartes. D’un côté, les Kim. Ils sont quatre : le père, la mère, le fils et la fille. Ils sont pauvres, vivent dans un sous-sol insalubre et mal aéré. Affreux, sales, mais pas méchants pour paraphraser Ettore Scola. De l’autre, les Park. Ils sont quatre eux aussi. Mais, à la différence des Kim, ils vivent eux dans un luxe insolent. Ils habitent une villa paradisiaque dans les hauteurs de Séoul, assistés par une abondante domesticité. Monsieur travaille, Madame, pas très maline, tue le temps en s’inquiétant pour l’éducation de ses enfants. Loin d’Ettore Scola, plus proche de Claude Chabrol.
Le jeune Kim s’y fait recruter comme répétiteur d’anglais de la fille Park. Suivent sa sœur, embauchée comme art-thérapeute du cadet, puis son père comme chauffeur et enfin sa mère comme gouvernante.
Tout irait pour le mieux dans la meilleure des arnaques si n’apparaissaient de(ux) nouveaux joueurs.

Les Palmes d’or se suivent et se ressemblent – un peu. L’an passé, le japonais Hirokazu Kore-Eda l’emportait en mettant en scène une famille sympathique de va-nu-pieds, tire-au-flanc, profiteurs débonnaires de l’assistanat social. Cette année, le coréen Bong Joon-ho met en scène une famille similaire.
Mais les ressemblances s’arrêtent là. Une affaire de famille tirait le lait de la tendresse humaine ; Parasite traite de la fracture sociale.

Tout est parfait dans Parasite. À commencer par son titre (vous aurez noté le singulier) qu’il est difficile de disséquer sans révéler les rebondissements de l’intrigue.
On va répétant que Parasite marie intelligemment tous les genres. Et on a raison.
Il s’agit d’abord d’une aimable comédie sociale. On y voit comment les Kim réussissent lentement à berner les Park pour s’incruster chez eux. C’est intelligemment amené, un poil trop long et un chouïa prévisible. Mais ne boudons pas notre plaisir : on est dans la très bonne comédie sociale, drôle, grinçante et bien huilée.
Puis, sans qu’on s’y attende, la farce tourne au drame. Le temps s’accélère. Si la première partie du film s’étire sur plusieurs semaines (mois ?) la seconde se condensera en vingt-quatre heures. On n’est plus chez Ettore Scola mais chez Park Chan-wook, le réalisateur volontiers gore de Old Boy et Lady Vengeance. Parasite est d’ailleurs interdit aux moins de quinze ans en Corée du Sud. Cache-cache vaudevillesque, inondation diluvienne, barbecue sanguinaire, cette seconde partie est riche en retournements de situation.

Tout est parfait disé-je. Oui.
La stratification sociale vue de Corée est autrement plus mordante que vue de France. S’il n’y était question de cave ou de grenier, on n’oserait rapprocher Les Femmes du sixième étage et Parasite tant la comparaison ridiculiserait le cinéma français.

Mais Parasite souffre d’un défaut rédhibitoire. Cette mécanique trop bien huilée ne m’a pas touché, ne m’a pas ému. Certes, je me suis identifié à la famille Kim. Je me suis attaché à elle – avec une rougissante préférence pour la fille, aussi jolie que déterminée. Je me suis réjouis de voir la roublardise des Kim se jouer de l’arrogance des Park avant de m’affliger de leur sort. Mais pour autant, à aucun moment je n’ai vibré.

Parasite a-t-il mérité sa palme d’Or ? Assurément.
Est-ce pour autant le meilleur film de l’année ? Non

La bande-annonce