5ème set ★★★☆

Thomas Edison (Alex Lutz) a été un jeune prodige du tennis plein d’avenir comme ce sport en connut tant. Mais après avoir échoué d’un cheveu à se qualifier en finale de Roland-Garros en 2001, il a plongé dans les profondeurs du classement ATP. Aujourd’hui, à près de trente-huit ans, marié à Ève (Ana Girardot), une ex-championne de tennis elle aussi, père d’un petit garçon, il vivote grâce à quelques maigres cachets et quelques cours particuliers.
Malgré son âge, il n’a pas renoncé à la compétition. Le tournoi de Roland Garros 2019 lui donnera peut-être l’occasion d’un ultime baroud d’honneur. Mais, il lui faut d’abord franchir les trois tours des qualifications avant d’affronter une jeune gloire montante du tennis français, Damien Thosso.

Le tennis est un sport extrêmement télégénique. Qui n’a pas passé des heures cloué devant son poste à regarder une finale de Grand Chelem ? Pourtant, les films sur le tennis sont rares : Borg/McEnroe raconte la rivalité qui opposa les deux stars au jeu si dissemblable et qui culmina lors de la finale de Wimbledon de 1980, Battle of the Sexes évoque, autour de la figure de Billie Jean King (interprétée par Emma Stone), le tennis féminin des 70ies et sa quête laborieuse de légitimité. On peut rajouter à cette liste bien courte deux documentaires récents : L’Empire de la perfection en 2018 et Guillermo Vilas : Un classement contesté en 2020.

Ce que réussit à merveille 5ème set est précisément de recréer l’ambiance électrique qui entoure une balle de match, le silence autour du court, la fébrilité anxieuse qui précède le point décisif. On tremble devant ce film, comme on tremble devant un match, les paumes moites de l’adrénaline qu’il déclenche. Le jeune réalisateur Quentin Reynaud sait y faire : il fut lui-même un bon joueur de club avant d’abandonner sa carrière sur blessure. Il place sa caméra sur le cours, juste derrière l’épaule des joueurs, nous donnant des angles de vue que les retransmissions classiques n’offrent pas. Le jeu y devient plus rapide, plus physique, plus âpre : les balles fusent, la terre battue gicle, les joueurs ahanent…

Le film est porté à bout de bras par Alex Lutz. On connaissait son immense talent depuis sa composition dans Guy qui lui valut en 2018 le César du meilleur acteur. Il n’avait jamais touché une raquette de tennis avant ce film et nous donne l’impression étonnante de posséder un niveau professionnel (trucage ? angle de caméra ?). Face à sa femme, face à sa mère, il incarne l’obstination têtue du sportif en fin de carrière qui n’accepte pas de raccrocher.

Le film se termine sur un plan surprenant. Comment l’interprétez-vous ?

La bande-annonce

Sans un bruit 2 ★★☆☆

Qu’est-il arrivé de la famille Abbot après l’accouchement de Evelyn et la mort de Lee ?

J’avais mis quatre étoiles à Sans un bruit. Je l’avais même élu meilleur film de l’année 2018 – une année, il est vrai, marquée par l’absence de chefs d’œuvres inoubliables (comment pouvait-on imaginer arriver à la cheville de La La Land sorti l’année précédente ?!). J’en avais fait une critique dithyrambique. J’y résumais ainsi son intrigue : dans un monde apocalyptique dévasté par des monstres hyperaccousiques, une famille parvient à survivre en étouffant tous ses bruits. J’y expliquais ce qui m’avait tant plu : l’intelligence d’un scénario sans temps mort.

Sans un bruit avait eu un tel succès qu’une suite était inévitable. Jadis, les suites étaient paresseusement numérotées 1, 2, 3…. puis la mode a changé et les producteurs imaginent de multiples déclinaisons (les Mission impossible 4, 5 et 6 ont pour titre Protocole Nation, Rogue Nation et Fallout). Ceux de ce Sans un bruit 2 semblent avoir renoué avec les vieilles habitudes.

Cette suite fut immédiatement mise en chantier. Le tournage en fut bouclé dès l’été 2019 et la sortie mondiale aurait dû avoir lieu en mars 2020. Mais la pandémie la repoussa. Vous en souvenez-vous ? Pendant trois mois, les bus parisiens ont circulé, aux trois quarts vides, les flancs estampillés de son affiche. C’est seulement quinze mois plus tard que ce film tant attendu trouve enfin le chemin des salles.

Aussi grand que fut le plaisir pris au premier tome et qu’est celui de retrouver des personnages et des situations qu’on a particulièrement aimés, cette suite déçoit. On la regarde sans parvenir à s’ôter de l’idée qu’elle n’était pas indispensable et qu’elle n’aurait pas été tournée sans les 340 millions de recettes engrangées par Sans un bruit. Le film, qui se terminait par la mort de son personnage principal n’appelait d’ailleurs pas de suite. John Krasisinki, qui l’interprétait, et qui signe aussi la réalisation, s’est donc effacé au profit de Cillian Murphy – le héros au regard magnétique de Peaky Blinders – dont un long flashback, qui recycle quelques plans du premier film, doit expliquer le statut. Il s’impose en père de substitution à Regan (Millicent Simmonds), la fille malentendante du couple dont l’implant cochléaire et les ultrasons qu’il émet mettent en déroute les créatures.

Il serait injuste de trouver à redire à ce film dont quelques scènes épiques nous clouent à notre fauteuil. Pour autant, l’effet de surprise est dissipé et le plaisir pris à la découverte de Sans un bruit a disparu.

La bande-annonce

Seize printemps ★★★☆

Suzanne a seize ans et Suzanne s’ennuie. Elle vit à Paris avec ses parents et sa sœur cadette dans un appartement cossu d’un immeuble bourgeois sur la butte Montmartre. De ses camarades, elle ne partage ni les joies ni les peines.
Son cœur s’emballe en croisant, sur le chemin du lycée, devant le théâtre de l’Athénée, un acteur. Arnaud a le double de son âge. Entre la jeune fille et le bel acteur, le coup de foudre est immédiat et réciproque.

Il y a deux façons de critiquer le premier film de Suzanne Lindon. Une très méchante et l’autre très gentille.

La très méchante se moquera du sujet archi-rebattu de ce film. Les émois d’une jeune fille en fleurs ont en effet déjà été filmés sous toutes les coutures : Bonjour tristesse (Suzanne partage avec Cécile, l’héroïne du roman de Sagan adapté par Preminger, une maturité curieuse), La Boum (elle est comme Vic une adolescente rieuse élevée dans un milieu aimant), Diabolo menthe (Suzanne consomme avec un charme désuet des diabolos grenadine), À nos amours (Dominique Besnehard, qui joue un second rôle dans Seize printemps, y faisait ses débuts d’acteur et Suzanne en conserve dans sa chambre un poster), L’Effrontée (avec Charlotte Gainsbourg, une autre enfant de stars)… la liste est longue et cette généalogie pesante à qui prétendrait y ajouter sa trace.

Le critique malveillant évoquera une autre généalogie : celle de la réalisatrice, fille de Vincent Lindon et de Sandrine Kimberlain, dont elle a hérité de la silhouette interminable et de la démarche girafique. Son film aurait-il pu être financé, tourné, sélectionné à Cannes en 2020, distribué en salles, si quelques bonnes fées ne s’étaient pas penchées sur son berceau, s’interrogera-t-il fielleusement. Et le critique malveillant de pointer, au surplus, le contrat qui unit la jeune actrice-réalisatrice à Chanel dont elle porte avec une élégante décontraction les dernières créations streetwear.

Le critique bienveillant avait bien sûr cette généalogie en tête en entrant dans la salle. Mais il ne l’a pas laissé hypothéquer l’opinion qu’il était en train de se faire du film qu’il regardait. Bien sûr, s’il avait été raté, il en aurait fait un argument à charge supplémentaire pour l’assassiner. Mais, que diable ! On a le droit d’être fils ou fille de stars ET d’avoir du talent !

Tel est le cas de Suzanne Lindon dont le film m’a touché.
Certes, son sujet n’est guère innovant sinon passablement casse-gueule. mais la façon dont elle le traite est juste et sensible.
Il n’y a rien de gras dans ce film de soixante-quatorze minutes à peine. Aucun rebond dramatique, aucune tension familiale. On est loin de Pialat et de ses hystéries à huis clos. Car Suzanne est une fille équilibrée. Elle entretient avec ses parents une relation confiante et complice. Elle sort de l’enfance et vit ses premiers émois amoureux avec un mélange terriblement contemporain d’ingénuité et de maturité.
Suzanne Lindon se concentre sur son sujet et le traite sans s’en écarter, au risque assumé de l’insignifiance. Elle le fait en usant d’un artifice charmant : celui de la comédie musicale avec l’insertion de trois chorégraphies très réussies. Seule ou en duo, Suzanne Lindon y danse sur la musique de Christophe ou de celle, bouleversante, du Stabat Mater de Vivaldi. C’est encore elle qu’on entend chanter le générique de fin sur une musique originale de Vincent Delerm.

Rempli de préjugés en rentrant dans la salle, j’en suis ressorti charmé et transporté par la grâce de ce film touchant qui a ressuscité le vert paradis de mes amours enfantines.

La bande-annonce

Médecin de nuit ★★★☆

Mikaël (Vincent Macaigne) est médecin de nuit à Paris. Chaque nuit, à bord de sa Volvo hors d’âge, sa lourde sacoche vissée au bras, il sillonne les rues de Paris pour soigner les malades et apaiser les crises d’angoisse.
Mais Mikaël est un homme divisé, moins lisse qu’il n’y paraît. S’il chérit ses deux fillettes et reste attaché à Sacha, leur mère (Sarah Le Picard), il entretient une liaison fusionnelle avec Sofia (Sara Giraudeau), une jeune doctorante en pharmacie dont son bouillonnant cousin Dimitri (Pio Marmaï), avec qui Mikaël a grandi, va pourtant demander la main.
Plus grave : à la demande de Dimitri, Mikaël a accepté de participer à un trafic de fausses ordonnances qui risque de mal tourner.
Une nuit vient où Mikaël, sentant la catastrophe approcher, décide de remettre de l’ordre dans sa vie.

Elie Wajeman est un jeune réalisateur français que j’ai eu la chance d’écouter brillamment présenter son film. Médecin de nuit est sa troisième réalisation après Alyah en 2012 (où Pio Marmaï – déjà – interprétait un personnage qui, comme Vincent Macaigne devait, l’espace d’une nuit, trancher un choix cornélien) et Les Anarchistes en 2015. L’intelligence avec laquelle il en parle, les détails qu’il fournit sur son inspiration et sur les questions qu’il s’est posées durant le tournage et la façon dont il y a répondu, m’ont conduit à reconsidérer mon opinion sur un film auquel je n’aurais peut-être pas spontanément accordé trois étoiles.

Elie Wajeman reconnaît volontiers les dettes nombreuses que son cinéma a contractées. Des dettes à l’égard du cinéma noir américain du Nouvel Hollywood : Mean Streets de Martin Scorsese, La nuit nous appartient de James Gray. Mais des dettes aussi à un cinéma français plus ancien : celui qui, dans les années cinquante, filmait Pigalle et sa pègre (Touchez pas au grisbi de Jacques Becker, Du rififi chez les hommes de Jules Dassin, Bob le flambeur de Jean-Pierre Melville). À ce cinéma, il a emprunté ses galeries de personnages archétypaux, ses ambiances nocturnes, son unité de temps et son sens du tragique.

Le cinéma de Elie Wajeman n’en demeure pas moins profondément contemporain. C’est, avec un amour palpable, le Paris du dix-neuvième arrondissement qu’il filme, ses longues avenues sans âmes qui scintillent sous la pluie froide d’un hiver rigoureux, sa faune interlope.

Le film est porté à bout de bras par Vincent Macaigne. Elie Wajeman raconte qu’il avait été écrit pour un autre acteur – dont il ne dévoile pas le nom. On peine à le croire tant son interprète s’est glissé à la perfection dans le rôle.
On le connaissait pour ses interprétations, un brin répétitives, de quarantenaires barbus et gentiment paumés, dans des comédies françaises d’avant-garde, plus ou moins réussies.
Son potentiel dramatique éclate avec ce film noir, minéral, sans humour. Il joue, avec une subtilité qu’on ne lui imaginait pas, un personnage sur la brèche, hésitant face à plusieurs choix, professionnels et familiaux. Le scénario laisse ouvert plusieurs perspectives. Sa conclusion est un modèle du genre, offrant l’occasion de débats enflammés à la sortie de la salle. On a demandé à Elie Wajeman le sens de ce dernier plan. Il nous a répondu. Sa réponse en mp…..

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Les 2 Alfred ★★★☆

Alexandre (Denis Podalydès) est un has been. La cinquantaine bien entamée, les comptes dans le rouge, il élève seul ses deux enfants en bas âge depuis que sa femme, sous-marinière, l’a quitté. Ouvrier typographe, il n’a pas les compétences qu’un marché du travail de plus en plus compétitif, recherche. Sur un malentendu, The Box, une start-up, l’embauche. Mais il est à craindre que le malheureux Alexandre ne résiste pas longtemps aux méthodes managériales ultra-modernes de Aymeric (Yann Frisch), son patron, et de Séverine (Sandrine Kiberlain), sa supérieure hiérarchique. D’autant que la start-up interdit à ses salariés – en flagrante violation du Code du travail – d’avoir des enfants. C’est sans compter sur la rencontre providentielle que fait Alexandre, à la crèche de son cadet, de Arcimboldo (Bruno Podalydès), roi de la débrouille.

J’ai eu la dent dure, la semaine passée avec quelques films auxquels j’ai reproché d’être « vieillots », tournés par des réalisateurs essorés avec des acteurs qu’on a trop vus. Spontanément, sans en rien connaître, c’est typiquement le genre de reproche qu’on pourrait adresser au neuvième film écrit et réalisé par Bruno Podalydès, soixante ans tout rond, qui, comme dans tous les autres, offre à son frère cadet la tête d’affiche et à Michel Vuillermoz et Isabelle Candelier, ses amis de toujours, des rôles secondaires

Un film écrit et réalisé par Denis Podalydès, avec Bruno et Denis Podalydès et Sandrine Kiberlain ?! Quel ennui ! D’ailleurs la foule qui s’est pressée à son avant-première dimanche est grisonnante – pour ceux des spectateurs qui ont encore des cheveux.
Eh bien non !! (en fait si : les spectateurs étaient vraiment aussi vieux que je le dis)

Les 2 Alfred réussit à nous surprendre par une légèreté qu’on n’escomptait pas. Pourtant, le cinéma des frères Podalydès se caractérise précisément par une fantaisie, une légèreté qu’ils parviennent à renouveler de film en film. J’avoue que je l’ai souvent trouvé un peu futile :  Bécassine ! ou Comme un avion m’avaient laissé un goût d’inachevé.
Mais Les 2 Alfred m’a transporté au point que j’ai hésité à lui attribuer le graal des quatre étoiles.

J’y ai vu d’abord une critique assez efficace des tics de notre société, de son jeunisme, de ses modes de management faussement cools.
J’y ai souri, souvent, à des situations ironiques qui sans déclencher le fou rire de certaines comédies françaises (je pense au Discours par exemple) fonctionnent par leur intelligence et leur drôlerie.
Et enfin, j’ai été submergé par la bienveillance et la gentillesse de ce cinéma. Le feel-good-movie est un genre qui, souvent, à force de sucreries mielleuses et de situations tire-larmistes, suscite le malaise. On en est loin avec ces 2 Alfred qui, sans l’ombre de la moindre démagogie, réussit tout simplement à nous faire sentir bien. Merci 🙂

La bande-annonce

The Last Hillbilly ☆☆☆☆

Le couple de documentaristes français Thomas Jenkoe et Diane-Sara Bouzgarrou est allé filmer au cœur des Appalaches, le dernier des « hillbillies ». L’idiotisme signifie « plouc », bouseux ». Pour les Américains, et pour le reste du monde depuis Delivrance de Boorman, les habitants de ces montagnes reculées sont des rednecks, des péquenauds arriérés, des dégénérés consanguins et analphabètes, racistes et trumpistes. L’injure a été reprise à son compte par Brian Ritchie, le héros de ce documentaire, qui retourne les stéréotypes dont sa communauté est affublée. Il explique son histoire. Il décrit sa géographie.

Ainsi présenté, The Last Hillbilly a l’air passionnant.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis allé le voir, la semaine de sa sortie, malgré un agenda très embouteillé.
Mais quels ne furent ma déception et mon ennui devant le résultat : une longue élégie nébuleuse, qui refuse le 16:9 que les paysages grandioses des Appalaches auraient pourtant mérité (les auteurs s’en justifient en expliquant qu’ils ont voulu « casser les codes »), qui colle aux pas de son héros frappadingue qui déclame des strophes hallucinées en regardant le soleil se coucher ou qui, dans une scène malaisante, tente de transmettre ses valeurs à ses enfants sous emprise.
The Last Hillbilly ne dure qu’une heure et vingt minutes ; et j’ai pourtant trouvé le temps bien long.

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Le Discours ★★★☆

Adrien (Benjamin Lavernhe), la trentaine, passe la soirée chez ses parents. Il écoute, navré, la conversation qui roule entre son beau-frère qui pérore (Kyan Khojandi), sa sœur qui opine à tout (Julia Piaton), son père qui répète ad nauseam les mêmes histoires (François Morel) et sa mère qui s’apprête à servir son sempiternel gâteau au yaourt (Guilaine Londez que je m’entête à confondre avec Ariane Ascaride).
Mais Adrien a la tête ailleurs. À 17h24 il a envoyé un SMS à Sonia, son amoureuse (Sara Giraudeau) qui, depuis trente-huit jours, a suspendu leur relation. Miné par l’attente impatiente de sa réponse, Adrien prête une oreille distraite à la discussion générale et laisse son esprit vagabonder. Cerise sur le gâteau : son beau-frère et sa sœur lui demandent de faire un discours à leur mariage.

Le célèbre bédéiste Fabcaro, auteur de Zaï, zaï, zaï, zaï, a magistralement réussi son passage au roman en 2018. Le succès du Discours fut immédiat. En tête des ventes de romans, et bientôt en tête de celle des poches, ce court monologue dans l’air du temps trouvait immédiatement son public. Les déboires d’Adrien, la drôlerie avec laquelle ils étaient racontés suscitaient le rire et l’émotion d’un vaste lectorat qui en redemandait et allait accueillir, deux ans plus tard, avec autant de gourmandise, Broadway, le roman suivant de Fabrice Caro.

Laurent Tirard ne courait pas grand risque en prenant les rênes de son adaptation. Le réalisateur du Petit Nicolas (et de sa suite dispensable), abonné aux succès grand public, a sagement choisi de rester fidèle au roman. Il ne s’en éloigne pas d’une ligne. Il adopte dès la première scène, volontiers brechtienne, les codes du one man show. Il a eu le nez creux de confier le rôle principal à Benjamin Lavernhe, sociétaire surdoué de la Comédie-Française, qu’on a déjà souvent vu à l’écran, dans Le Sens de la fête ou Antoinette dans les Cévennes, et qui explose en tête d’affiche. Cette fidélité constitue-t-elle la principale qualité ou le plus gros handicap de ce film ?

Un esprit primaire comme le mien déroule un syllogisme en apparence implacable :
1. Le Discours est un très bon livre
2. Le film est son adaptation fidèle
Donc 3. Le film ne peut qu’être réussi
Mais un esprit beaucoup plus subtil pourrait, non sans motifs, contester ce syllogisme sans même en remettre en cause les deux prémisses. Quel intérêt, soutiendra-t-il, y a-t-il à adapter à la lettre un livre réussi ? Où est la valeur ajoutée ? Aucun effet de surprise pour ceux qui ont lu le livre et qui anticipent chaque scène dont ils connaissent par avance la chute (ainsi, pour la plus drôle à mon sens, de « l’arbre à souhaits »). Quant à ceux qui ne l’ont pas lu, il faudrait plutôt leur conseiller d’aller voir le livre – et d’aider les librairies, commerces ô combien essentiels dont on a trop protesté de la fermeture inique pour les bouder une fois qu’elles sont rouvertes – que d’en voir le duplicata au cinéma.

Mon esprit primaire concède volontiers ce point à cet esprit subtil.
Pour autant, j’ai pris autant de plaisir à la lecture du livre qu’au visionnage du film. J’ai (beaucoup) ri ; j’ai (souvent) souri ; j’ai (toujours) été touché. Et qui hésiterait encore à la dernière seconde du film se laissera définitivement emporter par le tube italien des 80ies Sarà perché ti amo qui accompagne le générique. Si vous ne vous en souvenez pas, you-tubez le subito…. il ensoleillera votre journée !

La bande-annonce

17 Blocks ★★★☆

En 1999, le jeune documentariste Davy Rothbart rencontre sur un terrain de basket de Washington Smurf Sanford, quinze ans, et son petit frère, Emmanuel, neuf ans à peine. Il fait bientôt la connaissance de Cheryl, leur mère, et de Denice, leur sœur, filme la famille, prête à Emmanuel un caméscope et le laisse filmer à son tour quelques images. Pendant vingt ans, avec de longues ellipses, Davy Rothbart gardera le contact avec les Sanford. Des mille heures de rush qu’il a accumulés, il a tiré 17 Blocks.

17 blocs d’immeubles : c’est la distance qui sépare le Capitole, siège du Congrès américain, de ce terrain de basket où Davy Rothbart rencontre Smurf et Emmanuel. Washington est une ville profondément ségrégée. À l’ouest les immeubles fédéraux : le Capitole, la Maison-Blanche, les bâtiments de l’administration ; à l’est, une ville noire et pauvre où la violence fait rage. La frontière passait jadis en face du Capitole. Gentryfication aidant, elle recule lentement mais n’a pas disparu.

Sur le modèle de Boyhood – mon film préféré en 2014 – ou d’Adolescentes, 17 Blocks tente le pari réussi de la longue durée, filmant sur près de vingt ans l’évolution des membres d’une famille. Sacré pari artistique dans lequel Davy Rothbart s’est lancé sans savoir sur quoi il déboucherait !

Son documentaire au long cours a-t-il pour sujet une famille afro-amérciaine exemplaire ? On l’ignore faute de contextualisation. Toujours est-il que son histoire n’est pas gaie. La mère, Cheryl, élève seule, ses trois enfants. Éduquée dans la classe moyenne, elle n’a jamais réalisé ses rêves de jeune fille (elle espérait devenir actrice ou mannequin) et, cause ou conséquence ? a sombré dans la drogue. Smurf le fils aîné a très tôt abandonné l’école pour dealer. Denice la cadette est mieux socialisée, même si elle doit élever seule Justin et Faith, les deux enfants qu’elle a eus d’un père aux abonnés absents. C’est Emmanuel qui semblait le plus équilibré de la famille. Bon élève, le bac en poche, aspirant à devenir sapeur-pompier, fiancé à Carmen, il est tué en 2009 par deux voyous qui venaient demander des comptes à son frère aîné. Le drame jette une ombre ineffaçable sur la vie des Sanford.

La multiplication des avanies qui s’abattent sur chacun des membres de cette famille est bien lourde. Dans une oeuvre de fiction, on la jugerait volontiers artificielle voire plombante. Mais la vie des Sanford est hélas bien réelle. Dans un mouvement de balancier typiquement américain et marqué par un optimisme indécrottable, la suite de 17 Blocks montrera comment ce drame, loin de détruire cette famille, va au contraire la ressouder, l’obliger à un sursaut salvateur : Cheryl entreprend avec succès une cure de désintoxication, Smurf évite de justesse une lourde peine contre la promesse de se réinsérer, Denice trouve un emploi dans la police. Là encore, une rédemption aussi vertueuse sonnerait faux dans un film. On la jugerait outrée, caricaturale. Mais telle est la vie des Sanford que Davy Rothbart veut nous montrer en exemple.

L’affiche du film annonce prétentieusement : « Un portrait de l’Amérique de Bush à Trump ». La promesse est ambitieuse. Elle n’est pas tenue. 17 Blocks ne fait pas le portrait de l’Amérique. Elle raconte l’histoire d’une famille afro-américaine résiliente. Et c’est déjà beaucoup.

La bande-annonce

200 mètres ★★☆☆

200 mètres, c’est l’espace qui sépare la maison de Mustafa à Tulkarm en Cisjordanie de l’appartement où vivent sa femme et ses trois enfants, de l’autre côté du mur, en Israël. Chaque jour, Mustafa le franchit pour aller travailler en Israël, supportant sans broncher la longue attente aux checkpoints et les procédures humiliantes de sécurité. Mais chaque nuit, il en est réduit à faire clignoter le lampadaire de sa terrasse pour communiquer avec sa famille.
Cette routine épuisante connaît toutefois un loupé le jour où le fils aîné de Mustafa est gravement accidenté côté israélien. Faute d’avoir fait renouveler à temps ses papiers, Mustafa est bloqué au checkpoint. Pour rejoindre sa famille, il doit se résoudre à solliciter l’aide de passeurs. Avec trois autres passagers, le voici entraîné dans un voyage dangereux dont il aurait volontiers fait l’économie.

La frontière est un lieu éminemment cinématographique. Les VIIèmes rencontres Droit et cinéma de La Rochelle en juin 2014 lui consacraient d’ailleurs un séminaire. On y montrait que leur franchissement et la tension dramatique qu’il provoquait avait de tous temps intéressé les réalisateurs. Pendant la Guerre froide, on filmait le Mur de Berlin. Depuis 1989, on en filme d’autres : le mur, autour de Ceuta, qui défend l’Europe de Schengen et où se pressent des immigrés africains (Loin, Goodbye Morocco, Roads), la frontière américano-mexicaine (Savages, Sicario, Desierto) et enfin le mur érigé depuis 2002 entre Israël et la Palestine. Amos Gitaï l’évoque dans deux de ses films : Promised Land en 2004 et Free Zone en 2005. Eli Suleiman, avec son humour pince sans rire reconnaissable au premier coup d’oeil, en fait le personnage principal de Intervention divine en 2002.

C’est sur ce très riche terreau que repose le premier film du jeune Ameen Nayfeh qui s’est nourri des mille et une anecdotes tragi-comiques que vivent les populations limitrophes du mur pour en construire l’intrigue. Telle est la direction que semble d’ailleurs prendre 200 mètres dans son premier tiers : la chronique douce-amère de la vie au pied du mur vécue par une famille palestinienne qui n’arrive pas à choisir le côté où s’installer. Mais le film connaît ensuite une brusque bifurcation qui en altère le sens. Son tempo s’accélère. La chronique familiale se mue en thriller mettant en scène Mustafa et ses compagnons de voyage (un jeune Palestinien qui veut aller s’employer en Israël, une documentariste allemande qui ne joue peut-être pas franc-jeu, son guide arabe qui souhaite se rendre au mariage d’un cousin) qui tentent, à leurs risques et périls, de franchir le mur en fraude.

Ce mélange des genres est revendiqué par le réalisateur dans son dossier de presse. Il n’en constitue pas moins pour autant, à mes yeux, une faiblesse. J’aurais préféré que 200 mètres reste sur le premier registre, ou alors se déroule entièrement, depuis ses toutes premières minutes, sur le second. On a un peu l’impression que les deux sujets étant intéressants, Ameen Nayfeh n’a pas réussi à choisir lequel sacrifier. Le thriller multiplie les incohérences et, plus grave, se termine en queue de poisson. Qu’a-t-on appris à la fin de 200 mètres qu’on ne savait déjà ? Que le mur dresse un obstacle absurde entre deux peuples. Soit….

La bande-annonce

Playlist ★☆☆☆

Sophie (Sara Forestier) a vingt-huit ans, une amie-pour-la-vie (Laetitia Dosch) et pas mal de soucis. Elle a un solide coup de crayon mais n’a pas fait les Beaux-Arts. Faute de mieux, elle cumule un boulot de serveuse dans un restaurant et d’attachée de presse dans une petite maison d’édition dirigée par un patron tyrannique (Grégoire Colin). Sa vie amoureuse n’est guère plus flamboyante. Elle enchaîne coups de foudre et ruptures.

L’affiche de Playlist est prometteuse. Elle nous annonce « la comédie pour retourner au cinéma, danser dans les bars, retomber amoureux, dîner entre amis, revoir sa famille, donner des coups de boule ».
Sa bande-annonce ne l’est pas moins qui nous introduit à Sophie, ses amis, ses amours, ses emmerdes (Aznavour ! sors de ce corps !).
On escompte une sympathique comédie sentimentale, pas le film de l’année, mais un bon moment avec deux des actrices les plus touchantes de leur génération.

Hélas ! On est vite déçu. Nine Antico, elle-même bédéiste, a mis beaucoup d’elle-même dans le personnage de Suzanne ; mais cela ne suffit pas à donner de l’épaisseur aux cartons successifs, filmés à la va comme je te pousse, qui racontent sa vie parisienne. Les actrices y sont excellentes – Sara Forestier, au premier chef, qui est de chaque plan, mais aussi Laetitia Dosch dont le talent avait explosé en 2016 dans Jeune femme et dont on espère qu’elle transformera très vite l’essai – mais elles ont peut-être passé l’âge d’interpréter des rôles d’adulescentes [je tremble d’être taxé d’âgisme ou de sexisme pour ce bémol]. La BOF est omniprésente, au risque parfois de prendre le pas sur l’image. Quant au noir et blanc satiné, qui louche éhontément du côté de la Nouvelle Vague, on peine à voir la valeur ajoutée qu’il apporte.

On ne rit jamais – sinon à une réplique qu’on avait déjà entendue dix fois dans la bande-annonce – on ne sourit guère ; on n’est pas vraiment touché ; on s’ennuie ferme.

La bande-annonce