90’s ★☆☆☆

À Los Angeles, au milieu des années quatre-vingt-dix, Stevie, treize ans, n’est plus tout à fait un enfant, pas encore un adolescent. Coincé entre une mère célibataire et un grand frère violent, il se rapproche d’une bande de quatre skateurs : Ray, grand frère de substitution, Fuckshit, bogosse et déconneur, Ruben, enfant battu, et Fourth Grade, l’œil vissé derrière sa caméra vidéo.

Sorti aux États-Unis en octobre 2018, projeté aux festivals de Toronto et de Berlin, 90’s (audacieuse traduction de Mid 90’s que les distributeurs français ont sans doute considéré trop difficile à prononcer) arrive sur nos écrans précédé d’une solide réputation. Les critiques sont dithyrambiques. « Tout y sonne juste, authentique, avec son lot de discussions à l’emporte-pièce sur le sexe, la famille, le skate » écrit L’Express. « Cette brève chronique d’apprentissage parvient à saisir avec une justesse inouïe l’instant du passage de l’enfance à l’adolescence » renchérit Ouest-France. « Le film aura finalement trouvé son ton, dans une vraie condensation, rendant à leur densité première les moments essentiels où un jeune garçon a transcendé son complexe d’infériorité pour en extraire une véritable poétique de petit homme » jargonne Les Cahiers du cinéma.

On est désolé de ne pas partager un tel unanimisme.
Même s’il a l’élégance de ne pas dépasser les quatre-vingt-dix minutes, 90’s nous a semblé bien longuet, étirant plus que de raison une trame étique. Ce coming of age movie traite d’un sujet mille fois filmé : la sortie de l’enfance. Il accumule les tics du cinéma indépendant : une caméra 16mm qui donne des images granuleuses aux tons fadasses, un format 4:3 dont on peine à comprendre la légitimité, des raccords brouillons, des angles de vue paresseux.

Les mânes de Larry Clark (des jeunes qui skatent) ou de Gus van Sant (des ados à la beauté angélique) sont invoquées. Autant revoir leur œuvre plutôt que s’imposer la nostalgie de la jeunesse fantasmée d’un acteur à succès (le rondouillard Jonah Hill, star de 21 Jump Street et SuperGrave, passé derrière la caméra pour son premier film).

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Raoul Taburin ★☆☆☆

Raoul Taburin (Benoît Poelvoorde) est réparateur de vélos à Saint-Céron. Il est si doué dans son travail qu’on ne dit plus un vélo mais un « taburin ». Mais, depuis sa prime enfance, il cache un inavouable secret : il ne sait pas monter à vélo. Il a réussi à le dissimuler à son père (Grégory Gadebois), à une première fiancée puis à Madeleine (Aurore Clément).
Mais quand Hervé Figougne (Édouard Baer), le célèbre photographe, arrive dans le village et décide de photographier Raoul Taburin sur sa bicyclette, il n’a plus d’échappatoire.

Sempé ne s’en cache pas : l’adaptation racoleuse de son Petit Nicolas en 2009, pas plus que sa suite, Les Vacances du petit Nicolas en 2014, n’ont été à son goût. Au contraire, ce Raoul Taburin [a un secret] ne trahit pas l’auteur du roman graphique publié en 1995 chez Denoël. Il en a la poésie, la délicatesse, l’humour tendre.

Pour autant, adapter Sempé ne va pas de soi. Ses romans sans parole  passent difficilement au cinéma. Pierre Godeau s’en sort en surajoutant la voix off de Benoît Poelvoorde, parfois encombrante. Autre défi : les décors. Raoul Taburin a pour cadre un petit village drômois hors du temps, une communauté villageoise utopique que ne traverse aucun fracture sociale ou ethnique au risque de friser parfois le clip Chasse, pêche, nature et traditions.

Mais le principal défaut de Raoul Taburin n’est pas dans cette omniprésente voix off  ou dans ces décors surannés. Il est dans une trame trop pauvre pour nourrir tout un film. Pourtant, ses thèmes sont riches : le mensonge et le désir de s’en libérer, la honte et la difficulté à la dépasser. Mais très vite l’enjeu de Raoul Taburin se résume à une seule question : pas tant de savoir si le mythomane malgré lui révèlera la vérité – car on comprend rapidement qu’il n’a pas d’autre issue – mais comment il y parviendra.

Si les films gentillets, sans sexe ni violence, ont votre indulgence, si les pitreries de Benoît Poelvoorde et les grimaces d’Edouard Baer ne vous horripilent pas, si vous aimez la France éternelle façon Les Choristes ou La Guerre des boutons, vous vous laisserez séduire par Raoul Taburin. Sinon….

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Genèse ★★☆☆

La genèse du sentiment amoureux vu à travers les premiers émois de trois adolescents. Élève fort en gueule dans un pensionnat pour garçons, Guillaume tombe secrètement amoureux de son meilleur ami. Sa demie soeur Charlotte prend au mot son copain en s’essayant à l’amour libre. De quelques années plus jeune, Félix tombe amoureux de Béatrice lors d’une colonie de vacances.

Genèse a un charme qui doit beaucoup à son origine : le film nous vient du Québec dont les héros ont le vocabulaire. On y dit « être en amour » plutôt qu’être amoureux, « une blonde » plutôt qu’un flirt. Ils en ont aussi l’accent qu’on ne comprendrait pas de ce côté-ci de l’Atlantique sans le recours aux sous-titres.

Mais son charme ne se limite pas à son seul exotisme. Genèse le doit surtout à l’infinie délicatesse avec laquelle Philippe Lesage filme les tourments amoureux de ces adolescents. On s’attache à chacun d’eux : à Guillaume, qui cache derrière sa gouaille un trouble dont il est le premier surpris, à Charlotte, qui cherche sa voie entre une conjugalité étouffante et un libertinage sans boussole, et surtout à Félix et Béatrice, si jeunes et pourtant si graves.

Mais Genèse souffre d’un défaut de construction. Si les deux histoires de Guillaume et de Charlotte sont entrelacées et durent 1h40, la troisième entre Félix et Béatrice est racontée indépendamment durant la dernière demie heure du film. Elle a beau être lumineuse, elle arrive trop tard, déséquilibrant une structure qui aurait pu en faire l’économie.

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Blanche comme neige ★★★☆

Claire (Lou de Laâge) travaille dans un hôtel de luxe avec sa belle-mère Maud (Isabelle Huppert). Claire est orpheline : sa mère est décédée dans son enfance et son père – qui s’était remarié avec Maud – vient de mourir. Maud a un amant (Charles Berling) qui n’est pas insensible au charme de Claire. Sous le coup de la jalousie, Maud décide de faire éliminer Claire. Mais la jeune fille est sauvée in extremis et recueillie dans un chalet perdu au cœur des Alpes.
Autour d’elle sept hommes : deux jumeaux, un violoncelliste hypocondriaque, un vétérinaire dévoré de jalousie, un prêtre compréhensif, un libraire lubrique et son fils karatéka et timide.

Anne Fontaine est désormais une figure consacrée. Même si son nom n’est pas connu du grand public, elle a signé une œuvre riche marquée par son éclectisme : Marvin ou la belle éducation (2017), adaptée du roman autobiographique d’Émile Louis, Les Innocentes (2015), Gemma Bovery (2014), Coco avant Chanel (2008), Nettoyage à sec (1997), etc. Elle sait s’entourer de ce que le cinéma compte de meilleur, un casting plaqué or, un plateau technique hors pair (Pascal Bonitzer au scénario, Yves Angelo à l’image, Bruno Coulais à la musique).

Elle se lance dans une adaptation moderne et joyeuse du Blanche-Neige des frères Grimm portée par la sensuellissime Lou de Laâge – qui avait déjà tourné avec Anne Fontaine dans Les Innocentes et que j’avais découverte un an plus tôt dans Respire où elle partageait l’affiche avec une autre révélation, Joséphine Japy. Avec une grâce naturelle et l’une des plus jolies bouches du cinéma français, la jeune femme incarne, avec ou sans soutien-gorge, une héroïne dionysiaque qui s’éveille au plaisir.

Les relations qu’elle noue avec chacun de ses sept anges-gardiens sont tour à tour amicales, complices, érotiques ou libératrices. Ne manquez pas la scène hilarante qui la met face à – ou plutôt sur – Benoît Poelvoorde, décidément excellent dans tous les registres imaginables. Sans tabou, à son corps de moins en moins défendant, Claire invente à sa façon, comme la « jeune femme  » du film de Léonor Séraille avec Laetitia Dosch, une manière bien à elle de vivre sa vie et d’explorer son rapport aux autres.

À sa sortie la semaine passée, Blanche comme neige a reçu des critiques mitigées, le condamnant à l’insuccès. C’est injuste pour ce film élégant et léger, sensuel et printanier, qui fait souffler un vent de fraîcheur dans un cinéma français parfois trop compassé.

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L’Époque ★★☆☆

Pendant deux ans, de novembre 2015 à mai 2017, Mathieu Bareyre et Thibaut Dufait, son ingénieur du son, ont arpenté les rues de Paris pour y capter l’esprit de « l’époque ». Chaque nuit, inlassablement, ils ont interrogé des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans.

Mathieu Bareyre n’invente rien. Avant lui, Edgard Morin et Jean Rouch s’étaient livrés à un exercice de sociologie urbaine (Chronique d’un été, 1961). Chris Marker et Pierre Lhomme avaient tendu leur micro aux Parisiens au lendemain de la guerre d’Algérie (Le Joli Mai, 1963). Plus récemment, David André avait filmé en 2013 un bijou Chante ton bac d’abord qui suivait des lycéens durant l’année précédant leur bac. En 2018, Claire Simon s’est quant à elle essayée à brosser le portrait d’une génération au sortir de l’adolescence (Premières solitudes).

L’Époque ne raconte pas une histoire. Il ne raconte pas non plus l’Histoire. On n’y parle ni du Bataclan, ni de la campagne présidentielle, ni même de la loi El Khomry quand bien même de nombreuses séquences sont filmées sur cette place de la République où ses opposants se sont rassemblés.
L’Époque ne fait pas non plus œuvre de sociologie même si on y filme un enfant de la bourgeoisie – qui se désespère d’avoir cédé à la pression parentale et de faire du commerce plutôt que de la philo – une étudiante de Sciences Po – franchement crétine sous l’effet de l’alcool – une khâgneuse en rupture de ban qui a rejoint les Black Blocks et confesse hors écran son addiction à la castagne, des petits dealers de banlieue, des Renois en demande d’intégration qui prônent l’éducation plutôt que la violence…

L’Époque filme des fragments poétiques de nuit. C’est ce qui fait sa beauté. C’est ce qui fait aussi sa limite. Au son de Nekfeu et de Vivaldi, L’Époque est une accumulation kaléidoscopique de courtes saynètes, de rencontres improbables, sans autre fil conducteur que celui de cette nuit et des substances euphorisantes qu’on y consomme. Parmi toutes ces silhouettes s’en distingue une, inoubliable. Sous ses couches de vêtements, on hésite sur son sexe. Rose a la langue bien pendue, un humour à toute épreuve. Française d’origine africaine, elle vomit les contrôles d’identité à répétition qui foulent au pied sa citoyenneté. Place de la République, face aux CRS impassibles, ce Gavroche du vingt-et-unième siècle a les traits d’une Marianne en colère.

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El Reino ★★★☆

Manuel Lopez Vidal (Antonio de la Torre) est un politicien professionnel. Il est le dauphin du président du conseil régional, un cacique vieillissant dont la succession lui est promise. Pour occuper les fonctions qu’il occupe, Manuel Lopez Vidal participe depuis toujours à un système de corruption généralisé : marchés publics faussés, fraude aux subventions européennes…
Mais la mécanique se dérègle lorsque la Justice met le nez dans les affaires du Parti. Un élu, Paco Castillo, est arrêté. Manuel Lopez Vidal sera le suivant. Ses amis le lâchent les uns après les autres. Mais si Manuel Lopez Vidal doit tomber, il entend entraîner ses collègues dans sa chute.

El Reino a triomphé aux derniers Goya, les César espagnols, raflant notamment ceux du meilleur réalisateur, du meilleur acteur, de la meilleur musique. Il mérite largement ces lauriers. C’est un film haletant qui culmine dans un épilogue à couper le souffle. Que celui ou celle qui n’aura pas été scotché à son fauteuil par la dernière demie-heure me le dise : je lui rembourserai sa place.

Qu’on ne se méprenne pas : El Reino n’est pas un film sur la corruption, comment on y glisse, quel dilemme moral on doit trancher pour en sortir. Manuel Lopez Vidal est un héros dépourvu d’ambiguïté. Il est corrompu par nécessité, sans en tirer ni honte ni fierté. D’ailleurs on ne s’appesantit guère sur les faits qui lui sont reprochés, pas plus qu’on ne met en cause son évidente culpabilité. Là n’est pas l’enjeu du film.

El Reino est plutôt un survival movie qui ne quitte pas d’une semelle un homme traqué. Pour se sauver, il essaie de rassembler les preuves de l’existence d’un système de corruption généralisé qui lui permettront d’acheter son impunité. Mais chacune de ces tentatives échoue, qu’il copie des fichiers compromettants sur des clés USB découvertes par la police ou obtienne avec un micro caché les confessions désopilantes d’un acolyte. J’en ai déjà trop dit sur les rebondissements qui ponctuent El Reino. Je ne dévoilerai pas cette dernière demie heure qui m’a bluffé ni la logomachie sur laquelle le film se conclut magistralement.

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J’veux du soleil ! ★★★☆

En décembre 2018, François Ruffin, député de La France insoumise, et Gilles Perret, le documentariste qui a signé le making off de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2017, décident d’aller filmer les Gilets jaunes. À bord du break Picasso Citroën de François Ruffin – une voiture familiale que sa compagne l’avait poussé à acheter pour y véhiculer leurs deux enfants, deux jours avant leur rupture – les deux comparses sillonnent la France du nord au sud à leur rencontre pour combattre un préjugé : les Gilets Jaunes seraient un rassemblement de « fachos radicalisés »

Il est difficile de se débarrasser des préjugés qui précèdent la vision de J’veux du soleil. Préjugés à l’égard des deux coréalisateurs dont on a tout lieu de suspecter que le timing de la sortie de leur documentaire, en pleine campagne européenne, est lesté d’arrières-pensées politiciennes. Préjugés à l’égard du mouvement des Gilets jaunes au sujet desquels chaque spectateur s’est progressivement forgé son opinion personnelle, plus ou moins bonne, de moins en moins bonne en fait, au fur à mesure que les samedis égrenaient leur lot de violences inutiles.

C’est à cause de ces préjugés que j’ai bien failli rater J’veux du soleil, ayant bêtement décrété que je n’irais pas le voir mais me laissant finalement convaincre du contraire par un ami persuasif. Et force m’est de reconnaître que mes préjugés étaient – comme souvent les préjugés – bien mal fondés.

Car il faut voir J’veux du soleil. Quoi qu’on pense de Ruffin et de La France insoumise. Quoi qu’on pense des Gilets jaunes.

Son message est simple : les Gilets jaunes expriment une souffrance trop longtemps tue. Loïc, Cindy, Marie, que les coréalisateurs ont croisés sur les ronds-points de l’Oise, de l’Ardèche et de l’Hérault sont les visages d’une France digne, dure à la peine, en mal de lien social, minée par la misère financière, morale, esthétique.

François Ruffin et Gilles Perret pourraient en faire un prétexte à un tract électoral. Ils ont la décence de s’en abstenir. Certes, ils ne résistent pas à mettre en regard la souffrance des plus démunis et l’insolente richesse des plus nantis. Ils ne résistent pas à décocher quelques piques bien senties à Emmanuel Macron. Mais ces images, rajoutées au montage, ne retirent rien à l’intérêt du documentaire.

Les Gilets jaunes ne portent pas un programme politique. L’évolution du mouvement, sa fuite tragique dans une violence gratuite, l’a amplement démontré. Les Gilets jaunes témoignent d’une détresse sociale. Elle touche tout particulièrement cette « France périphérique », révélée par les travaux du géographe Christophe Guilluy : des Français qui peinent à boucler leurs fins de mois et à faire le plein d’une automobile qu’un logement rurbain excentré les condamne à utiliser. On les voit autour des braseros retrouver un peu de chaleur humaine. François Ruffin et Gilles Pierret ne viennent ni les endoctriner ni les instrumentaliser. Ils les filment avec délicatesse. Ce n’est pas grand-chose. Mais c’est déjà beaucoup.

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Ray & Liz ★☆☆☆

Richard Billingham est un photographe britannique reconnu. Son champ d’exploration est d’abord autobiographique. Il doit sa renommée à ses clichés réalistes sinon trash qui mettent en scène sa famille dans l’album Ray’s Laugh publié en 1996. Les protagonistes : son père alcoolique et sa mère obèse et tatouée, entourés de leurs nombreux animaux de compagnie. L’autre sujet de prédilection de l’artiste est l’étude des animaux (il a photographié les zoos du monde entier) : ceux qui sont domestiqués et acceptent leur servitude, ceux qui sont encagés et perdent leur raison d’être.
Dans ce premier film, construit en trois épisodes ( 1- un après midi où les deux jeunes enfants du couple, Jason et Richard, sont gardés par un oncle débile et alcoolique 2- quelques années plus tard, la fugue du jeune Jason qui manque mourir de froid sous l’appentis d’un voisin 3- la déchéance du père, Ray qui, quitté par sa femme, vit enfermé dans une chambre et ne se nourrit plus que de la bière “ faite maison” apportée par un proche), on retrouve les thèmes obsessionnels du photographe qui donne à deux acteurs professionnels le rôle ingrat de ses parents au milieu de l’Angleterre des années quatre-vingts.

Richard Billingham explore l’animalité de cette humanité déchue. La misère est autant physique (corps abîmés par l’alcool, la nourriture bon marché, le mauvais tabac, les tatouages, le manque d’hygiène) que morale (ennui, absence totale d’éthique, d’amour, d’autorité parentale, de projets de réinsertion sociale).
Les protagonistes comme les animaux du zoo ( Liz ressemble à un pachyderme) sont mis en cage. Ils sont enfermés dans un appartement sale dont ils ne sortent plus par honte, découragement, peur d’affronter le réel.
Leurs réactions finissent par ne plus être emprises d’aucune humanité: ainsi la joie sadique de Liz à taper à coups de chaussures à talons sur la tête de son beau-frère vautré dans son vomi.

Le film est brutal, violent, déroutant, outrancier, repoussant et même grand-guignolesque dans l’excès de ses représentations.
Si l’on comprend parfaitement les intentions de l’auteur, elles ne suffisent pas à lui pardonner les errances ni les longueurs insupportables des prises de vue. Encore moins une complaisance certaine à répéter certains plans comme ceux des mouches à bière mises sous verre, métaphore appuyée de ces humains prises au piège. Certes ces belles images symboliques sont là pour forcer la réflexion et l’imagination du spectateur. La bande sonore avec notamment “ Pass the Dutchie” du groupe reggae Musical Youth l’empêche de sombrer dans une profonde léthargie. Néanmoins, il ne faudrait pas trop lui demander : ce n’est pas à lui de transformer ce riche galimatias en un scénario qui tienne la route.

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Comme si de rien n’était ★★★☆

Janne (Aenne Schwarz) la petite trentaine vit avec Piet (Andreas Döhler). Le couple, très investi dans son travail, a fondé une maison d’édition qui bat de l’aile après le départ de leur associé. Il prend la décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne dans une maison que leur cède un proche.
À l’occasion d’une réunion d’anciens élèves bien arrosée, Janne croise Martin (Hans Löw). Mais la situation dérape…

Pour une fois, le titre français est au moins aussi pertinent que le titre original. « Alles ist gut » (« tout va bien ») a été traduit par « comme si de rien n’était ». Le titre annonce la couleur au risque de réduire le film à une seule thèse : Janne veut ignorer le viol dont elle vient d’être la victime. Au point de refuser de le nommer : le mot « viol » ne sera pas prononcé une seule fois. Elle le considère – et on nous le montre – comme un accident de fin de soirée, minable, pathétique. Et on imagine déjà la suite : aucun viol n’est anodin, qui laisse durablement une trace indélébile même si sa victime aimerait le nier.

Par bonheur, Comme si de rien n’était évite de sombrer dans cette pesante démonstration. C’est moins un film sur le viol et son impossible dénégation que sur une femme. Aenne Schwarz – qu’on avait déjà vue, sans vraiment la remarquer, dans le rôle de la femme de Stefan Zweig  – est de tous les plans. Elle est bouleversante.

Le viol dont elle est victime cristallise plusieurs syndromes : les relations avec son fiancé, avec sa mère, avec son nouvel employeur. Elle est brutalement submergée par une succession d’ennuis, de tracas, qui lui interdisent de revendiquer sa propre souffrance. Le procédé pourrait sembler artificiel. Il ne l’est pas.

Comme si de rien n’était se termine en queue de poisson. On pourrait être frustré par cette conclusion qui laisse bien des questions en suspens. Mais, à la réflexion, elle n’est pas sans qualités, qui laisse le personnage principal, et nous avec elle, dans le désarroi dont elle n’est pas prête d’émerger.

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Le Vent de la liberté ★★☆☆

En 1979, le communisme impose sa loi d’airain en Allemagne de l’Est, claquemurée derrière un mur infranchissable. Quelques esprits rebelles rivalisent d’ingéniosité pour le franchir. Les Strelzyk et les Wetzel imaginent de le faire par la voie des airs, en montgolfière. Une première tentative échoue de justesse.

Les films sur l’Allemagne de l’est communiste constituent un genre à part entière. Good Bye Lenin ! et La Vie des autres en constituent les deux modèles les plus réussis, le premier exploitant la veine douce amère de l’Ostalgie, le second constituant au contraire une critique au scalpel d’un régime construit sur l’espionnage systématique de tous par tous. Mais ils ne sont pas les seuls : Barbara (2012), De l’autre côté du mur (2014), La Révolution silencieuse (2018) examinent toutes les modalités de la résistance à un ordre communiste implacable.

Inspiré de faits réels – qui avaient déjà fait l’objet dès 1982 d’une adaptation hollywoodienne oubliable avec John Hurt dans le rôle principal – Le Vent de la liberté a le même potentiel dramatique que ces films là. Sans craindre de verser dans le manichéisme, il met en scène des héros positifs en sécession face à un ordre liberticide. Il reconstitue une évasion éminemment cinématographique.

Mais, pour donner plus de piment à la narration, les scénaristes ont été contraints d’accumuler les invraisemblances. Dans la réalité, les Strelzyk et les Wetzel ont construit une montgolfière, y sont montés et ont volé jusqu’en RFA. Dans le film, cette évasion, certes héroïque et dangereuse, mais chiche en rebondissements, se transforme en thriller – auquel on juxtapose pour faire bonne mesure une histoire d’amour superflue entre l’aîné des Strelzyk et la fille du chef de la Stasi locale. On peine à croire que l’armée est-allemande placée en état d’alerte n’arrive pas à repérer une montgolfière dans le ciel et que son aviation échoue à l’abattre. C’est pourtant le cas pour ménager l’happy end couru d’avance.

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