A Ghost Story ★☆☆☆

Un couple. Un foyer. Il meurt dans un accident de voiture. Elle le pleure. Mais il est toujours là. Il est devenu un fantôme. Sous un drap blanc. Sa présence défie le temps.

Vous aimez les films de fantôme ? Des films de fantôme qui font peur avec des japonaises toutes mouillées qui sortent de la télé façon Ring ? Des films de fantômes qui font rire façon Casper ? ou des films de fantômes qui font pleurer façon Ghost avec Patrick Swayze ? Vous faites fausse route. A Ghost story n’est pas un film de fantômes. Ou plutôt A Ghost story est un film sur un fantôme qui ne ressemble en rien à tous les films de fantômes.

S’il fallait trouver une généalogie à ce film unique et déroutant, il faudrait peut-être aller la chercher du côté de Terrence Malick et de son ambition métaphysique de raconter l’histoire de la vie et du monde à travers ses films. Car A Ghost story sous ses couverts minimalistes est bouffi d’ambition. Au programme : la vie, la mort, l’amour. Rien moins.

Soit ça passe. Soit ça casse. Quatre étoiles. Ou zéro.
J’aurais adoré adorer ce film parce que j’adore me laisser emporter dans des histoires poignantes qui interrogent le sens de l’existence, la beauté de la vie, son inanité aussi, la fidélité qui survit par-delà la mort. C’est ce que racontait à sa façon Ghost avec Patrick Swayze. Je sens d’ici cher lecteur votre sourcil se froncer, vous demandant si je suis sérieux ou pas quand je vous confesse avoir aimé cette guimauve démodée. Je le confesse…

Le problème de A Ghost story est qu’il ne m’a jamais ému. Les premières minutes nous montrent un couple. Un couple qui s’aime. Mais un couple aussi qui se dispute : elle veut déménager de cette maison où elle se sent mal à l’aise ; il veut au contraire y rester car il s’y sent bien. On ne s’attache guère à ce couple trop parfait pour être réaliste, interprété par les trop beaux Casey Affleck – plus sexy mais plus marmonnant que jamais – et Rooney Mara – dont les yeux immenses dévorent le visage à la Audrey Hepburn.
Puis survient le drame. On n’en verra rien. Sinon deux voitures cabossées. Son corps saignant au volant. Puis son cadavre à la morgue qu’elle contemple catatonique, mais l’œil sec.
Là non plus, l’émotion ne prend pas. Ce drame aurait dû nous dévaster. Il ne nous émeut pas. Pas plus que nous attendrit la silhouette – qu’il est difficile de ne pas trouver ridicule – de Casey Affleck désormais mutique et caché sous un grand drap blanc.

A Ghost story est un film qu’on n’oublie pas. C’est peut-être un film éblouissant. C’est ce qu’en ont pensé les festivaliers à Sundance en janvier puis à Deauville en septembre qui lui ont fait un triomphe. Mais c’est un film qui ne m’a pas plus faute de m’avoir touché.

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Le Portrait interdit ★☆☆☆

À Pékin, au cœur de la Cité interdite, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, un peintre jésuite peint le portrait d’une princesse mandchoue à la cour de l’empereur de Chine.

Charles de Meaux est tombé par hasard sur une curieuse peinture au musée des beaux-arts de Dôle. Il s’agissait du portrait à l’occidentale d’une princesse chinoise. Son auteur est Jean-Denis Attiret, un jésuite employé à la cour de l’empereur.
À partir de ces faits réels, le réalisateur et son co-scénariste ont inventé une histoire. Elle met face à face le jésuite et son modèle. L’un comme l’autre braveront des interdits : le jésuite Attiret (Lacan aurait adoré ce patronyme) manquera de peu de tomber amoureux de son modèle et de trahir ses vœux ecclésiastiques, la princesse, qui veut reconquérir l’amour perdu de l’empereur, ne réussira en fait qu’à se l’aliéner.

La réalisation d’un tableau est un thème qui a été souvent utilisé en littérature et au cinéma. Zola en fit un roman, Balzac en avait fait une nouvelle cinquante ans plus tôt que Rivette adapta au cinéma. La Belle noiseuse est un chef d’œuvre révéré. Je me souviens l’avoir vu au Max Linder un dimanche matin, à l’automne 1991. Ses quatre heures m’avaient semblé interminable. Je m’y étais copieusement rasé, seules les courbes girondes d’Emmanuelle Béart réussissant à me maintenir éveillé.

Autre source d’inspiration pour Le Portrait interdit : Silence qui traite, avec quelle maestria, de l’impossible évangélisation du Japon par les Jésuites au XVIIème siècle.

Le film de Charles de Meaux pâtit de l’inévitable comparaison avec ces deux monuments. Il veut traiter ces deux sujets ; mais il le fait moins bien que ces deux prédécesseurs. Sur l’irréductible fossé entre les cultures qu’aucune entreprise d’évangélisation ne réussira jamais à combler, il faut voir ou revoir le chef d’œuvre de Scorcese, sans doute l’un des meilleurs films de l’année qui s’achève. Sur la création artistique et ses apories, il faut peut-être donner une seconde chance au film de Rivette.

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Les Bienheureux ★★★☆

À Alger en 2008, Amal et Samir s’apprêtent à fêter leurs vingt ans de mariage. L’enthousiasme de leur jeunesse a été mis à mal par la guerre civile et par la chape de plomb qui s’est abattue sur l’Algérie. Ils s’opposent sur l’avenir de leur fils Fahim : Amal voudrait qu’il parte étudier à l’étranger mais Samir veut qu’il reste en Algérie.
Pendant ce temps, Fahim traîne son ennui dans la nuit algéroise en compagnie de deux amis : Reda qui a décidé de se faire tatouer une sourate du Coran et Feriel qui n’arrive pas à faire le deuil de sa mère disparue durant les événements.

Le récit entrelace l’histoire de deux soirées : celle des adultes – qui cherchent en vain un restaurant pour fêter leur anniversaire de mariage, métaphore d’une Algérie incapable d’offrir à ses ressortissants un cadre hospitalier, et celle des adolescents qui vont écouter du taqwacore, du hard rock à la sauce musulmane.

Le premier film de Sofia Djama est déchirant. Il fait le constat désabusé, comme tant d’autres films algériens dont on peut s’étonner qu’ils n’aient pas été frappés par la censure (En attendant les hirondelles, À mon âge je me cache encore pour fumer, Les Terrasses) , d’une société algérienne en panne. Une société qui ne parvient pas à refermer les plaies béantes de la guerre civile. Une société soi-disant laïque où la bigoterie impose ses règles humiliantes. Une société que ses aînés, condamnés au cynisme, ont perdu tout espoir de réformer. Une société qui n’offre plus d’espoirs à ses enfants sinon celui de l’exil pour aller étudier dans des universités dignes de ce nom et mener une vie libre, sans hypocrisie ni compromission.

La charge est lourde. Elle pourrait être écrasante. Mais, grâce à la fluidité de son écriture et à la qualité des acteurs, Les Bienheureux évite le piège du procès à charge. Car ses personnages ne se réduisent pas à des caricatures. Amal (Nadia Kaci qu’on avait déjà vu dans les films de Nadir Moknèche mais dont le talent gagnerait à s’exporter de l’autre côté de la Méditerranée) et Samir (Sami Bouajila toujours aussi solide) forment un couple de bobos très crédibles. Ce médecin, qui pratique des avortements sous le manteau, et cette professeure ont rêvé d’une vie heureuse. La cinquantaine approchant, l’heure des bilans a sonné pour eux. Alors qu’ils s’aiment encore, ils réalisent que leur vie a été un échec et que leur couple suit le même chemin. Leur fils unique est leur plus grande fierté, mais aussi leur plus grande déception (c’est un étudiant dilettante) et leur plus grande inquiétude (quel avenir peut-il espérer en Algérie ?).

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La Fiancée du désert ★★☆☆

Teresa a la cinquantaine bien entamée. Elle a travaillé toute sa vie au service de la même famille qui s’en sépare. Elle entreprend un long voyage en autobus pour aller recommencer sa vie. Il s’interrompt au milieu du désert suite à une panne.
Les choses vont de mal en pis pour Teresa qui perd son sac dans la caravane d’un fripier.

La Fiancée du désert (La novia del desierto) est un titre mal choisi qui rappelle les westerns héroïques de John Ford ou de Raoul Walsh. Pourquoi n’avoir pas intitulé ce film intimiste, qui ne lâche pas d’une semelle son héroïne, Teresa tout simplement ?

Bagdad Café offrait à Jasmin, cette gironde touriste allemande qui quittait son mari au milieu du désert californien, l’hospitalité du café de Brenda et son amitié. C’est l’amour qui attend Teresa, dans la roulotte du Gringo, un saltimbanque qui n’a rien d’un ressortissant des USA. Avant d’y parvenir, elle fera quelques rencontres et se remémorera sa vie passée.

Cette vie passée aurait pu constituer la partie intéressante du film. Un film – chilien déjà – en avait fait son sujet : La Nana (2009) analysait avec cruauté les relations ambiguës d’une bonne et de la famille qui l’employait. Cet aspect de la vie de Teresa est trop brièvement évoqué à travers quelques flashbacks impressionnistes.

Le film se concentre sur les quelques heures qu’elle passe dans le désert nord-argentin à la recherche de son sac. Le scénario tiendrait sur un timbre poste. D’ailleurs le film ne dure même pas quatre-vingt minutes. Il a la modestie de ses intentions. Il en a les limites aussi.

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Star Wars – Les Derniers Jedi ★☆☆☆

Les forces du Mal commandées par l’infâme Snoke, secondé par Kylo Ren (Adam Driver), le propre fils de Han Solo, passé du côté obscur de la Force, sont sur le point d’anéantir l’armée de la Résistance de la princesse Leia (Carrie Fisher).
Pour la sauver du désastre, Rey (Daisy Ridley) est parti chercher Luke Skywalker (Mark Hamill), qui se cache sur une île sauvage battue par les vents et a renoncé à la Force après avoir échoué dans la formation de Kylo Ren.
Pendant ce temps Finn (John Boyega) se lance dans une course contre la montre pour aller dénicher sur la planète Canto Bight un craqueur de code  capable de pénétrer les défenses ennemies.

Vous n’avez rien compris ? Pas grave ! Comme à chaque épisode de Star Wars, le générique iconique – lettres jaunes en plan oblique qui va se perdre dans l’infini de la galaxie sur la musique hymnique de John Williams – vous remettra dans le bain dès les premières secondes. Et si vous n’y comprenez toujours rien, ressortez le DVD de Star Wars V : l’histoire est la même.

Et c’est bien là que le bât blesse.
Plus de trente ans après L’Empire contre-attaque, quelques milliards d’effets spéciaux et de spectateurs plus tard, Walt Disney Inc., qui a pris les manettes de la franchise, s’est paresseusement installé dans une routine. Deux semaines avant les fêtes sortira chaque année un nouveau Star Wars – soit qu’il s’inscrive dans la lignée historique à l’instar de ce huitième opus, soit qu’il en soit dérivé comme Rogue One l’an dernier ou Solo l’an prochain.

Que peut-on reprocher à SW8  ? D’être la suite de SW7 et la (longue) bande-annonce de SW9. Comme un vulgaire épisode de Game of Thrones. Il s’agit de progresser lentement sur un fil narratif plus étendu. Ce fil est organisé autour des deux personnalités de Rey et de Kylo Ren, dont on escompte que, comme dans SW3 Anakin et Obi Wan ou dans Sw6 Luke et Dark Vador, ils s’affronteront à la fin de SW9 dans un combat épique. Comme leurs illustres prédécesseurs, nos deux héros incarnent deux aspects symétriques de la Force et cachent (on le sait déjà pour Kylo Ren, on l’ignore encore pour Daisy) le lourd secret d’une filiation prestigieuse.
Un mot en passant sur cette généalogie princière. Il est étonnant que les héros des temps contemporains soient aussi aristocratiques. De Game of Thrones à Star Wars, nul n’est héros s’il n’est bien né. Comme si la naissance demeurait, en notre ère pourtant profondément méritocratique et égalitaire, un facteur déterminant de distinction.

En attendant le combat qui conclura SW9, il faut donc passer le temps et dépenser les 200 millions de dollars du budget. L’armée de scénaristes ne s’est pas foulée et a repris les recettes qui font désormais le succès des meilleurs séries : prendre trois fils narratifs et les entrelacer. Avec une régularité métronomique, on passera donc de l’un à l’autre. On verra tour à tour Leia perdre ses vaisseaux, Luke former Rey et Finn faire du tourisme sur une planète casino.

Ne soyons pas bégueule et reconnaissons quelques jolis passages. Passages qui valent plus par leur esthétisme pourpre que par leur richesse narrative : la salle du trône de Snoke et les combats chorégraphiés qu’y livre Rey, le désert de sel rouge où se déroule l’assaut final.
Mais mis à part ces deux séquences, j’avoue le rouge (décidément) au front que je me suis pesamment ennuyé. J’ai eu l’ennui honteux. Car Star Wars 8 – qui fera un carton au box office – séduit les enfants. À chaque âge ses plaisirs…

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Le Crime de l’Orient-Express ★☆☆☆

Hercule Poirot, le célèbre détective belge, a pris place à bord de l’Orient-express à Istanbul. Un crime est commis à bord tandis que le train est bloqué par la neige. Poirot enquête.

On connaît tous Le crime…, soit qu’on ait lu le livre soit qu’on ait vu la fameuse adaptation qu’en a faite en 1974 Sydney Lumet avec Albert Finney, Lauren Bacall, Sean Connery, Ingrid Bergman, etc.

De deux choses l’une. Soit on se souvient du dénouement. Soit on l’aura oublié – auquel cas on se le remémorera très vite, le film égrenant des indices qui auront tôt fait de nous rafraichir la mémoire.

Dans tous les cas, on ne pourra qu’être déçus

Pas par le luxe des décors et des costumes. Kenneth Branagh n’a pas mégoté sur les moyens pour reconstituer le Moyen-Orient des années 30 et l’élégance cossue de l’Orient-express. Il invente à Jérusalem un prologue inédit et distrayant.

Pas par le brio du casting. Comme Sydney Lumet avant lui, Kenneth Branagh a rassemblé un bel échantillon de stars. Des gloires confirmées : Judith Dench en vieille douairière, Penelope Cruz en passagère confite en dévotion, Michelle Pfeiffer en chasseuse de maris, Johnny Depp en mafieux sardonique… Des stars en herbe : Daisy Ridley, l’héroïne de la dernière trilogie des Star Wars ou l’humoriste Josh Gad. Même si le projet peut sembler suspect, le réalisateur s’est attribué le premier rôle qu’il interprète avec un accent français hilarant et une immodestie pachydermique. Il cabotine à souhait. Mais le rôle s’y prête.

Le problème, disons-le tout net, c’est Agatha Christie elle-même. Elle a mal vieilli (oui, je sais, elle est même morte). Oublions un instant l’enthousiasme avec lequel nous avons lu, tout enfant, ses romans. Et considérons les intrigues policières, renversantes de complexité, qu’on nous sert depuis une trentaine d’années. La comparaison hélas ne tourne pas à l’avantage de la « Reine du crime ». Aujourd’hui, ses intrigues semblent à la fois trop linéaires et trop artificielles. Le Crime… en concentre tous les défauts. La résolution de l’intrigue par le brillant Hercule, loin d’impressionner, fait rire tant elle est tirée par les moustaches.

Kenneth Branagh n’avait pas besoin d’aller gâcher son talent dans la reconstitution, aussi soigneuse soit-elle, d’un roman qui appartient définitivement au siècle passé.

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Soleil battant ★★★☆

Gabriel (Clément Roussier) et Iris (Ana Girardot) passent des vacances idylliques au Portugal, dans une maison de famille, avec leurs jumelles de six ans, Emma et Zoé. Mais bien vite, le souvenir de Lilla, leur première fille, décédée à deux ans au même endroit dans des circonstances dramatiques, ressurgit.
 
Les sœurs Laperrousaz relèvent le pari de réussir un film lumineux et sensuel sur le deuil.
Son pitch est aussi concis que rebutant : deux enfants découvrent l’existence d’une sœur aînée dont la mort quelques années plus tôt n’en finit plus de tarauder un couple.
 
Quoi de plus terrible que la mort d’un enfant ? Soleil battant en parle de biais, à quelques années de distance – comme le personnage joué par Ariane Ascaride dans La Villa de Guédiguian qui a connu la même expérience traumatique. Et il parle à travers le regard des enfants.
 
Gabriel et Iris sont minés par le chagrin. Gabriel veut l’enfouir virilement et a fait promettre à Iris de ne pas en parler à leurs jumelles. Iris n’en a pas la force. C’est elle qui a raison : un tel chagrin ne disparaîtra jamais.
Emma et Zoé découvrent donc l’existence de leur sœur avec ce mélange de gravité et de curiosité qui anime les enfants face à un mystère plus grand qu’eux. On pense à Michel et Paulette dans Jeux interdits et au cimetière pour animaux qu’ils avaient confectionné. Les jeunes actrices sont adorables. Leurs moues attendriraient un roc. Et elles évitent de tomber dans le piège, si fréquent quand des enfants sont mis en scène, du cabotinage.
 
Mais c’est surtout la prestation d’Ana Girardot qu’on retiendra. On connaît son nom (c’est la fille de Hippolyte Girardot) et son visage (on l’a vu dans Cloclo, Les revenants, Le beau monde, Un homme idéal, Ce qui nous lie…). Elle est ici en tête d’affiche. Sa beauté sage fait des miracles. Elle interprète avec une étonnante justesse un rôle difficile. Car Iris est tout à la fois une épouse, une mère et une femme inconsolable. Elle fait l’amour à son mari, berce ses jumelles et pleure inconsolablement sa fille disparue.
 
Ne vous laissez pas rebuter par ce sujet plombant et courez voir Soleil battant.

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Mariana ★★☆☆

Au Chili, de nos jours, Mariana, la quarantaine, vit l’existence désœuvrée d’une héritière. Elle sèche les conseils d’administration de la société de son père, gère sans passion la galerie d’art qu’il lui a achetée, traite son chien mieux que sa bonne, tente sans succès d’avoir un enfant d’un mari qu’elle n’aime plus. À ses heures perdues, elle fait de l’équitation. Son moniteur travaillait à la DINA, la sinistre police militaire pinochiste, sous les ordres de son père. Il est sur le point d’être jugé pour crimes contre l’humanité.

Mariana est un film désagréable et qui a le culot de l’être.
Le cinéma argentin et chilien a moult fois traité du retour de mémoire des années de dictature. L’Histoire officielle constitue le film de référence de ce cinéma là – non pas qu’il fut le plus réussi (j’ai dit ici combien il avait mal vieilli) mais parce qu’il fut le premier, dès 1985, et qu’il fut, pour ce motif, immédiatement salué (il obtint l’Oscar du meilleur film étranger). L’Histoire officielle mettait en scène, comme Mariana, un personnage féminin qui, au sortir de la dictature, prenait conscience d’une réalité sur laquelle elle avait jusque là, plus ou moins consciemment, fermé les yeux.

Mais Mariana est bien différente de la sympathique Alicia du film de Luis Puenzo. Lorsque la vérité se dessine, par bribes incertaines – le film de Marcela Said évite les révélations fracassantes et entretient, tout du long, le mystère sur la nature exacte des exactions commises par le moniteur d’équation ou le par le père de l’héritière – Mariana n’a pas la réaction outrée de la vertueuse Alicia. Prenant à rebrousse-poil le spectateur, qui est naturellement enclin à condamner les crimes de la junte et la chape de silence qui menace de les recouvrir, Mariana se tait.

Elle n’ira pas jusqu’à prendre fait et cause pour les criminels. Elle est trop amorphe pour cela. Un complexe d’Electre mal résorbé lui interdit de se rebeller contre son père – un rôle de vieux salopard interprété avec une gourmandise communicative par le vétéran Alejandro Sieveking aperçu dans El Club. Ses relations avec le moniteur (on reconnaît Alfredo Castro, l’acteur fétiche de Pablo Larrain avec lequel il a tourné pas moins de six films) sont plus troubles encore. Elles ne sont pas sans rappeler le couple formé par Charlotte Rampling et Dirk Borgarde dans le sulfureux Portier de nuit. Non pas qu’il y ait du sado-masochisme entre eux, mais au contraire un sentiment très pur : l’amour.

Contre toute raison, Mariana tombe amoureuse de cet ancien colonel. Il est poursuivi par la police, harcelé par les mouvements des droits de l’homme qui font le siège de son domicile pour exiger son emprisonnement. Mariana prend son parti et décolle patiemment, sans un mot, avec lui, au petit matin, les tracts dénonciateurs laissés pendant la nuit par les manifestants sur le pare brise de sa voiture et sur la boîte aux lettres de ses voisins. Son comportement, qu’aucun long discours ne vient inutilement souligner, peut déplaire : ne prend-elle pas le parti d’un criminel de guerre alors qu’on attendrait d’une héroïne « positive » – telle que celle de L’Histoire officielle – qu’elle le dénonce ? Mais il a le mérite d’interroger des principes qui sont unanimement tenus pour acquis : la nécessité du devoir de mémoire et les vertus de la justice transitionnelle, et de leur opposer des valeurs tout aussi défendables : la compassion et le pardon.

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Tueurs ★★☆☆

Vétéran du grand banditisme, Frank Valken (Olivier Gourmet) organise méticuleusement un ultime casse avant de prendre sa retraite. Le braquage se déroule parfaitement jusqu’au départ de la bande de Valken et à l’arrivée d’un trio d’assassins qui exécutent froidement les témoins, parmi lesquels la juge Pirotte (Natacha Régnier) qui instruisait une affaire vieille de trente ans aux ramifications politiques.
Arrêté, emprisonné, Valken comprend qu’il a été instrumentalisé. Pour s’innocenter, il doit s’évader.

Après le flic Olivier Marchal et ses polars nerveux (Gangsters, 36 quai des Orfèvres, MR73) nous viennent d’outre-Braibant l’ex-gangster François Troukens et son premier film qui l’est tout autant. Tueurs – un titre bien mal choisi mais qui a le mérite d’annoncer la couleur – utilise les recettes efficaces du film de gangsters : un braquage chronométré, quelques échanges de coups de feu, une course poursuite. Mais Tueurs n’est jamais meilleur que quand il s’intéresse à ses héros : des truands ténébreux, courageux et entiers. Olivier Gourmet, qu’on a rarement vu aussi affûté (il a perdu du poids et pris du muscle pour le rôle) est toujours aussi excellent. À noter auprès de lui la présence d’une femme, Bérénice Baoo, dont on reparlera à coup sûr.

Face à cette bande organisée, des flics qui leur ressemblent. Comme chez Melville, la frontière qui sépare les forces de l’ordre des criminels qu’ils traquent est ambigüe, arbitraire et fluctuante. On comprend bien vite que Bouli Lanners est un ripou de la pire espèce et Luban Azabal, au contraire, une vraie pure de la même trempe que Valken.

Tueurs ne révolutionnera pas le genre. Mais c’est un premier film impeccablement réalisé et dirigé qui se regarde sans déplaisir.

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Makala ★★★☆

Kabwita vit dans la misère au Katanga, dans un petit village reculé à une cinquantaine de kilomètres de Kolwezi. Avec sa femme et ses enfants, il aimerait faire bâtir une maisonnée sur son terrain et quitter le taudis dont il est locataire. Il fabrique du charbon de bois.
Sans moyen de locomotion, il n’a guère qu’un vélo, qu’il peut arnacher avec de lourds sacs de charbon et pousser jusqu’à la ville où il tentera d’en obtenir un bon prix.

Emmanuel Gras vient du documentaire. Makala est sa première œuvre de fiction – si tant est que c’en soit une. Ses deux premiers films avaient pour cadre, le premier (Bovines) le Calvados et ses champs où paissent des vaches silencieuses, le second (300 hommes) un asile de nuit à Marseille et les réprouvés qui y dorment.
Il plante cette fois ci sa caméra dans un tout autre environnement. Mais, de la France au Congo, sa démarche reste la même : filmer au plus près la réalité au point de produire parfois un malaise, dans l’intimité contemplative qu’il crée avec son sujet.

Makala est un film âpre, exigeant qui se fixe un sujet et s’y tient inexorablement. Il ne quitte pas son héros d’une semelle durant les trois parties qui le composent. Dans la première, on le voit chez lui faire son travail : abattre laborieusement un arbre immense avec une simple hache, le débiter en bûches, préparer avec soin le four, faire cuire patiemment le charbon de bois. Dans la deuxième, la plus poignante, on le suit sur la route qui le conduit jusqu’à la ville. Cinquante kilomètres, qu’on ferait sous nos latitudes, en train, en voiture ou en moto, en moins d’une heure. Cinquante kilomètres qui, sous les siennes, semblent une odyssée harassante où l’on voit Kabwita pousser son vélo lourdement harnaché sur des routes escarpées, poussiéreuses, dangereuses. Dans la troisième, Kabwita est enfin arrivé en ville. Il s’arrête chez sa belle sœur dont on comprend qu’elle héberge sa fille aînée qu’il a envoyée étudier à la ville ; il négocie sur le marché ses sacs de charbon inlassablement ; il trouve dans une église évangéliste un repos trompeur.

Rien de plus. Rien de moins non plus. Makala frappe par l’exigence de sa forme, qui ne s’embarrasse d’aucun artifice, d’aucune béquille. Le film est quasiment muet. Il ne comporte presqu’aucun autre événement que ceux que je viens d’énumérer. S’y ennuie-t-on pour autant ? Pas une seconde. Car on est happés par cette histoire, alors même qu’elle est d’une simplicité enfantine et qu’on en connaît par avance l’issue. La raison de notre intérêt est la fascination qu’exerce cet homme frêle et doux, qui n’élève jamais la voix, qui ne manifeste ni joie ni colère, qui se contente de pousser son vélo, comme Sisyphe roulait son rocher. Un homme qui ne dit rien. Mais qui exprime tant.

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