The Man in the High Castle ★★★★

1962. Grâce à la maîtrise de l’atome, le Troisième Reich a rayé de la carte Washington Dc et gagné la Seconde guerre mondiale. Les Etats-Unis, dûment aryanisés, sont désormais divisés en trois territoires. L’Allemagne occupe l’Est ; le Japon dirige l’Ouest ; une zone tampon sépare les deux protectorats. Tandis qu’Adolf Hitler se meurt, laissant augurer une succession délicate, les relations entre le Reich et l’Empire nippon se tendent au point de faire redouter un troisième conflit mondial.
À San Francisco, Juliana Crain (Alexa Davalos) rejoint la Résistance et réussit à infiltrer les cercles de pouvoir japonais. À New York, Joe Smith (Rufus Sewell), un ancien officier américain, gravit un à un les échelons de la SS, quitte à mettre en péril sa famille. Le destin de ces personnages va se croiser autour de mystérieux films qui circulent sous le manteau et qui révèlent l’impensable : l’Allemagne n’aurait pas gagné la guerre.

Le Maître du haut château est une série à grands moyens, produite par Ridley Scott, dont Amazon a abondamment fait la publicité pour renforcer l’attractivité de sa plateforme Prime Video. Elle a été diffusée en quatre saisons de dix épisodes chacune en 2015, 2016, 2018 et 2019.

La série est basée sur le livre de Philip K. Dick. Elle part du même point de départ : que se serait-il passé si Hitler avait gagné la guerre ? L’uchronie est folle. Elle est géniale. D’autres que Dick s’en sont saisis après lui : Robert Harris et son polar Fatherland par exemple.

Quand un livre est porté à l’écran , on le considère très souvent meilleur que son adaptation. Parce que ses lecteurs s’en étaient fait une image différente que celle que leur offre a posteriori son passage à l’écran. Parce que le livre contient des détails que le film, plus bref, ne restitue pas dans toute leur complexité.
Tel n’est pas le cas selon moi du Maître du haut château. J’ai conscience en l’affirmant d’émettre une opinion qui ne sera pas partagée par tous. Car Philip K. Dick est unanimement tenu comme l’un des plus grands auteurs de SF et que son livre est culte. Pourtant je dois avouer avoir préféré de beaucoup la série au livre.

Pourquoi ?
Parce que le livre, beaucoup trop court, se contente de lancer une idée, certes géniale (ce fameux « et si…. ? ») sans en tirer toutes les conséquences. D’ailleurs Philip K. Dick n’a pas réussi à y mettre un point final, s’essayant à plusieurs reprises sans jamais y parvenir à en écrire la suite. Son action se déroule presqu’exclusivement à San Francisco. L’admiration que voue Dick aux philosophies orientales y transpire : il y est question, dans de longs passages ésotériques peut-être écrits sous influence, du Yi King.

La série reprend ces éléments et les enrichit. On retrouve certes, comme dans le livre, les personnages de Juliana Crain, de Robert Childan, cet esthète qui tient une boutique d’antiquités américaines et qui rêverait d’être intégré à la haute société japonaise qu’il révère, de Frank Frink, un manœuvre qui s’associera à Childan pour fabriquer des faux bijoux….
Mais la série crée de toutes pièces les personnages de John Smith, de sa femme et de ses enfants et de l’inspecteur Kido, le chef de la Kempetaï japonaise dans les États du Pacifique. Il invente une Résistance qui n’existait pas dans le livre. Et – idée de génie – il remplace le livre du maître du haut château par une série de films que cet ancien projectionniste rassemble patiemment et diffuse clandestinement pour instiller l’esprit de révolte.

L’uchronie autour de laquelle la série comme le film sont construits est en elle-même très riche. On y voit une Californie sous occupation japonaise, un New York où la SS occupe un immense building sur l’East River et où les autorités du Reich vont dynamiter la Statue de la Liberté. On y voit aussi Berlin devenue la capitale du monde, métamorphosée par les travaux grandioses de Speer.

À cette uchronie, déjà très excitante, s’ajoute un second thème, typiquement dickien : l’existence d’univers parallèles. Les films que diffuse la Résistance en sont un indice : à côté de ce monde, qui a vu la victoire de l’Axe, existent d’autres mondes où l’Axe a été vaincu. Certains personnages ont la capacité de voyager d’un monde à l’autre. C’est le cas de Tagomi, un haut responsable japonais.
Cette voie est à peine esquissée dans le livre. La série, au contraire, en fait progressivement son sujet principal. La narration en est enrichie, qui multiplie les allers-retours entre les deux univers. Mais les personnages le sont tout autant, qui sont confrontés à des questions métaphysiques : sont-ils le résultat de leurs choix ? ou celui de leur destin ? À cette aune, le personnage le plus intéressant de la série est l’Obergruppenführer Smith, impeccablement interprété par Rufus Sewell qui donne à ce rôle de méchant qui aurait pu aisément verser dans la caricature une épaisseur troublante. Beaucoup moins ambigüe s’avère en revanche l’héroïne Juliana Crain dont la seule qualité semble être de survivre miraculeusement à toutes les péripéties dans lesquelles elle est impliquée.

La série a une dernière qualité. Elle se termine – même si son quarantième épisode n’est pas le meilleur. On a tellement vu de séries dont l’épilogue nous frustre d’un dénouement, pour laisser ouverte la possibilité d’une saison supplémentaire, qu’on apprécie pour une fois qu’une histoire ait un point final.

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Made in Bangladesh ★☆☆☆

Shimu a vingt-trois ans. Elle vient de se marier. Elle travaille à Dacca, la capitale du Bangladesh, dans un atelier qui fabrique des T-shirts pour l’exportation. Ses conditions de travail et celle de ses camarades sont exécrables. Son salaire est misérable ; ses horaires sont élastiques et ses heures supplémentaires ne sont pas rémunérées ; la sécurité n’est pas assurée et lorsqu’un incendie se déclare, une employée trouve la mort.
Cet événement provoque chez Shimu une prise de conscience : avec l’aide d’une ONG, elle va créer un syndicat pour la défense des droits des travailleuses. Mais, pour atteindre son objectif, il faudra que Shimu franchisse bien des obstacles à commencer par le veto de son mari, les hésitations de ses collègues, l’inertie de l’administration et les coups fourrés de la direction de l’entreprise prête à tout pour bâillonner la moindre contestation sociale.

La condition féminine au Bangladesh. L’exploitation des travailleuses dans une usine textile au service d’une industrie mondialisée. Les sujets les plus graves ne font pas toujours les meilleurs films.

Bien sûr, on n’aurait ni cœur ni cerveau si on ne laissait pas toucher par Made in Bangladesh. Le précédent film de Rubaiyat Hossain, Les Lauriers-roses rouges (qui diable a eu la fumeuse idée d’une pareille traduction ?), avait déjà fait mouche. Mais celui-ci a décidément trop de défauts pour emporter la conviction : une direction d’acteurs trop lâche, une image surexposée et artificielle, un scénario cousu de fil blanc qui se termine en queue de poisson… Le spectateur européen s’enthousiasmera devant la chatoyance des saris multicolores ; mais cet atout-là ne saurait, à lui seul, faire oublier les défauts trop nombreux dont ce Made in Bangladesh est lesté.

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Les Reines de la nuit ★★☆☆

Eva Carlton, Framboise, Galipette, Lulubelle, Antoine, Pétunia, Roxane, Sweety, Morian, Golda, Vénus, Lulu, Gia : Les Reines de la nuit s’attache aux pas de treize transformistes qui se produisent dans des cabarets.

Christiane Spiéro tenait un sujet en or. Elle interviewe treize travestis – le mot, trop connoté, est passé de mode – chez eux, dans leur environnement quotidien, loin des strass et des paillettes. Ils sont tous différents : des jeunes, des vieux, des beaux, des laids. Certains sont un peu paumés entre leurs doubles vies ; d’autres l’assument parfaitement. Ils sont tous gays, mais très virils et revendiquent cette masculinité, à l’exception d’une, Roxane, qui a franchi le pas et s’est faite opérer, et d’un.e autre, Romain/Morian, qu’on sent prêt.e à le faire. Leur vie sentimentale n’est pas simple : ils sont mal vus des gays (et doivent parfois cacher leur profession à leurs amants) et suscitent chez les hétéros des réactions ambiguës de fascination et de répulsion.

Mais tous ont en commun un formidable plaisir à pratiquer leur art. Un art auquel ils consacrent leur vie, leur temps et leur argent : il faut voir le soin maniaque que chacun prodigue à ses numéros, à son maquillage, à sa coiffure, à ses robes. Un transformiste doit être multi-tâches : chanteur, danseur, chorégraphe, éclairagiste, couturier, coiffeur, maquilleur…

Un art aussi où ils s’accomplissent et qui les a sauvés. Pour chacun, la scène est un accomplissement et une libération. Dans les interviews qu’elle a recueillies, Christiane Spiéro nous livre des pans de vie parfois tragiques, témoignages bouleversants d’une homophobie ordinaire qui laisse sur le trottoir des enfants reniés par leurs parents, chassés du foyer familial. Le cabaret devient pour eux un refuge et une nouvelle famille.

Les Reines de la nuit souffre hélas de sa facture télévisuelle très convenue. C’est bien le comble pour un tel sujet qui donnerait presque aux plus audacieux le désir de chausser des hauts talons pour la première fois de leur vie et aux autres, plus sages, d’assister à une soirée cabaret.

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Port Authority ★☆☆☆

Paul (Fionn Whitehead, un prénom pas facile à porter de ce côté-ci de la Manche, qui tenait pourtant le rôle principal de Dunkerque) débarque à Port Authority, l’immense terminal routier de Manhattan. Sa demi-sœur, censée venir l’y chercher, est aux abonné.e.s absent.e.s. Le jeune homme à la face d’ange, qui a trouvé refuge dans une rame de métro, se la fait défoncer par un trio d’agresseurs. Lee (Mc Caul Lombardi, beau gosse en diable dans Nous les Coyotes, Sollers Point et American Honey) lui vient en aide, l’accueille parmi sa communauté et lui offre un toit en échange d’une sale besogne : prêter main forte à l’expulsion de locataires en retard de paiement.
Au hasard des rencontres, Paul rencontre une communauté LGBT, les McQueen (du nom du couturier), adepte du voguing – un style de danse urbaine, nous dit Wikipédia, « caractérisé par la pose-mannequin, telle que pratiquée dans le magazine américain Vogue (…) avec des mouvements angulaires, linéaires et rigides du corps, des bras et des jambes ». Il tombe amoureux de Wye (Leyna Bloom) sans réaliser qu’elle est transsexuelle.

Si la présentation que j’en ai faite est bien longue, l’histoire de Port Authority se résume à pas grand-chose : un coup de foudre entre un garçon et une fille pas tout à fait comme les autres. On comprend sans peine que le film fasse un tabac dans les festivals LGBTQI dont il coche toutes les cases : récit d’émancipation, hymne à la tolérance, BOF planante, New York nocturne et pluvieux, caméra au plus près des corps…

Le propos n’échappe pas à la caricature : Lee et ses nervis sont des Blancs homophobes bas du front tandis que les « sœurs » de Wye sont d’une sensibilité à fleur de peau.
On se laisse un temps séduire par ce premier film sensible, sorti en salles en septembre dernier, aujourd’hui accessible en VOD. Puis hélas, on s’en désintéresse lentement jusqu’à sa conclusion téléphonée.

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Indianara ★☆☆☆

Indianara est une militante brésilienne transsexuelle. Elle se bat pour les droits des LGBT. Elle a fondé la Casa Nem qui accueille à Rio les plus démuni.e.s. Aude Chevalier-Beaumel, une documentariste française, l’a rencontrée en 2014 au Brésil. Elle l’a suivie pendant deux ans, durant la présidence de Michel Temer dont le gouvernement rogne sur le droit des minorités et au moment de la victoire de Jair Bolsonaro à l’élection présidentielle d’octobre 2018.

Présenté à l’ACID au Festival de Cannes en 2019, sorti en salles en novembre dernier, Indianara nous fait découvrir une égérie de la cause LGBT, quatre mois à peine après Bixa Travesty sur une autre figure brésilienne transgenre.

L’héroïne en impose, avec sa carrure massive, sa crinière blonde, sa détermination sans faille. On la suit à la Casa Nem, auprès de ses « sœurs » menacées d’éviction, dans des manifestations où elle est la première à se saisir du mégaphone pour entretenir la mémoire de tous les LGBT victimes de crimes odieux. Marielle Branco, la conseillère socialiste dont Indianara est la suppléante à la mairie de Rio, connaîtra d’ailleurs le même sort funeste. On la suit aussi chez elle où elle mène paradoxalement une existence paisible avec son mari Mauricio et ses chiens.

Le sujet est brûlant qui nous fait comprendre les menaces qui pèsent sur cette communauté discriminée dans un pays flirtant avec l’extrémisme. Mais, murée dans sa posture de « Marianne des transgenres », Indianara ne brise pas l’armure et ne nous émeut pas.

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Les Petits Maîtres du grand hôtel ★☆☆☆

Le réalisateur Jacques Deschamps a planté sa caméra à l’hôtel Lesdiguières, à Grenoble, une école hôtelière. Il y a suivi, une année durant des élèves en CAP qui se forment à la réception, à l’accueil, en cuisine.

On sent que le titre de ce documentaire est le produit d’une lente maturation. Au début était sans doute Les Maîtres d’hôtel. Trop plat. Trop descriptif. Et puis, il y a eu Grand Budapest Hotel, que la façade de l’hôtel Lesdiguières rappelle vaguement et qui inspire le tout premier plan du documentaire. Ses maîtres d’hôtel sont tout petits, au début de leur formation. Voilà comment on arrive aux Petits Maîtres du grand hôtel.

Les jeunes élèves sont… jeunes. En CAP, ils n’ont pas dix-huit ans. Le costume-cravate des garçons et le tailleur-chignon des filles ne réussissent guère à les vieillir. Leur inexpérience, bien normale, leur maladresse sont attendrissantes. Leur niveau général, révélé par quelques scènes de classes, laisse pantois.

Ce n’est pas la première fois que le cinéma s’intéresse à des jeunes en formation. Nicolas Philibert, le réalisateur d’Être et Avoir, a consacré aux élèves d’un Institut de formation en soins infirmiers (IFSI) de l’est parisien son dernier documentaire (De chaque instant). Theresa Traore Dahlberg a suivi les apprenties en mécanique automobile du Centre féminin d’Initiation et d’Apprentissage aux Métiers (CFIAM) de Ouagadougou (Ouaga Girls). Et on n’aura cité que deux documentaires sortis en 2018.

Du coup, face à ce marché bien occupé, il aurait fallu à ces Petits maîtres une originalité qu’ils n’ont pas. Jacques Deschamps est allé la chercher en inventant des passages de comédie musicale. La recette n’est pas nouvelle. Les réalisateurs, autrement inspirés de Chante ton bac d’abord ou de Entre nos mains, y avaient déjà eu recours. Que les élèves de l’hôtel Lesdiguières chantent comme des casseroles et dansent comme des balais n’arrangent rien…

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Jésus ★★☆☆

Suite au décès de son grand-père, Yura, huit ans, et ses parents quittent Tokyo pour s’installer chez sa grand-mère. Bien qu’il ne soit pas pratiquant, Yura est inscrit dans une école catholique. Les rites qui en scandent le quotidien lui sont inconnus. Mais son intégration devient plus facile lorsque Jésus en personne lui apparaît, invisible de tout autre, et lorsque Yura se fait un ami parmi ses camarades de classe.

Sortir le 25 décembre un film intitulé Jésus, il fallait oser !

Jésus est un film minuscule. Aussi minuscule que la figure de Jésus qui apparaît miraculeusement à Yura. Cette apparition aurait pu provoquer une série d’événements, comiques ou dramatiques. Mais Hiroshi Okuyama a refusé ces facilités scénaristiques pour n’en faire qu’un épiphénomène de la difficile intégration du jeune garçon à son nouvel environnement.

Jésus dure 1h16 seulement. Il ne s’y passe pas grand-chose sinon un drame qui coupe le film en deux et dont j’ai déjà trop dit.

Jésus est un film gracieux sur les amitiés enfantines, aussi délicat et poétique que les dessins animés de Miyazaki – les avions et les créatures chimériques en moins. Mais Jésus n’en est pas moins un film grave sur la foi interrogée à hauteur d’enfant.

À vingt-trois ans à peine, Hiroshi Okuyama signe son premier film. Il en a écrit le scénario, signé la photo, dirigé le montage. Son film pèche paradoxalement par excès de modestie. Mais y bruisse une petite musique qui donne envie de voir le suivant.

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Cats ★★☆☆

Qui ne connaît pas Cats, la flamboyante comédie musicale montée au tout début des années quatre-vingts à Londres par Andrew Lloyd Webber ? Qui n’a pas vibré en attendant Memory, le solo repris par Barbara Streisand, soit pour verser des torrents de larmes, soit pour chausser des boules Quies ?
Cats a inauguré au début des années quatre vingts un genre, celui des megamusicals, ces comédies musicales à gros budget, destiné à attirer en foule les spectateurs à Broadway ou dans le West End avant de faire le tour du monde. Après Cats vinrent Les Misérables (1985), Le Fantôme de l’Opéra (1986), Le Roi Lion (1997), Mamma Mia! (2001)…

Bizarrement, il a fallu attendre près de quarante ans l’adaptation au cinéma de Cats. Tom Hooper s’y est collé qui avait déjà signé celle, fort réussie, des Misérables en 2012 avec Hugh Jackman dans le rôle de Jean Valjean – et deux ans plus tôt le multi-primé Discours d’un roi.

Mais le défi s’est révélé double. Cats est en effet moins une histoire qu’un spectacle de cabaret où s’enchaînent les numéros. Il a fallu écrire un scénario et donner à Victoria, interprétée par Francesca Howard, une danseuse étoile du Royal Ballet, un rôle central. Il a fallu aussi inventer une technologie hybride pour les maquillages et les costumes qui ont été rajoutés au montage. Signe des temps et d’un patriarcat en crise : le rôle de Old Deuteronomy, normalement interprété par un homme, est confié à Judi Dench.

Le résultat est ambivalent. Il comblera les afficionados de la comédie musicale. Il consternera les autres. Le problème est que Cats a mal vieilli. Le film a fait un flop aux États-Unis comme en France.

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La Vérité ★★☆☆

Fabienne (Catherine Deneuve) est une immense star. À l’occasion de la publication de ses mémoires, sa fille Lumir (Juliette Binoche), scénariste à New York, lui rend visite à Paris. L’accompagnent sa propre fille et son mari (Ethan Hawke), longtemps tenu à l’écart des tournages par son alcoolisme. Fabienne est en train de tourner un film de science-fiction avec une jeune actrice en pleine ascension (Manon Clavel) qui interroge son statut de mère et de star.

La présence en France du réalisateur japonais Kore-Eda pour y tourner avec deux des plus grandes actrice françaises son dernier film, juste après Un air de famille sacré à Cannes en 2018, n’était pas nécessairement une bonne nouvelle.

Parce que les précédentes expériences françaises des grands réalisateurs asiatiques n’avaient pas vraiment convaincu. Qu’on aime ou pas Kiyoshi Kurosawa, Hong Sang-Soo ou Hou Hsia Hsien, on ne saurait tenir Le Secret de la chambre noire (avec Tahar Rahim), La Caméra de Claire (avec Isabelle Huppert) ou Le Voyage du ballon rouge (avec Juliette Binoche) pour les œuvres les plus accomplies de ces grands cinéastes.

Parce que, surtout, on ne comprend pas ce qu’il faut attendre de cette fertilisation croisée. Car de deux choses l’une a priori. Soit le réalisateur asiatique expatrié en France n’arrivera pas à se départir de ses habitudes et on voit mal pourquoi s’être donné le mal de venir tourner en France. Soit, au contraire, il les aura si bien gommées qu’on lui reprochera d’y avoir perdu son identité.

Kore-Eda est-il tombé dans l’un de ses travers ? En partie. La Vérité est un film absolument français qu’on aurait volontiers attribué à André Téchiné ou Benoît Jacquot si on n’avait rien su du nom de son réalisateur. Est-ce en soi un mal ? Nullement. Au contraire. L’ironie grinçante du film fait mouche, peu importe l’identité de celui qui l’a réalisé. Et  Kore-Eda ne peut qu’être félicité pour avoir su avec autant de finesse, sans parler un mot de français, s’approprier les codes de notre cinéma.

Sauf que… Sauf que on ne voit pas très bien les raisons de lui avoir fait traverser l’Eurasie pour réaliser ce film-là. Il démontre certes l’étendue de ses talents, la richesse de sa palette. Mais à quoi bon ? Proposerait-on à Bong Joon-Ho de tourner après Parasite un remake du Dernier métro.

On pourra ne pas me suivre dans cette argumentation spécieuse qui dit tout et son contraire et préférer considérer le film pour ce qu’il est : une formidable entreprise par Catherine Deneuve d’auto-démythification – si on m’autorise ce néologisme hardi.
J’ai déjà dit souvent mon ras le bol devant cette actrice qui n’a pas quitté la tête d’affiche depuis cinquante ans. Mais force m’est de reconnaître son immense talent et son audace à endosser le rôle quasi-autobiographique d’une diva péremptoire, hautaine, égocentrique, cruelle et injuste avec ses proches. J’ignore ce que sa fille Chiara en a pensé ; mais j’imagine volontiers que ses rires furent parfois jaunes.
Chapeau l’artiste !

Et puis, même si la prestation de Mlle Deneuve (ansi qu’elle est créditée au générique) pourrait lui valoir le troisième César de son interminable carrière, il faut saluer celle des autres acteurs auxquels pourtant elle ne laisse guère de place. Juliette Binoche – dont l’anglais est décidément excellent – accepte le rôle ingrat de la fille écrasée par sa mère qui tente en vain de s’en affranchir. Ethan Hawke est épatant dans le rôle de l’Américain à Paris – qu’il a, il est vrai, déjà endossé auprès de Julie Delpy. Il n’est pas jusqu’à la gamine, interprétée par Clémentine Grenier, qui ne soit pas juste.

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Lillian ★★☆☆

En 1927, Lilian Alling a disparu en ralliant à pied la Russie depuis New York en traversant le continent américain puis le détroit de Béring. Un réalisateur autrichien, Andreas Horvath, a transposé cette histoire vraie à notre époque et confié le rôle principal, quasiment muet, à une plasticienne polonaise, Patrycja Planik.

Lillian est une longue errance à travers les États-Unis. On y retrouve la soif d’absolu qui nourrissait déjà Into the Wild, Wild, Captain fantastic ou Leave no Trace dont les protagonistes mutiques tournaient le dos à la société et revenaient à la nature. Si Lilian a la même radicalité que ces quatre films-là, il n’est pas aussi réussi qu’eux.

La faute peut-être à une trop grande radicalité. Le réalisateur refuse d’expliquer la dromomanie de Lillian : on ne saura rien de son passé, de ce qu’elle fuit et de ce vers quoi elle va. Il refuse également d’enjoliver les étapes de son périple de rencontres édifiantes. Il filme à l’os une femme qui marche, seule, dans une nature, splendide et indifférente. Seule dérogation à ces principes rigoureux : des épisodes quasi-documentaires qui sont autant de témoignages sur l’Amérique profonde, celle même que documentait Frederick Wiseman dans Monrovia, Indiana, Claus Drexel dans America ou Stéphanie Gillard dans The Ride, ses rednecks confits dans leurs préjugés, ses rares belles âmes compatissantes.

Les images sont belles. On peut se laisser happer par leur beauté hypnotique. Jusqu’à un épilogue étonnant filmé au milieu du détroit de Béring, auprès d’Inuits chassant la baleine au harpon comme au temps jadis.
Mais on risque aussi de trouver le temps long. Très long.

La bande-annonce