Bangkok Nites ★☆☆☆

Au cœur de la capitale thaïlandaise existe un quartier rouge destiné à la clientèle japonaise. Luck en est une des reines. Elle y travaille pour subvenir aux besoins de sa famille qui vit dans une région reculée du pays, à la frontière du Laos.
Luck retrouve Ozawa, un ancien client japonais qui s’est installé en Thaïlande. Ils entreprennent ensemble un long voyage à l’intérieur du pays.

Bangkok Nites est un OFNI : un objet filmique non identifié. Un film qui ressemble à un documentaire ; un documentaire qui voudrait se faire passer pour un film. Son sujet est bigrement exotique. Il ne s’agit pas de filmer les bordels de Bangkok, mais d’en filmer une dimension méconnue : les bordels spécialisés dans la clientèle japonaise – dont les prostituées parlent le japonais avec une aisance à faire pâlir d’envie une secrétaire trilingue.

On sent que Katsuya Tomita – qui interprète lui-même le personnage d’Ozawa – a payé de sa personne pour documenter son sujet. L’histoire d’Ozawa, c’est un peu la sienne : celle d’un expatrié qui s’est perdu en chemin, plus tout à fait japonais, jamais vraiment thaï. L’histoire de Luck, c’est l’agrégation des mille et une histoires qu’il a recueillies de la bouche même des prostituées de Bangkok et de Pattaya.

La démarche est stimulante. Elle a le mérite de l’authenticité. On est loin d’une Thaïlande de carte postale sans verser pour autant dans le misérabilisme ou dans le voyeurisme.

Mais son résultat ne convainc pas. Bangkok Nites dure plus de trois heures. Cette durée excessive se justifierait si elle était au service d’un projet cohérent. Mais elle révèle hélas plutôt un manque de maîtrise et de travail : comme si on nous montrait une succession interminable de rushes, pas toujours bien joués, mal éclairés, pas scénarisés. La conclusion déchirante de Bangkok Nites ne suffit pas à racheter l’ennui voire la somnolence que cette errance trop longue provoque chez le plus courageux des spectateurs.

La bande-annonce

Marvin ou la belle éducation ★★★☆

Marvin ou la belle éducation raconte une transformation et une émancipation. La transformation de Marvin Bijou (Jules Poirier), un collégien persécuté par ses camarades à cause de son manque de virilité, en Clément Martin (Finnegan Oldfield), un jeune dramaturge à succès. L’émancipation de Martin de son milieu familial, homophobe et abruti de pauvreté, pour prendre pied dans l’intelligentsia intellectuelle parisienne où le prennent sous leur aile un riche homosexuel (Charles Berling) et une star du théâtre (Isabelle Huppert dans son propre rôle).

Marvin ou la belle éducation est librement inspiré de Pour en finir avec Eddy Bellegueule – qui n’est pourtant pas crédité au générique et dont on se demande si des droits ont été versés à son auteur. La transposition est appliquée. Trop parfois. Les Vosges remplacent la Picardie ; le théâtre l’écriture. Vincent Macaigne joue le rôle de Didier Eribon – auquel est dédié Pour en finir… ; Isabelle Huppert incarne la figure tutélaire de Pierre Bourdieu sous l’influence intellectuelle duquel celui qui se fait désormais appeler Édouard Louis rédige sa thèse sur la sociologie des transfuges.

J’avoue être allé voir Marvin… en trainant les pieds. J’avais peur qu’il ne dise rien de plus que le roman autobiographique d’Édouard Louis – surfait à mon sens – et sa bande-annonce n’aient déjà raconté. J’ai bien fait de vaincre mes réticences (les mauvaises langues me diront que je n’avais guère le choix : c’était ça ou Thor : Ragnarok).

Anne Fontaine est une excellente réalisatrice dont j’ai aimé chacun des films : Nettoyage à sec, Perfect Mothers (dans mon Top 10 2013), Les Innocentes… Elle a construit un scénario d’une grande fluidité en multipliant les flashbacks mettant alternativement en scène Marvin et Martin, l’enfance et l’âge adulte, Remiremont et Paris. Le casting, qui rassemble la fine fleur du cinéma français, ressemble au palmarès des César. D’ailleurs Finnegan Oldfield mériterait amplement le César du meilleur espoir masculin – qu’il a raté d’un cheveu l’an passé pour Les Cowboys. Mentions spéciales pour Grégory Gadebois dans le rôle ingrat du père, violent et bête, qu’il réussit à humaniser et pour Catherine Mouchet dans celui d’une enseignante sévère mais aimante.

La bande-annonce

Éditeur ☆☆☆☆

Paul Otchakovsky-Laurens a fondé en 1983 la maison d’éditions qui porte son nom. Il revient sur son parcours et sur son métier.

La façon dont je viens d’introduire Éditeur a causé le malentendu sur la foi duquel je suis allé voir ce documentaire. J’imaginais qu’il serait fortement autobiographique, qu’il raconterait comment Otchakovsky-Laurens avait créé sa maison d’édition et y avait attiré quelques uns des plus stimulants auteurs français contemporains (Marie Darrieussecq, Mathieu Lindon, Emmanuel Carrère, Nicolas Fargues…). J’imaginais alternativement, comme son titre l’annonçait, qu’il raconterait le rôle particulier de l’éditeur entre l’écrivain et son public, les difficultés du métier, son économie difficile dans un monde où le livre est concurrencé sinon menacé.

Rien de tout cela. Éditeur n’est pas un documentaire autobiographique : on n’y apprend pas grand chose sur la vie de Paul Otchakovsky-Laurens sinon qu’il travailla chez Flammarion puis chez Hachette avant de voler de ses propres ailes. Éditeur n’est pas non plus un documentaire sociologique ou économique qui explorerait les défis de la profession. À peine a-t-on droit à une mention trop courte du procès qui l’opposa à Jean-Marie Le Pen à l’occasion de la sortie du livre de Mathieu Lindon en 1998.

Éditeur est un documentaire poétique qui m’a laissé sur le bord du chemin. Deux acteurs y jouent … quoi au fait ?… difficile à dire. Le premier déambule dans Paris avec son manuscrit sous le bras et se heurte à des portes closes. Il finit par le déposer aux éditions POL et en ressort en récitant des extraits de notes de lecture plutôt critiques. La seconde fait le même chemin en récitant des extraits des lettres de motivation qui accompagnent ces manuscrits que POL reçoit par centaines chaque mois. Pendant ce temps, en voix off, le réalisateur-éditeur murmure quelques commentaires sentencieux et nombrilistes. Et le mannequin d’un adolescent aux cheveux roux est censé jouer la part irréfragable d’enfance que l’éditeur septuagénaire a toujours su garder.

Au passage, Otchakovsky-Laurens nous confesse avoir été un piètre écrivain avant d’embrasser la carrière d’éditeur. Force est de constater que c’est aussi un piètre cinéaste.

La bande-annonce

Plonger ★☆☆☆

Entre Paz (Maria Valverde, révélation ibérique), la jeune photographe, et César (Gilles Lellouche à contre-emploi), l’ancien reporter de guerre, c’est le coup de foudre et l’amour fou sous le soleil d’Espagne. Mais bientôt la routine s’installe. Paz s’ennuie et l’enfant qu’elle donne à César ne lui redonne pas goût à la vie. Elle s’enfuira. jusqu’où ?

Mélanie Laurent adapte le roman de Christophe Ono-Dit-Biot récompensé en 2013 par le Grand prix du roman de l’Académie française et par le prix Renaudot des Lycéens. Il a le couple pour sujet. Mais son angle d’attaque est original. Il ne s’agit ni du coup de foudre ni du désamour, deux phases que la littérature et le cinéma ont exploré ad nauseam.

Paz est dépressive. La faute à César qui l’aime comme un fou mais peut-être pas comme elle le souhaiterait ? La faute à cet appartement trop petit où elle se heurte aux portes et tourne comme un lion en cage ? La faute à Paris à son ciel bas, à sa pluie fine que cette Espagnole solaire ne supporte pas ? La faute au baby blues après la naissance d’Hector ?

Toujours est-il que Paz explose. Elle doit partir. Tout quitter. Après une première moitié filmée dans la pénombre cafardeuse d’un appartement parisien, la seconde est inondée du soleil d’Oman. On en découvre les côtes découpées et arides, les spots de plongée désertiques, les fonds marins pleins de mystères et de merveilles.

Difficile de parler de Plonger sans déflorer ce que César découvrira à son arrivée à Oman. Le scénario du film, fidèle sur ce point au livre, n’entretient pas un suspense inutile. Le lecteur malicieux l’aura peut-être deviné à me lire entre les lignes.

Dans La Constance du jardinier, le couple formé par Ralph Fiennes et Rachel Weisz présentait les mêmes symptômes : très amoureux l’un de l’autre, mais incapables de vivre ensemble. Las ! Christophe Ono-dit-Biot n’est pas John Le Carré et Maria Valverde, aussi séduisante soi-elle, n’a pas le charme envoutant de Rachel Weisz.

La bande-annonce

12 jours ★★★☆

Depuis 2013, le maintien sans son consentement d’un patient en hôpital psychiatrique au-delà de douze jours est subordonné à l’autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD). Des audiences foraines sont désormais organisées dans les hôpitaux. Raymond Depardon est allé les filmer à l’hôpital psychiatrique du Vinatier près de Lyon.

Encore étudiant, j’avais découvert Raymond Depardon en 1994 avec un documentaire au dispositif similaire : Délits flagrants filmait en champ contrechamp la comparution immédiate devant le substitut du procureur d’accusés arrêtés en flagrant délit.

Vingt ans plus tard, Depardon utilise avec la même efficacité le même procédé : une dizaine d’audiences cadrées serrées. Cette répétition émousse un peu mon enthousiasme. Mais il ne retire rien à l’intérêt de son film qui, cette fois-ci, n’a pas pour décor un palais de justice, mais un hôpital psychiatrique dont les couloirs, les cours sont filmés en longs plans fixes qui s’intercalent entre les auditions.

La folie humaine est un sujet qui intéresse de longue date le documentariste septuagénaire. Il lui a déjà consacré deux films : San Clemente (1982) et Urgences (1987) tournés, le premier, dans un asile vénitien, le second aux urgences psychiatriques de l’Hôtel-Dieu à Paris. Que le grand documentariste Frederick Wiseman ait consacré l’une de ses toutes premières œuvres au service psychiatrique d’un hôpital militaire n’est pas anodin (Titicut Follies, 1967). C’est le signe qu’un asile est un microcosme où se montrent, déformées, les maux de nos sociétés.

C’est un tel échantillon d’humanité déglinguée que nous présente, avec une douceur et une bienveillance qui évite le piège du voyeurisme, la caméra de Depardon : une employée d’Orange qui se plaint de harcèlement moral, une toute jeune femme qui a tenté de se trancher les veines suite aux viols qu’elle dit avoir subis, un jeune Maghrébin paranoïaque qui suspecte l’appartement de ses voisins d’abriter une cache d’armes, un schizophrène qui s’enquiert de la santé d’un père qu’il a assassiné, une mère de famille qui demande de retrouver la garde d’un enfant qui lui a été retirée… Le tableau n’est pas gai. Il n’est jamais triste.

Le rôle du magistrat qui auditionne ces patients est étroitement circonscrit. Il n’est pas un docteur qualifié pour remettre en cause les traitements que les comparus suivent. Mais il contrôle que la procédure a été suivie, qu’une première évaluation médicale a été effectuée dans les vingt-quatre heures de l’hospitalisation, qu’une deuxième l’a été par un autre praticien dans les soixante-douze heures. Des dix patients qui comparaissent devant la caméra, aucun ne sera libéré (alors que le taux de refus est en fait de 9 %). On pourrait en conclure que son rôle est dérisoire, qu’il est – pour reprendre une expression foucaldienne – un agent répressif supplémentaire d’un biopouvoir écrasant et anonyme. Ce serait méconnaître un effet que la caméra de Depardon ne capte pas faute d’avoir interviewé les médecins eux-mêmes : l’intervention du JLD les oblige à motiver leur diagnostic et les dissuade d’ordonner des internements abusifs.

La bande-annonce

Thelma ★★★☆

Thelma vient de quitter sa famille pour poursuivre des études de biologie à Oslo. Mais elle peine à s’accoutumer à sa nouvelle vie. Alors qu’elle tombe amoureuse d’une camarade de classe, des troubles inquiétants menacent sa santé et son équilibre psychologique. Leur cause est peut-être à chercher dans son enfance.

Une jeune fille se découvre des pouvoirs surnaturels. Le pitch vous dit quelque chose ? C’est celui de Carrie au bal du diable, le livre de Stephen King porté à l’écran par Brian De Palma en 1976. Le jeune réalisateur norvégien Joachim Trier, remarqué pour Oslo 31 août et Back Home, offre une relecture très scandinave de ce thème universel.

Chez Brian De Palma, Sissy Spacek était la fille d’une mère confite en religion. C’est aussi le cas de Thelma dont les deux parents sont des chrétiens fondamentalistes. Ce n’est d’ailleurs pas la meilleure idée du film, qui aurait très bien fonctionné sans cette dimension religieuse là, inutilement surlignée par l’affiche.

On se souvient dans Carrie de la scène terrible où la jeune héroïne, que sa mère n’avait pas prévenue, a ses premières règles sous la douche au lycée. Sa terreur devant son sang n’a d’égale que l’hilarité qu’elle provoque chez ses camarades de classe, plus dégourdies. Thelma, de quelques années plus vieille, vit la même expérience en découvrant sa sexualité. Cette découverte réserve à cette jeune fille prude d’étonnantes surprises. À rebours de ce que son éducation strictement religieuse lui a enseigné, c’est vers une fille que ses premiers émois la portent. Tiraillée entre les impératifs de sa foi et les élans de son cœur voire de son corps, elle ne sait que choisir. Les scènes saphiques joliment transgressives et la romance entre Thelma et Anja ne sont pas non plus les parties les plus réussies du film.

Alors, me direz-vous, pourquoi lui mettre trois étoiles ? À cause surtout de la maîtrise de la mise en scène. Joachim Trier réussit quelques scènes d’anthologie : un spectacle de danse contemporaine d’une étouffante sensualité, une piscine déserte, un lac gelé…
À cause surtout de l’habileté du scénario qui conduit Thelma à un retour sur elle-même et sur sa famille. Comment s’explique la scène d’ouverture où son père la menace de sa carabine ? Pourquoi sa mère est-elle en fauteuil roulant ? Qu’est-il advenu de sa grand-mère ? Autant d’énigmes qui tiennent le spectateur en haleine et auxquelles on aura la réponse comme dans tout bon polar.

La bande-annonce

Battle of the Sexes ★★★☆

En septembre 1973, à Houston un match de tennis oppose Billie Jean King, vingt-neuf ans, ex-numéro un mondiale, et Bobby Riggs, cinquante-cinq ans, cheval sur le retour du tennis des années 50 et phallocrate assumé. L’enjeu : démontrer que les hommes sont supérieures aux femmes… ou pas.

L’histoire que raconte Battle of the Sexes pourrait sembler incroyable si elle n’était pas inspirée de faits réels. Au début des années 70, alors que le débat sur l’égalité des droits homme-femme faisait rage (un amendement en ce sens à la Constitution venait d’être rejeté au grand dam des féministes) et que Billie Jean King avait pris la tête du combat pour la revalorisation des primes des tenniswomen, un clown défiait l’ex numéro un mondiale. Billy Riggs aurait pu être un personnage odieux. Interprété par Steve Carrey, il réussit à être touchant. Lui le premier ne croit pas vraiment aux énormités machistes qu’il profère.

L’héroïne du film est évidemment Billie Jean King. Emma Stone, l’actrice oscarisée de La La Land. Horriblement défigurée par une coiffure hideuse et des lunettes qui lui mangent le visage, elle n’en rayonne pas moins. Avec sa bande d’amies qui militent à ses côtés, elle donne une image de super copine qui rend tout à la fois son personnage et elle-même très sympathique : la numéro un mondiale – et titulaire en titre de l’Oscar – n’a pas la grosse tête.

Battle of the Sexes est non seulement l’histoire de son combat pour les droits des femmes mais aussi celle de sa découverte de l’homosexualité. La véritable Billie Jean divorcera de son mari et fera son coming out en 1981. La bluette qui unit la tenniswoman à sa coiffeuse n’est guère crédible. Elle n’en est pas moins touchante. Comme l’est la réaction du mari de Billie Jean qui aurait pu sombrer dans la caricature du cocu de comédie.

Courez voir Battle of the sexes, mon film préféré du mois auquel je n’ai pas osé mettre quatre étoiles pour ne pas encourir le reproche légitime de ma superficialité. Sans doute, Battle of the Sexes ne révolutionnera pas le cinéma et n’est pas du niveau de 120 battements par minute, Dunkerque ou La La Land. Mais pour autant, c’est un film enthousiasmant, bien joué, fin et drôle. Un feel-good-movie qui ne prend pas ses spectateurs pour des idiots.

La bande-annonce

Argent amer ☆☆☆☆

Au départ, on voit une famille heureuse. On suit ses membres dans un long voyage en train qui les mène dans une ville industrieuse. La caméra les quitte pour s’intéresser à d’autres travailleurs. Rien d’autre ne nous est dit.
Il faut aller chercher dans le dossier de presse pour comprendre ce dont il s’agit : ces paysans habitent le Yunnan, une province de la Chine de l’intérieur, et migrent vers la Chine côtière à la recherche d’un travail. Ils trouvent à s’employer dans l’industrie textile de la ville de Huzhou, dans la province du Zhejiang, à quelques kilomètres de Shanghai.

Wang Bing est, dit-on, l’un des plus grands documentaristes contemporains. Il est devenu célèbre avec sa première réalisation, À l’Ouest des rails, une enquête ethnographique chez les employés d’un complexe sidérurgique de Mandchourie en cours de démantèlement. À l’ouest des rails durait 9h11 (sic). Un autre documentaire de Wang Bing, À la folie, tourné dans une usine psychiatrique, durait 3h47. Avec 2h36 seulement Argent Amer ferait presque figure de court-métrage.

La durée interminable des documentaires de Wang Bing n’est pas anodine. Si ses films durent si longtemps c’est parce que leur réalisateur veut rendre physiquement tangible chez le spectateur l’immersion physique dans son univers. Argent amer y parvient parfaitement qui nous fait partager la vie de ces travailleurs de l’industrie textile. Paradoxalement, on ne les voit guère travailler, même si leur vie est dominée par ce labeur harassant. La caméra les traque pendant leurs (rares) heures de repos, dans des dortoirs sordides. Elle les filme dans leur sommeil ou dans une veille pâteuse, abrutis d’alcool et de fatigue.

Ainsi présenté, Argent amer pourrait être un documentaire ethnographique fascinant sur l’Atelier du monde, ces régions de Chine qui exportent vers la planète entière les jeans et les chaussettes dont elle s’habille. Mais, à force de vouloir nous faire partager ce que ressentent ces ouvriers, Wang Bing a capitulé tout effort de nous les faire comprendre. On ressort, près de trois heures après, hébétés d’un tel spectacle, mais hélas guère plus instruits.

La bande-annonce

Simon et Théodore ★★★☆

Théodore a treize ans. Il est en pleine crise d’adolescence. Il en veut à la terre entière, à sa mère qui le couve de trop d’amour, à son père qui l’en a trop tôt sevré et qui l’a abandonné.
Simon en a trente. Il sort d’hôpital psychiatrique. Il va être père. Il est marié à Rivka, qui prépare non sans mal Théodore à sa bar-mitzvah. Quand Théodore fugue, c’est Simon qui lui court après.

Des histoires de père en mal de fils, de fils en mal de père, vous en avez déjà soupé. Des adulescents immatures, des adolescents trop matures, vous en avez trop vus. Remplacer le père immature par une mère fantasque, vous aurez le scénario de L’Échappée belle (2015). Ne vous arrêtez pourtant pas au pitch ni à la bande-annonce de ce petit film français plein de délicatesse qui ne paie pas de mine.

Laissez vous séduire par ces deux-là. Simon (Félix Moati) se file des gifles et des coups parce qu’il ne se sent pas à la hauteur de son futur rôle de père. Théodore en file aux autres parce qu’il ne sait pas comment canaliser sa violence. Autour d’eux deux superbes rôles de femmes. Mélanie Bernier, un des plus jolis minois du cinéma français, est l’épouse de Simon. Elle joue avec une belle autorité un rôle rarement vu : une rabbin enceinte. Audrey Lamy, dont on connaissait le potentiel comique, interprète la mère de Théodore, rongée d’inquiétude suite à la disparition de son fils.

Ces quatre-là se courent après l’espace d’une journée dans un chassé-croisé aussi distrayant que touchant. Simon et Théodore ne révolutionnera pas l’histoire du cinéma mais n’en constitue pas moins un film réussi qu’une programmation automnale trop encombrée condamne à un injuste anonymat.

La bande-annonce

Khibula ★☆☆☆

En Géorgie, au sortir de l’ère soviétique, le président démocratiquement élu est chassé du pouvoir par un coup d’État. Entouré d’un dernier carré de fidèles, il se réfugie dans la montagne. Il hésite sur la marche à suivre : prendre le chemin de l’exil ou tenter de reconquérir le pouvoir ?

Khibula est le nom de la localité de Mingrélie, dans l’ouest de la Géorgie,où le Président Zviad Gamsakhourdia a trouvé la mort le 31 décembre 1993 dans des circonstances non élucidées. Le film s’inspire de de ces faits réels ; mais il ne s’y résume pas.

Sans doute, le réalisateur géorgien George Ovashvili, remarqué pour son précédent film La Terre éphémère, réalise-t-il un film en prise avec les événements qui ont marqué la prime histoire de ce jeune État. Ses montagnes majestueuses, ses paysages enneigées en sont l’écrin.

Mais hélas, il veut donner à ce président déchu, à ce roi nu, une dimension plus intemporelle. Et c’est bien là le talon d’Achille de son film. Parce qu’on n’apprend rien de la présidence controversée de Gamsakhourdia. Il eut certes le mérite, à force d’anti-soviétisme et d’anti-russisme, de faire accéder son pays à l’indépendance mais en faisant peu de cas du respect des droits de l’homme et des libertés publiques. Khibula passe sous silence cette dimension-là, assimilant le président – dont le nom n’est jamais prononcé – à un martyr christique.

Privé de tout épaisseur historique, le président se réduit à une silhouette intemporelle. Un vieil homme en costume de ville – chemise blanche immaculée et cravate impeccablement nouée – condamné à arpenter sans fin de rudes chemins de montagne. Quelques soldats aguerris et barbus l’accompagnent ainsi que son premier ministre à la santé déclinante. Le film est quasiment muet qui filme dans de longs plans séquences la lente déambulation de cette petite troupe. Elle trouve refuge dans des chalets retirés où des paysans terrifiés lui donnent une hospitalité peureuse. C’est lent. C’est long.

La bande-annonce