Flag Day ★☆☆☆

Jennifer Vogel (Dylan Penn) revient sur sa relation compliquée avec son père, John Vogel (Sean Penn), un mythomane pathologique. Il a exercé sur elle et sur son frère Nick une séduction toxique pendant leur enfance, que peinait à contrebalancer une mère alcoolique et démissionnaire. Il a disparu à leur adolescence, les laissant sans protection avec un beau-père abusif. Devenue journaliste, Jennifer a retrouvé sa trace pour découvrir les mystères qu’il cachait.

Projeté à Cannes en sélection officielle, le dernier film de Sean Penn est précédé par des critiques élogieuses. L’acteur, enfant terrible de Hollywood, s’y met lui-même en scène et confie le rôle de la fille de son personnage…. à sa fille Dylan. Adapté d’une histoire vraie, qui inspira à la vraie Jennifer Vogel un roman autobiographique publié en 2010, Flag Day se veut en même temps un film américain, sous les auspices du 4-juillet, la date anniversaire du héros et celle à laquelle on le retrouve à différents âges de sa vie en 1975, en 1981 et en 1992, et un film qui détruit l’un des mythes les plus américains qui soit : le mythe de la famille, unie et aimante.

Sean Penn campe en effet un personnage toxique : celui d’un père qui affiche un amour inconditionnel pour sa fille mais qui ne cessera de la décevoir toute sa vie durant. Cette ambiguïté est ténue et s’écaille bien vite, réduisant le personnage de John Vogel à une caricature assez pauvre : celle d’un mythomane compulsif. Le personnage de Jennifer Vogel souffre de la même faiblesse : Dylan Penn campe une jeune fille écorchée vive, sevrée de l’amour paternel qu’elle réclame.

Flag Day ne ménage pas les effets pour nous émouvoir. La retenue n’est pas la principale qualité de Sean Penn qui n’a jamais été un acteur tiède ; il l’est ici moins que jamais. Le problème est que cette débauche de bons sentiments produit l’effet inverse à celui recherché. Leur accumulation finit par nous éloigner.

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Eugénie Grandet ★☆☆☆

Charles Grandet (Olivier Gourmet) est tonnelier à Saumur sous la Restauration. Son sens des affaires l’a conduit à amasser une fortune immense qui fait de sa fille, Eugénie (Joséphine Japy), le meilleur parti de la ville. Mais sa maladive avarice condamne sa famille à une vie austère et grise. Eugénie rêve de s’en échapper. L’arrivée de son cousin parisien, Charles Grandet, dont le père, acculé à la faillite, va bientôt se suicider, ouvre à la jeune fille de nouveaux horizons.

Comme tout le monde (ou presque), j’ai lu Eugénie Grandet au collège. Et comme tout le monde (ou presque), j’ai gardé un mauvais souvenir de cette lecture. Mauvais souvenir = j’avais été beaucoup moins transporté par Balzac que par Zola ou Stendhal. Mauvais souvenir = à cinquante ans passés, j’ai complètement oublié cette lecture.

Faut-il remercier Marc Dugain – l’auteur de romans à succès qui, après L’Echange des princesses, tourne sa deuxième adaptation en costumes – d’avoir revisité cette œuvre panthéonisée et, disons-le, un peu poussiéreuse ? On se le demande.

On voit mal en effet son objectif, si ce n’est bien sûr d’attirer tous les collégiens – et tous leurs parents anxieux – qui, à la veille de la remise de la note de lecture d’un livre qu’ils n’auront qu’à moitié lu, le visionneront à la hâte pour bâcler leur devoir. A-t-il entendu trouver à ce roman vieux de près de deux siècles une nouvelle modernité ? On pourrait le penser, à son épilogue qui s’éloigne de celui du roman. Très politiquement correct, Marc Dugain ne se contente pas de transformer Charles en horrible négrier (alors que, dans le roman, il était envoyé aux Indes, il s’enrichit dans le film dans le commerce triangulaire qui était pourtant à l’époque en plein déclin), il fait d’Eugénie une égérie féministe. C’est prendre beaucoup de liberté avec le personnage.

Certes, Eugénie Grandet est joué par un Olivier Gourmet toujours parfait, une Joséphine Japy qui y met toute la grâce virginale nécessaire et une Valérie Bonneton qui prend un plaisir masochiste à se sacrifier. Certes aussi, le film est remarquablement éclairé, offrant quelques uns des plus beaux plans du cinéma – comme s’y était déjà essayé avant lui Délicieux. Pour autant ces qualités ne sauvent pas Eugénie Grandet de l’académisme un peu appliqué qui le menaçait et dont il n’arrive pas à s’extraire.

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Les Intranquilles ★★☆☆

Damien (Damien Bonnard) est bipolaire. Il alterne des phases d’activité délirante et de catatonie qui obligent sa compagne, Leïla (Leïla Bekhti), à une vigilance de chaque instant. Le trio aimant qu’il forme avec son fils Amine (Gabriel Merz Chammah) y survivra-t-il ?

Les Intranquilles filme la bipolarité, une maladie que Joachim Lafosse, fils de père bipolaire, a vécu dans sa chair. Son titre est riche de sens : les « intranquilles », ce sont à la fois le bipolaire lui-même, incarné par un Damien Bonnard habité, tour à tour emporté par une fièvre créatrice qui lui fait enchaîner les nuits blanches ou terrassé par les médicaments qui le laissent pantois, ou ses proches, sa compagne, son fils mais aussi son père (le toujours parfait Patrick Descamps) condamnés à un perpétuel qui-vive.

Le film, projeté en sélection officielle à Cannes en juillet dernier, est précédé d’une critique louangeuse. Je lui ai trouvé néanmoins trois défauts qui, sans être rédhibitoires, ont entamé le plaisir que j’y ai pris et l’intérêt que j’y ai trouvé.

Le premier est l’interprétation. Je mets hors de cause Damien Bonnard, impeccable, qui est en train de gagner ses galons de star. J’ai plus de réserves sur Leïla Bekhti, prisonnière d’un rôle immobile : celui de l’épouse exténuée, à deux doigts d’exploser ou d’abandonner la partie. J’en ai plus encore s’agissant du gamin grassouillet, dont je ne vois pas quelles qualités on a bien pu lui trouver sinon celle d’être le fils et le petit-fils de deux actrices déjà installées (Lolita Chammah et Isabelle Huppert)

Le deuxième est le scénario qui me semble faire du surplace. Tout le film est construit autour du même schéma répétitif : une action particulièrement déconcertante de Damien est tant bien que mal gérée par Laïla sous les yeux déconcertés de leur fils. La phase de la découverte de la maladie est occultée, qui aurait pu pourtant se révéler particulièrement cinématographique : on y aurait vu les premiers signes avant-coureurs, le diagnostic établi à tâtons, la réaction de Leïla et de Damien oscillant entre le déni, la colère, l’abattement et la mobilisation. Rien de tout cela n’est évoqué.

Le troisième est le plan final, d’une étonnante sécheresse, qui – sauf à ce que je l’aie mal compris – me semble contredire le message du film : l’amour d’une famille unie et indestructible est le seul rempart contre la maladie.

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La Troisième Guerre ★★☆☆

Léo Corvard (Anthony Bajon) est un jeune engagé. Pour sa première mission, il doit arpenter les rues de Paris dans le cadre de l’opération Sentinelle. Un autre soldat d’origine maghrébine, Bentoumi (Karim Leklou), l’accompagne en se vantant de ses faits d’armes. Leur patrouille est dirigée par une femme, le sergent Yasmine (Leïla Bekhti).

La Troisième Guerre est un film original, la première œuvre d’un jeune réalisateur italien, Giovanni Aloi. Son titre et son affiche laissent augurer un film martial. Il n’en est rien. Il s’agit plutôt d’un drame social dont le sujet serait l’institution militaire, miroir déformant de la société française.

L’image que La Troisième Guerre renvoie de l’armée française et de la mission qui lui a été confiée dans le cadre de l’opération Sentinelle de lutte contre le terrorisme en 2015 évite le piège du manichéisme. Elle se tient à égale distance de la glorification viriliste (les militaires, derniers remparts contre l’anomie sociale) ou de l’instruction à charge (les militaires, Rambos sans repères devenus à leur tour une menace contre nos libertés individuelles).

La Troisième Guerre montre que l’armée demeure aujourd’hui encore un fantastique creuset permettant l’intégration des plus marginaux, au-delà des clivages de race et de classe. Le film frise la caricature en donnant à chacun de ses personnages un rôle archétypal : Corvard est le petit blanc lumpenprolétarisé, issu d’une lignée d’alcooliques, qui vient chercher sous les drapeaux l’ordre qu’une vie de désordres ne lui a pas donné ; Bentoumi est le Maghrébin en mal de reconnaissance qui cache sa fragilité derrière ses mensonges ; Yasmine, qui dissimule sa grossesse dans l’attente de son avancement, incarne à elle seule la difficile intégration des femmes dans l’institution militaire.

Mais La Troisième Guerre questionne aussi avec beaucoup d’acuité la raison d’être des missions confiées à l’armée. Quel sens avait l’opération Sentinelle ? À quoi a-t-il servi de faire patrouiller des troufions dans les rues de Paris ? Ont-ils rassuré la population ? Ont-ils dissuadé des actes terroristes ? La réponse que La Troisième Guerre donne à ces questions dans sa dernière scène est peut-être inutilement mélodramatique. Elle n’en reste pas moins durablement marquante.

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Les Amours d’Anaïs ★★★☆

Anaïs court… D’un rendez-vous à l’autre auxquels elle arrive systématiquement en retard : avec sa propriétaire qui aimerait qu’elle pose une alarme incendie et évite de faire exploser sa gazinière, avec son amoureux auquel elle annonce sans autre forme de procès qu’elle est enceinte mais qu’elle a décidé d’avorter, avec son directeur de thèse qui l’a embauchée pour l’aider à organiser un colloque mais qu’elle va laisser tomber sans vergogne
Anaïs suit ses envies et ses désirs. Elle quitte Raoul, l’amoureux trop conformiste, couche avec Daniel (Bruno Podalydès), un éditeur qui pourrait avoir l’âge de son père, avant de se prendre pour passion pour Emilie, la femme de Daniel, et lui faire une cour enflammée.

Les Amours d’Anaïs est un film solaire porté par l’insolente jeunesse de son actrice principale. Sa réalisatrice, après des études de lettres et un passage dans l’édition, avait tourné avec elle un court-métrage, Pauline asservie, présenté en 2018 à la Semaine de la Critique. Les Amours d’Anaïs en est la version longue.

J’ai déjà souvent dit ici tout le bien que je pensais d’Anaïs Demoustier, une actrice que je suis depuis ses tout premiers films il y a une quinzaine d’années et dont je me réjouis qu’elle ait transformé les espoirs placés en elle. Mon jugement est évidemment corrompu par le charme irrésistible de la jeune actrice qui me prive de toute objectivité.

Au contraire, j’ai souvent exprimé mes réserves au sujet de Valeria Bruni-Tedeschi, abonnée aux rôles de femmes libres et un peu folles. Sa sensualité surjouée ne me faisait pas vibrer ; ses outrances m’excédaient.

Les Amours d’Anaïs m’ont paradoxalement conduit à revisiter mon opinion sur ces deux actrices. J’ai trouvé qu’Anaïs Demoustier, la trentaine bien entamée, bégayait un peu dans un rôle où on l’a déjà trop vue. Irrésistible, elle l’est de toute évidence. Mais les femmes irrésistibles deviennent vite horripilantes. Et son interprétation, consciemment ou inconsciemment l’est un peu. La découverte de la rechute du cancer de sa mère est censée lui donner la profondeur qu’elle ne semble pas avoir – et interrompre un instant sa course. Mais ces passages vaguement tire-larmistes ne sont pas les plus réussis du film.

Au contraire, Valeria Bruni-Tedeschi m’a profondément ému. Je lui ai trouvé un charme fou dans le rôle de cet écrivaine dans la force de l’âge, attachée à un mari dont elle n’ignore pas les frasques, mais ayant trouvé dans l’écriture une raison de vivre. Valeria Bruni-Tedeschi interprète à merveille une palette d’émotions très subtiles : celles que traverse Emilie face à Anaïs, l’étonnement, les questionnements, l’attendrissement, l’amour.

Dans la filiation revendiquée de Rohmer, Les Amours d’Anaïs ne révolutionnera pas le cinéma français et n’en a pas la prétention. Mais un film où on entend les adjectifs « acariâtre », « pusillanime », « désinvolte » et « hédoniste » sans qu’ils soient prononcés avec une once de snobisme ne peut être que délicieux.

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La Voix d’Aïda ★★☆☆

En juillet 1995, les forces de la Republika Srpska, sous le commandement de Ratko Mladić, investissent la ville bosniaque de Srebrenica. La ville à majorité musulmane avait pourtant été déclarée « zone de sécurité » par l’Onu qui y maintenait un détachement de Casques bleus néerlandais. Mais cela n’a pas empêché les forces de Mladić de séparer les hommes des femmes, de massacrer les premiers et de condamner les secondes à une vie de deuil et de chagrin.

La cinéaste bosnienne Jasmila Žbanić décide d’utiliser la fiction pour raconter ces événements traumatisants, qui ont marqué l’histoire de son pays et, au-delà, celle de l’Europe. Elle invente le personnage d’Aida, magistralement interprété par la grande actrice de théâtre Jasna Đuričić, une ancienne professeure d’anglais embauchée par les Casques bleus pour leur servir d’interprète.

Par sa position, à l’intersection de deux mondes, les Néerlandais d’un côté, dépassés par un mandat qu’ils ne peuvent assumer et les Bosniaques de l’autre légitimement inquiets de l’avancée des troupes serbes et de leurs intentions, Aïda est la mieux placée pour comprendre le terrible engrenage qui se déroule sous ses yeux et sous les nôtres. Le film est terrible et oppressant, presqu’irrespirable ; car on en sait par avance l’issue fatale. Face à ces prisonniers qui attendent dans la chaleur de l’été et dans la promiscuité la mort qui vient, j’ai pensé à la rafle du Vel d’Hiv et au film qu’elle avait inspiré en 2010 à Roselyne Bosch.

Unité de temps, unité de lieu, unité d’action : le film, qui se déroule quasiment en temps réel n’a pas un seul temps mort, si ce n’est peut-être un flashback inutile sur « la vie d’avant », heureuse et insouciante comme de bien entendu. Sa conclusion, froide et tragique, ne saurait laisser insensible. Mais La Voix d’Aida se termine par un épilogue, quelques années plus tard que j’ai trouvé inutilement bien-pensant.

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Cette musique ne joue pour personne ★☆☆☆

Jeff (François Damiens) est un caïd entouré de fidèles lieutenants : Neptune (Ramzy Bedia), Jesus (JoeyStarr), Poussin (Bouli Lanners), Jacky (Gustave Kervern)… Mais, la cinquantaine approchant, Jeff et ses hommes semblent envahis par le vague à l’âme et pris d’un soudain besoin de poésie : Jeff est tombé amoureux d’une caissière (Constance Rousseau), Jacky se laisse attendrir par l’épouse déjantée d’un débiteur qui se pique de théâtre (Vanessa Paradis), Jesus et Poussin jouent au baby-sitter avec Jessica, la fille de Jeff…

Samuel Benchetrit tisse une œuvre originale, entre littérature, théâtre et cinéma. Cette musique… est son septième film après Chien en 2018 que j’avais beaucoup aimé où jouaient déjà Vanessa Paradis, son épouse à la ville, Bouli Lanners et Vincent Macaigne (qui fait ici une apparition dispensable dans une saynète onirique dont on peine à comprendre la raison d’être). Samuel Benchetrit fait aussi jouer son fils Jules – qu’il a eu avec Marie Trintignant. On l’aura compris : le cinéma est pour lui une affaire de famille.

Comme Kervern & Delépine, comme Quentin Dupieux, Benchetrit est volontiers un cinéaste de l’absurde. On aime… ou pas.

Un caïd sanguinaire qui se met à rédiger des alexandrins pour séduire une caissière, une bourgeoise bègue qui monte sur les planches pour camper Simone de Beauvoir dans une comédie musicale, une seconde frappe qui utilise la manière forte pour convaincre des lycéens d’aller à la boum de la fille de son patron…. Je ne suis pas cul-serré au point de ne pas en rire. Je ne reproche pas à cette accumulation de scènes désopilantes leur manque de drôlerie. Je leur reproche leur facilité voire leur paresse. Rien n’est plus facile, me semble-t-il, que d’inventer une situation absurde : un pneu tueur en série, une mouche gigantesque …. et puis quoi encore ? un taureau en string ? un Basque unijambiste ? un canari qui parle ?

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Le Sommet des dieux ★☆☆☆

En 1924, l’Anglais Georges Mallory s’est lancé à la conquête de l’Everest, jusqu’alors invaincu. Son corps fut retrouvé à quelques encablures du sommet sans parvenir à déterminer s’il l’avait ou non atteint. Le développement de son appareil photo aurait permis d’élucider ce mystère. C’est à la poursuite de cet appareil que Fukamachi, un photographe japonais de montagne se lance plus de soixante ans plus tard. Son enquête le met en contact avec Habu Jôji, un alpiniste d’exception qui, après avoir signé des ascensions vertigineuses, avait mystérieusement disparu.

Le Sommet des dieux est d’abord un roman de Baku Yumemakura adapté en manga quelques années plus tard par Jiro Taniguchi. Son édition au Japon puis sa traduction en France remporta un vif succès : prix du meilleur dessin à Angoulême en 2005 et 380.000 exemplaires vendus.

Près de vingt ans plus tard, après que bien des adaptations eurent été envisagées (dont un film d’animation en images de synthèses co-réalisé par Eric Valli, l’auteur de Himalaya, l’enfance d’un chef), c’est finalement à Patrick Imbert, un animateur passé par l’Ecole des Gobelins [merci pour cette page de publicité locale] qui avait jusque là surtout participé à des films pour enfants (Ernest et Célestine, Le Grand Méchant Renard….), que le projet est échu. Je lis ici ou là que le résultat constitue la synthèse réussie de la ligne « claire » franco-belge et du manga japonais. N’y connaissant quasiment rien en BD, qu’il s’agisse de ligne claire ou de manga, je serais bien présomptueux d’affirmer le contraire.

Si je n’y connais rien en BD, j’aime beaucoup la montagne. Dans ma jeunesse, j’ai poussé le goût du risque jusqu’à gravir quelques sommets. L’âge venant, j’ai lu et regardé avec une vertigineuse fascination tout ce qui touche de près ou de loin à l’alpinisme. La Neige en deuil fut longtemps mon film préféré. La Mort suspendue reste mon récit de montagne favori. Les Survivants me donne encore des sueurs froides. Et Free Solo, Oscar 2019 du meilleur documentaire, m’a littéralement cloué sur mon siège.

Aussi je ne pouvais pas rater ce Sommet des dieux. Force m’est d’avouer que j’en ai hélas été déçu. Certes, l’histoire a du souffle qui joue à saute-moutons avec les époques, l’enquête autour de la mort de Mallory tournant vite court et le récit se focalisant sur la vie de Habu. Mais pour le reste, j’ai trouvé que l’animation n’apportait rien. Pire, elle enlevait à la haute montagne une part de sa majesté. Elle rendait mal compte de la souffrance des alpinistes, de leur essoufflement, de leur épuisement. Et, pire que tout, Le Sommet des dieux se réduit, malgré sa musique inspirante, à une description bien trop convenue de la passion obsessionnelle que la conquête des cimes inspire.

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Stillwater ★★★☆

Bill Baker (Matt Damon) est Américain. Sa fille Allison (Abigail Breslin, ex-Little Miss Sunshine) a été condamnée pour avoir tué sa petite amie, alors qu’elle était étudiante à Marseille. Elle purge aux Baumettes sa peine en clamant son innocence. Son père, alcoolique repenti et born again, vient régulièrement lui rendre visite. Quand Allison le lance sur une nouvelle piste que son avocate refuse de creuser, c’est lui qui décide de mener l’enquête, en dépit du barrage de la langue et du fossé culturel. Virginie (Camille Cottin), une Française rencontrée par hasard, lui apporte son concours.

On pouvait redouter le pire en découvrant le pitch de Stillwater et sa bande-annonce : une énième resucée de Taken où Matt Damon endosserait le costume fripé de Liam Neeson pour aller sauver sa fille au pays des froggies. Mais c’était mal connaître Tom McCarthy, le réalisateur tout en finesse de Spotlight (Oscar 2016 du meilleur film et du meilleur scénario original) et Matt Damon qui est décidément l’un des plus grands acteurs américains de sa génération, aussi brillant sinon plus que Tom Hanks ou Leonardo DiCaprio qui injustement l’éclipsent.

Stillwater réussit en effet à surprendre par son intelligence. Il ne se réduit pas au thriller qu’on avait imaginé. Son intrigue prend le temps (le film dure deux heures vingt sans qu’on regarde une seule fois sa montre) d’un détour par le drame familial. Son vrai sujet se dessine lentement : il s’agit moins d’élucider les circonstances du crime dont Allison est accusée que de réconcilier un père et sa fille. Le plus intéressant est le cadre dans lequel il est filmé : Marseille qui décidément, après Bac Nord et Bonne mère, est à la mode cette année.

Tom McCarthy aurait pu se contenter d’en faire un décor de carton pâte vaguement exotique. Mais, ce lecteur de la trilogie marseillaise de Jean-Claude Izzo a eu l’intelligence de s’entourer de Thomas Bidegain et Noé Debré, les scénaristes de Jacques Audiard. À contrepied des films américains dans lesquels tout le monde parle anglais, le personnage joué par Matt Damon se heurte frontalement à la barrière de la langue. Il découvre un Marseille bigarré : celui des banlieues Nord et celui du septième arrondissement. Subtilité supplémentaire : Virginie n’est pas une marseillaise de souche mais une parisienne qui est venue s’y installer comme beaucoup aujourd’hui.

Dans ce biotope là, Matt Damon réussit de bout en bout à coller à son rôle : celui d’un redneck bourru, la casquette vissée sur le crâne. Sa composition restera l’une des meilleures surprises de l’année et lui vaudra peut-être en mars prochain l’Oscar qu’il n’a jamais eu.

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Dune ★★☆☆

Dans un avenir lointain, l’humanité est organisée selon un modèle médiéval : autour d’un empereur qui répartit à sa guise des fiefs à ses vassaux. La planète Arrakis, un immense désert de sable seulement peuplé de terribles vers géants et de rares autochtones, les Fremen, est convoitée pour ses richesses naturelles. Son exploitation, jusqu’alors assurée d’une main de fer par la maison Harkkonen, est confiée par l’Empereur à la maison Atréides. Son chef, le duc Leto Atréides (Oscar Isaac), sa compagne, Lady Jessica (Rebecca Ferguson), disciple du Bene Gesserit, une puissante congrégation exclusivement féminine qui use de pouvoirs supranaturels pour influencer l’ordre du monde, et leur fils Paul (Timothée Chalamet) qu’une rumeur insistante présente comme un futur Messie, viennent prendre possession d’Artakis. Leurs fidèles lieutenants les accompagnent : Duncan Idaho (Jason Momoa), Gurney Halleck (Josh Brolin). Mais le danger rode….

Dune est sans doute l’un des événements cinématographiques les plus attendus de l’année. Sa sortie, initialement prévue en octobre 2020 a dû être repoussée une première fois à cause du Covid en novembre 2020 puis à l’automne 2021. Présenté en avant-première mondiale à la Mostra, il sort en France le 15 septembre mais devra attendre le 22 octobre aux Etats-Unis. Warner a annoncé une sortie simultanée en salles et sur la plateforme HBO au grand dam de son réalisateur, Denis Villeneuve.

Dune est de ces films qu’il faut impérativement voir en salles sur un écran immense tant le spectacle est majestueux. Chaque plan ou presque est un tableau de maître qui joue sur les couleurs et les compositions. On y voit souvent des humains minuscules dans des décors immenses. La musique de Hans Zimmer (qui décidément, depuis près de quarante ans, a participé à plus de films qu’aucun réalisateur ou aucun acteur) souligne emphatiquement cette majesté. On lui fait souvent le reproche d’être tonitruante. J’ai la faiblesse depuis Crimson Tide – que Edouard Balladur avait repris pour ses meetings de campagne en 1995 – de le porter dans mon cœur. [Citer Edouard Balladur dans une de mes critiques ! Done]

On disait le roman de Franck Herbert publié en 1965 intransposable. David Lynch s’y était cassé les dents au début des années 80. Son Dune est l’un des films les plus calamiteux jamais tournés. Jodorowsky s’y est essayé. Son projet était pantagruélique : Mick Jagger, Orson Welles et Salvador Dali étaient évoqués pour les rôles principaux avec Moebius aux décors et les Pink Floyd à la musique. Finalement c’est Denis Villeneuve qui a relevé le défi, un réalisateur canadien qui, comme tous les réalisateurs d’exception de tous les pays du monde, est venu aux Etats-Unis poursuivre la carrière prometteuse entamée au Québec avec Incendies. À Hollywood, Villeneuve a tourné Prisoners avec Hugh Jackman, Enemy avec Jake Gyllenhaal (que j’ai félicité pour ce rôle lorsque je l’ai croisé au musé Picasso en 2015 [Name-dropping take 2]), Sicario avec Benicio del Toro, Premier contact, peut-être l’un de mes films préférés de la décennie, aussi beau que profond, et Blade Runner 2049. Bref une série exceptionnelle de films qui furent autant de succès critiques que commerciaux. Difficile de trouver à Hollywood réalisateur aussi consacré sinon peut-être Alfonso Cuarón ou Alejandro Iñárritu.

On ne peut pas regarder Dune sans penser à La Guerre des étoiles qui en a repris beaucoup des éléments au point que Herbert faillit l’attaquer pour plagiat à sa sortie en 1977. Un empire intergalactique, une planète désertique, un jeune héros appelé à un destin hors du commun, des batailles au sabre : tout y était, tout y est, l’humour en moins.

Dune aura coûté dit-on 165 millions de dollars, soit un peu plus d’un million de dollars par minute – ou encore quelques 175.000 dollars par seconde. Cet argent faramineux n’a pas été dépensé en vain. Il se voit. Il en jette plein les yeux et plein les oreilles.

On peut se laisser emporter par ce spectacle grandiose et immersif. On peut aussi y rester totalement étranger, ne lui trouver aucune humanité, n’éprouver aucune émotion. Après 2h35 et y avoir beaucoup réfléchi, je ne sais toujours pas quel parti embrasser. Une amie cinéphile, plus lapidaire que moi a écrit : « Je n’ai RIEN à dire sur Dune. Ce bel objet sans humanité, noyé dans une musique tonitruante, parle un langage qui m’est totalement étranger. » L’excessive longueur de ma critique, que je n’arrive pas à conclure par une opinion tranchée, démontre à la fois mon manque de conviction et de talent.

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