Her Smell ★☆☆☆

Sous le nom de Becky Something, Rebecca Adamzwyck (Elisabeth Moss) a fait de Something She un groupe phare de la scène grunge. Mais la rockstar est sur le point de s’effondrer et d’entrainer tous ses proches dans sa chute : sa batteuse et sa bassiste qui ne supportent plus d’être continuellement insultées, le directeur de sa maison de disques dont la patience s’effrite, son ex-mari qui peine à s’occuper de leur fille.

Elisabeth Moss est décidément la star qui monte. On se souvient qu’elle incarnait la fille du Président américain dans West Wing qui la vit grandir pendant sept saisons. Mais c’est à Mad Men qu’elle doit son succès : elle y incarne Peggy Olson, une jeune secrétaire qui gravira tous les échelons de la société de publicité de Madison Avenue qui l’emploie en dépit de la misogynie du temps. Ce succès lui ouvre toutes les portes : ce sera la mini-série dirigée par Jane Campion, Top of the Lake, en 2013, The Square en 2017 (Palme d’or à Cannes) et bien entendu La Servante écarlate.

Elle est l’étoile noire de Her Smell, la star autour de laquelle tout gravite, le trou noir où tous risquent de se perdre. Son personnage est fictionnel ; mais il s’inspire de quelques figures célèbres de la scène punk telles Courtney Love ou Kim Deal. L’outrance de son jeu – qui lui est parfois reprochée dans La Servante écarlate – est ici parfaitement mise à profit. Aussi monstrueuse que pitoyable, violente que fragile, le visage strié d’un mascara bavant, elle joue l’hystérie mieux que quiconque.

Son interprétation s’inscrit dans un projet exigeant. De la chute inéluctable à l’impossible rédemption, l’action est en effet découpée, comme elle le serait au théâtre, en cinq longues scènes. Chacune dure au bas mot une vingtaine de minutes dans un film dont la longueur inhabituelle dépasse les deux heures. Un grand soin est apporté au son qui résonne comme s’il était le fruit d’un cerveau détraqué. C’est dire que le film s’étire et que la tension permanente qu’il maintient finit vite par épuiser. On sort de la salle assommé.

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Wild Rose ★★★☆

Rose-Lynn Harlan ne vit que pour sa passion : la musique country. Mais, si elle a le sens du rythme et ne quitte jamais ses santiags, la jeune femme a bien des obstacles à franchir afin de réaliser son rêve : chanter à Nashville. Premièrement, elle vient à peine de sortir de prison et doit s’employer comme femme de ménage chez un couple de bobos. Deuxièmement, elle a déjà donné naissance à deux enfants avant ses dix-huit ans dont sa mère a assuré la garde pendant sa détention mais qui réclament son amour. Troisième handicap et non le moindre : Rose-Lynn vit à… Glasgow.

Pourquoi diable les distributeurs évoquent-ils A Star is Born sur l’affiche française de Wild Rose – les diffuseurs britanniques n’ont pas commis pareille erreur ? Le film britannique n’a rien à voir avec le lady-gagesque biopic américain. Son héroïne n’est pas une star sur le point d’éclore. Il ne s’agit pas ici de donner un écrin à quelques tubes marketés pour conquérir les premières places des charts.

Le vrai sujet de Wild Rose n’est pas la musique. Cela n’empêchera pas les amateurs de country d’y prendre du plaisir – et ceux qui n’aiment guère ce genre, dont je fais partie, de prendre leur mal en patience. Son vrai sujet, c’est Rose, une jeune femme partagée entre sa passion et sa famille.

Le sujet n’est pas d’une folle inventivité. On a vu trop de films de Ken Loach & Co., des plus larmoyants aux plus réussis, pour en être surpris. Mais le cocktail, fait de caractères entiers, de paysages urbains déprimants, de pubs aux tables poisseuses à force de bières renversées, fait toujours son effet.

La réussite doit surtout au talent de ses deux actrices. Dans le rôle de la fille : Jessie Buckley. Retenez son nom. On vient de la voir dans la minisérie Tchernobyl interpréter le rôle de la femme courageuse d’un pompier agonisant. On l’avait déjà remarquée en tête d’affiche de Jersey Affair l’an passé.
Dans le rôle de la mère : Julie Walters. J’ai passé tout le film à me demander où je l’avais vue. Sa ressemblance avec Judi Dench m’induisait-elle en erreur ? C’est en farfouillant dans sa biographie que je l’ai retrouvée : elle jouait dans Sammy et Rosie s’envoient en l’air, le film par lequel j’ai découvert Stephen Frears l’été de mes dix-sept ans. Sur l’affiche, Julie Walters a trente ans de moins. Une sorte de FaceApp à l’envers.

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L’Œuvre sans auteur ★★★☆

La Vie des autres avait connu un immense succès, critique et public : Oscar, César, Bafta du meilleur film étranger en 2007. Depuis douze ans, on attendait le prochain succès de son réalisateur, Florian Henckel Von Donnersmarck. Après un détour calamiteux par Hollywood, où il a dirigé Angelina Jolie et Johnny Depp dans The Tourist, un remake évitable d’un film français, le réalisateur allemand est de retour dans son pays.

L’Œuvre sans auteur se présente comme l’histoire d’une vie : celle de Kurt Barnert, un jeune peintre en devenir, qui naît et grandit sous le nazisme, doit se conformer aux règles du réalisme socialiste qui prévaut en RDA dans l’immédiat après-guerre et finit par se réfugier en RFA dans les années soixante. Comme Fassbinder avec Le Mariage de Maria Braun, Henckel von Donnersmarck retrace l’histoire de l’Allemagne contemporaine en racontant l’histoire d’un homme. C’est la partie la plus convenue du film, celle qui à la fois suscite le plus grand respect et crée le moins de surprises, tant le cinéma allemand – ou du moins celui qui s’exporte hors des frontières – semble s’être fait une spécialité du film historique contemporain à force de raconter l’histoire des petites gens sous le national-socialisme (Seul dans Berlin, Elser, un héros ordinaire) ou sous le communisme (Le Vent de la liberté, La Révolution silencieuse, Good Bye Lenin !).

Mais tel n’est pas le sujet central du film. Il s’agit plutôt de montrer la naissance d’un génie artistique. Le personnage de Kurt Barnert est inspiré du peintre Gehrard Richter, né à Dresde en 1932, installé à Cologne et devenu mondialement célèbre pour ses « photos-peintures » qui interrogent le rapport de l’auteur à son art. C’est autour de ce thème que le film se concentre dans sa seconde moitié. On y voit le jeune peintre, qui vient de se libérer du carcan de l’art officiel communiste en s’exilant à l’ouest, chercher sa voie. Le film prend le temps de l’accompagner dans ses hésitations. Et, comme de bien entendu, on assiste en direct à l’épiphanie créatrice au son de l’entêtant November de Max Richter.

Ce sujet à lui seul, ne suffirait pas à nourrir une fresque de plus de trois heures – qui est sortie d’un seul tenant en Allemagne mais qui, bizarrement, en France, est diffusée en deux volets, obligeant les spectateurs à passer deux fois à la caisse. Pour nourrir la tension, le film leste notre jeune héros d’un lourd trauma familial : sa tante, la jeune Elisabeth, a été stérilisée pendant la guerre par un gynécologue SS sadique qui se révèle être le père de Ellie, la jeune femme dont Kurt tombe amoureux en 1949. Le « méchant », monstrueux à souhait, interprété par Sebastian Koch, qui jouait le rôle du dramaturge placé sur écoute dans La Vie des autres, est excellent. C’est d’ailleurs, on le sait, l’indice de la qualité d’un film.

On pourrait, c’est vrai, reprocher à L’Œuvre sans auteur son académisme. Mais ne mégotons pas notre plaisir : depuis quand n’avait-on pas passé trois heures au cinéma sans regarder sa montre ?

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La Grand-messe ★★☆☆

Chaque année, le Tour de France attire sur les bas-côtés des routes qu’il emprunte une foule bigarrée de spectateurs. Certains s’installent plusieurs jours avant dans leurs camping-cars. Le Français Méryl Fortunat-Rossi et le Belge Valéry Rosier sont allés à leur rencontre en juillet 2017 dans les Hautes-Alpes, sur les pentes de l’Izoard à quelques kilomètres de l’arrivée de la dix-huitième étape.

Les deux réalisateurs font œuvre de sociologues voire d’anthropologues en s’intéressant non pas à la course et aux coureurs vers lesquels tous les yeux sont habituellement braqués, mais à ses spectateurs. Un peu comme si on tournait les spots vers le public d’une pièce de théâtre ou d’un match de tennis. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Quelle est leur motivation à s’installer sur un bas-côté pour attendre le passage éphémère de la caravane ? leur passion pour le cyclisme ? le souhait de prendre part à un spectacle qu’ils regardent chaque année à la télé ? le désir warholien d’apparaître, aussi fugacement soit-il, soi-même à l’écran ?

Les documentaristes ont eu la surprise de découvrir dans les camping-cars qui s’installent sur les bords des routes du Tour un public assez homogène : de paisibles retraités aux profils assez proches. Ils viennent de Bretagne ou de la région parisienne, la soixantaine sinon la septantaine bien entamée, des enfants depuis longtemps autonomes. Sont-ils passionnés de vélo ? On n’en saura rien. En tous cas, ils sont passionnés par le Tour de France qu’ils suivent chaque année religieusement (d’où peut-être le titre du documentaire). Ils forment une communauté éphémère – dont rien ne dit qu’elle se reforme à l’identique d’une année sur l’autre.

C’est la France du troisième âge, qui s’est longtemps levée de bonne heure avant de jouir d’une retraite durement acquise. On ne parle pas politique, mais on suspecte qu’elle ne vote pas à gauche en dépit de ses origines prolétariennes. La répartition des tâches y est stricte : les femmes font la cuisine, les hommes lisent L’Équipe et essaient tant bien que mal de régler l’antenne parabolique. Si les premières se dérobent à leur devoir, les seconds le leur rappellent à midi moins cinq par un euphémique « on a faim ».

La caméra des deux réalisateurs n’est jamais envahissante ni malveillante. L’empathie l’emporte. D’ailleurs ces petits vieux sont plutôt sympathiques : ils sont encore en bonne santé, pleins d’énergie et de débrouillardise, acceptent sans maugréer des conditions de vie qui n’ont rien de luxueuse et semblent même se réjouir de ce confort spartiate.
Leurs confrontations avec les plus jeunes sont parfois rugueuses. Même s’ils font bonne figure au téléphone, ils regrettent que ce fils trop éloigné ne fasse pas l’effort de les rejoindre. Plus le jour J approche, plus les spectateurs plus jeunes se font nombreux sur les bords de la route. La cohabitation n’est pas toujours facile.

Parce que l’un des deux réalisateurs est belge, La Grand-messe rappelle Striptease. Mais ce documentaire, qui a l’élégance de la brièveté – il ne dure que soixante-dix minutes – n’utilise pas l’ironie méchante qui avait fait le succès de cette émission.

La bande-annonce

Joel, une enfance en Patagonie ★★☆☆

Cecilia est professeur de piano. Diego travaille dans une exploitation forestière. le couple vient de s’installer en Terre de feu, à la pointe méridionale de l’Argentine, où règne un hiver quasi permanent. Sans enfant biologique, il souhaite adopter. On leur confie Joel, un orphelin de neuf ans, qui a connu dans les quartiers défavorisés de Buenos Aires une enfance chaotique.
Cecilia et Diego l’accueillent dans leur foyer avec tout l’amour dont ils sont capables. Mais son insertion à l’école communale se passe mal. Les autres parents d’élève se mobilisent et exigent du directeur son exclusion.

Carlos Sorin est un réalisateur argentin septuagénaire qui s’est fait connaître en France au début des années 2000 avec Bombon El Perro, l’histoire d’un homme à bout de souffle qui reprend goût à la vie en élevant un chien de race. Ses films ont pour cadre la Patagonie qu’il filme loin des clichés touristiques que cette région charrie depuis que Nicolas Hulot a choisi de donner à son émission télévisée – puis à une gamme de shampoings et gels douche – le nom de sa capitale. Comme Historias Minimas, comme Jour de pêche en Patagonie, Joel est un drame minimaliste, filmé à hauteur d’homme sinon d’enfant.

En quelques plans très simples, Sorin restitue les réactions d’un couple à l’arrivée ardemment attendue mais totalement déconcertante d’un enfant adopté. Quelle marque d’amour manifester à cet enfant ? Quelle consigne éducative lui donner sans passer pour une marâtre ? Quelle intimité à respecter lorsqu’il va prendre son premier bain ? L’actrice principale Victoria Almeida, des faux airs d’Audrey Tautou, incarne avec beaucoup de justesse ces questionnements.

Joel, une enfance en Patagonie est hélas moins convainquant dans sa seconde partie, lorsqu’il traite des difficultés scolaires de Joel. Le directeur convoque Cecilia et les lui expose à mots couverts. La mère oscille entre l’indignation et l’acceptation. Elle entreprend de rencontrer les mamans, les unes après les autres, pour aider sa cause. On pense au scénario de Deux jours, une nuit avec Marion Cotillard. Mais n’est pas Dardenne qui veut.

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Le Daim ★★☆☆

Georges (Jean Dujardin) a tout quitté : sa femme, sa ville, son emploi et… son blouson qu’il jette dans les toilettes d’une station service d’autoroute. Il en rachète un nouveau, 100 % daim, à un aigrefin (Albert Delpy) qui le déleste de ses dernières économies et lui offre un caméscope.
Installé dans une station d’altitude pyrénéenne sans âme, Georges s’y lie d’amitié avec Denise (Adèle Haenel), qui gagne sa vie derrière le comptoir d’un café et pratique à temps perdu le montage. Il lui fait croire qu’il prépare le tournage d’un long métrage.
Mais, en vérité, Georges est en train de sombrer dans la folie. Son blouson en daim lui dicte sa conduite, l’incitant à convaincre les propriétaires de blouson de s’en débarrasser, quitte à les assassiner s’ils s’y refusent.

Avec son neuvième (non-)film, Quentin Dupieux creuse un (non-)sillon bien à lui : celui d’un humour décalé qui frise avec l’absurde. Avec Rubber, il avait donné le rôle d’un serial killer à un pneu. Le Daim est moins absurde, plus réaliste, qui filme la dérive de son héros dans la folie et son basculement dans le gore. C’est précisément ce qui crée le malaise : Georges est-il un personnage de fiction dont il faut rire ? ou un psychopathe bien réel qui doit nous effrayer ?

Le Daim a été présenté en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs au dernier festival de Cannes. Il y a reçu des réactions très clivées. Il en a enthousiasmé certains ; il a laissé sur le bord du chemin beaucoup d’autres.

Ne goûtant guère l’absurde, ayant besoin pour aimer un film de le comprendre, je n’avais pas aimé les précédents films de Quentin Dupieux. J’attendais donc le pire du Daim. Aussi ai-je été agréablement surpris. Si l’on accepte le postulat de départ (un blouson en daim parle à son propriétaire), le reste du film est moins non-sensical qu’on ne le redoutait. Sa maîtrise formelle est remarquable. L’atmosphère poisseuse est dépressive à souhait (véritable repoussoir aux vacances en vallée d’Aspe à la morte saison). La tonalité chromatique marronnasse est omniprésente. Et l’interprétation des stars Dujardin & Haenel, dont on ne peut que se féliciter que leur statut ne les conduise pas à snober le cinéma d’auteur, est un régal.

[Attention spoiler : Enfin , il y a une vraie jubilation, intellectuelle à déchiffrer le vrai sens du titre. Le daim dont il s’agit n’est pas seulement ce blouson qui parle. C’est aussi Georges lui-même qui, après l’achat d’un blouson, se procure successivement un chapeau, un blouson, un pantalon, des gants de la même matière et qui, transformé en « daim », tombe sous la balle tirée par le fusil à lunettes d’un chasseur.] 

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Nevada ★★☆☆

Roman (Matthias Schoenaerts) purge une longue peine pour avoir laissé pour morte son épouse. En prison, il s’est muré dans le silence, refusant tout contact avec sa fille. Son agent de probation lui propose un programme de réhabilitation : avec une poignée d’autres détenus, il aura en charge le dressage de mustangs destinés à la vente.

Nevada tenait un sujet en or, une histoire vraie dont quelques photos sépia à la fin du film, portent le souvenir : une hippothérapie proposée aux détenus dans les États de l’Ouest américain.

Le film s’intitule The Mustang dans sa version américaine. Le succès inattendu du film turc éponyme obligea Laure de Clermont-Tonnerre à lui trouver un autre titre pour sa sortie en France. Va pour Nevada. Utah ou Colorado aurait également fait l’affaire.

Comme l’affiche n’en fait pas mystère, il repose sur les épaules, musculeuses et mutiques, de Matthias Schoenaerts, qu’on retrouve dans des rôles similaires à ceux qu’il a déjà endossés dans Bullhead, De rouille et d’os et Maryland – et dont on admire au passage la perfection de son accent américain.

Nevada est un curieux mélange entre le film de prison et le film de chevaux. Une sorte de « prophète qui murmurait à l’oreille des chevaux ». Au premier, il emprunte les codes : ainsi du chantage exercé par le caïd de la prison sur Roman, dont le scénario aurait pu faire l’économie. Du second, il copie les tics : les longues séances de dressage, les cavalcades sur la plaine déserte…

La métaphore est parfois pesante : en domptant le fier mustang, le héros cabossé va juguler la violence qui l’étouffe. Comme de bien entendu, cette thérapie le réconciliera avec sa fille. Sa rédemption attendue ne laisse guère de surprise dans un scénario cousu de fil blanc.

Il n’est pas évident que Nevada trouve son public. Les films de prisons, réputés pour leur virile violence, attirent un public plutôt masculin. Les films de chevaux, au contraire, séduisent un public plutôt féminin. 55.000 spectateurs seulement sont allés voir Nevada en première semaine. La deuxième semaine a été un peu meilleure grâce à la fête du cinéma. Mais l’exploitation est globalement décevante.

La bande-annonce

La Femme de mon frère ★★☆☆

La vie de Sophia (Anne-Élisabeth Bossé) est dans une impasse. La trentaine bien entamée, elle soutient sa thèse sur « les intrications des dynamiques familiales et politiques chez les continueurs d’Antonio Gramsci » (sic) mais se voit refuser un poste de titulaire à l’université, prisonnière de ses coteries. Célibataire, elle est enceinte et décide d’avorter. Sans toit, elle est hébergée par son frère Karim (Patrick Hivon) auquel la lie une complicité fusionnelle.

Drôle de titre. Si Karim se met en couple avec la médecin qui procède à l’avortement de Sophia, la femme du frère reste très secondaire. La vraie vedette, c’est Sophia, quasiment de chaque plan, sorte de Bridget Jones québecoise, plus dépressive, mais pas moins drôle, dont on imagine volontiers ce que la réalisatrice, dont le père est tunisien et le frère doctorant, a emprunté  à sa propre biographie.

La Femme de mon frère creuse le sillon bien connu de la comédie célibattante. On en a déjà vu treize à la douzaine, plus ou moins réussies, d’Ally Mc Beal à Sex and the City.

La Femme de mon frère contient quelques passages aussi drôles qu’intelligents. Ainsi du couple paradoxal que forment les parents de Sophia, un immigré maghrébin et une québécoise militante gauchiste, divorcés depuis plus de vingt ans mais habitant sous le même toit et unis par une longue complicité. C’est dans la bouche de cette mère attachante qu’on entend la réplique la plus mordante du film (hélas déflorée par la bande-annonce) : « Une femme passe la moitié de sa vie à se trouver grosse, l’autre à se trouver vieille et grosse ».

La limite du genre est qu’il enchaîne les scènes sans toujours réussir à les relier entre elles. La Femme de mon frère n’échappe pas à ce travers. Il l’accentue par la surenchère typiquement « dolanienne » (la réalisatrice Monia Chokri avait tourné sous la direction de Xavier Dolan dans Les Amours imaginaires) qu’il pratique. Sophia est dans une constante hystérie. Elle est souvent hilarante. Mais elle devient à la longue épuisante.

La bande-annonce

L’Ospite ★☆☆☆

Guido, la trentaine bien entamée, aimerait avoir un enfant. Mais Chiara, son amie, n’en veut pas. Pire, elle veut rompre avec Guido qui prend la porte. Il trouve à s’héberger chez ses parents qui forment un vieux couple acariâtre. Il passe beaucoup de temps avec ses amis. Dario vient de rencontrer Roberta, une séduisante cardiologue. Quant à Lucia, qui vit en couple avec Pietro et attend de lui un second enfant, elle confesse à Guido être amoureuse d’un autre homme.

L’Ospite (en français : « L’Invité ») choisit de traiter du thème rebattu de la crise de la trentaine d’un point de vue masculin. L’originalité n’est pas immense, si ce n’est que le héros, Guido, se retrouve, au début du film dans un état d’esprit qu’on prête plus souvent aux femmes de cet âge : le désir contrarié de p/maternité.

L’Ospite passe en revue les différentes stases de la crise de la quarantaine : Guido vit une rupture, Dario n’arrive pas à choisir entre les deux femmes qu’il aime, Lucia est déchirée entre le cœur et la raison. Tous sont plus ou moins indécis.

L’Ospite oscille entre plusieurs genres sans en choisir un. C’est une comédie pas vraiment drôle, une réflexion trop bavarde et pas très originale sur les vicissitudes de la vie amoureuse. À le voir, on aspirerait presque à avoir soixante ans pour connaître enfin la sérénité ronchonne que vivent les parents de Guido, le couple le plus aimant du film.

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Acusada ★★☆☆

Camila Nieves, une étudiante, a été sauvagement assassinée à son domicile au terme d’une soirée arrosée dans la banlieue aisée de Buenos Aires. Tout accuse Dolorès Dreier, sa meilleure amie, dont Camila venait de mettre en ligne sans son consentement une sextape sur les réseaux sociaux. Son procès va enfin se tenir après deux ans d’instruction qui ont tenu en haleine le pays et qui ont fait de la jeune femme une paria. Recluse chez elle, Dolorès peut néanmoins compter sur l’appui indéfectible de ses parents qui ont engagé le meilleur avocat du pays pour la défendre et une attachée de presse pour redorer son blason.

« Coupable ou innocente ? » Le sous-titre qui barre l’affiche française pourrait laisser penser que l’innocence ou la culpabilité de Dolorès constitue l’enjeu du film. Ce n’est qu’en partie le cas. Certes, le suspense est tendu par cette question irrésolue à laquelle l’intéressée oppose un silence buté : Dolorès a-t-elle oui ou non assassiné Camila ?

Le sous-titre qui barre l’affiche originale n’est guère plus approprié : « Todos occultamos algo » : nous avons tous quelque chose à cacher. Car le véritable intérêt du film n’est pas de savoir ce que Dolorès cache – et qui, une fois dévoilé, n’est ni très surprenant ni très convaincant. Il est dans la description des conséquences d’une enquête pénale sur l’accusée et son entourage.

Tel était tout récemment le sujet du film belge Une part d’ombre, hélas passé inaperçu. Dans ce film-là étaient auscultées les réactions des proches à l’annonce de la mise en examen de leur ami : si j’apprenais demain que mon ami est suspecté d’un crime, lui conserverais-je mon amitié ? Dans ce film-ci, la question n’est pas posée dans les mêmes termes. Les parents de Dolorès, son petit frère, son amie Flo croient irréductiblement dans son innocence. C’est pour eux un acte de foi qui leur permet de faire front à l’hostilité sourde de l’opinion publique qui a déjà jugé la jeune fille avant même l’ouverture de son procès.

Cette dimension occupe toute la première moitié du film dans les jours qui précèdent le procès. C’est la plus intéressante car la plus novatrice qui montre, par exemple, les difficultés de Dolorès de nouer une relation « normale » avec un garçon de son âge. La seconde partie est plus classique qui coïncide avec l’ouverture du procès. Le scénario s’égare dans une série de rebondissements qui font long feu. À force d’avoir vu des polars américains autrement bien ficelés, on attend le twist qui nous clouera à notre siège. Vaine et frustrante attente qui nous fait regretter qu’Acusada ne se soit pas concentré sur ce qui faisait son originalité.

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