Mrs. America ★★★☆

Mère de six enfants, épouse d’un notable de l’Illinois, Phyllis Schlafly a milité de tous temps dans les rangs des Républicains se présentant sans succès à trois reprises, en 1952, en 1960 et en 1970 aux élections à la Chambre. Spécialiste des questions de défense, anticommuniste chevronnée, c’est sur un tout autre terrain qu’elle deviendra célèbre dans les années soixante-dix : l’anti-féminisme. Mrs. America raconte le combat qu’elle mènera, face aux grandes figures féministes de l’époque, contre l’Equal Rights Amendment, un projet d’amendement constitutionnel reconnaissant l’égalité des sexes.

Diffusée depuis le 16 avril sur Canal plus, la mini-série Mrs America s’est achevée avant-hier avec son neuvième épisode. Une belle brochette de stars y raconte une page du féminisme américain mal connue de ce côté-ci de l’Atlantique : les années soixante-dix, coincées entre le libéralisme de la décennie précédente et le retour en force du conservatisme durant la décennie suivante. L’époque est marquée par une cause : la ratification de l’ERA votée par le Congrès en 1972 mais qui nécessite l’approbation des trois quarts des États fédérés américains pour entrer en vigueur.

Le combat se déroule entre deux camps que tout oppose. D’un côté, Phyllis Schlafly, impeccablement interprétée par la souveraine Cate Blanchett, sa mise en pli impeccable, ses tailleurs et ses lavallières collet-monté, et sa cohorte de petites mains gloussantes qui la secondent indéfectiblement dans son arrière-cuisine où elles confectionnent un bulletin qu’elles postent à tous ses supporters. De l’autre, les féministes new yorkaises et washingtoniennes, terriblement tendance (ah ! les lunettes Aviator de Rose Byrne !), que les combats des années soixante ont rodées aux manoeuvres politiciennes.

Les deux camps ne sont pourtant pas si monolithiques qu’il n’y paraît. Et l’avantage de cette série de près de neuf heures est le temps qu’elle prend à en décrire les dissensions internes.
Du côté de Phyllis Schlafly, le personnage joué par l’excellente Sarah Paulson incarne les contradictions de l’anti-féminisme : cette femme au foyer découvre dans l’engagement militant l’ivresse des responsabilités et d’une autonomie qu’elle refuse paradoxalement autres.
De l’autre côté, c’est la diversité, pas toujours facile à coaliser, qui prévaut avec « l’intersectionnalité » des luttes féministes, noire et lesbienne. D’ailleurs ce camp-là n’a pas, contrairement à l’autre, une seule figure de proue, mais plusieurs qui ont chacune leur épisode : Gloria Steinem (Rose Byrne), l’éditrice en chef de la revue féministe Ms., Shirley Chisholm (Uzo Aduba), afro-américaine candidate malheureuse à l’investiture républicaine en 1972, Betty Friedan (Tracey Ullman) , féministe vieillissante dont la célébrité acquise une décennie plus tôt avec la publication de son livre-manifeste The Feminine Mystique s’étiole, Bella Abzug (Margo Martindale), qui préside sous Carter la Convention nationale des femmes avant d’en être brutalement évincée.

L’Histoire ainsi racontée a une résonance particulière avec notre époque. Elle permet de mesurer les progrès accomplis depuis quarante ans pour la promotion des droits des femmes. Mais elle donne à réfléchir aussi sur leur fragilité.

La série a néanmoins un défaut structurel. Elle ne tient pas le plateau égal entre les deux camps. Comment d’ailleurs le pourrait-elle ? Notre cœur et notre raison penchent sans hésitation en faveur des féministes tant les thèses défendues par le camp de Phyllis Schlafly nous révulsent.

Sa conclusion dans son dernier épisode est un modèle d’ambiguïté. Ronald Reagan, après avoir emporté la primaire républicaine à la surprise générale, écrase Jimmy Carter, inaugurant une révolution conservatrice aux accents étonnamment trumpiens. Mais Phyllis Schlafly, jugée trop clivante, est écartée des responsabilités auxquelles elle aspirait (elle se voyait ambassadrice à l’ONU ou secrétaire à la Défense). Le dernier plan la surprend dans sa cuisine, seule, pelant des pommes pour le dîner familial sempiternellement servi à dix-huit heures. Glaçant.

La bande-annonce

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *