Borat Subsequent Moviefilm ★☆☆☆

Borat Margaret (sic) Sagdiyev est libéré du goulag où il a été expédié. Un cadeau lui est confié par le Président du Kazakhstan, qu’il devra remettre au président Donald Trump ou, à défaut, au vice-président Mike Pence. C’est l’occasion pour le journaliste kazakh, perclus de préjugés antisémites et racistes, de revenir aux Etats-Unis, quinze ans après son précédent séjour. Sa fille, Turat, est du voyage.

Borat est de retour.
Comment pouvait-il en être autrement ? Certes le créateur de ce personnage iconoclaste, le Britannique Sacha Baron Cohen, avait juré ses grands dieux que son film n’aurait pas de suite. Mais après avoir engrangé en 2007 plus de deux cent cinquante millions de dollars de recettes (pour un budget de dix-huit millions seulement), comment résister à la perspective de faire coup double ?

Pour ne pas décevoir ses fans, Borat 2 est condamné à ré-utiliser les mêmes recettes que Borat 1. Sur le fond : un soi-disant journaliste kazakh au sabir hilarant tend aux Etats-Unis le miroir déformant de ses pires défauts (antisémitisme, sexisme, complotisme, bigoterie…) auxquels s’ajoute depuis 2020 le refus de certaines franges de la population de se plier aux précautions sanitaires que la pandémie du Covid appelle. Dans la forme : des saynètes sont filmées en caméra cachée où des Américains se font piéger.

Le fond fait toujours autant rire. Borat 2 contient des scènes inégales plus ou moins drôles. Certaines sont franchement hilarantes et risquent, comme celles du premier opus, de devenir cultes. L’une en particulier a déjà défrayé la chronique où l’on voit Rudy Giuliani, l’ancien maire de New York, l’un des plus fidèles supporters de Donald Trump, céder au charme d’une journaliste et l’accompagner dans une chambre d’hôtel.

Mais le rire que Borat suscite est un rire bien particulier. Il est basé sur la gêne, sur l’outrance. C’est un rire qui suscite un malaise. On se souvient, dans le premier film, de cette scène où Borat, feignant d’ignorer le fonctionnement des toilettes américaines, en était sorti avec un sac plastique rempli de ses excréments. On peut la trouver hilarante ; on peut aussi la trouver très embarrassante. C’est le même embarras que j’ai ressenti durant le bal des débutantes où la fille de Borat (interprétée par l’épatante Maria Bakalova) exhibe son sexe rougi par ses règles.

Dans la forme, Borat 2 atteint vite ses limites. Le visage de Sacha Baron Cohen est en effet devenu trop célèbre pour permettre à l’acteur de filmer dans l’anonymat ses rencontres. Il est condamné à se grimer ou à se dédoubler à travers sa fille. Certaines scènes ont été réellement tournées en caméra cachée; mais il semblerait qu’elles ne l’aient pas toutes été, rompant le pacte tacite qui liait le réalisateur à ses spectateurs.

Qui aura aimé Borat 1 risque d’être déçu de cette resucée sans surprise. Qui ne l’aura pas aimé ne pourra qu’être déçu.

La bande-annonce

En attendant le carnaval ★★☆☆

Le petit village de Toritama au nord-est du Brésil est la « capitale du jean ». Chaque année, près de vingt millions de paires en sont produites par une immense main d’œuvre industrieuse dont le seul loisir, le seul moment de détente dans l’année est le carnaval qu’elle va passer au bord de l’océan tout proche.

En allant voir ce documentaire brésilien, on escompte volontiers un énième témoignage sur les conditions de travail quasi-esclavagistes d’un lumpenprolétariat asservi à des cadences infernales, leurré par la perspective lointaine d’un loisir frelaté. Panem et circenses. La réalité est plus complexe.

L’industrie du jean à Toritama est organisée autour de mini-structures unipersonnelles. Chaque travailleur est son propre patron. Mais cette autonomie est vaine. Obnubilés par l’appât du gain, les travailleurs n’en profitent pas et se soumettent d’eux-mêmes aux pires conditions de travail.

Du coup, l’impression qu’on retire de ce documentaire est très ambigüe. On peut bien sûr s’insurger de cet énième ruse de l’hypercapitalisme qui, sous couvert de redonner leur autonomie aux travailleurs, n’en a pas pour autant allégé leur servitude. On peut aussi se lamenter de l’état d’esprit de ces hommes et ces femmes, de leur obsession pour l’argent, de leur incapacité à rompre les chaînes qui les entravent.

Et puis, on peut voir dans la préparation du carnaval, dans les comportements irrationnels de ces travailleurs qui vendent leurs biens de première nécessité, qui sacrifient l’épargne patiemment accumulée pour se payer ces trop rares vacances, un pied de nez à la loi d’airain du capitalisme, un sursaut de vie, toujours plus fort que la logique de l’argent.

La bande-annonce

Una Promessa ★☆☆☆

Angela travaille dans une exploitation agricole et meurt dans des circonstances mystérieuses. Son mari, Giuseppe, accompagné de son fils, Anto, décide de s’y faire employer pour élucider les circonstances de sa disparition. Il découvre la réalité du travail des journaliers et la violence de l’oppression que font peser sur eux un patron sans cœur et son contremaître sanguinaire.

Résumé comme je viens de le faire, Una Promessa pourrait passer pour un film policier sur l’élucidation d’un crime et la réalisation d’une vengeance. Il n’en est rien. Le film des frères De Serio, venus du documentaire, est plus proche du naturalisme d’un Mediterranea, ce film sorti en 2015 qui documentait l’impossible insertion d’un immigré africain dans le sud de l’Italie

Son véritable objet est la description révoltante de l’esclavage moderne imposé aux travailleurs immigrés dans les champs de l’Italie du sud. Son moteur est l’amour père-fils qui unit irréductiblement Giuseppe et Anto, façon La vita è bella.

L’histoire s’achève dans un paroxysme de violence qui a valu au film une interdiction aux moins de douze ans. Cette scène, éprouvante, fait oublier la lenteur de l’heure qui la précède où quasiment rien ne se passe. Elle ne suffit pas pour autant à sauver le film, plombé par des personnages trop manichéens.

La bande-annonce

Last Words ★☆☆☆

En 2086, la population mondiale a été décimée par une épidémie qui a asséché les sols et pollué les eaux. Une poignée d’humains a survécu parmi lesquels Kal qui, après la mort de sa sœur, quitte Paris pour Bologne en Italie. Il y retrouve dans les ruines de la cinémathèque, un vieil amoureux du cinéma (Nick Nolte) qui possède encore quelques bobines de films et qui incite Kal à fabriquer une caméra pour immortaliser la vie qui s’en va. Ensemble, ils se rendent près d’Athènes et y découvrent la dernière communauté humaine.

J’ai toujours aimé les films post-apocalyptiques, les uchronies qu’ils envisagent (que deviendrait notre monde après une catastrophe planétaire ?), les drames poignants qu’ils permettent de concrétiser (quelle pulsion de vie nous animerait encore si nous étions le dernier humain sur terre ?). Dans ce genre là, mes films préférés sont, sans surprise, Mad Max (même si le tout dernier ne m’a pas autant enchanté que le tout premier), La Route, adapté du chef d’œuvre de Cormac McCarthy, et Les Fils de l’homme.

En 2020, Last Words sort à pic qui imagine qu’un méchant virus attaquant le système respiratoire aurait décimé l’essentiel de l’humanité. Pourtant, son projet est bien antérieur au Covid. Il est adapté d’un roman de Santiago Amigorena publié en 2015.

Last Words emprunte son esthétique à Mad Max : paysages désertiques, personnages loqueteux ; mais ce n’est pas un film d’action avec son lot de course-poursuites et de zombies cannibales. Last Words se veut plutôt un conte philosophique, une réflexion sur la capacité du cinéma et des images à créer du lien social.

Son casting est un mélange cosmopolite d’acteurs de toutes origines qui déambulent en guenilles, comme des âmes en peine, dans les ruines de Paestum : un jeun Gambien dans le rôle principal, un Américain (Nick Nolte), un Suédois (Stellan Skarsgård), une Française (Charlotte Rampling), une Italienne (Alba Rohrwacher), une Anglaise (Maryam d’Abo qui fut jadis une oubliable James Bond girl aux côtés de Timothy Dalton)…

La conclusion du film est pessimiste. Elle résonne peut-être avec l’expérience du réalisateur, Jonathan Nossiter, venu du documentaire (on lui doit l’excellent Mondovino), reconverti à l’agriculture biologique en Italie. Il semble être arrivé à la conclusion que le cinéma ne sert à rien. Bien triste constat….

La bande-annonce

Le Bon Grain et l’Ivraie ★☆☆☆

Pendant un an, à Annecy et dans ses environs, la réalisatrice Manuela Frésil, déjà remarquée pour le documentaire qu’elle avait consacré en 2013 aux conditions de travail dans un abattoir industriel (Entrée du personnel), a suivi des familles de demandeurs d’asile kosovars. Elle s’est surtout attachée à leurs enfants, à leurs joies, à leurs peines.

Filmer à hauteur d’enfants la terrible condition des demandeurs d’asile. Il suffit de regarder la bande-annonce de ce documentaire, d’y voir des angelots blondinets, grelottants de froid, obligés à dormir à la rue quand ils ne sont pas transbahutés d’un lieu d’accueil à un autre, dont le moins qu’on puisse en dire est que le confort n’y est pas excessif, pour avoir le cœur qui se brise et pour prendre fait et cause pour eux et contre les lois iniques qui leur imposent cette situation.

Un instant de raison devrait toutefois nous inciter à plus de lucidité et à prendre le recul que le documentaire ne nous permet pas. Sans doute, entend-on en voix off les témoignages, déchirants, que des demandeurs d’asiles kosovars produisent devant l’Ofpra (l’établissement public qui instruit les demandes d’asile) ou devant la CNDA (la juridiction administrative spécialisée qui connaît des requêtes dirigées contre les refus de titres d’asile par l’Ofpra) : les demandeurs y semblent de bonne foi, qui invoquent les persécutions qu’ils ont subies dans leur pays en raison notamment d’unions mixtes mal tolérées ou de vendettas. Ces témoignages sont scrutés à la loupe par les agents qui les reçoivent et qui en apprécient le sérieux. Les demandeurs kosovars sont souvent hélas des réfugiés économiques (le Kosovo est le pays le plus pauvre d’Europe avec un taux de chômage estimé à 30 %) qui ne remplissent pas les critères leur permettant de bénéficier de l’asile en France.

Au-delà du débat passionnant qu’il soulève sur la situation des demandeurs d’asile en France, Le Bon Grain et l’Ivraie ne brille pas par ses qualités cinématographiques. Un jour ça ira, qui sur un mode similaire, suivait les enfants des locataires de L’Archipel, un centre d’hébergement d’urgence à Paris, souffrait déjà des mêmes défauts. Étaient autrement convaincants les documentaires sur l’accueil en Cada (Les Arrivants, 2008) et sur l’apprentissage du français à des jeunes étrangers (La Cour de Babel, 2013).

La bande-annonce

Une vie secrète ★★☆☆

Républicain espagnol, membre du conseil municipal de sa petite ville d’Andalousie, Higinio (Antonio de la Torre) échappe de justesse à la mort qui fauche ses camarades lorsque les troupes franquistes prennent le pouvoir en 1936. Il n’a d’autre solution que de se cacher dans un trou sous sa maison avec la complicité de sa jeune épouse Rosa (Belén Cuesta). Higinio devient un topo, une taupe condamnée à vivre cloîtré dans ses propres murs par le franquisme qui s’installe durablement et par la sanction qui le frapperait s’il tentait de quitter sa cachette.

Le franquisme constitue décidément en Espagne un « passé qui ne passe pas ». Après Lettre à Franco, sorti en France en février, voici Une vie secrète, qui a joué de malchance dans sa programmation (sa sortie prévue en mai, repoussée à cause du premier confinement, a été finalement fixée au 28 octobre, deux jours avant le second).

Le film a connu un grand succès en Espagne l’année dernière. Nommé quatorze fois aux Goyas, l’équivalent des Césars, il s’y est fait voler la vedette par le dernier Almodovar et n’y a raflé que deux statuettes, celle de la meilleure actrice pour Belén Cuesta et celle, amplement méritée, du meilleur son. Antonio de la Torre aurait largement mérité le Goya du meilleur acteur ; mais il l’avait déjà obtenu l’année précédente pour son interprétation dans El Reino.

Une vie secrète a une qualité rare : celle de nous faire ressentir la durée du temps qui passe. La leçon est précieuse en ces temps de confinement. Qui s’est plaint d’avoir été privé de ses libertés réalisera le ridicule de ses récriminations après avoir pris conscience de l’épreuve que vécurent les topos espagnols pendant leurs dizaines d’années d’emprisonnement.

La caméra ne quitte quasiment jamais l’espace clos de la maison dont Higinio ne peut sortir. Le monde qui vit, le temps qui passe sont considérés de son point de vue, à travers le trou minuscule qu’il s’est ménagé dans un mur de sa cellule et grâce aux journaux, à la radio et à la télévision qui apparaît dans les années soixante. Le danger est à l’extérieur : être vu, être entendu. Mais il est aussi à l’intérieur dans l’ennui qui sourd et dans la discorde qui guette entre les deux époux. Là encore, qui aura vécu en 2020 des moments plus ou moins tendus avec son conjoint ou ses enfants durant le confinement comprendra sans peine ce qu’ont pu traverser Rosa et Higinio.

Son excessive durée est souvent reprochée à Une vie secrète. C’est vrai que le film dure 2h27. Mais, il n’en fallait pas moins justement pour faire ressentir l’incroyable longueur de cette épreuve hors normes.

La bande-annonce

Sous les étoiles de Paris ☆☆☆☆

Christine (Catherine Frot) est une clocharde sans âge qui vit dans un local d’entretien de la Ville de Paris, coincé entre la Seine et les quais du RER C, à une encablure de Notre-Dame – dont la flèche, à l’époque du tournage n’avait pas encore brûlé. Un beau soir frappe à sa sorte Suli (Mahamadou Yaffa), un petit émigré malien qui ne parle pas un mot de français. L’enfant recherche sa mère sous le coup d’une mesure d’expulsion imminente. Rompant avec la solitude de son existence, Christine va l’aider dans sa quête.

Claus Drexel est le réalisateur d’un documentaire poignant sur la vie des SDF à Paris. Sorti début 2014, Au bord du monde m’avait durablement marqué. C’est donc sur la seule foi du nom de son réalisateur que je suis allé voir Sous les étoiles de Paris – avant le confinement qui, deux jours après sa sortie, tuera dans l’œuf les espoirs de recettes du film – en en espérant une suite plus au moins fictionnelle de Au bout du monde.

Bien mal m’en prit. J’aurais dû regarder la bande-annonce pour comprendre la sauce trop indigeste à laquelle cette suite allait être cuisinée. Loin de la comédie dramatique façon Une époque formidable avec Gérard Jugnot, loin du délire burlesque d’un Bernie avec Albert Dupontel, loin du film chorale façon Vernon Subutex avec Romain Duris, Sous les étoiles de Paris se veut un conte de fées avec une vieille sorcière, moins acariâtre qu’il n’y paraît, et un petit prince.

Les contes de fées sont parfois réussis. Notre dame de Valérie Donzelli en était un à sa façon, urbaine et contemporaine. Le problème du film de Claus Drexel est qu’il échoue sur toute la ligne. Il croule sous le poids mièvre de ses bonnes intentions. Il ne nous surprend à aucun moment. Son scénario paresseux n’est pas crédible. Ses seuls bons moments sont les plans sans paroles que Drexel filme des sans-abris parisiens et de leurs misérables conditions d’existence.

Sous les étoiles du monde est affligé par un handicap supplémentaire : Catherine Frot que j’apprécie aussi peu qu’Isabelle Huppert. Certes on la voit moins souvent que sa consœur. Mais chacune de ses apparitions suscite chez moi une réaction épidermique : sa bouche pincée, sa diction ampoulée, sa voix, tout m’irrite chez elle. J’ai honte d’une réaction aussi irrationnelle qui aurait dû me faire éviter ce film dont elle tient la tête d’affiche et où elle est de chaque plan.

La bande-annonce

Garçon chiffon ★☆☆☆

Tout va de travers dans la vie de Jérémie (Nicolas Maury) : son père vient de se suicider, son couple bat de l’aile, sa carrière ne décolle pas. Pour panser/penser ses plaies, Jérémie prend le train pour retrouver sa mère.

Après Patrick Chéreau et son célèbre film chorale (Ceux qui m’aiment prendront le train), après Un village français, la série à succès de France 3, après Sébastien Lifshitz et ses deux Adolescentes, le Limousin a décidément la côte. C’est la France moyenne, de l’Occupation à nos jours, loin des centre villes trépidants et des banlieues en feu, la France de nos racines, celle de nos parents, ni pauvre, ni riche.

Cette semaine, amputée par le reconfinement, deux films tiennent – ou plutôt tenaient – le haut de l’affiche : ADN et Garçon Chiffon. On a beaucoup parlé du premier – sans doute en partie à cause des interviews sulfureuses de sa réalisatrice – en critiquant ou en excusant son nombrilisme. On aurait pu faire le même procès au second, passé hélas sous les radars.

Comme Maïwenn pour ADN, Nicolas Maury est le réalisateur, le co-scénariste et l’acteur principal de son film. C’est beaucoup. C’est sans doute trop.

Dans ADN, Maïwenn se filmait au milieu d’un groupe où elle réussissait, avec un talent rare, à faire naître des moments de pure émotion, rires ou larmes. Nicolas Maury n’a pas ce don. Il ne se filme pas au milieu des autres, mais dans des face-à-face successifs : avec un producteur qui refuse de l’engager (Jean-Marc Barr vieillissant), avec son agent qui essaie de le convaincre de son talent (Laurent Capelluto, l’acteur dans un second rôle dont on ne sait jamais le nom), avec une réalisatrice en pleine hystérie (Laure Calamy décidément excellente dans tous les registres), avec son amoureux (Arnaud Valois plus caliente que jamais). Et bien sûr avec sa maman : une Nathalie Baye parfaite dans le rôle de la mère inconditionnellement aimante qu’on a tous rêvé d’avoir ou qu’on a eu la chance d’avoir eue.

J’ai écrit hier que, selon qu’on trouvera Maïwenn bouleversante ou horripilante, on adorera ou on détestera ADN. Je pourrais écrire la même chose ce matin de Nicolas Maury et de son Garçon Chiffon. Avec sa voix haut perché, sa démarche hésitante, l’acteur révélé par son rôle d’assistant maladroit dans Dix pour cent assume sans rougir une homosexualité de grande folle que personne, Dieu merci, n’irait plus lui reprocher de nos jours. C’est moins cette outrance qui m’a gêné que la complaisance de Nicolas Maury à analyser ses tourments intérieurs dans un (trop) long ego-trip narcissique. Il m’a moins donné envie de le prendre dans mes bras pour le câliner que de lui filer deux baffes pour le secouer.

La bande-annonce

ADN ★★★☆

Emir va mourir. Emir meurt. Cet Algérien, émigré en France a eu une vie bien remplie, du côté des immigrés et des plus faibles, et une descendance nombreuse. Toute sa famille l’entoure à l’heure de sa mort : ses deux filles (Fanny Ardant, Caroline Chanollieau), ses petits-enfants (Maïwenn, Marine Vacth toujours aussi parfaite, Dylan Robert qui n’a rien perdu de sa tchatche depuis Shéhérazade, Florent Lacger, Henri-Noël Tabary…). L’organisation de ses funérailles la voit se déchirer autour de choix futiles – le modèle du cercueil, le choix du capiton – qui cachent des fêlures plus profondes. La mort de son grand-père cause à Neige (Maïwenn) un profond traumatisme. Elle la pousse à partir à la découverte de ses racines algériennes.

Selon qu’on trouvera Maïwenn bouleversante ou horripilante, on adorera ou on détestera ADN. Ce film dont elle est la réalisatrice, la co-scénariste, l’actrice principale gravite autour d’elle et lui est tout entier voué. Elle a raconté, à longueur d’interviews , qu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’une auto-fiction. Elle n’en a pas moins tiré l’inspiration d’une vie familiale cabossée, entre une mère franco-algérienne possessive et un père franco-vietnamien absent (interprété ici avec une perfidie sadique par l’immense metteur en scène Alain Françon), qui avait déjà largement nourri ses précédents films, tout aussi impudiques : Pardonnez-moi (2006), Le Bal des actrices (2009), Polisse (2011), Mon roi (2015).

Maïwenn fait son Angot ? Oui. Mais elle le fait avec plus de talent et plus de grâce que la hargneuse romancière. Elle a le don pour filmer les groupes et y capter des instants magiques parfois involontaires. Aidé par un Louis Garrel irrésistible dans le rôle d’un ex bout-en-train, elle nous arrache des éclats de rire inattendus, comme dans ces funérailles où Caroline Chanollieau fredonne les paroles d’une chanson pop déplacée. Elle sait aussi nous faire monter les larmes aux yeux dans ce face-à-face terrible entre sa mère, jouée par une Fanny Ardant dont l’hystérie trouve enfin à s’exprimer sans paraître surjouée, et elle au funérarium du Père-Lachaise.

ADN souffre, c’est vrai, d’un problème de construction. Toute sa première partie, qui dure plus d’une heure, gravite autour d’Emir, ses derniers jours dans un EHPAD filmé sur un mode quasi-documentaire, avec ses vieux qui gagattent et ses familles qui essaient en vain de s’excuser de les y avoir parqués, puis avec son incinération et les préparatifs chaotiques qui l’ont précédée. La seconde partie du film est plus courte et se recentre sur Neige. Le film chorale devient un film solitaire. On adhère moins à cette introspection nombriliste dont on pressent l’issue, dans les rues ensoleillées d’Alger en plein Hirak.

ADN ne m’a pas emporté comme Mon roi l’avait fait : un film passionné, excessif, irrésistible, parmi mes tout préférés de l’année 2016. ADN est plus sage. Il n’en est pas moins touchant.

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City Hall ★★★☆

Documentaire de 4h30, City Hall décrit au jour le jour le fonctionnement de la municipalité de Boston, dirigée par un maire démocrate.

Le match est plié depuis belle lurette : Frederick Wiseman est le plus grand documentariste contemporain. Mais, à quatre vingt dix ans passés, ce natif de Boston joue les prolongations et revient dans sa ville natale pour nous en présenter le fonctionnement modèle, à mille lieux du Midwest trumpiste où il avait planté sa caméra dans son précédent documentaire, Monrovia, Indiana.

Le vieux documentariste poursuit inlassablement sa radioscopie des institutions américaines. Après la prison (Titicut Follies), le musée (National Gallery), l’université (At Berkeley), la bibliothèque publique (Ex Libris), il décrit un objet plus large, plus transversal : une municipalité. Il ne s’agit pas de raconter une ville dans son ensemble, mais, une fois encore, le fonctionnement d’une institution bien précise, dans ses multiples facettes, dans sa triviale quotidienneté.

Le documentaire, d’une durée hors normes, voit se succéder quarante-cinq séquences, plus ou moins longues. Dans un montage dont on peut interroger le sens (y a-t-il une progression ? un début ? une fin ?), chaque service de la municipalité a droit à son coup de projecteur : le relèvement des ordures, les Parcs & jardins, la Commission handicap, les Archives, etc. Chaque événement qui scande la vie municipale est lui aussi scrupuleusement archivé : un mariage gay, le 11-novembre, la parade organisée en l’honneur des Red Soxs au lendemain de leur onzième victoire aux World Series

Frederick Wiseman nous a habitués à ses formats hors normes : Ex Libris et In Jackson Heights duraient plus de trois heures, At Berkeley en durait plus de quatre…. mais il bat ici son record avec un documentaire de deux cent soixante-douze minutes. Une telle durée peut sembler inhumaine et l’idée a sans doute traversé l’esprit des producteurs de couper ce documentaire en deux. Mais, à condition de s’y être mentalement préparé – et d’avoir une vessie en sachet Cora – on se laisse happer par ce voyage et son rythme métronomique : des séquences de cinq-six minutes entre lesquelles s’intercalent quelques plans fixes de Boston s’enfonçant dans l’hiver.

City Hall est un hymne à la démocratie locale. Une démocratie locale participative, fraternelle, plurielle, incarnée par le maire de Boston, Martin Walsh. Jamais Frederick Wiseman ne s’était à ce point intéressé à un seul personnage – qu’on voit dans un bon tiers des séquences. Il faut dire que le personnage semble tout droit sorti d’un film de Capra : descendant d’immigré irlandais, il a survécu à un cancer infantile qui l’a tenu quatre ans loin de l’école, avant de sombrer dans l’alcoolisme, l’âge adulte venu.

City Hall constitue sans doute le meilleur clip électoral jamais tourné. D’ailleurs, les esprits chagrins regretteront l’absence de contrepoint à la présentation de ce maire modèle : aucune de ses réalisations n’a-t-elle jamais été critiquée ?
Sorti quelques jours à peine avant les élections présidentielles américaines, alors que l’Amérique et le monde retiennent leur souffle, affolés à l’idée d’une possible réélection de Donald Trump, City Hall constitue aussi le plus vibrant éloge de l’art de gouverner.

La bande-annonce