Tempête ★★★☆


La pêche hauturière, le « grand métier » est décidément un sujet à la mode. Après Léviathan et Seuls, ensemble, deux documentaires l’un et l’autre remarquables sur la dureté de ce métier exercé sous les plus septentrionales latitudes, c’est par le biais de la fiction qu’il nous est présenté. Une fiction très documentée, qui refait jouer à un père et à ses deux enfants leur véritable histoire.

Dominique, dit « Dom », pratique le « grand métier » : une marée de deux semaines, deux jours de repos à terre, en Vendée, et le départ à nouveau. Difficile dans ses conditions pour lui de mener une vie de famille. Il vient de divorcer et peine à conserver avec sa fille et son fils des liens normaux. Lorsque son aînée tombe enceinte, la juge aux affaires familiales lui intime de renoncer à son métier s’il veut conserver la garde de ses enfants. Dom décide alors de s’installer à son compte et d’acheter un bateau qu’il pourra sortir selon un agenda plus compatible avec une vie de famille.

Samuel Collardey – dont j’avais beaucoup aimé les deux premiers films L’apprenti et Comme un lion – cadre au plus près son personnage, avec une empathie et une humanité qui rappellent le cinéma social d’un Maurice Pialat ou d’un Ken Loach. Dominique Leborne, dans son propre rôle, est une révélation. Le prix Orrizonti du meilleur acteur qui lui a été attribué à Venise était amplement mérité. Ses faux airs de Reda Kateb, son sourire lumineux, sa « résilience » aux malheurs de la vie – pour utiliser un terme à la mode – font merveille.

Tempête a un titre trompeur. Pas de catastrophe dans le vie de Dom. Mais une suite de difficultés qu’il a du mal à résoudre. Une fois sur les rails, le film aurait pu sans forcer son talent s’acheminer jusqu’à un happy end convenu et attendu. Il évite cette facilité et se conclut de façon surprenante.

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The Finest Hours ★☆☆☆


The Finest Hours est inspiré d’une histoire vraie : durant l’hiver 1952, une embarcation légère des gardes-côtes américains a secouru un pétrolier coupé en deux par la tempête au large du Massachussetts.

The Finest Hours est un film-catastrophe avec tous les passages obligés du genre : le cadre lentement posé, la tempête qui approche puis se déchaîne, la mort/le sacrifice de tel ou tel personnage secondaire (noir de préférence), le happy end. Les naufragés se déchirent en attendant la mort et les sauveteurs se surpassent en leur sauvant la vie. Mais comme dans Titanic, on ne peut pas se contenter de regarder un bateau couler, on enrichit l’histoire d’une romance entre un jeune garde-côtes et une accorte demoiselle (interprétée avec joliesse par Holliday Grainger, déjà remarquée dans The Riot Club).

Avec son lot de semi-stars en mal de reconnaissance publique : Chris Pine (dont le patronyme réduit ses chances de carrière en France), Casey Affleck (le frère de) et Eric Bana (désormais trop vieux pour jouer les rôles de jeunes premiers), The Finest Hours est une grosse production hollywoodienne parfaitement rodée qu’on regardera sans déplaisir au cinéma ou dans son salon, avec un sachet de pop-corn ou une pizza sur les genoux.

Très divertissant et totalement oubliable.

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Merci patron ! ★★☆☆


François Ruffin est le fondateur et le rédacteur en chef de Fakir, un journal satirique picard, tandis que Jean-Christophe Rufin est académicien et ancien ambassadeur. Ils n’ont rien en commun. Pas même le nombre de f de leur patronyme.

François Ruffin a décidé de réaliser un documentaire sur Bernard Arnault, le tycoon français qui préside aujourd’hui LVMH et qui construisit sa fortune sur la vente par appartements de Boussac Frères dans les années 80. Le documentariste marche sur les pas de Michael Moore, mêlant comme lui images d’archives et happenings culottés. Sans grand succès au demeurant, sa tentative d’infiltration de l’AG du groupe tournant court. Tout change quand il croise le chemin des Klur. Licenciés d’une usine du groupe Arnault, le père, la mère et le fils vivent misérablement du RSA.

C’est à cet instant que le film bifurque. Le documentaire d’investigation se mue en roman d’espionnage, François Ruffin décidant d’utiliser les Klur pour faire chanter LVMH. Rien de moins ! Alors que l’annonce de l’installation du multi-millionnaire en Belgique défraie la chronique, le journaliste fait le pari que le groupe voudra s’éviter la publicité d’anciens employés jetés à la rue.

Le plus désopilant est que la manœuvre fonctionne, au point qu’on se demande parfois si la suite du film n’est pas une fiction. On y voit une barbouze du service de sécurité de LVMH débouler chez les Klur et acheter leur silence. Avec un gros chèque. Un CDI chez Carrefour – dont Bernard Arnault est un gros actionnaire. Et un contrat dont nos pieds nickelés réussissent à retourner les clauses les plus léonines contre leur auteur.

Cette histoire occupe à elle seule les deux tiers du film. Du coup, l’analyse serrée des pratiques du groupe (délocalisations, licenciements) passe à la trappe. Restent quelques scènes hilarantes d’une histoire grand-guignolesque où on prend fait et cause pour le lumpenprolétariat dans son procès en ridiculisation du grand capital.

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L’Homme qui répare les femmes ★★☆☆


Thierry Michel a réalisé quelques-uns des meilleurs documentaires consacrés au Congo : Mobutu roi du Zaïre (1999), Congo River (2005), L’Affaire Chebeya (2012). Colette Braeckman a, elle, signé quelques-uns des meilleurs livres écrits sur ce pays : Le Dinosaure (1992), Rwanda. Histoire d’un génocide (1994), L’Enjeu congolais (1999). Il était prévisible que leurs chemins se croisent.

Leur rencontre s’est faite autour du docteur Mukwege. Ce gynécologue originaire du Kivu y soigne les femmes victimes de guerre. La région est en proie depuis 1996 a des guerres civiles incessantes, conséquence indirecte du génocide rwandais.

Âmes sensibles s’ abstenir. Le documentaire expose sans euphémisme une réalité insoutenable. La monstruosité des crimes sexuels commis sur les femmes de tout âge est décrite sans détour. Par les mots des femmes qui les racontent. Par les images du chirurgien qu’on voit opérer.

Mais L’Homme qui répare les femmes ne se réduit pas à décrire les bonnes œuvres d’un docteur Schweitzer du XXIe siècle. Le documentaire de Thierry Michel et Colette Braeckman a, comme son héros, une dimension politique. Car Denis Mukwege ne se contente pas de réparer les femmes. Il combat les causes de leur mal : la guerre et, plus encore, l’incurie d’un État incapable de l’arrêter. La croisade qu’il mène lui a causé de solides inimitiés nécessitant la mise en place d’une impressionnante protection onusienne.

Les réserves que suscitent la réalisation platement télévisuelle de ce documentaire sont de peu de poids face à l’effroi que fait naître l’horreur des crimes commis et l’admiration que suscite l’abnégation du docteur Mukwege.

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The Revenant ★★★☆


L’actualité cinématographique de ce mois de février était dominée par deux films événements : Ave, César ! des frères Coen et The Revenant de Alejandro G. Iñárritu. Deux films marquants dans deux registres radicalement différents. Le premier est un bijou d’humour parodique ; le second est d’une âpre rudesse. C’est peu dire que le premier m’a déçu et le second impressionné.

Impressionnante est l’histoire – vraie – du trappeur Hugh Glass qui, laissé pour mort après avoir été grièvement blessé par un grizzly, parcourt 300 km sans armes ni vivres en 1823 dans les montagnes enneigées du Dakota jusqu’au poste le plus proche. Pour survivre il se nourrit de racines, pêche à mains nues et dispute à des loups la viande d’un bison mort. Pour se protéger du froid, il dort dans un cheval éviscéré.

Impressionnant surtout est le parti qu’en a tiré Alejandro G. Iñárritu et son directeur de la photographie Emmanuel Lubezki. Avec la révolutionnaire caméra Alexa 65 mm, ils filment l’action en tourbillonants plans-séquences. Quand les Indiens attaquent, quand le grizzly charge, quand les trappeurs lancent la poursuite, on est au coeur de la scène comme on l’a rarement été, assourdis par la mitraille, assommés par les coups, hébétés par la bataille. Malick (« Le Nouveau Monde »), Boorman (« La Forêt d’émeraude ») et Kurosawa (« Ran ») prennent un sacré coup de vieux.

« The Revenant » est tout à la fois intimiste et grandiose. Intimiste par son scénario épuré : un homme, seul face à une nature hostile, survit pour se venger. Grandiose par ses paysages dans lesquels cette histoire est campée : les montagnes enneigées du Dakota où l’homme est si fragile.

Évidemment, The Revenant ne fait pas dans la dentelle. Leonardo DiCaprio – qui aura amplement mérité son Oscar – est trop occupé à cautériser ses plaies avec de la poudre à canon et à manger de la viande de bison crue pour verser dans la romance. L’accumulation d’épreuves qui jalonne sa route confine au chemin de croix et pourrait révulser les âmes sensibles. La Passion de Mel Gibson avait la même propension au sadisme et au voyeurisme.

Pour autant, je n’ai pas trouvé les deux heures trente-six que dure The Revenant trop longues alors que l’heure quarante-six de Ave, César ! m’avait semblé interminable.

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Ave, César ! ☆☆☆☆


Impossible d’ignorer le torrent de critiques enthousiastes qui a accompagné la sortie du dernier film des frères Coen ! « Hommage roboratif à l’âge d’or de Hollywood » ! « Malicieuse satire » ! « Distribution éclatante » ! « Fiévreuse déclaration d’amour au cinéma » ! N’en jetez plus, la coupe est pleine !

C’est du coup avec beaucoup d’humilité que je m’autorise un coup de gueule contre un film qui m’a fait ronfler d’ennui.
Pourquoi tant de somnolence ? Bon d’accord, parce que je suis vieux (et chauve), que la séance était tardive et ma voisine confortable. Mais pas seulement.

Ave, César ! est une aimable succession de vignettes que relie sans conviction un scénario sans intérêt : la star hollywoodienne Baird Whitlock (George Clooney plus grimaçant que jamais) a été kidnappé par une bande de pieds nickelés crypto-communistes et Eddie Mannix (Josh Brolin, la moustache au carré), l’homme à tout faire des studios Capitol Pictures, se charge de le libérer.

Sans doute, les frères Coen rassemblent-ils une cohorte de stars. Mais à quoi bon les montrer si peu ? On entraperçoit Scarlett Johansson, qui nage comme un poisson et parle comme une morue. Frances McDormand n’a droit qu’à une seule scène (je n’exclus pas qu’elle en ait eu plusieurs… mais je dormais). Seule exception notable : le méconnu Alden Ehrenreich qui crève l’écran dans un rôle drôlissime de cowboy forcé de jouer un bellâtre dans un drame cukorien.

Quant à la déclaration d’amour au cinéma des années 50, elle ressemble plutôt à l’accumulation kitsch de reconstitutions artificielles : western, péplum, comédie musicale (avec un numéro de claquettes de Channing Tatum délicieusement gay-friendly)… tout y passe. Rien à dire : c’est filmé au millimètre, brillant et drôle. Mais où est l’émotion ?

Mes réticences à l’égard de « Ave, César ! » s’expliquent largement par mon manque d’intérêt pour le cinéma des frères Coen. Je n’ai jamais compris la vénération dont ils font l’objet. Leurs films noirs me plaisent : Sang pour sang (1984), Miller’s Crossing (1990), No Country for Old Men (2007). Mais leurs bouffonneries parodiques peinent à m’arracher un sourire : je tiens O’Brother (2000), avec le grimaçant George Clooney, comme un des pires films jamais tournés.

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Je ne suis pas un salaud ★★☆☆

Un type, ni vraiment sympathique ni vraiment détestable, est poignardé par une bande de voyous. Il doit identifier son agresseur, hésite, se décide enfin.

Le titre est trompeur. Il voudrait nous faire croire qu’en dépit de tous ses défauts, Eddie (Nicolas Duvauchelle) n’est pas un si mauvais bougre. Sans doute a-t-il tendance à biberonner sec et à lever la main sur sa femme (Mélanie Thierry) mais l’agression qu’il subit lui offre une rédemption : sa femme lui rouvre les bras, son fils le regarde en héros, un patron accepte de l’embaucher. Les ennuis commencent quand il doit identifier son agresseur.

Le dernier film d’Emmanuel Finkiel est bourré de qualités. La toute première scène est un modèle du genre qui nous fait toucher du doigt, avec un cadrage très serré et une musique obsédante, l’enfermement de son personnage. Les acteurs sont exceptionnels : Nicolas Duvauchelle en salopiot émouvant,  Mélanie Thierry en mère courage.

Mais l’histoire est tellement noire que le film, dans son refus de se rendre sympathique, atteint son but au-delà de toute espérance.

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Free Love ★★☆☆

Avant que le mariage gay soit légalisé, le combat de Laurel Hester, en phase terminale d’un cancer incurable, pour que sa compagne, Stacie Andree, puisse à sa mort recevoir sa pension, avait ému l’Amérique. Il était prévisible que cette histoire inspire le cinéma. Il était inévitable qu’il s’en saisisse avec une éléphantesque maladresse et un impudique sentimentalisme.

La mise en scène de Peter Sollett ne fait pas dans la finesse. On lui a demandé de mettre en image une thèse. Il s’acquitte de sa tâche avec une subtilité de bûcheron canadien en plein effort.

Deux femmes se rencontrent et tombent amoureuses. Elles sont belles et se roulent des pelles (ça rime !). Juste ce qu’il faut pour montrer qu’elles s’aiment d’amour ; mais pas trop non plus pour éviter de sombrer dans le voyeurisme (dommage !). Elles sont lesbiennes, donc elles sont en butte à de méchants homophobes. Parmi eux, un homme d’Église évidemment, un agent immobilier bégueule, des politiciens veules et des flics machistes. Bouh ! l’homophobie c’est mal. Laurel et Stacie s’installent ensemble. Elles ont une maison, un chien. Sous-titre : on peut être lesbienne et mener une petite vie bien sage. Vraiment ?????? Laurel tombe malade. Sortez vos mouchoirs. Elle a un cancer des poumons. Chimio. Vomissements. Calvitie (moi ça se verra pas !!!). Laurel va mourir. Stacie pleurt. La salle itou. Mais Laurel veut que sa compagne touche la pension de réversion que les conjoints (hétérosexuels) perçoivent en cas de décès. Elle fait un procès au comté.

Je ne vous raconterai pas la fin, même si vous l’imaginez sans peine. Si vous pensez qu’elle perd son procès et survit, vous n’êtes pas tout à fait dans le vrai. Et je pourrais terminer ici ma critique de petit con prétentieux.

Sauf que. Sauf que ce film m’a vraiment ému. J’en ai vu toutes les ficelles grossières. Et pourtant, j’ai été touché par cette histoire filmée sans voyeurisme. Le couple que forme Ellen Page – qui a fait l’annonce publique de son homosexualité – et Julianne Moore – en phase terminale de Merylstreepisation – est crédible et juste. La réaction de Michael Shannon, le coéquipier de Laurel, d’abord choqué mais très vite solidaire, est particulièrement bien vue.

Free love n’est sans doute pas un grand film. Mais ce n’est ni le mélo gluant ni le film-à-thème manichéen qu’une critique paresseuse se plaît à descendre.

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Préjudice ★★☆☆

« Famille, je vous hais ». Le huis clos familial qui tourne mal est un style cinématographique à part entière. Thomas Vinterberg en a réalisé l’archétype avec Festen et son indépassable cruauté. La comparaison ne peut donc tourner qu’au désavantage du premier film d’Antoine Cuypers.

Nathalie Baye, majestueuse, et Arno, à contre-emploi, forment un couple bourgeois heureux de réunir leurs enfants. Leur cadette veut leur faire une surprise. Mais la fête tournera au vinaigre.

Préjudice réussit à instiller le malaise par des cadrages décentrés et une musique anxiogène. Quel lourd secret de famille est caché ? Quel drame va se dérouler sous nos yeux ? Le spectateur, mis en tension, attend un coup de théâtre ou une révélation qui ne vient pas.

Mais le sujet du film est ailleurs et il se révèle lentement. Loin du politiquement correct, il est traité avec une brutalité étonnante dont il est difficile de dire plus sans déflorer le sujet. Plusieurs fins étaient concevables entre lesquelles Cuypers ne choisit pas, renvoyant dos à dos Cédric, le fils différent, et sa mère trop protectrice.

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La Terre et l’Ombre ★☆☆☆

Certains films provoquent chez moi une hypnose soporifique : L’Avventura, L’Année dernière à Marienbad, Les Ailes du désir, Solaris, Winter Sleep. Unanimement reconnus par une critique enthousiaste, couronnés de mille prix, ils ne me parlent pas. Leur beauté hiératique me reste irréductiblement étrangère. Leur faux rythme m’arrache des bâillements d’ennui. Pour autant, intimidé par tant d’éloges, je reconnais leur valeur et déplore ne pas y être sensible.

Le premier fils du Colombien César Acevedo a fait forte impression à Cannes où il s’est vu décerner la Caméra d’or. Sa mise en scène minimaliste impressionne par sa rigueur. Un homme rentre chez lui après dix-sept ans d’absence. Sa femme et sa belle-fille travaillent la canne à sucre tandis que son fils se meurt. Seul personnage positif : un petit-fils auquel il se lie profondément.

En une heure trente, rien ne se passe ou presque. Les femmes vont travailler. Le grand-père joue avec son petit-fils. Le fils asthmatique se meurt. C’est très beau. Très lent. Très chiant.

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