Au commencement ☆☆☆☆

Yana est l’épouse aimante d’Alex, chef d’une communauté jéhoviste dans un bourg perdu de la campagne géorgienne. Après que la salle du Royaume a été détruite par un incendie criminel, Alex va à la ville demander justice et y recueillir les fonds pour construire une nouvelle salle. Pendant ce temps, Yana, restée seule, reçoit la visite d’un inquiétant officier de police.

Disons-le tout net : Au commencement est un film qui laisse une trace profonde. Une trace d’autant plus profonde que je l’ai vu dans une immense salle de cinéma déserte dont j’étais quasiment le seul spectateur.

Au commencement fait le pari revendiqué d’une radicalité absolue.

Radicalité absolue dans la forme : la jeune cinéaste géorgienne Dea Kulumbegashvili filme en longs plans fixes, sans contrechamps, avec des éclairages parfois déconcertants (certains plans rappellent des maîtres flamands, d’autres laissent augurer une panne de générateur). On pense à Apichatpong Weerasethakul – dont le dernier Memoria  n’a laissé de me déconcerter – à Carlos Reygadas – qui coproduit Au commencement – à Lav Diaz – le cinéaste philippin de l’immobilité dont les courts métrages dépassent les trois heures – aux lents travelings en noir et blanc de Pema Tedsen sur les hauts plateaux tibétains…. Cette austérité culmine au mitan du film dans un plan immobile de six minutes du visage de l’héroïne couchée dans la forêt. Geste transgressif brûlant d’audace ? Ou fumisterie tape-à-l’oeil d’un chef opérateur qui a perdu son clap de fin ?

Radicalité absolue dans le sujet traité qui ne s’éclairera très tardivement ainsi que le titre du film (dont, pour être honnête, je ne suis pas absolument certain d’avoir compris le sens) – même si la lecture du passage de la Bible dans la première scène pouvait mettre la puce à l’oreille. Au commencement donne à voir un film sur le patriarcat, sur la corruption du régime, sur l’intolérance religieuse. Une scène particulièrement dérangeante, qui rappelle le Haneke de la grande époque, oblige Yana à s’humilier devant un officier de police pervers. Mais le pire reste encore à venir : d’abord dans un long plan fixe silencieux, censé se dérouler en pleine nuit au bord d’une rivière, puis à la fin de ses deux heures, plus deviné que vu, le drame qui donne tout son sens au film (ou pas). C’est à Lars von Trier qu’on pense alors et aux outrances déchirantes de Breaking the Waves.

Le paradoxe de Au commencement que j’ai détesté de bout en bout est qu’il m’a conduit pour en faire la critique à convoquer nombre de grands réalisateurs – et j’aurais pu mentionner Dreyer, Bergman, Tarkovski, Malick…. C’est la preuve de son intérêt sinon de sa qualité et c’est la raison de son succès aux festivals de Cannes, de Toronto et de Saint Sébastien (où il a emporté la Coquille d’or du meilleur film, la Coquille d’argent du meilleur réalisateur et la Coquille d’argent de la meilleure actrice).

La bande-annonce

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