Les Suffragettes ★☆☆☆

En 1912 les femmes britanniques se battirent pour conquérir le droit de voter. Pour donner chair à cette page d’histoire, Carey Mulligan incarne une blanchisseuse, abusée par son patron, soumise à son mari, dont la conscience politique s’éveille lentement et Meryl Streep la célèbre Emeline Pankhurst, la leader des suffragettes. On suit leur combat qui verse inexorablement dans la violence après avoir épuisé toutes les voies pacifiques.

Il y a trop de bons sentiments, trop de manichéisme à cette impeccable reconstitution historique pour que l’émotion qu’elle fait naître ne soit pas suspecte.

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Crazy Amy ★★☆☆

Judd Apatow aurait révolutionné la comédie américaine en repoussant les limites de la bienséance. C’est vrai. C’est faux.

Le réalisateur de 40 ans toujours puceau et de En cloque mode d’emploi a popularisé un humour potache, volontiers transgressif. Amy Schumer, la scénariste et l’actrice principale de Crazy Amy (audacieuse traduction du titre original Trainwreck), nous fait hurler de rire. Elle y est aidée par une brochette de seconds rôles remarquables : Tilda Swinton en directrice de publication narcissique et sadique, LeBron James en star autoparodique du basket, Ezra Miller, l’inquiétant héros de We Need to Talk about Kevin, en stagiaire déluré…

Pour autant, le cinéma de Judd Apatow n’est transgressif que dans sa forme. Au fond, il véhicule un conservatisme très mainstream. Si Amy commence par enchaîner les coups d’un soir elle se convertit bien vite à la monogamie. Ce moralisme fadasse entame le plaisir pris à rire des situations hilarantes imaginées par Amy Schumer, mais il ne nous dissuadera pas d’aller voir son film suivant.

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Maestà, La Passion du Christ ★★★☆

Comment parler cinématographiquement d’un tableau de maître ? En 2011, Lech Majewski avait imaginé de faire déambuler Bruegel en 3D dans l’une de ses toiles. La démarche du plasticien Andy Guérif est autre. Il a patiemment reconstitué chacun des vingt-six panneaux de la Maestà, un polyptyque réalisé au début du Trecento pour la cathédrale de Sienne.
Ce travail de fourmi lui a pris sept ans, à Angers, avec une poignée d’amis et un budget dérisoire.

Le résultat est un plan fixe qui englobe tout le polyptyque. Chaque panneau s’anime successivement dans un coin de l’écran, décrivant une étape de la Passion du Christ depuis l’entrée à Jérusalem jusqu’aux compagnons d’Emmaüs.
Dans chaque cartouche on voit les personnages s’installer, puis se figer quelques secondes dans la position précise qui était la leur dans le tableau, avant de s’animer à nouveau et de se diriger vers le cartouche suivant.

Le procédé est totalement artificiel et parfaitement naturel. Sans doute crée-t-il à la longue une lassante répétition, d’autant que l’histoire est connue et son dénouement sans surprise. Mais ce film hors norme a l’intelligence de ne pas dépasser soixante minutes et de s’arrêter avant que la curiosité qu’il suscite ne disparaisse.

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Irréprochable ★★★☆

Irréprochable, Constance (Marina Foïs toujours excellente) prétend l’être, qui revient à Saintes au chevet de sa mère souffrante et souhaite retrouver l’emploi qu’elle exerçait dans une petite agence immobilière sur les bords paisibles de la Charente. Mais, la vérité apparaît progressivement révélant le caractère instable, voire psychotique, de la jeune femme. Constance était montée à Paris sur un coup de tête, abandonnant son compagnon et son employeur qui ne sont pas prêts à lui pardonner sa fuite si facilement. Elle vit désormais au RSA après avoir perdu son emploi. Quant à sa mère…

Le premier film de Sébastien Marnier ne quitte pas d’une semelle l’inconstante Constance. On la voit séduire un inconnu rencontré dans un TGV et retrouvé dans une chambre d’hôtel anonyme (Benjamin Biollay toujours magnétique). On la suit dans les rues de Saintes renouer avec un amoureux d’enfance (Jérémie Elkaïm toujours creux). On s’attache à ce personnage fragile autant qu’on s’inquiète des progrès de son entreprise lorsqu’elle se met en tête d’évincer Audrey, la jeune et jolie employée qui a été recrutée à sa place. Lentement, l’étau se resserre jusqu’à un dénouement final particulièrement malin.

Si ce petit film avait eu plus d’ambition, ç’aurait pu être un grand film. Son scénario le lui aurait permis, alors que c’est souvent là que le bât blesse dans le jeune cinéma français. Mais le manque de moyens et l’absence d’ambition esthétique ou narrative tirent irrésistiblement Irréprochable vers le téléfilm, aussi réussi soit-il.

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The Strangers ★★☆☆

Dans un petit village coréen noyé sous la pluie, des crimes horribles sont commis par de paisibles habitants qui versent soudainement dans la folie. On suspecte la consommation de champignons toxiques. Mais l’inspecteur Jong-gu, sur la piste d’un ermite japonais, découvre vite que les racines du mal sont plus profondes.

Ça commence comme Memories of Murder, un banal polar avec un flic balourd. Ça se termine comme Ring, une histoire angoissante de fantômes anorexiques en chemise de nuit blanche sous la pluie. Et ça fait des détours par Les Rivières pourpres et L’Exorciste.

Révélé par ses deux précédents films, The Chaser et The Murderer, Na Hong-jin confirme qu’il fait partie des grands. Son film dure deux heures trente-six qu’on passe sans s’ennuyer une seconde. Il est riche en rebondissements, ballotant le spectateur de twists en contre-twists jusqu’à une conclusion magistrale qui suscite le débat au sortir de la salle. Il est riche en ruptures de ton : on passe de l’intrigue policière au film de fantômes, du mélo familial au slasher (avec un exorciste diablement séduisant), du gore au burlesque (où un zombie se prend un méchant râteau).

Alors pourquoi deux étoiles seulement ? Parce que ce cinéma-là, dont je reconnais volontiers l’éclectisme et l’originalité, ne me transporte pas et, s’il me met parfois les nerfs en pelote, me laisse somme toute assez indifférent.

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L’Hermine ★★★☆

Je suis allé à reculons voir L’Hermine. Je déteste Luchini que je trouve précieux et prétentieux. J’arrive dans la salle bondée. Je suis le plus jeune spectateur (ce qui m’arrive de moins en moins souvent) : j’en suis ravi… et terrifié.

Mais, dès les premières scènes, mes préventions disparaissent. Christian Vincent (La Discrète, Beau fixe, La Séparation) a le chic pour nous installer dans une situation : une petite ville de province, un magistrat misanthrope, un procès d’assises et ses jurés tirés au sort.
On imagine alors un film de procès comme le cinéma américain nous en donne tant d’exemples. On se trompe.
L’Hermine n’est pas un film de prétoire. C’est un film sur la Justice et ceux qui la rendent.

Bien sûr on pourra être touché par la panoplie des membres de la cour d’assises : son président ronchon, sa greffière dévouée, son avocat général timoré et les jurés composant une radioscopie caricaturalement représentative de la société française.
On pourra aussi s’attacher à l’accusé soupçonné d’avoir assassiné son enfant dont on se doute très vite qu’il a commis ce crime avec la complicité de son épouse. Couple écrasé par la misère sociale et l’abrutissement. On imagine que sa culpabilité ou son innocence va éclater. Il n’en sera rien. On croit assister à un coup de théâtre ; mais il ne faut pas s’y fier. En deux phrases, le président recadre les débats, explique aux jurés que leurs questions resteront sans réponses et qu’un procès n’a pas pour objet de faire surgir la vérité.

Comme jamais au cinéma – sinon dans quelques rares documentaires – on décortique la procédure pénale : la sélection des jurés, le poids du président et de ses assesseurs, l’indépendance de l’avocat général, le rôle de la défense… Et on le fait sans didactisme pesant, l’air de ne pas y toucher.

Car Christian Vincent a le bon goût de nous faire croire que l’essentiel est ailleurs. Dans la résurrection d’un homme revenu de tout qui croise un amour perdu et essaie de remonter le temps. Sidse Babett Knudsen est parfaite dans le rôle de la femme idéale. Le dernier plan est merveilleux. Il nous fait presque oublier la richesse du reste du film.

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Knight of Cups ☆☆☆☆

J’avais beau avoir été prévenu, je suis allé voir le dernier film de Terrence Malick, plein d’impatience et de curiosité. Je savais depuis The Tree of Life et À la merveille que le génial réalisateur de La Ligne rouge et des Moissons du ciel avait versé dans un prêchi-prêcha panthéiste.

Ses films ne s’embarrassent plus d’un scénario, mais se résument à la juxtaposition prétentieuse de plans sans queue ni tête. Ils ne s’embarrassent plus non plus de dialogues, préférant recourir à une pesante voix off.

Knight of Cups suit Christian Bale dont on comprend qu’il est un scénariste en mal d’inspiration. Il se soigne en faisant l’amour à de sublimes blondes sylphides – ce qui donne quelques jolis plans. Mais, comme chacun sait, la chair est triste (oh là là c’est profond cette réflexion !) et le souvenir (ou peut-être le fantasme ?) du grand amour n’est jamais loin : s’agit-il de Cate Blanchett ou de Natalie Portman, qu’on croirait l’une et l’autre sorties d’une pub pour Chanel (ou Giorgio Armani ?) ?
On ne le saura jamais… et à la vérité on s’en fiche.

Knight of Cups est-il un sublime poème métaphysique auquel je n’ai rien compris ? ou un grand n’importe quoi d’un vieil érotomane paresseux ? Dans un cas comme dans l’autre, j’ai perdu mon temps et vous recommande de ne pas perdre le vôtre.

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21 Nuits avec Pattie ★★☆☆

Les Coen, les Dardenne, les Taviani… Pourquoi tant de frères… et si peu de sœurs ?

Arnaud et Jean-Marie Larrieu sont donc frères. Leur filmographie déjà bien nourrie présente une étonnante cohérence. Ils filment le sexe avec une énergie dionysiaque. Le sexe plus fort que l’apocalypse dans Les Derniers Jours du monde. Le sexe plus fort que la mort dans 21 Nuits avec Pattie.

Ils le filment ou plutôt ils en parlent. Car l’érotisme de leur dernier film, voire la pornographie, est plus dit que montré.
Shéhérazade des temps contemporains, Pattie (Karin Viard) y raconte ses frasques sexuelles avec une élégance et une gouaille communicatives. Caroline (Isabelle Carré) l’écoute mi gênée mi tentée.

Ces historiettes auraient pu suffire à faire un film. Mais les frères Larrieu ont préféré lui juxtaposer une pesante histoire de fantôme : la mère de Caroline vient de passer de vie à trépas et sa dépouille a mystérieusement disparu.

Du coup, le film des frères Larrieu se transforme en L’Inconnu du lac hétérosexuel ; il lui emprunte sa chaude lumière méridionale, sa sensualité omniprésente, ses mystères non élucidés…
Ce qui fait beaucoup pour un seul film.

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L’Effet aquatique ★★★☆

Samir est grutier à Montreuil. Il tombe sous le charme d’Agathe, maître-nageur à la piscine Maurice-Thorez. Pour l’approcher, il prétend vouloir apprendre à nager. La jeune femme n’est pas insensible au charme taciturne de son élève en maillot orange. Mais lorsqu’elle découvre la supercherie, elle fuit en Islande pour participer à un – improbable – congrès mondial des maîtres-nageurs. Son sigisbée transi ne s’avoue pas vaincu et l’y suivra pour lui prouver la sincérité de son amour.

L’Effet aquatique est un petit film terriblement attachant. Un conte de fée contemporain entre Montreuil et Reykjavík, les deux ports d’attache de la réalisatrice franco-islandaise décédée en 2015. Une histoire d’amour tendrement surréaliste.

Sans doute le film est-il divisé en deux parties un peu trop différentes pour former un tout cohérent. La première se déroule presque intégralement entre les murs de la piscine Maurice-Thorez dont Sólveig Anspach croque avec jubilation les employés : un directeur pas très malin, un caissier toujours de bonne humeur, un maître-nageur lubrique. C’est dans ce cadre improbable que Samir et Agathe se rapprochent. Rupture de lieu, mais pas de ton, lorsque le film se déporte vers l’Islande. Pour participer au Congrès mondial des maîtres-nageurs, Samir se fait passer pour le délégué israélien et improvise un discours aussi naïf qu’émouvant.

La modestie de ce film l’empêche de prétendre au statut de chef-d’œuvre. Mais, dans le registre qui est le sien, L’Effet aquatique est une réussite totale.

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Ce qu’il reste de la folie ★☆☆☆

La maladie psychiatrique est-elle la même sous toutes les latitudes ? Est-on fou de la même façon en France et au Sénégal ? Des milieux sociaux et familiaux différents provoquent des troubles mentaux différents qui appellent des traitements différents. Tel est le postulat de base de l’ethnopsychiatrie vulgarisée en France par Tobie Nathan.

Joris Lachaise est allé tester ces hypothèses à l’hôpital psychiatrique de Thiaroye près de Dakar. J’y ai passé trois années (à Dakar pas à l’hôpital) et j’ai retrouvé dans ce documentaire les lumières du Sénégal, les intonations du wolof.

Les milieux fermés (prisons, hôpitaux, asiles, bateaux…) sont du pain bénit pour le documentariste. Il lui offre une unité de lieu rassurante et lui garantit la collaboration, plus ou moins forcée, de ses occupants.

Raymond Depardon avait filmé un asile en Italie (San Clemente, 1982) ; Wang Bing en Chine (À la folie, 2013). Que cherchaient-ils à (dé)montrer ? Un tableau bouleversant de la souffrance humaine ? Une entreprise foucaldienne de domestication des corps ?

Le documentaire de Joris Lachaise n’a pas une telle ambition. D’ailleurs il n’en a guère et c’est son principal défaut. Il montre des scènes terribles et marquantes de maltraitance, de folie, d’exorcisme : on n’oubliera pas ce malade qui raconte comment il a égorgé sa mère, ou cet autre, d’une folle intelligence, qui disserte sur le conflit israélo-palestinien et la Françafrique. Mais ce documentaire ne démontre rien. On en sort sans réponses aux questions passionnantes que soulève l’ethnopsychiatrie.

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