Slalom ★★☆☆

Liz (Noée Abita) a quinze ans et une seule passion : le ski alpin. Elle vient d’intégrer la section sport-étude du lycée de Bourg Saint-Maurice. Son entraîneur, Fred (Jérémie Renier), est connu pour son exigence mais aussi pour son efficacité. Il a tôt fait de repérer Liz et de la pousser dans ses retranchements pour qu’elle se dépasse.
Entre la jeune championne et l’entraîneur sadique se noue une relation toxique.

J’ai souvent parlé des Dossiers de l’écran dans mes critiques quotidiennes, au risque de n’éveiller d’écho que parmi les seuls lecteurs âgés de cinquante ans ou plus. Eux seuls se souviennent de cette émission-débat du mardi soir sur France 2, ouverte par un film censé illustrer le thème du jour : Marathon Man sur la chasse aux criminels nazis, La Dérobade sur la prostitution, La Maison du lac sur le troisième âge, etc.

Slalom aurait pu parfaitement introduire un débat sur les violences sexuelles dans le sport. Le sujet est hélas d’une brûlante actualité. Arte lui consacrait l’été dernier un documentaire édifiant. Les faits divers, souvent scabreux se succèdent, dans le patinage artistique, le moto-cross, la natation…

Slalom décrit à la perfection le phénomène d’emprise. Il montre l’ambiguïté structurelle de la relation qui unit une jeune sportive à son entraîneur, ce mélange explosif d’admiration, de soumission, de crainte, d’attraction aussi (le film montre, trop brièvement peut-être cette dimension-là aussi). Loin de sa famille, à un âge difficile, la jeune adolescente ne sait opposer aucune défense à l’adulte qui abuse de sa situation.

Jérémie Renier est comme d’habitude parfait dans un rôle qui aurait pu verser dans la caricature. Il ne s’agit pas d’un pervers sexuel, d’un prédateur, mais d’un homme à l’ego malmené qui transfère sur la jeune championne l’ambition qu’il n’a pas su réaliser pour lui-même.

Le seul défaut de Slalom, qu’on se sent bien mesquin de pointer, est de suivre un peu trop à la lettre ce projet-là. Toutes les étapes de cette emprise sont scrupuleusement consignées, les unes après les autres : l’apprivoisement, la complicité naissante, le basculement, la révolte, la disparition de tous les soutiens possibles (famille, amis…), la prostration… jusqu’au sursaut final et ce mot de trois lettres qui conclut le film en laissant un beau message d’espoir à tous ceux et celles qui pourraient connaître un tel sort.

La bande-annonce

L’Étreinte ★★★☆

Margaux (Emmanuelle Béart) remonte de Nice vers Paris en TGV. Elle retrouve sa sœur (Eva Ionesco) à Neauphle-le-Château où elle revient s’installer dans la maison familiale. Elle reprend à l’université des études en littérature allemande et se retrouve au milieu d’une bande de joyeux lurons dont la séparent quelques dizaines d’années. On apprend bientôt que Margaux a perdu son mari six mois plus tôt. L’Etreinte raconte son deuil et sa douloureuse reconstruction.

L’Etreinte est un film paradoxal qu’on pourrait aisément éreinter en trois lignes ou bien essayer de défendre en trois paragraphes.

Le flingage en règle pointerait à raison la maladresse de certaines scènes, quelques incohérences de scénario et pourrait se moquer de son actrice : qui prend la liberté de critiquer Isabelle Huppert doit reconnaître à d’autres le droit de ne pas aimer Emmanuelle Béart.

La défense de ce film, à mon avis sensible et juste, demande plus de temps.

Elle suppose de parler d’Emmanuelle Béart, de sa révélation dès le milieu des années 80, de sa rapide consécration au rang d’icône dans les années 90, de ses rôles très dévêtus dans La Belle Noiseuse, J’embrasse pas, Un cœur en hiver. Elle suppose aussi de parler des ravages de la chirurgie esthétique qui l’ont défigurée attirant sur elle des commentaires éplorés et pas toujours empathiques, et d’une vie privée passablement chaotique.

Le parcours d’Emmanuelle Béart, sa vie cabossée résonnent intimement avec son personnage. Margaux a l’âge de son interprète (née en 1963) : la cinquantaine déjà bien entamée qui, de nos jours, range les femmes dans la catégorie, au choix, des quinquagénaires épanouies, des Milf ou des pré-retraitées. Elle en porte les stigmates : elle en garde paradoxalement l’innocence. Emmanuelle Béart interprète à la perfection cet entredeux indécis : elle est trop vieille pour être de plain pied avec les jeunes étudiants qui l’ont prise sous leurs ailes à la fac ; elle ne l’est pas tout à fait assez pour renoncer aux rêves qui les animent et aux pulsions qui les traversent.

Ludovic Bergery a un défaut. Il construit son scénario à la truelle, voulant par couches successives dresser le portrait chinois de la quinqua en reconstruction en la plaçant dans une succession de situations parfois caricaturales (on se serait volontiers épargné les scènes malaisantes à la piscine et avec les mafieux russes). Mais il a une qualité : il filme Emmanuelle Béart en gros plan. Il filme notamment son visage et ses lèvres dont on a dit combien la chirurgie esthétique (à 27 ans !! mais pourquoi diable une femme aussi belle est-elle allée prendre des risques sous le bistouri d’un chirurgien à 27 ans ?!) l’avait défigurée. Ce corps, d’une sensualité folle, ce visage toujours si beau, qui s’illumine parfois de taches de rousseur adolescentes, Emmanuelle Béart et son réalisateur nous les offrent comme un cadeau. Merci.

La bande-annonce

Falling ★★★☆

John (Viggo Mortensen) a la cinquantaine bien entamée. Il vit aujourd’hui en Californie avec son mari et avec leur fille adoptive. Il a été élevé dans les années soixante dans une ferme isolée de l’Etat de New York par un père violent et par une mère soumise. Ses parents se sont séparés ; sa mère est morte ;  mais son père, Willis (Lance Eriksen), est toujours vivant.
Le vieillard, solitaire et aigri, rumine sa misanthropie. Bien qu’il ait souffert de son ingratitude sa vie durant, John prend sur lui de la lui pardonner.

Vous aimez les feel good movie ? N’allez pas voir Falling. C’est un film âpre, dur, dont on ne ressort pas indemne. Est-ce en raison des déchirures familiales qu’il décrit ? ou des patronymes scandinaves de ses deux principaux acteurs ? J’ai pensé au Bergman de Scènes de la vie conjugale et de Cris et chuchotements.

Le film joue sur deux temporalités. La vie contemporaine de John et son père est éclairée par de longs flashbacks qui racontent l’enfance du jeune homme dans cette ferme qu’on dirait intemporelle, noyée dans un hiver qui semble ne jamais devoir s’interrompre.

Falling se prête aisément à une lecture politique. C’est deux Amériques qui s’affrontent : celle de John, californienne et gay friendly vs. celle de Willis, machiste, homophobe, rurale, le doigt sur la gâchette. L’action se déroule en 2009 juste après l’élection d’Obama – dont John arbore fièrement le portrait dans sa cuisine tandis que bien sûr Willis, qui le traite de « nègre », l’a en détestation. Elle pourrait tout aussi bien se dérouler dix ans plus tard et mettre face à face pro- et anti-Trump.

Mais Falling est avant tout un drame familial poignant. Sans se presser, avec un classicisme qui n’est pas sans rappeler la manière de filmer de Clint Eastwood, Viggo Mortensen dont c’est le premier film est allé sonder les recoins les plus sombres de sa propre bibliographie pour raconter cette histoire. Il s’en est expliqué, dans un français impeccable, aux spectateurs du Forum des Images venus le regarder en avant-première l’avant-veille du couvre-feu en octobre 2020. J’avais le privilège d’en être. Merci monsieur Mortensen !

La bande-annonce

Oxygène ★★☆☆

Une femme (Mélanie Laurent) se réveille dans un caisson médical de cryogénisation. Elle ne se souvient de rien : ni de son nom, ni de son passé, ni des circonstances qui l’ont conduite à cet endroit. Son seul contact avec le monde extérieur est la voix de l’intelligence artificielle (Mathieu Amalric) qui lui transmet bientôt une information alarmante : ses réserves en oxygène baissent dramatiquement lui laissant à peine plus d’une heure à vivre.
Aura-t-elle le temps de résoudre les mystères de son passé pour sauver sa vie ?

Oxygène est un film qui vient de loin. Le scénario, rédigé par Christie LeBlanc dès 2016, avait été remarqué par Hollywood. En 2017, Anne Hathaway était annoncée dans le rôle principal. Bientôt, Noomi Rapace la remplaçait en tête d’affiche. Finalement, le Covid obligea la production à renoncer à un tournage à Hollywood. Alexandre Aja se rapatria dans les studios d’Ivry-sur-Seine – où mon aîné tourne ses clips (petite minute de fierté paternelle) – et confia le rôle principal à Mélanie Laurent.

Oxygène est un survival movie comme Alexandre Aja en a tourné déjà plusieurs : un héros, isolé dans un environnement hostile, doit se battre pour sa vie. Celui-ci ajoute un défi supplémentaire : l’enfermement dans un espace confiné. La référence incontournable est bien sûr Buried, l’histoire dun Américain enterré vivant en Irak. Le film,  sorti dans un anonymat quasi complet en 2010, a acquis lentement sa célébrité grâce à un bouche-à-oreille élogieux. Mais ce sous-genre claustrophobe compte d’autres réalisations remarquables : le coréen Tunnel, le danois Exit

Oxygène s’inscrit honorablement dans cette généalogie. Le défi scénaristique est relevé haut la main : le film dure une heure quarante sans baisse de rythme grâce à une série de rebondissements qui maintiennent la tension tout du long. Pour autant, ce huis clos angoissant, ce suspense bien ficelé, remarquablement servis par l’interprétation de Mélanie Laurent (que seuls des esprits indélicats accuseront de manquer de crédibilité dans le rôle d’un prix Nobel) ne décolle jamais vraiment. Ses enchaînements sont trop bien huilés, ses flash-backs trop systématiques, l’alternance des progrès et des reculs de son héroïne trop répétitive pour réellement susciter l’enthousiasme.

Et qu’on ne vienne pas me dire que Oxygène capture « l’étouffement de sa triste époque, ainsi que son angoisse du lendemain » (Mad Movies). Certes les confinements à répétition furent difficiles à vivre ; mais rien de comparable avec la vie sans oxygène dans un caisson cryogénisé.

La bande-annonce