Midnight Traveler ★★★☆

Hassan Fazili est un cinéaste afghan dont la tête fut mise à prix par les Talibans pour avoir réalisé une fiction qui montrait l’un d’entre eux déposer les armes. Avec sa famille, il se réfugia d’abord une année au Tadjikistan, espérant obtenir l’asile en Australie avant de décider, de guerre lasse, de tenter sa chance en Europe par la route. C’est cette longue odyssée, à travers l’Iran, la Turquie, la Bulgarie et la Serbie, qui allait durer plus de trois ans, qu’il filme avec son téléphone portable.

En 2002, le réalisateur britannique Michael Winterbottom avait raconté dans In This World le long périple de deux cousins afghans depuis un camp de réfugiés au Pakistan jusqu’au Royaume-Uni. C’est le même sujet qui, hélas, n’a rien perdu de sa triste actualité, que traite près de vingt ans plus tard Midnight Traveler. Mais l’émotion qu’on avait déjà éprouvée devant la fiction de Michael Winterbottom est décuplée par l’effet de réalité que produit l’autobiographie de Hassan Fazili : c’est lui qui traverse cette terrible épreuve avec sa femme et ses deux fillettes, provoquant chez le spectateur une bouleversante identification.

Cette petite famille si ordinaire vit le lot des avanies qu’un tel voyage comporte : des traversées clandestines de frontières à l’orée du jour, des attentes interminables dans des centres d’accueil plus ou moins pouilleux, des humiliations administratives à répétition, des abus de confiance de passeurs véreux…. Hassan Fazili peut se borner à filmer la réalité qu’il vit sans chercher à la dramatiser : elle l’est déjà suffisamment.

Aurait-il eu recours à des acteurs professionnels, il n’en aurait pas trouvé de meilleurs que sa femme et ses deux filles. Elles conservent, malgré les contretemps qu’elles rencontrent, une joie de vivre qui réchauffe le cœur. Il y aurait pourtant de quoi se décourager et on sent parfois son épouse à bout de forces. Mais sa force de vivre et l’amour qu’elle doit à ses enfants, notamment à Nargis, l’aînée, une petite brunette joyeuse et délurée, lui permettent toujours de reprendre le dessus.

Midnight Traveler n’est pas seulement un documentaire filmé en caméra cachée. C’est aussi une réflexion sur le cinéma en train de se faire par un réalisateur qui filme et se filme, en tant qu’époux et en tant que père. La réalisation de ce film semble avoir constitué pour lui et pour sa femme – elle aussi réalisatrice – une planche de salut, une raison de vivre pour ne pas perdre l’espoir qui aurait pu les abandonner si souvent.

Regarder Midnight Traveler, c’est non seulement vivre de l’intérieur une expérience poignante, une de celle qui devrait durablement modifier la perception qu’on peut avoir des réfugiés en France qui sont parvenus à franchir de tels obstacles avant d’arriver sur notre sol. Mais c’est aussi – ce qui n’est pas si fréquent – regarder une oeuvre de cinéma qui a sauvé la dignité d’une famille.

La bande-annonce

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