It Must Be Heaven ★★☆☆

Comme dans ses précédents films (Intervention divine, Le Temps qui reste), Elia Suleiman se met en scène, spectateur silencieux et pince-sans-rire des dérives absurdes de notre monde. On le suit cette fois-ci en train d’écrire son prochain film et d’essayer d’en boucler le financement sur trois continents : d’abord à Nazareth, ensuite à Paris, enfin à New York.

On peut bien sûr, aimer la poésie d’Elia Suleiman, la façon à la fois tendre et mordante qu’il a de croquer le monde qui nous entoure, par exemple dans sa peinture de la capitale française, vidée de ses habitants et de ses touristes par la paranoïa sécuritaire qui la gagne. On peut saluer l’élégance avec laquelle il mène sa charge pour la reconnaissance de la Palestine, où ses pas le ramènent à la fin du film, tel Ulysse à la fin d’un long voyage. On peut s’attacher aux pas de ce héros silencieux, qui rappelle immanquablement les stars tristes du cinéma muet, et partager sa colère rentrée contre toutes les absurdités du monde : la désinvolture de ce voisin envahissant qui vient sans autorisation cueillir des citrons dans le jardin de la maison familiale de Nazareth (métaphore à peine voilée de l’occupation israélienne), l’attitude de ce producteur français (interprété par Vincent Maraval himself) qui rejette le projet du réalisateur au motif qu’il n’est pas « assez palestinien », le cauchemar d’une société américaine surarmée où les clients d’une supérette feraient leurs courses l’arme au poing….

Mais on peut aussi trouver le procédé un peu répétitif d’enchaîner les saynètes – dont les plus réussies ont déjà été diffusées en boucle avec la bande annonce – sur le même format. Aucune ne fait franchement rire – sauf à trouver drôle une bénévole du Samu qui porte assistance à un SDF parisien en lui servant un plateau repas avec les mêmes tics qu’une hôtesse de l’air. Certaines sont franchement ratées – Vincent Maraval est certainement un producteur inspiré mais c’est un acteur calamiteux – et tournent vite au cliché – fallait-il organiser un (long) défilé de mannequins rue Montorgeuil pour encenser la beauté des Parisiennes ?

S’il faut reconnaître à Elia Suleiman le talent d’avoir inventé son personnage, burlesque et poétique, le procédé a ses limites. Avec It must be heaven, elles ont été atteintes.

La bande-annonce

2 commentaires sur “It Must Be Heaven ★★☆☆

  1. Bonsoir,

    Pour être franche, je pense que la limite du film est qu’il s’adresse aux Palestiniens, ou à ceux qui les connaissent suffisamment pour comprendre les clins d’oeil qui le jalonnent, un peu à la manière d’une private joke, comme la scène de la militante BDS poursuivie par les policiers. La scène des citrons que vous voyez comme une « métaphore à peine voilée » de l’occupation israélienne, apparaît pour moi comme la métaphore des divisions internes (le voisin étant un palestinien également) et de l’impossibilité de s’unir face à l’usurpation originelle.
    Je suis assez d’accord sur le fait que d’un point de vue extérieur, le procédé burlesque devient répétitif.
    Mais j’ai franchement ri, pour avoir vécu cette scène de mille autres manières, quand le chauffeur de taxi new-yorkais n’arrive pas à croire qu’il a embarqué un Palestinien, et qu’il appelle sa femme. Cette sensation d’être un ovni, ou un spécimen d’une espèce en voie de disparition est magnifiquement restituée en quelques secondes. Les Palestiniens, ou fils de palestinien, ou petit-fils ou arrière petit-fils de palestinien vivent ces scènes sans cesse, pour peu qu’ils disent leurs origines. Parfois pour avoir la paix, je dis que je suis fille de libanais et je ne suscite plus du tout la même curiosité (malsaine).
    Quant aux belles femmes à Paris, le réalisateur a là encore fait un clin d’oeil: parmi elles, sa propre compagne libanaise, la superbe Yasmine Hamdan.
    Je pense que ce film est une épisode de la filmographie de Suleiman: il a commencé par filmer le Palestinien, étranger dans son propre pays devenu Israël (Chronique d’une disparition), puis en Cisjordanie – des Palestiniens en prise avec l’armée d’occupation (Intervention divine, où le grand Michel Piccoli est un Père-Noël devenu culte) et avec ce film, le Palestinien en exil interminable, qui pense pouvoir oublier mais qui est sans cesse ramené à son identité.
    Parmi les films palestiniens récents, je vous conseille « Paradise Now », « Omar », ou encore « 3000 nuits ».

  2. Ping Dirty, Difficult, Dangerous ★☆☆☆ | Un film, un jour

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