Bonne Conduite ★★☆☆

Pauline (Laure Calamy) anime avec son amie Soazig dans un centre de prévention routière des stages de récupération de points. Mais, la nuit venue, masquée d’une cagoule, dans son bolide de course, elle traque les chauffards sur les routes du Finistère pour venger son conjoint tué dans un accident de la route. Tout dérape le jour où Jean-Yves Lapick (Tcheky Karyo), le riche armateur qu’elle avait laissé pour mort dans sa grosse cylindrée, ressuscite sans crier gare et que le corps d’un petit voyou est retrouvé carbonisé dans le coffre de sa voiture. Deux policiers pas très malins (David Marsais et Grégoire Ludig) mènent l’enquête.

Connaissez-vous le Palmashow, le duo d’humoristes préférés de vos enfants qui s’est fait connaître sur le Net avant d’accéder à la célébrité à la télévision et sur grand écran ? C’est le troisième film où Jonathan Barré les dirige après La Folle Histoire de Max et Léon en 2016 et Les Vedettes en 2022. Je n’avais vu aucun des deux tant je pensais être réfractaire à ce genre d’humour potache et bien trop vieux pour le comprendre et l’apprécier. C’est la présence au sommet de l’affiche de Laure Calamy, l’actrice la plus bankable du cinéma français ces temps-ci, ex aequo avec Viriginie Efira, qui m’a incité à aller voir Bonne Conduite. Et je ne l’ai pas regretté.

Il faut accepter de débrancher ses neurones pour apprécier cette parodie d’enquête policière dont on découvre dès les premières scènes le visage et les mobiles de la principale meurtrière. Laure Calamy s’en donne à cœur joie dans ce rôle excessif. Mais elle se fait voler la vedette par le duo du Palmashow : David Marsais et Grégoire Ludig sont irrésistibles en flics patauds qui croient voir avancer leur enquête au fur et à mesure qu’elle recule. Et Tcheky Karyo montre à soixante-neuf ans que l’âge de la retraite n’a pas encore sonné pour lui.

Bonne conduite fait quelques clins d’oeil malicieux aux Oiseaux de Hitchcock et à Usual Suspects de Bryan Singer. Entièrement tourné en Bretagne, il se clôt par une superbe séquence dont je vous laisse deviner le lieu où elle a été tournée.

La bande-annonce

Apaches ★★☆☆

Paris 1900. Après avoir été témoin de la mort de son frère aîné, Billie (Alice Isaaz) n’a plus qu’une idée en tête : le venger. Pour ce faire, elle s’inflitre dans la bande des Apaches, une association de malfaiteurs que dirige Jésus (Niels Schneider) épaulé par son fidèle second, Ours (Artus).

Apaches est un film de gangsters en costumes, un revenge movie qui lorgne du côté de Peaky Blinders ou de Paris Police 1900, la série de Canal Plus. J’ai également pensé au film Les Anarchistes qui, malgré son casting prestigieux – Tahar Rahim, Adèle Exarchopoulos, Swann Arlaud, Guillaume Gouix, Karim Leklou… – était passé inaperçu à sa sortie en 2015.

Apaches est un film à prendre au premier degré qui rappelle la folle vitalité et le culot de Luc Besson ou de ses épigones dans les 90ies. Son scénario rebondissant et ses personnages charismatiques évoquent les feuilletons d’Eugène Sue. Gavroches courageux, prêtres défroqués, prostituées au grand cœur, voyous inquiétants, toute la palette prévisible des caractères de l’époque est convoquée. La production n’a pas lésiné sur les moyens et sur l’usage de la palette graphique pour restituer l’ambiance rétro-punk de l’époque. La musique est contemporaine et assume ses anachronismes.

Bien sûr, on pourra faire la fine bouche, reprocher au scénario ses facilités et aux acteurs de friser parfois la caricature. On pourra aussi trouver que Niels Schneider n’a pas les épaules assez larges ni le charme vénéneux de Cilian Murphy pour porter à lui seul le rôle d’un chef de bande. Mais on aurait tort de minauder devant ce spectacle divertissant et de trouver à redire aux interprétations d’Alice Isaaz, incandescente une fois de plus, et surtout d’Artus qui, depuis sa révélation dans Le Bureau des légendes est en train tout doucement de se tailler une place à sa mesure dans le cinéma français.

La bande-annonce

The Lost King ★★☆☆

Philippa Langley, une historienne amateur, s’est mis en tête de retrouver la dépouille de Richard III et y est parvenue en 2012… sous un parking de la ville de Leicester dans le nord de l’Angleterre. Cette histoire incroyable avait déjà fait l’objet d’un documentaire télévisé sur Channel 4 au titre évocateur : The King in the Car Park.

Les scénaristes Steve Cogan et Jeff Pope, qui avaient déjà travaillé avec Stephen Frears sur Philomena (2013), se sont emparés de cette histoire vraie d’une mère de famille anonyme qui, contre tout le système institutionnel, s’est entêtée dans son intuition en voulant à la fois retrouver la dépouille de Richard III et restaurer son image ternie par la propagande des Tudor qui avaient vaincu le dernier des Plantagenet à la bataille de Bosworth en 1485.

Pour donner vie à un récit autrement bien austère, ils y instillent une dose de comédie et une autre de fantastique en ressuscitant le fantôme de Richard III et en le faisant dialoguer avec Philippa. J’ai lu dans beaucoup de critiques que ces scènes là étaient peu crédibles et ratées. Je ne suis pas d’accord. J’ai trouvé au contraire qu’elles permettaient d’éclairer le personnage de Philippa, un mélange paradoxal d’extrême faiblesse (la frêle Sally Hawkins souffre du syndrome de fatigue chronique) et de grande détermination (elle devra tenir tête aux autorités scientifiques qui raillent son absence de diplômes et convaincre des sponsors de financer ses recherches).

The Lost King est aussi l’occasion de retrouver Stephen Frears à quatre-vingts ans passés.
Ma cinéphilie est née au milieu des 80ies au contact de son cinéma. Dans une veine qui fut ensuite reprise avec le succès que l’on sait par Ken Loach, ses premiers films faisaient la critique des dérives ultralibérales de l’Angleterre de Thatcher : My Beautiful Laundrette (1985), Prick Up your Ears (1987), Sammy et Rosie s’envoient en l’air (1987). A l’époque, encore privé de cinéma étranger, sinon hollywoodien, je leur trouvais un exotisme fou et y apprenais grâce à eux des expressions anglaises que je ne connaissais pas. Stephen Frears s’est ensuite expatrié à Hollywood dans les 90ies au risque d’y perdre sa touche : si ses Liaisons dangereuses restent une référence, ses autres films américains sont tombés dans un oubli légitime. Depuis, Stephen Frears est rentré en Angleterre. Il s’est effacé derrière ses films, parfois très réussis pourtant : The Queen, Tamara Drewe, The Program… J’attends avec impatience son prochain film, l’adaptation de l’avant-dernier roman en date de Jonathan Coe, Billy Wilder et moi.

La bande-annonce

Le Bleu du caftan ★★★☆

Halim (Saleh Bakri) est un maleem, un tailleur réputé qui, selon une technique transmise depuis des générations, brode les caftans les plus élégants, dans une modeste échoppe de la médina de Salé, près de Rabat au Maroc. Il partage, avec sa femme Mina (Lubna Azabal), le lourd secret de son homosexualité, dans un pays où elle est encore pénalement sanctionnée. Mais l’arrivée d’un bel apprenti, Youssef (Ayoub Missioui), et la récidive du cancer dont Mina est atteinte rebattent les cartes.

L’actrice-scénariste-réalisatrice Maryam Touzani forme avec son mari Nabil Ayouch un sacré tandem.. Ils ont à tous les deux écrit et réalisé quelques uns des films marocains les plus marquants de ces dix dernières années : Much Loved, Razzia, Haut et fort
On retrouve dans le deuxième film de Maryam Touzani, les mêmes ingrédients que dans le premier, Adam, qui avait pour sujet la condition d’une fille mère recueillie par une boulangère. On y retrouve d’abord la même actrice, impressionnante, Lubna Azabal. On y retrouve surtout la même ambiance confinée, là dans la minuscule boulangerie où cohabitaient les deux femmes de Adam, ici dans l’échoppe où Halim, Mina et Youssef travaillent. On y retrouve surtout la même inlassable détermination à dénoncer les tabous d’un Maroc hypocrite et viriliste.

C’est d’ailleurs le – seul – reproche que j’adresserais à ce film autrement remarquable : sa bien-pensance. On m’objectera que mieux vaut être bien-pensant que mal-pensant. Et on aura raison. On m’objectera surtout que ce reproche-là, à le supposer fondé, ne doit pas occulter les autres qualités du film. Sa principale est son immense sensibilité. Tout est beau, doux et touchant dans le trio que forment Halim, Mina et Youssef : l’immense amour de Halim pour son épouse, la résilience de Mina qui se bat contre le cancer qui va inexorablement l’emporter en grignotant des mandarines et en profitant des derniers petits bonheurs que la vie offre chichement, la timidité de Youssef et la relation qui se noue lentement avec son maître, faite de respect filial et d’attraction sensuelle…

Le Bleu du caftan dure sans doute trente minutes de trop. Mais ces trente minutes là ont pour fonction de préparer à la dernière scène, qu’on devine vite, mais qui n’en constitue pas moins une conclusion poignante à un drame réussi.

La bande-annonce

Je verrai toujours vos visages ★★★☆

La justice restaurative, nous dit le site du ministère de la justice, associe, selon diverses modalités, des auteurs d’infraction pénale et des victimes « en vue d’envisager ensemble les conséquences de l’acte, et le cas échéant, de trouver des solutions pour le dépasser, dans un objectif de rétablissement de la paix sociale ». Prévue par une directive européenne, la justice restaurative a été inscrite dans la loi en 2014.
Jeanne Herry aurait pu lui consacrer un documentaire. Elle lui préfère la fiction en convoquant une belle brochette d’acteurs : sa mère Miou-Miou (excellente dans le rôle d’une septuagénaire qu’un vol à l’arraché a durablement traumatisée), Gilles Lellouche, Jean-Pierre Darroussin, Denis Podalydès, Leïla Bekhti, Fred Testot (méconnaissable) et Adèle Exarchopoulos sur laquelle, si j’ose dire, je reviendrai.

Le précédent film de Jeanne Herry, Pupille, m’avait ému aux larmes. Je lui avais mis quatre étoiles et l’avais rangé au sommet de mon Top 10 en 2018. Lui aussi, qui suivait le parcours de l’adoption d’un bébé né sous X, empruntait déjà à la même veine documentaire. Il convoquait d’ailleurs les mêmes acteurs : Miou-Miou, Podalydès, Bouchez, Lellouche….

La recette marche une fois encore avec quasiment la même efficacité. Hier, une amie me disait l’avoir détesté. Elle parlait de naïveté, d’indécence et de bien-pensance. Je comprends sa colère. Je verrai toujours vos visages est englué dans une bien-pensance mielleuse. Le film nous prend en otage et nous interdit par avance, tant son sujet est admirable, de le contredire. Ces deux reproches d’ailleurs pouvaient être adressés à Pupille contre lequel quelques rares voix dissidentes se sont élevées à rebours de l’avalanche de louanges qui l’avait accueilli.

Mais je trouve à ce film trois immenses qualités qui emportent ma conviction.

La première est son sujet, original et ardu. Imaginez la tête des producteurs quand Jeanne Herry est venue leur proposer un film sur « la justice restaurative » : « Euh, Jeanne… bien sûr… en effet… mais tu voudrais pas plutôt écrire un scénario sur un sujet plus bankable ? ». Courageusement, lucidement, Je verrai… saisit à bras-le-corps ce sujet austère et, avec un remarquable sens de la pédagogie, sans prendre le spectateur pour un imbécile, mais sans non plus lui prêter un savoir qu’il n’a pas, le lui expose : ce qu’est la justice restaurative, mais aussi ce qu’elle n’est pas, les objectifs qu’elle se fixe, tant du point de vue des victimes que des condamnés, les modalités de son fonctionnement.

La deuxième est l’admirable subtilité de son écriture.
Hier, dans une critique assassine, j’étrillais Sur les chemins noirs adapté du récit de Sylvain Tesson. Je persiste et signe dans mon opinion radicale. Qu’y avait-il dans ce film-là ? une seule idée : un homme se reconstruit après un terrible accident en traversant la France à pied. Quelle richesse au contraire, quelle subtilité dans ce film-ci où quasiment chaque scène suscite un flot de réflexions.
Il se focalise sur deux processus. Le premier confrontera trois condamnés pour violence à trois victimes : la première, on l’a dit, interprétée par Miou-Miou, a été victime d’un vol à l’arraché, la deuxième, (Leila Bekhti), est une employée d’une supérette braquée par des cambrioleurs, le troisième (Gilles Lellouche) un père de famille pris en otage avec sa fille à son domicile. Le deuxième processus se réduit à un duo :  il s’agit d’une sœur, abusée dans son enfance par son frère qui vient de sortir de prison, de revenir dans sa ville et que sa sœur appréhende de revoir.
Ces face-à-face pourraient être manichéens. Ils ne le sont jamais. Chacun, victime ou coupable, a ses raisons, prend sur soi de les expliquer calmement et surtout, accepte d’écouter celles de l’autre. Quelle merveille, à l’heure où nous sommes souvent bien en peine de nous parler sans nous invectiver, de voir des gens de bonne volonté emprunter une autre voie et en sortir grandis !

La troisième est Adèle Exarchopoulos. J’ai déjà dit mon admiration pour cette actrice qui ne s’abîme pas dans la facilité, fait des choix exigeants et affirme de film en film son talent. Elle est ici impressionnante de maîtrise dans un rôle terrible, à fleur de peau. Qu’elle pleure ou qu’elle sourie cette actrice m’émeut au tréfonds.

La bande-annonce

Sur les chemins noirs ☆☆☆☆

Pendant une nuit trop alcoolisée, en août 2014, à Chamonix, Sylvain Tesson chute de près de dix mètres d’une maison que, comme à son habitude, ce « chat de gouttière » était en train d’escalader. Victime d’un traumatisme crânien, de multiples fractures, il retrouve par miracle l’usage de ses jambes. En guise de thérapie, ce grand voyageur décide, contre l’avis de ses médecins, de traverser la France à pied, du Mercantour au Cotentin. Il tire de ce périple de mille trois cents kilomètres un livre publié en 2016 qu’adapte aujourd’hui Denis Imbert.

Jean Dujardin se glisse dans le rôle de l’écrivain. Il en adopte l’élégance d’un autre âge, la casquette gavroche en tweed, le chèche négligemment noué autour du cou. Ce serait un mauvais procès que de lui reprocher de ne pas suffisamment s’effacer derrière son rôle : l’interprétation de Sylvain Tesson réussit à faire oublier Brice de Nice ou OSS 117.

Le problème au contraire est la trop grande fidélité à un livre qui…. pose problème.
Il a eu pourtant un immense succès de librairie. Et c’est précisément sur ce succès de librairie que le film capitalise, sûr d’attirer en salles, où il a réalisé en première semaine un score remarquable, tous les amoureux de Sylvain Tesson et de ses carnets de voyage.

Je dois avouer un sentiment très subjectif. Sylvain Tesson m’horripile. Je trouve ses livres horriblement égocentriques. Sa fausse modestie transpire la suffisance : « Certains hommes espéraient entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie ». Chaque phrase semble avoir été écrite avec le souci envahissant d’atteindre à un sommet de poésie et un abîme de profondeur : « La forêt filtrait le soleil en tisserande et je traversai les rais avec l’impression de me laver le visage à chaque explosion de clarté ». Une écologie de pacotille peine à cacher un vieux fond réactionnaire et anti-humaniste : « Loin des routes, il existait une France ombreuse protégée du vacarme, épargnée par l’aménagement qui est la pollution du mystère. Une campagne du silence, du sorbier et de la chouette effraie » ou encore, citant Cocteau : « Il est possible que le progrès soit le développement d’une erreur ».

Aussi je souffre presqu’autant à la lecture de ses livres qu’à la vue des films qui en sont tirés. Les premiers ont l’avantage de ne pas être bien épais et d’être lus presqu’aussi vite qu’on voit les seconds.

Je n’avais pas aimé La Panthère des neiges, qui a pourtant cassé la baraque au box-office. Je reprochais déjà à Tesson « une idéologie volontiers conservatrice sinon rétrograde qui postule que tout était mieux avant, que la nature était parfaite et que l’intervention de l’homme en a perturbé l’équilibre et altéré la beauté ». Comme je l’avais auguré, je n’ai guère plus aimé Sur les chemins noirs. Les fans de Tesson ne seront pas de mon avis. Ni les spectateurs sensibles à la splendeur des « beaux paysages » qu’on y voit – et qui soutiennent aisément la comparaison avec la soirée diapos que Tonton Paul et Tata Nénette (elle s’appelait Antoinette mais personne n’utilisait jamais son vrai prénom) nous infligeaient jadis à leur retour de vacances en camping-car.
Mais nous nous accorderons peut-être lucidement sur un point : même si le montage réussit intelligemment à mêler l’histoire de l’accident de Sylvain Tesson et celle de sa longue marche, Sur les chemins noirs ne raconte pas grand-chose et tourne un peu en rond… ce qui n’est pas le moindre des paradoxes d’un film censé nous raconter la traversée de la France.

La bande-annonce

Dalva ★★☆☆

Dalva a douze ans. Brutalement séparée de son père, elle est placée en foyer d’accueil. Elle y apprendra lentement à se reconstruire.

J’avais vu plusieurs fois la bande-annonce de Dalva sans y comprendre grand-chose. En découvrant cette pré-adolescente outrancièrement fardée, j’avais même pensé un temps que son héroïne était un petit garçon en train de vivre une transition de genre ! Or le sujet de Dalva n’est pas la transidentité, loin s’en faut, mais l’inceste.
La bande-annonce n’en dit rien. Elle a bien raison de n’en rien faire. Mais toutes les critiques l’évoquent. Le film, dès sa toute première scène, le laisse comprendre.

Un tel sujet est évidemment tétanisant. Les Chatouilles l’avait pris à bras-le-corps en 2018 avec une terrible efficacité. On se souvient qu’il s’agissait de l’adaptation d’un seule-en-scène construit sur la base de flashbacks entre le passé traumatisant de son héroïne et sa lente reconstruction grâce à la cure psychanalytique qu’elle avait entreprise.

Ici, c’est moins de l’inceste proprement dit qu’il est question, qui demeure hors champ, dans un passé dont on ne verra et dont on ne saura rien – l’action commence le jour de l’arrestation du père de Dalva – que du chemin que parcourra Dalva pour retrouver l’enfance qui lui a été volée.

Le vrai sujet du film est paradoxal voire choquant : il est dans le refus initial de l’enfant d’admettre la culpabilité de son père, voire son entêtement obstiné à clamer son innocence.
Jacques – c’est le nom de ce père qu’elle n’appelle jamais « papa » – avait transformé sa petite fille en poupée hypersexuée, maquillée, coiffée, vêtue comme une femme mature. On imagine en frémissant ce qui se cache derrière ce fantasme. Mais Dalva, loin de vivre l’arrestation de son père comme une délivrance, la vit comme une séparation intolérable. Elle exige de conserver ses vêtements, son maquillage, son chignon sophistiqué. Elle demande à revoir son père, placé sous écrou à Reims.

Ainsi posé le film s’annonce palpitant. Mais l’exploitation qu’il fait de ce postulat de base reste assez plat. Comme on l’a déjà vu mille fois, dans tant de films plus ou moins similaires (La MifMon frère, Conséquences, La Tête haute, States of Grace, Fish Tank, Dog Pound…), Dalva filme la vie dans un foyer d’accueil de l’ASE – ce qu’on a cessé depuis longtemps d’appeler « l’Assistance ». Là, au contact d’éducateurs bienveillants (Alexis Manenti, César du meilleur espoir masculin pour Les Misérables, Marie Denarnaud…) et d’une camarade de chambre aussi cabossée qu’elle (Fanta Guirassy à suivre), elle se reconstruira.

La jeune Zelda Samson est impressionnante dans le rôle titre. Elle joue à la perfection un mélange ambigu de féminité aguicheuse et d’enfance innocente. Un seule reproche : on la voit trop vite basculer du premier registre vers le second.

La bande-annonce

De grandes espérances ★★★☆

Orpheline de mère, abandonnée par son père, Madeleine (Rebecca Marder) a grandi à Vénissieux et doit à une bourse d’État d’avoir intégré l’IEP dont elle est sortie major. Antoine (Benjamin Lavernhe) est lui issu de la grande bourgeoisie lyonnaise. C’est dans la villa louée en Corse par le père d’Antoine, riche avocat d’affaires, que le jeune couple prépare l’oral de l’ENA et révise « l’arrêt » (sic) Nicolo. Idéalistes, marqués à gauche, ils se verraient mieux au ministère du travail ou aux Affaires sociales qu’au Conseil d’État ou à l’IGF. Madeleine a consacré son mémoire de fin d’études à l’économie sociale et solidaire. Elle fait forte impression à Gabrielle Devraz, une députée lyonnaise qui vient de démissionner du Gouvernement et espère bientôt y revenir. Mais le brillant avenir de ces jeunes gens va se briser le lendemain sur une petite route corse.

On a dit longtemps du cinéma français qu’à la différence de son homologue américain, il rechignait à se frotter à la politique : pendant que Robert Redford et Dustin Hoffman chroniquaient le Watergate (Les Hommes du président, 1976), Catherine Deneuve, Michel Serrault et Jean-Louis Trintignant mettaient en scène les frasques d’un Président volage cherchant par tous les moyens à cacher l’existence d’un enfant adultérin (Le Bon Plaisir, 1984).
Les choses ont changé depuis peu. Le cinéma français n’a plus peur de se colleter au politique. Plusieurs films récents l’ont montré : L’Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller (2011), Quai d’Orsay du regretté Bertrand Tavernier (2012), Le Poulain de Mathieu Sapin (2017), Alice et le maire de Nicolas Pariser (2019), Les Promesses de Thomas Kruithof, un de mes coups de cœur de l’année dernière, sans parler de séries remarquables : L’État de Grâce, Les Hommes de l’ombre et bien sûr Baron noir.

Sylvain Desclous, la cinquantaine, n’est pas un novice. De grandes espérances est son quatrième long après Vendeur, une fiction avec Gilbert Melki et Pio Marmaï sur le monde impitoyable de l’entreprise et deux vrais-faux documentaires tournés dans sa ville natale de Preuilly-sur-Claise en Indre-et-Loire. La Campagne de France racontait la désopilante campagne d’un enfant du pays, parti faire ses études à Paris, aux élections municipales de mars 2020.

Najat Vallaud Belkacem se serait, dit-on, reconnue dans le rôle de Madeleine. Comme elle, elle a préparé l’ENA. Comme elle, elle avait rencontré à Sciences Po (Paris) son futur mari, Boris Vallaud, camarade de promotion d’Emmanuel Macron à l’ENA et aujourd’hui président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Comme elle, elle rencontrera un édile lyonnais et commencera dans son ombre une prometteuse carrière politique.
Les ressemblances s’arrêtent là ; car Madeleine et Antoine, à la différence espérons-le de Najat Vallaud Belkacem et son époux, cachent un lourd secret qui hypothèque leurs brillantes carrières.

Tout le film est construit autour de ce secret, des conditions dans lequel il se noue et de l’épée de Damoclès qu’il fait peser sur Madeleine et Antoine.
Ce secret est diabolique. Je n’en dirai pas plus…. même si la bande-annonce en livre la substance. Le film aurait-il pu en faire l’économie, se concentrant alors sur ce qui est au fond son vrai sujet : l’ambition politique face aux compromissions morales auxquelles elle finit fatalement par se heurter ? Pas si sûr.

Madeleine et Antoine vont traverser plus de péripéties que n’en vivent des candidats ordinaires à l’ENA. À force de charger la barque, la crédibilité du scénario prend l’eau de toutes parts. Mais qui a envie qu’on lui raconte la vie d’un étudiant qui polarde dix-huit heures par jour, passe en tremblant un grand oral où il confond Jules Renard et Jules Romains, obtient une mauvaise note en sport, compensée par un bon oral d’anglais et sort au Conseil d’État plutôt qu’au Quai d’Orsay ?

De grandes espérances, au titre pompeusement dickensien, prend le parti de la dramatisation. Le pari est réussi. le film nous tient en haleine jusqu’à ses ultimes et étonnants rebondissements.

Rebecca Marder, l’étoile montante du cinéma français (Mon crime, La Grande Magie, Simone, le voyage du siècle, Les Goûts et les Couleurs, Une jeune fille qui va bien…), y est épatante : au risque de la caricature, elle est l’ambition politique faite femme. Benjamin Lavernhe a un rôle ingrat qui, lui aussi, frise la caricature. Mention spéciale aux seconds rôles : Emmanuelle Bercot étonnante dans le rôle de la mentor en politique de Madeleine et Marc Barbé qui, depuis des décennies, promène sa gueule cassée reconnaissable entre mille dans le cinéma français sans jamais avoir obtenu la reconnaissance qu’il mérite. En revanche, le choix de Thomas Thévenoud, ministre éphémère devenu célèbre pour sa « phobie administrative », pour interpréter le rôle d’un ministre du Travail pataud et ridicule, laisse perplexe.

La bande-annonce

Le Barrage ★☆☆☆

Maher travaille dans une briqueterie, au bord du Nil, au Soudan, près du barrage de Merowe. Alors que la révolution gronde dans le pays, provoquant la chute du président Béchir, Maher consacre tout son temps libre à l’érection d’une curieuse structure de terre glaise au milieu du désert.

Pour qui, comme moi, a eu le privilège rare de descendre le Nil soudanais, de Khartoum à Napata, Le Barrage est l’occasion de revoir les majestueux paysages désertiques du Gebel Barkal, un site égyptologique consacré à Amon bâti sous les dynasties nubiennes.

Mais tel est à mon sens l’unique attrait de ce Barrage, un film quasi-muet du plasticien franco-libanais Ali Cherri, dont le sens m’a échappé. Il ne s’y passe rien si bien qu’une fois dissipé le charme produit par l’exotisme de son premier quart d’heure, on plonge dans une profonde léthargie.

La bande-annonce

Atlantic Bar ★★☆☆

La jeune photographe Fanny Molins a commencé par photographier les habitués de l’Atlantic Bar, un modeste café situé à une encablure des Arènes d’Arles, avant de décider d’y tourner un long métrage documentaire. Initialement centré sur le personnage de Sandro, le fils de la patronne, il s’est finalement focalisé sur sa mère, Nathalie, une alcoolique en rémission.

Atlantic Bar est un documentaire profondément touchant qui se déroule quasi exclusivement dans un seul lieu. On n’en sortira que pour quelques échappées belles, les mardis, le jour de fermeture du bar, à Port Saint Louis, à l’embouchure du Rhône, où Nathalie et Jean-Paul vont pêcher, avec leur chien et avec un ami, ancien clochard, qu’ils ont adopté comme l’un des leurs.

Atlantic Bar est un troquet ordinaire dont la porte, toujours ouverte, donne sur une rue sans caractère du vieil Arles. On y vient prendre un noir – à 1,50€ à peine – un pastis ou une bière. On y vient surtout pour y passer un moment, taper le carton et la discute avec Nathalie la patronne. On découvre sa vie cabossée et sa longue addiction à l’alcool qui ressurgit périodiquement. Son conjoint, Jean-Paul, un taiseux au grand cœur, les chicots jaunis par l’abus de cigarettes, la couve d’un regard protecteur.

Le bar compte ses habitués aux trognes incroyables, Alain, Claude, Gilbert… L’un est un ancien clochard, l’autre un ancien taulard, le troisième un poète un peu fou. On les croirait tout droit sortis d’un film de Pagnol ou d’Audiard.

Le tableau serait ennuyeux si un événement ne venait bousculer le train-train quotidien de ses personnages : la décision du propriétaire du fonds de le mettre en vente et, si Nathalie et Jean-Jacques ne s’en portent pas repreneurs, de les évincer. L’annonce bouleverse Nathalie qui replonge dans l’alcool. Les frères Dardenne en auraient fait une fiction suffocante dans laquelle le couple aurait tenté, par tous les moyens, dans une course à la montre haletante, de réunir la somme exigée par le propriétaire. Rien de tel dans Atlantic Bar qui ne quittera pas le registre qui est le sien : celle de la chronique pleine de tendresse, à hauteur d’homme.

La bande-annonce