Nous, le peuple ★★☆☆

Début 2018. Tandis que le projet de loi constitutionnelle est discuté au Parlement, trois groupes de citoyens réunis par l’association d’éducation populaire « Les Lucioles du Doc » – des prisonniers de Fleury-Mérogis, des lycéens de Sarcelles et des femmes de Villeneuve Saint-Georges – entreprennent de réécrire la Constitution française.

J’avais adoré les deux précédents documentaires de Claudine Bories et Patrice Chagnard : Les Arrivants (2010) sur l’accueil des demandeurs d’asile dans le vingtième arrondissement et Les Règles du jeu (2014) sur la réinsertion professionnelle de jeunes chômeurs dans le Nord-Pas-de-Calais.

Nous, le peuple s’inscrit dans la même veine. Il s’attache à des groupes sociaux défavorisés et les suit dans leur tentative de retrouver une voix. Il s’agit, comme les constituants à Philadelphie en 1776, comme les députés du Tiers État réunis dans la salle du Jeu de paume en 1789, de refonder la République. Cette revendication, on la sentait sourdre place de la République quelques mois plus tôt, dans des agoras qu’était allée filmer Maria Otero (L’Assemblée). On la retrouvera quelques mois plus tard sur les ronds-points occupés par les Gilets jaunes (J’veux du soleil).

Pendant six mois, on suit les ateliers animés par les deux bénévoles des Lucioles du Doc qui aident les participants de ces trois groupes à rédiger une Constitution et, pour communiquer entre eux, à réaliser de courtes vidéos. Le processus est laborieux. Le travail de groupe n’est pas toujours fluide. Mais l’objectif est atteint : permettre à des individus sans voix de recouvrer une parole.

Le problème est que cette parole, aussi sympathique soit-elle, ne sera pas entendue. Comment pourrait-elle l’être ? Il y a un gouffre infranchissable entre les travaux de ces hommes et de ces femmes (qui évoquent en vrac les violences policières, la mixité sociale et le droit à une seconde chance) et la réalité d’une réforme constitutionnelle telle qu’elle se débat au Parlement. Lorsque les groupes demandent à l’Assemblée nationale d’y présenter leurs conclusions, ils se heurtent à une fin de non-recevoir. La présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, leur adresse un courrier qui les blesse profondément. Ils se sentent humiliés, renvoyés à leur insignifiance et à leur invisibilité.

Ce courrier, qu’avait rédigé un fonctionnaire parlementaire et que la députée a à peine lu avant de le signer, comme elle a signé probablement des dizaines de courriers similaires pour refuser les demandes identiques reçues d’une foultitude d’associations de France et de Navarre qui lui demandaient de soutenir la « kermesse de la démocratie » à Chef-Boutonne ou le voyage scolaire des Terminales B de Saint Jean Pied de Port au Palais-Bourbon, n’a pourtant rien d’outrageant. On en voit dans l’administration de semblables chaque jour, soit qu’on les signe soi-même, soit qu’on les prépare pour son supérieur hiérarchique. Ces courriers répondent (car il est une règle dans l’administration de répondre à tous les courriers) à une requête embarrassante. On ne veut pas, on ne peut pas l’accueillir ; mais on ne veut pas non plus insulter son auteur. On enrobe son refus dans beaucoup d’hypocrisie : « votre initiative est extrêmement stimulante… mais vraiment… les caisses sont vides et nous n’avons pas l’argent pour la soutenir ».

Nous, le peuple est construit sur un malentendu. On pourrait, en se payant de mots, le considérer comme la radioscopie d’une démocratie en crise. On pourrait plus modestement, pour marcher sur les pas de Frederick Wiseman, y voir le portrait de quelques oubliés de la République. Il ne s’agit en fait que de filmer une démarche maladroite, condamnée d’avance et qui se clôturera par une lettre d’une page.

La bande-annonce

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