Pour la France ★☆☆☆

En 2012, durant un « bahutage », un bizutage qui n’ose pas dire son nom, à l’école militaire de Saint-Cyr, Jalla Hami, un jeune aspirant qui venait d’en réussir le concours d’entrée, est mort noyé. C’est l’histoire de sa mort que raconte Rachid Hami, son propre frère, réalisateur de cinéma, mais c’est surtout celle de sa famille.

Tout dans le titre de Pour la France, dans son affiche, dans sa bande annonce, nous laissait escompter un film politique sur le modèle de La Fille de Brest ou de Goliath : un brûlot à charge contre l’armée qui a laissé stupidement mourir l’un des siens dont le seul tort était, en dépit de ses origines maghrébines, d’avoir essayé de toutes ses forces de s’intégrer.

Mais, contre tout attente, Rachid Hami nous emmène dans une autre direction. La mort de son frère constitue le cœur du film. Et la lutte menée par sa mère et son frère pour que les honneurs lui soient rendus en est l’un des principaux enjeux ; mais il n’en est pas le seul. Rien n’est dit sur l’enquête policière et le procès qui conduira en 2020 à la condamnation de trois militaires pour homicide involontaire à des peines de sursis qu’on pourrait estimer trop légères.

En revanche, le réalisateur nous raconte par le menu l’histoire de sa famille à travers deux longs flashbacks. Le premier remonte à 1992. Il se déroule en Algérie en pleine guerre civile où la famille des deux jeunes frères (Rachid a sept ans, Jallal quatre seulement) se déchire : leur mère veut quitter ce pays mutilé pour la France ; leur père, gendarme, s’y refuse. La seconde a lieu une vingtaine d’années plus tard. Rachid a mal tourné, multipliant, faute de boulot stable, les menus larcins. Jallal au contraire est un jeune homme rangé qui termine sa scolarité à Sciences Po par un séjour d’études à Taïwan où son frère le rejoint le temps des fêtes de fin d’année.

Cette histoire familiale, celle du lien compliqué entre deux frères, entre deux terres, la France et l’Algérie, et deux allégeances, au père et à la mère, nous détourne du vrai sujet du film.

Pourtant il y aurait eu beaucoup à dire sur la mort de Jallal, sur ses circonstances stupides, sur le racisme sournois qui ronge les écoles militaires ou, au contraire, si on a la rigueur d’instruire à charge et à décharge, sur leur ouverture aux immigrés de la deuxième génération (« Si l’armée avait été raciste, il n’aurait pas réussi le concours » rétorque avec beaucoup de justesse le personnage interprété par Karim Leklou). Pour la France aurait pu, aurait dû creuser le point de vue des militaires, comme il le fait dans une scène trop courte, pour moi la meilleure du film, et opposer dans leurs rangs ceux qui veulent étouffer l’affaire et ceux au contraire, plus courageux, qui sont prêts à assumer leurs responsabilités.

Mais on ne trouvera rien de tout cela. Ou on le trouvera si peu qu’on sort de la salle frustré voire furieux d’avoir été berné par un film qui annonçait une promesse qu’il n’a pas tenue.

La bande-annonce

La Grande Magie ★☆☆☆

Une troupe de forains vient se produire devant les clients d’un hôtel chic du littoral atlantique. Parmi eux, un mari particulièrement possessif (Denis Podalydès) ne quitte pas d’une semelle sa femme (Judith Chemla) qui profitera d’un tour de magie pour se faire la belle. Le mari éploré accuse les forains de la disparition de son épouse. Pour se dédouaner, ceux-ci le persuadent que le temps s’est arrêté et qu’elle reviendra bientôt.

Tout le monde aime Noémie Lvovsky qui est lentement devenue une personnalité incontournable du cinéma français, devant comme derrière la caméra (La Grande Magie est son huitième film en tant que réalisatrice, son dix-neuvième en tant que scénariste et son cinquante-cinquième comme actrice). Sa joie de vivre, sa tendresse illuminent tous ses films. On imagine volontiers comment elle a convaincu tous les participants de ce film de la rejoindre : « On va tourner au bord de la mer ! En costumes ! Et on va chanter ! ». Ils ont tous répondu présents pour constituer un casting plaqué or, qui ressemble au palmarès des Césars ou au plateau d’une première à la Comédie-Française : Denis Podalydès, Sergi Lopez, Judith Chemla, Rebecca Marder (soupirs énamourés pour celle que je considère comme le plus bel espoir féminin de ces dernières années), Damien Bonnard, François Morel, sans oublier des seconds rôles aux petits oignons (Laurent Stocker, Laurent Poitrenaux, Philippe Duclos, Armelle, Catherine Hiégel….).

Sans doute cette troupe endiablée s’est-elle bien amusée pendant le tournage dont on imagine volontiers que les journées se terminaient par de joyeuses tablées dressées dans le parc jouxtant l’hôtel dans la tiédeur d’un été breton.
Mais la joie qu’ils ont prise à jouer est-elle communicative ? Elle ne l’est qu’à moitié. Certes, le propos est sympathique et le mélange des genres roboratif. Moi qui adore les comédies musicales ne puis que m’enthousiasmer des intermèdes chantés que La Grande Magie ménage. Le problème est que, même si les partitions signées Feu ! Chatterton sont diablement dans l’air du temps, elles s’accommodent mal des décors et de l’époque du film. Et, pire : les acteurs – à l’exception peut-être de Judith Chemla – chantent comme des casseroles. On a vraiment de la peine pour Denis Podalydès quand il entonne, au bord de la crise d’asthme, le solo de Mario au dernier acte de la Tosca.

Le problème aussi est que La Grande Magie s’englue dans un discours pseudo-philosophique autour du temps (le temps qui passe ou ne passe pas, le temps, convention sociale extérieure à notre ressenti intime…) qui fait cruellement penser à une resucée mal digérée d’un cours de terminale de philo. Ne reste finalement pas grand-chose : la folie d’un homme rongé par la jalousie.

La bande-annonce

La Femme de Tchaïkovski ★☆☆☆

Piotr Tchaïkovsky, l’immense musicien russe, était secrètement homosexuel. Pour faire taire les rumeurs, il accepta de se marier avec Antonina Miliukova, une de ses élèves au conservatoire de Moscou, qui l’avait rencontré quelques années plus tôt, était tombée follement amoureuse de lui et lui avait écrit une longue lettre enflammée. Le mariage, consacré en 1877 à Moscou, fut un naufrage et ne dura que quelques semaines avant la séparation de corps des époux. Mais Antonina refusa toujours le divorce.

À moitié juif, à moitié ukrainien, ouvertement homosexuel, Kirill Serebrennikov est, au grand dam du Kremlin, sans doute le plus grand réalisateur russe contemporain. Fuyant la Russie, il s’est exilé à Berlin sans rompre pour autant tout lien avec sa patrie. Son attitude ambiguë sur la guerre en Ukraine – dont il souhaite la résolution sans condamner ouvertement l’agression russe – lui a valu un accueil mitigé sur la Croisette où la direction du Festival, croyant bien faire, avait fermé ses portes à toute délégation officielle russe mais avait sélectionné le dernier film en date de Serebrennikov.

J’en attendais beaucoup, dans une programmation qui ce mois-ci, après Babylon et Tar le mois dernier, est bien maigrelette. J’en attendais d’autant plus que j’avais été durablement marqué par Leto et par La Fièvre de Petrov.

Autant le dire sans ambages : j’ai été déçu.
Certes, La Femme de Tchaïkovski est un film puissant, violent, porté par une exaltation fiévreuse. Les décors en sont exceptionnels alors même qu’ils sont minimalistes. Les intérieurs sont étroits, enfumés, sordides. Les rares scènes extérieures ne sont pas moins étouffantes, qui montrent une ville boueuse, noyée dans la brume, véritable Cour des miracles peuplée de gueux (elles m’ont rappelé les décors hallucinés d’Alexeï Guerman). Le noir est omniprésent, avec quelques touches de rouge et, le temps d’une scène onirique où Antonina fantasme ses retrouvailles avec son bien-aimé, un blanc d’outre-ciel.

Le problème de La Femme de Tchaïkovski est l’histoire qu’il raconte, qui se résume à presque rien. L’affiche est trompeuse sinon mensongère. Point de passion dévorante entre le musicien et son épouse. Si passion il y a, elle est unilatérale. Et elle est pathologique. Tout se réduit à deux tristes faits : Tchaïkovsky est homosexuel et ne peut se laisser toucher par sa femme sans étouffer un spasme de dégoût. Quant à Antonina, elle voue à son mari un culte hyperbolique qui l’entraînera dans la folie (elle survivra vingt-trois ans à son époux, mort en 1893 du choléra, et finira à l’asile en pleine révolution de février 1917).

Pendant deux heures et vingt-trois minutes, qui deviennent vite interminables et répétitives, ce pauvre argument est essoré jusqu’à la trame. On y voit Tchaïkovski entouré de superbes éphèbes, dénudés et huilés. On y voit Antonina essayer contre toute raison de le conquérir puis s’entêter à refuser le divorce avant de sombrer dans la misère et dans la folie.

La bande-annonce

Animals ★★★☆

En avril 2012, Ihsane Jarfi a été kidnappé, violé, torturé pendant toute une nuit et laissé pour mort à l’aube par quatre criminels homophobes. Pour ce meurtre, trois d’entre eux ont été condamnés deux ans plus tard à la réclusion à perpétuité, le dernier à une peine de trente ans.

Un réalisateur belge, Nabil Ben Yadir, s’est inspiré de ce fait divers sordide pour en faire à ce jour peut-être le film le plus perturbant de l’année naissante. Il a été légitimement interdit aux moins de seize ans. Il aurait pu l’être sans erreur de qualification juridique aux moins de dix-huit ; car il contient son lot de scènes « de grande violence (…) de nature (…) à troubler gravement la sensibilité des mineurs » au sens des dispositions de l’article R. 211-12 du code du cinéma.

Il faut, quitte à en révéler les ressorts, en détailler l’architecture.
Animals est composé de trois parties qui s’enchâssent chronologiquement mais qui n’en sont pas moins très différentes.

Dans la première partie, on fait la connaissance de Brahim (Soufiane Chilah) alors que sa famille s’apprête à fêter l’anniversaire de sa mère. La scène est filmée quasiment en temps réel, en sinueux plans-séquences caméra à l’épaule, dans le petit pavillon de banlieue où toute la nombreuse parentèle s’active à la préparation de la fête. On comprend progressivement deux choses. La première : l’homosexualité longtemps cachée de Brahim a été découverte par son frère et sa belle-soeur qui lui intiment de la taire. La seconde : Brahim avait invité son compagnon, Thomas, à la fête pour le présenter à ses parents – sans pour autant révéler la nature des liens qui l’attachent à lui – mais Thomas manque à l’appel.

La deuxième se déroule quelques heures plus tard et commence dans le centre ville où Brahim est parti chercher Thomas. Après avoir pris la défense d’une jeune femme harcelée par quatre voyous, Brahim se retrouve embarqué avec eux dans leur voiture. La découverte de son homosexualité hystérise leur violence. C’est là qu’on assiste en direct à son lynchage, complaisamment filmé avec leurs téléphones portables par les assassins. La scène est insoutenable. Plusieurs spectateurs, le cœur au bord des lèvres, quittent la salle. L’un, plus bruyant que les autres, crie au scandale.

Le film aurait pu se terminer là et nous laisser sidérés. Il comporte pourtant une troisième partie. Elle suit Loïc, un des quatre assassins qui, à l’aube, rentre chez lui. Loïc croise sa mère, abrutie par l’alcool, son beau-père, violent. Il nettoie ses habits ensanglantés et revêt un élégant costume pour se rendre, ainsi qu’on le comprendra bientôt, à la cérémonie organisée pour le remariage de son père. L’ultime plan du film révèle une surprise dont on ne dira rien mais qui éclaire le déchaînement de violence dont Loïc s’est rendu la veille coupable d’une lumière inattendue.

Animals pose la question de la représentation de la violence au cinéma. Des grands films, et non des moindres, s’y sont frottés : Salo ou les 120 Journées de Sodome, Orange mécanique, Requiem pour un massacre, Tueurs nés, Funny Games, Irréversible… Toujours, les mêmes questions reviennent : faut-il montrer la violence pour mieux la dénoncer ? Ne court-on pas ce faisant le « risque de la jouissance de son spectacle » pour reprendre les mots de Jacques Mandelbaum dans Le Monde.

Regarder Animals sans fermer les yeux ni quitter la salle est une expérience éprouvante « qu’on ne conseillerait pas à son pire ennemi » écrit à raison Marie Sauvion dans Télérama. Les amateurs de feel-good movie passeront leur chemin et iront voir cette semaine Juste ciel ! ou Un homme heureux qui leur feront passer un bon moment et qu’ils auront oublié dans un mois. Mais je le recommande chaudement à tous ceux qui aiment que le cinéma les sorte de leur zone de confort, au risque du malaise. Et surtout, je ferai de son visionnage une peine complémentaire obligatoire à toutes celles prononcées contre des homophobes : ils y réaliseront peut-être leur violence, leur veulerie et leurs contradictions.

La bande-annonce

Marlowe ☆☆☆☆

Une riche héritière, Clare Cavendish (Diane Kruger) recrute Philip Marlowe (Liam Neeson), un détective privé, pour retrouver la trace de Nico Peterson, son amant disparu. L’enquête mènera l’inspecteur au Club Corbata, lieu de toutes les turpitudes, sur les traces d’un trafic de cocaïne dans le Los Angeles des années 30.

Mais quelle mouche a piqué Metropolitan pour sortir de la naphtaline Neil Jordan (72 ans), Liam Neeson (70 ans) et Jessica Lange (73 ans) pour leur faire réaliser et interpréter un remake improbable d’un des plus grands chefs d’oeuvre du cinéma, Le Grand Sommeil de Howard Hawks ? Robert Mitchum s’y était déjà essayé en 1978. le film fut un flop.

Certes, objectera-t-on, il ne s’agit pas d’une nouvelle adaptation du roman de Chandler de 1939, mais de celui, écrit en 2014, par John Banville. Mais la nuance est trop subtile. Et le constat demeure. Accablant.

Marlowe est un film calamiteux. Certes, ses décors et ses costumes restituent un peu de la magie et de la folle élégance de la Californie des 30ies. Mais c’est sa seule qualité – qui d’ailleurs n’arrive pas à la cheville de l’exubérance des décors et des costumes de Babylon.

Le reste est d’une affligeante médiocrité. À commencer par l’histoire dont on se demande si l’incompréhensible complexité tient à la maladresse du scénariste ou à une vaine tentation de plagier les intrigues filandreuses de Chandler.
Mais c’est surtout le numéro des acteurs qui fait peine à voir. Liam Neeson a passé depuis longtemps l’âge de courir et d’encaisser les uppercuts. Quant à Jessica Lange, je préfère garder d’elle les images de Le facteur sonne toujours deux fois que celles du lifting raté qu’elle dévoile ici (Madonna ! Sors de ce corps !)

La bande-annonce

Astrakan ★★☆☆

Samuel a treize ans. Il est orphelin. Il a été placé par les services sociaux dans une famille d’accueil. C’est auprès de Marie, de Clément et de leurs deux garçons qu’il devra douloureusement  entrer dans l’adolescence.

L’an dernier à la même époque, La Vraie Famille, un coup de cœur inscrit illico dans mon Top 10 2022, évoquait la douleur d’une mère d’accueil contrainte de se séparer du petit garçon confié à ses soins par l’Aide sociale à l’enfance avant de lui être repris. Astrakan renverse la perspective et évoque le placement non plus du point de vue des parents accueillants mais de l’enfant accueilli.

Le sujet n’est pas nouveau : Besson, Truffaut, Pialat l’ont tangenté, mettant l’enfance à nu, percutant l’innocence perdue des plus jeunes avec la médiocrité rance des adultes, révélant les dessous sordides des querelles familiales.

David Depesseville s’est lancé un pari audacieux pour son tout premier film : creuser cette veine en refusant tout manichéisme. Il aurait pu raconter Cosette chez les Thénardier. Il préfère filmer un pré-ado renfrogné, mal aimable qu’accueille une famille ordinaire, qui ne cache pas que la rente que lui verse l’Etat pour l’accueil de Samuel l’aidera à boucler ses fins de mois, mais qui ne verse pas pour autant dans la caricature. L’interprétation tout en nuances de Bastien Bouillon – dont je parie qu’il obtiendra le César du meilleur espoir masculin pour La Nuit du 12 dimanche prochain – et Jenny Beth – qui obtint celui du meilleur espoir féminin en 2019 pour Un amour impossible – y est pour beaucoup.
Les décors jouent aussi un grand rôle, suffisamment banals pour qu’on ne réussisse pas à les localiser (on devine qu’il s’agit des lacs du Morvan aux plaques d’immatriculation des voitures) et à les dater (on se serait cru dans la France des 80ies si on n’y comptait pas en euros et si on n’y voyait pas un téléphone portable).

Avec beaucoup de subtilité, Astrakan chemine sur cette ligne de crête. Nous accompagnons Samuel dans la découverte dérangeante de la sexualité : avec une amie de collège entreprenante jusqu’au malaise, avec un oncle dont le comportement déroutant laisse planer la menace non dite de la pédophilie

Malheureusement, Astrakan trouve vite ses limites. L’âpreté de son propos nous laisse à distance. Son héros mal aimable nous interdit de l’aimer. Ses dernières minutes, étonnamment lyriques, accompagnées d’une musique jusqu’alors silencieuse, détonnent : s’agit-il de rushes coupés au montage ? ou des pièces du puzzle censées redonner à l’ensemble la lisibilité qu’il n’a pas ?

La bande-annonce

La Montagne ★☆☆☆

Pierre (Thomas Salvador himself) est roboticien. À l’occasion d’un déplacement chez un client dans les Alpes, l’appel des cimes est le plus fort : il renonce à revenir à Paris, achète l’équipement complet du parfait alpiniste et plante sa tente au pied de l’Aiguille du midi.

Le premier film de Thomas Salvador, sorti début 2015, Vincent n’a pas d’écailles, le mettait d’emblée dans la foulée des Peretjako, Triet, Brac, Betbeder, Letourneur, ces jeunes réalisateurs qui insufflaient un vent d’air frais dans le cinéma français. Mais depuis huit ans, plus rien. C’est avec d’autant plus de gourmandise qu’on le retrouve dans son second long, qui présente avec le premier plusieurs ressemblances : Thomas Salvador y interprète à nouveau le rôle principal, y raconte une histoire volontairement minimaliste et y instille quelques touches de fantastique.

Le sujet de La Montagne est riche de promesses : un homme « normal » abandonne tout pour embrasser une autre vie. Et ses premiers plans le mettent en scène avec une économie remarquable. On ne saura rien de Pierre, de son passé, de ses amours, sinon de sa famille qui, l’espace d’un déjeuner, essaiera en vain de le convaincre de revenir à son ancienne vie. Mais on le verra très vite prendre ses marques dans la Vallée blanche, dont les horizons majestueux donnent lieu à quelques plans superbes.

Il y aurait eu beaucoup à dire sur ce personnage, sur son lâcher-prise, sur les motifs qui l’ont conduit à prendre cette décision radicale et sur les difficultés pratiques à la mettre en oeuvre. Mais telle n’est pas la voie choisie par Thomas Salvador. Comme dans Vincent n’a pas d’écailles, il prend dans la seconde moitié de La Montagne le parti du fantastique voire du surnaturel. S’y rajoute une romance dont le seul mérite est de faire jouer la toujours parfaite Louise Bourgoin. Certains spectateurs les trouveront peut-être très poétiques. Je les ai quant à moi trouvés maladroits.

D’autant que le film a la mauvaise idée de s’allonger interminablement. J’ai passé la dernière demi-heure à anticiper à chaque plan qu’il était le dernier. Mais le scénario rajoute encore et encore une couche de plus. Le film s’étire pendant 1h52 – alors que Vincent…. avait l’élégance de durer 1h18 à peine. Et la façon dont il se termine, tout bien réfléchi, est particulièrement gnangnan. Dommage….

La bande-annonce

Le Retour des hirondelles ★★☆☆

Un mariage est arrangé entre Le Cadet, un simplet sous l’emprise de sa famille, dont le rhésus rare va sauver le nabab du village, et Guiying, une jeune femme devenue incontinente et handicapée à force de coups et de mauvais traitements. Le couple misérable s’installe sur le lopin de terre qui lui a été concédé et y construit une minuscule maison. Lentement, la tendresse naît entre les deux êtres tandis que les saisons passent et que la Chine rurale se transforme.

Que dire d’un film où on a copieusement dormi ? La question se pose avec une acuité accrue aux critiques dans la force de l’âge. Les années passant, il m’arrive de plus en plus souvent de somnoler dans l’émolliente chaleur d’une salle de cinéma. Dois-je le cacher et prétendre avoir gardé ma conscience tout le film durant ? ou en faire l’aveu rougissant mais honnête quitte parfois à renoncer à critiquer un film dont le sel m’aurait échappé ?

Ces considérations narcoleptiques ne sont pas aussi égocentriques qu’on pourrait le penser : Le Retour des hirondelles est un film long (2h16), lent, contemplatif, ponctué de plans séquences superbement éclairés mais pas toujours compréhensibles (on voit sans transition nos deux héros traverser une vallée enneigée et pique-niquer sur une dune de sable), qui invite à la rêverie et à la somnolence. Certains y auront résisté mieux que moi et seront mieux placés pour en faire une critique éclairée.

Le Retour des hirondelles m’a rappelé tout un pan du cinéma chinois contemporain qui documente la modernisation à marche forcée de la Chine. Elle est au cœur de l’oeuvre de Jia Zhangke, peut-être le plus grand réalisateur chinois vivant. C’est aussi le thème principal de Séjour dans les monts Fuchun ou de So Long, My Son qui ont remporté en France un succès mérité, mais aussi de Vivre et Chanter ou de Les anges portent du blanc, passés plus inaperçus. Plusieurs documentaires l’ont pris à bras le corps tels que H6 filmé à Shanghai dans l’un des plus grands hôpitaux au monde, Derniers jours à Shibati dans la ville multimillionaire de Chongqing au Sichuan ou Guangzhou, une nouvelle ère, tourné dans une petite île située d’un bras de la Rivière des perles près de Canton.

Le noir pessimisme qui imprègne Le Retour des hirondelles lui a valu la censure de Pékin. Après avoir obtenu un vif succès en salles – et sans doute attiré l’attention des autorités que, sans cela, il n’aurait pas émues – Le Retour des hirondelles est retiré des écrans et son auteur assigné à résidence. Le reproche qui lui est adressé : donner des campagnes chinoises une image trop sombre et infirmer la promesse du Parti d’y avoir éradiqué la pauvreté absolue.

N’ôtons pas à ce film ses qualités. Il raconte avec une infinie délicatesse le lent rapprochement entre deux éclopés de la vie. Il filme avec poésie la terre du Gansu – où le réalisateur Li Ruijun a grandi – ses paysans rudes à la tâche (le héros est interprété par le propre oncle du réalisateur) et les saisons qui passent. Mais il le fait avec une telle lenteur qu’entre la fascination et la somnolence, la seconde, chez certains spectateurs vieillissants, risque de l’emporter.

La bande-annonce

Un petit frère ★★☆☆

Un petit frère brosse la chronique pendant vingt ans d’une famille ivoirienne immigrée en France. Rose est arrivée à Paris en 1989, avec deux de ses quatre fils. Hébergée par un couple de parents, elle trouve un emploi de femme de ménage dans un hôtel. Éprise de liberté, elle refuse l’union avec Jules César, un compatriote que sa famille lui présente, et lui préfère une aventure sans lendemain avec un ouvrier tunisien du bâtiment.
Bientôt Rose part s’installer à Rouen pour rejoindre Thierry, son amoureux. Jean et Ernest, ses fils, l’accompagnent et grandissent.

Jeune Femme, le premier film de Leonor Serraille, avait reçu à sa sortie en 2017 un accueil enthousiaste – que j’étais un des rares à ne pas totalement partager. Il a fallu attendre plus de cinq ans la sortie du second, qui ne lui ressemble en rien. Rompant avec le portrait d’une femme de notre temps, Leonor Serraille s’attaque à un genre casse-gueule, la chronique familiale au long cours, sur plusieurs décennies. Plusieurs écueils la menacent : le rythme du récit, son unité, le vieillissement des personnages…

Le pari est relevé en trois tableaux qui, sans rompre avec le fil chronologique, se focalisent successivement sur Rose puis sur chacun de ses deux enfants. Ces trois tableaux brossent le portrait d’un beau personnage féminin qui aurait amplement mérité que le titre du film lui soit consacré : pourquoi diable évoque-t-il ce petit frère qui n’occupe finalement que la deuxième ou la troisième place ? Cette Mère courage, femme libre, attachante, passionnément dévouée à ses enfants est remarquablement interprétée par Annabelle Lengronne – alors que le comique Ahmed Sylla (L’Ascension, Le Dindon, Tout simplement noir…) ne convainc guère dans le rôle d’Ernest adulte.

Seule ombre au tableau que j’avoue le rouge au front tant elle est politiquement incorrecte : j’ai trouvé à ce Petit frère un peu trop de bien-pensance pour m’embarquer complètement.

La bande-annonce

Aftersun ★★☆☆

Un père et sa fille partent passer une semaine en Turquie dans une résidence de vacances en bord de mer. Sophie (Frankie Corio) a onze ans. C’est une pré-ado vive et sensible. Calum (Paul Mescal, révélé par la série Normal People) est plus secret : on comprend qu’il est séparé de la mère de Sophie, qu’il a quitté l’Ecosse pour Londres, que le menace peut-être le gouffre de la dépression.
Une vingtaine d’années plus tard, Sophie, devenue adulte et mère de famille, se remémore cette parenthèse enchantée en revisionnant les images qu’elle en avait tourné avec sa caméra Super-8.

Aftersun provoque des réactions très contrastées. La critique est très positive. Elle salue un premier film « plein de grâce » (La Septième Obsession), « minimaliste et émouvant » (Les Echos), « délicat comme un tableau impressionniste » (Marie-Claire), « qui rejoue la victoire deleuzienne de l’image-temps sur l’image-mouvement, de la subjectivité sur le réel » (Les Inrocks). Bande à part évoque « chant d’amour filial au moment charnière de la fin de l’enfance, entre jaune soleil et bleus à l’âme », Transfuge  la « mélancolie proustienne [qui sourd] du paradis perdu de l’enfance ».

Les avis des spectateurs, à commencer par celui de l’amie qui m’avait convaincu d’aller hier le voir – alors que je penchais naturellement pour Astérix ou Avatar – sont nettement plus hostiles : « le prototype du film d’auteur ennuyant (sic) où rien ne se passe », « beaucoup plus de prétention que de talent », « film de festival (…) tape-à-l’œil et sans grand intérêt »…

Comme en témoignent mes deux étoiles mi-chèvre mi-chou, mon opinion est à mi-chemin de ces deux pôles radicalement opposés. J’ai été longtemps déconcerté par le faux rythme dans lequel Aftersun s’installe, attendant que le film commence, qu’il s’y passe quelque chose, escomptant un coup de théâtre (la mort par noyade de Sophie ? l’AVC de Callum ? des attouchements incestueux du père sur sa fille ?) alors que [SPOILER] rien ne se passe finalement. Comme bien d’autres spectateurs j’ai été surpris et frustré de cette attente vaine, éprouvant confusément le sentiment de m’être fait rouler par un film qui m’avait fait une promesse non tenue.
Mais à la réflexion, je me suis demandé si un film ne pouvait pas précisément fonctionner sur ce schéma là, celui du temps suspendu, de l’attente frustrée, du non-événement. Et préférant regarder le verre à moitié plein (la confusion des sentiments de cette pré-ado m’a beaucoup touché) que celui à moitié vide (je n’ai rien compris au personnage du père et à la crise qu’il traverse…. ou pas), j’ai décidé de ne pas honnir ce film malgré le peu de goût que j’aurai pris à le voir.

La bande-annonce