Le Capital au XXIe siècle ★☆☆☆

Publié en 2013, l’épais essai de Thomas Piketty est devenu un best-seller international, traduit dans quarante langues, écoulé à plus de trois millions d’exemplaires. Pourtant son sujet est aride : il analyse la répartition du patrimoine dans les pays développés depuis la révolution industrielle.

Un tel succès de librairie appelait tôt ou tard une adaptation au cinéma. C’est chose faite avec l’aide d’un documentariste néozélandais, Justin Pemberton, qui co-signe avec Thomas Piketty lui-même ce documentaire dont le confinement a retardé de trois mois la sortie prévue le 18 mars.

Le résultat est étonnant. Aucun chiffre, aucun graphique, aucun tableau, mais de la musique pop et des extraits des Simpson ou de Wall Street. Tout se passe comme si les co-réalisateurs avaient voulu amadouer les spectateurs que la perspective d’un documentaire truffé d’équations sur le capitalisme mondial aurait rebutés. On ne peut que louer cette volonté revendiquée de vulgarisation. Mais on peut aussi trouver à y redire lorsqu’elle conduit à appauvrir le propos du film au point de le vider de sa substance.

Autant des documentaires tels que Inside Job, The Corporation ou Capitalism: A Love Story fourmillaient d’informations, autant Le Capital au XXIème siècle déçoit par son manque de contenu. Qu’y apprend-on ? Rien qu’on n’ait pas entendu dans sa bande-annonce et rien qu’on ne sache pas déjà : que le capital s’est toujours concentré entre les mains d’une élite privilégiée et endogame, que sa concentration a tendance à augmenter mécaniquement accroissant ainsi les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres, que cette concentration néfaste doit être corrigée par un impôt mondial sur le capital.

On me rétorquera que ces idées sont exactement celles que défend Thomas Piketty dans son essai. Je ne le contesterai pas faute d’en avoir lu les neuf cent soixante-seize pages. Mais je réorienterai du coup mon accusation vers ce livre dont ce documentaire est tiré. Non pas pour en critiquer le contenu ou la méthode mais pour constater que son message, si simple, se prêtait mal à une adaptation documentaire.

La bande-annonce

L’Ombre de Staline ★★☆☆

Au début des années trente, un jeune Gallois, Gareth Jones (James Norton dont il se dit qu’il pourrait succéder à Daniel Craig dans le rôle de l’agent 007) se rend en Union soviétique. Il y découvre l’effroyable famine organisée par le Kremlin en Ukraine et veut la révéler au monde entier.

Le jeudi 12 mars 2020, je devais aller voir L’Ombre de Staline en avant-première à 20h. Mais, pris par le travail, je ratai la séance. Je m’en suis vite consolé en me disant que je verrais le film à sa sortie le mercredi suivant. On sait tous que le film ne sortit pas le mercredi suivant… J’avais décidé que L’Ombre de Staline serait le premier film que j’irais voir à la réouverture des salles avec le désir – comme le disaient les partisans de Louis XVIII à la Restauration – de « renouer la chaîne des temps ».

L’Ombre de Staline (dont le titre, partout sauf en France, est Mr. Jones) est inspiré de faits réels. Gareth Jones a bien existé qui travailla un temps au cabinet du Premier ministre britannique Lloyd George, qui interviewa Hitler et qui enquêta en URSS sur les modes de financement des plans quinquennaux. Comme Hergé avec Tintin au pays des Soviets écrit en 1929, comme Gide avec Retour de l’URSS publié en 1936, Gareth Jones découvre avec violence la réalité du « miracle soviétique » : Staline affame son peuple pour obtenir les devises pour financer les objectifs des plans quinquennaux.

On sait aujourd’hui que l’Holodomor, un mot ukrainien signifiant littéralement « extermination par la faim », fit entre 1931 et 1933 quelque quatre millions de victimes en Ukraine. Au mitan du film, dans une parenthèse sinistre, presque muette, la caméra suit Gareth Jones qui découvre horrifié l’ampleur du sinistre : les paysans émaciés par la faim, les cadavres abandonnés au bord des routes, les enfants mangeant de la chair humaine…

Le film d’Agnieszka Holland, une vieille routière du cinéma, est d’un classicisme revendiqué. Les scènes qui se déroulent en URSS sont plongées dans une lumière désespérément grise censée en souligner la tristesse. Aux côtés de James Norton, on reconnaît Vanessa Kirby (qui jouait la princesse Margaret dans les deux premières saisons de The Crown) et Peter Sarsgaard abonné aux rôles de salaud.

L’Ombre de Staline n’en est pas moins d’une actualité brûlante à une époque où les relectures partisanes de l’histoire, en Occident et en Russie, donnent lieu à des guerres de mémoire. En témoigne la récente polémique provoquée par Vladimir Poutine sur les causes de la Seconde Guerre mondiale.

La bande-annonce