Tharlo, le berger tibétain ★☆☆☆

Tharlo alias « Petite-natte » doit aller à la ville pour s’y faire tirer le portrait afin d’obtenir une carte d’identité. Il y rencontre une coiffeuse qui passe avec lui une soirée bien arrosée et lui propose au petit matin de changer de vie. La suggestion fait son chemin dans l’esprit du berger tibétain…

Tharlo, le berger tibétain est une curiosité : un film droit venu des hauts plateaux tibétains, tourné par un cinéaste dont on apprend qu’il s’agit de la quatrième réalisation mais dont aucune n’avait jamais jusqu’alors été distribuée en France. Les occasions sont suffisamment rares d’entendre cette langue et de voyager sous ses latitudes pour laisser passer cette curiosité.

Un film tibétain ? en noir et blanc ? quasi-muet ? en longs plans fixes ? dont le principal héros est un berger solitaire et alcoolique ? J’entends d’ici vos sarcasmes railleurs.

Je l’aurai bien cherché. Et hélas, force m’est de reconnaître que vos sarcasmes ne sont pas sans fondement. Si j’étais un poète, si j’étais un esthète, j’aurais été enthousiasmé par le destin minuscule de Tharlo et les paysages majuscules de l’immensité tibétaine filmés en long plan fixe. J’aurais été touché par cet homme hypermnésique dont le communisme n’a pas su faire fructifier les talents et l’a condamné à vivre seul au milieu de ses bêtes. J’aurais été révolté par un système sans âme qui dénie à « Petite-natte » son nom, sa chevelure et finalement sa place dans la société.

Mais je suis un spectateur de chair et d’os que le spectacle, pendant plus de deux heures, d’interminables plans-fixes, étirés au-delà du soutenable, a torturé. Un spectateur qui a passé la quasi-totalité du film à surfer sur son portable (le MK2 Beaubourg, où il était diffusé quand j’ai vu ce film à sa sortie début 2018, bénéficiait de la Wifi de Leroy-Merlin) sans rien manquer d’une histoire qui se traînait en longueur. Un spectateur qui espérait voir le Tibet et n’en a aperçu que les salons de coiffure étriqués et les karaokés enfumés. Un spectateur frustré d’avoir perdu son temps et honteux de n’être ni poète ni esthète.

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Le Lion est mort ce soir ☆☆☆☆

Jean, un vieil acteur, profite du répit que lui offre l’interruption du tournage du film dont il est la vedette pour retourner sur les traces de son passé. Il retrouve le château et la tombe de Juliette dont il fut amoureux jadis et qui, contre toute raison, lui réapparaît.
Cette vaste demeure inhabitée est le terrain de jeux d’une bande d’enfants qui y tournent un film. Ils ont tôt fait d’enrôler Jean.

Deux histoires, aussi peu crédibles l’une que l’autre, s’entremêlent dans le dernier film de Nobuhiro Suwa, un réalisateur japonais qui a curieusement, alors qu’il n’y a guère d’attaches, construit une large partie de son œuvre en France. Le premier est une réflexion sur la vieillesse, ces dix années entre soixante-dix et quatre-vingt ans où l’homme, nous dit J.-P. Léaud, se prépare à la mort. Le second est un portrait émerveillé de l’enfance, auprès de laquelle le vieillard se régénère, sa bruyante vitalité, sa poétique créativité.

Je n’ai rien aimé dans ce Lion. Ni le jeu outrancier de Jean-Pierre Léaud, que je trouvais déjà horriblement prétentieux dans les premiers Truffaut et qui ne s’est pas bonifié avec l’âge. Ni le piaillement horripilant de gamins bruyants dont les vaines tentatives de tourner en Super 8 des histoires de fantômes m’ont semblé violemment dépourvues de charme et d’intérêt. Ni l’apparition de Pauline Étienne – que j’adore pourtant depuis ses premiers pas fin 2009 dans Qu’un seul tienne et les autres suivront – censée incarner le fantôme de Juliette, la femme trop tôt disparue (suicidée ?) dont le souvenir continue de hanter Jean.

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Fortunata ★☆☆☆

Fortunata n’a pas la vie facile. Son ex-mari bas-du-front la harcèle. Elle doit s’occuper seule de sa fille de huit ans et veiller comme une sœur sur son voisin, un tatoueur camé qui a la charge de sa vieille mère démente. Juchée sur de hauts talons, le cheveu en pétard, elle arpente Rome avec son Vanity pour aller coiffer ses clientes à domicile. Son rêve : ouvrir son salon de coiffure.

Fortunata rappelle Mamma Roma, le chef d’œuvre de 1961 qui valut la célébrité à Pasolini. Il est tourné dans les mêmes banlieues pauvres de la capitale italienne, entre un aqueduc romain et une barre HLM. Si elle n’exerce pas le même métier qu’Anna Magnani (qui interprétait le rôle d’une prostituée en mal de respectabilité), la flamboyante Jasmine Trinca (déjà aperçue chez Nanni Moretti et chez Michele Placido) en a les tenues décolletées et surtout le grand cœur.

Le problème est que Fortunata ne peut compter que sur ses interprètes pour retenir l’intérêt. Le scénario échoue cruellement à leur donner vie. On en est d’autant plus frustré qu’ils sont attachants. Mais la rencontre entre Fortunata et le séduisant psychologue chargé de sa fille (Stefano Accorsi, sans doute l’un des acteurs italiens les plus connus de ce côté ci des Alpes) est tellement cousue de fil blanc qu’on s’en désintéresse dès la première embrassade. Dommage…

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La juste route ★☆☆☆

Un petit village hongrois au milieu de nulle part, en août 1945, prépare fébrilement le mariage du fils du maire. Mais la fête est gâchée par l’arrivée de deux Juifs qui transportent deux mystérieuses malles.
Que cherchent-ils ? Que transportent-ils ? Les interrogations que leur arrivée suscite bouleversent le petit village et obligent ses habitants à regarder le passé en face.

Impossible de voir aujourd’hui cette Juste route sans se rappeler Un homme est passé, le chef d’œuvre de John Sturges. Un manchot, interprété par Spencer Tracy (le rôle lui valut une de ses neuf (!) nominations à l’Oscar du meilleur acteur) descendait d’un train dans une bourgade perdue du Far West et suscitait l’hostilité générale en y cherchant le père d’un soldat japonais qui lui avait sauvé la vie durant la guerre du Pacifique. On apprenait plus tard que ce Nippo-Américain avait été la victime d’un crime raciste pendant la guerre.

C’est la même ambiance de western qui caractérise ce film hongrois. Même noir et blanc stylisé [oui oui Un homme est passé était en couleurs… mais ne pinaillons pas]. Même unité de temps, de lieu et d’action. Même personnages archétypiques, à commencer par ces deux Juifs mutiques qui cheminent derrière la carriole qui transportent leurs précieux chargements.

Sans qu’ils prononcent une parole, l’arrivée de ces deux visiteurs hystérise le village. On comprend vite que sa prospérité actuelle – que vient obscurcir la présence menaçante de l’occupant soviétique – est le fruit des spoliations passées. Le maire, le chef de gare, le curé, tous sont complices. Et l’ivrogne du village qui est tenaillé par le remords se voit rapidement sommer de se taire quand il recommande de tout avouer.

Le film est tendu par un suspense : que vont demander ces deux visiteurs ? que transportent-ils ? Il suffit de regarder l’affiche pour imaginer la réponse. Du coup, ce suspense assez pauvre ne suffit pas à lui seul à nourrir le film. Pour y remédier, le scénario se leste d’histoires secondaires, telle celle de la future mariée (qu’on voit sur l’affiche quoique son rôle soit secondaire et ses apparitions furtives) qui n’est guère attirée par son promis et lui préfèrerait volontiers un paysan pro-communiste ou celle du fiancé qui préfèrerait fuir l’ambiance délétère de ce village hypocrite que de s’y marier.

À force de s’interdire tout sentimentalisme, la mise en scène de Ferenc Tökör nous anesthésie. Dommage…

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Wonder Wheel ★☆☆☆

À Coney Island, la plage de New York, en juillet 1950 [je ne suis pas peu fier d’avoir retrouvé la date exacte], Ginny (Kate Winslet) vit dans l’amertume de la gloire qu’elle n’a pas conquise sur les planches. Hier actrice prometteuse, aujourd’hui serveuse exténuée, elle est mariée sans amour à Humpty (James Belushi) et s’est prise de passion pour Mickey (Justin Timberlake), un maître nageur plus jeune qu’elle avec qui elle a une liaison.
C’est alors que déboule Carolina (Juno Temple) la fille de Humpty, recherchée par la mafia, qui va s’amouracher de Mickey au grand dam de Ginny.

Deux critiques pourraient être à tort adressées à Woody Allen.
La première concerne sa vie privée qui fait à nouveau scandale, vingt ans après sa séparation fracassante avec Mia Farrow et son mariage avec la fille adoptive de celle-ci. Les faits au cœur de la polémique actuelle ne sont pas nouveaux. Ils remontent à cette époque. Ils concernent Dylan, la fille adoptive de Woody Allen et de Mia Farrow dont celle-ci reproche à celui-là d’avoir abusé alors qu’elle était mineure. Ces accusations prennent un jour nouveau avec l’affaire Weinstein, révélée au grand public par le propre fils de Mia Farrow, le journaliste Ronan Farrow.

La seconde serait de reprocher au réalisateur octogénaire de tourner en rond, en filmant encore et toujours le même film. Ce serait inférer du générique en police Winston, avec ses acteurs classés par ordre alphabétique et sa petite musique jazzy, une identité qui n’existe pas. Au contraire de Hong San-Soo, de Pedro Almodovar ou de Xavier Dolan, autant de réalisateurs qui font preuve d’une décoiffante productivité, Woody Allen ne se réfugie pas dans la facilité. Loin de s’attacher la fidélité d’un petit cercle d’acteurs abonnés à chacune de ses œuvres, il renouvelle de fond en comble son casting n’hésitant pas à solliciter de futures stars en devenir. Il ne révèle pas des talents inconnus mais il a le don pour choisir dans la jeune génération les plus séduisants. Il a ainsi dirigé Leonardo DiCaprio (Celebrity), Julia Roberts (Tout le monde dit I Love You), Will Ferrell et Chiwetel Ejiofor (Melinda et Melinda), Scarlett Johansson (Match Point, Scoop et Vicky Cristina Barcelona), Ewan McGregor et Colin Farrell (Le Rêve de Cassandre), Penelope Cruz et Javier Bardem (Vicky Cristina Barcelona), Naomi Watts et Antonio Banderas (Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu), Owen Wilson et Marion Cotillard (Midnight in Paris), Cate Blanchett (Blue Jasmine), Emma Stone (Magic in the Moonlight et L’Homme irrationnel), Jesse Eisenberg, Kristen Stewart et Blake Lively (Café Society)… Quel réalisateur peut se targuer d’un tel tableau de chasse ?!

Il faut considérer Wonder Wheel indépendamment de ces considérations et prendre le film comme il est.
Et la vérité oblige à dire qu’il n’est pas bon.

Woody Allen abandonne le terrain de la comédie pour celui de la tragédie. Il ne fait plus rire.
Il rompt avec le rythme prestissimo de ces films ramassés et débordants de vitalité pour d’interminables scènes de théâtre filmé, passées de mode depuis le prix Nobel d’Eugen O’Neil. Il fait bâiller d’ennui.
Il laisse son chef opérateur Vittorio Sotaro – qui a travaillé avec Bertolucci et Coppola – éclairer d’une lumière stromboscopique les interminables monologues de Kate Winslet. Il fait mal aux yeux.

Allez donc voir Wonder Wheel en essayant d’oublier son auteur… ou plutôt n’y allez pas et attendez son prochain en espérant qu’il soit meilleur !

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Oh Lucy! ★★★☆

Setsuko, la cinquantaine, s’ennuie à Tokyo entre son appartement et son travail. Jusqu’au jour où sa nièce Mika lui fait rencontrer John, un jeune professeur d’anglais aux méthodes hétérodoxes. Contre toute raison, Lucy s’éprend de lui et lorsqu’il rentre soudainement en Californie, décide de l’y suivre. La mère de Mika l’accompagne.

Il y a deux films dans Oh Lucy!
Le premier, à cheval entre le Japon et les États-Unis, en décrit les différences culturelles. Le premier plan du film montre une foule de Japonais, dont beaucoup arborent un masque chirurgical, massés sur un quai de métro. Un homme se détache de la foule, se précipite sous les rails du métro et se tue. La caméra se resserre sur Setsuko, notre héroïne, qui se rend à son travail sous le choc du drame dont elle vient d’être le témoin. À son bureau, tout est codifié : les relations faussement cordiales entre collègues, la déférence respectueuse affichée avec le chef de bureau.
Tout est différent lorsqu’elle rencontre John qui l’affuble d’un nouveau prénom, Lucy, et d’une perruque blonde, l’oblige à ouvrir largement  la bouche (le comble de l’inconvenance au Japon) en guise d’exercice de prononciation et la prend dans ses bras en une accolade rituelle  (« hug ») qu’affectionnent les Américains pour manifester leur sympathie mais dont la signification décontenance les sociétés chez lesquelles le contact corporel est moins spontané.

Le second film dans le film raconte la crise de la cinquantaine d’une Japonaise qui étouffe dans une vie étriquée. Le sujet est moins original. Il n’en est pas moins remarquablement traité par la réalisatrice Atsuko Hirayanagi, qui avait réalisé sur ce thème un court métrage de vingt-deux minutes trois ans plus tôt. Dans le rôle de Setsuko/Lucy, Shinobi Terajima, une star au Japon, quasi-inconnue chez nous, réussit à rendre crédible un personnage qui aurait pu ne pas l’être. Au bord de la dépression voire du suicide au début du film, elle se réveille au contact de John et décide de briser les amarres en partant à sa poursuite dans une fuite en avant à la Thelma et Louise.

En salles depuis le 31 janvier, Oh Lucy! est condamné à l’anonymat par la sortie des blockbusters Les Tuche 3, Le Labyrinthe, Cinquante nuances plus claires… Dommage

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Sugarland ★☆☆☆

L’acteur-réalisateur-scénariste australien Damon Gameau a décidé de se soumettre pendant soixante jours à un régime riche en sucre. Pas de glaces ni de bonbons. Pas de calorie supplémentaire par rapport à son alimentation habituelle. Uniquement des produits « light » : des smoothies, des céréales, des barres chocolatées… en bref des «aliments avec des fleurs, des abeilles et des couchers de soleil sur les étiquettes». L’équivalent de quarante cuillères à café de sucre par jour soit la consommation moyenne d’un Australien. Le résultat : 8.5 kg, 11 cm de tour de taille, des boutons et de la mauvaise humeur.

Sugarland se présente à la fois comme une expérience humaine et un documentaire scientifique. Les deux ont leurs limites.

L’expérience humaine, c’est celle que le réalisateur mène sur son propre corps. On partage la gêne de sa compagne à le voir transformer en cobaye. Mais on sait en même temps que l’expérience monitorée par une batterie de médecins ne tournera pas en eau de boudin. Sugarland entretient du coup un faux suspense peu convaincant.

Le documentaire scientifique est à la fois instructif et ludique. On apprend grâce à lui ses caractéristiques (glucose, fructose, saccharose…), ses effets appétissants et addictifs, son histoire (comment le gras a été diabolisé et le sucre étrangement amnistié). On le fait sur un mode très ludique qui n’est pas sans rappeler les tics de Michael Gondry : les images des scientifiques interviewés sont incrustés sur les emballages des aliments ou les portes d’un frigo, rompant agréablement la monotonie qui caractérise des documentaires plus conventionnels. C’est marrant un moment, et lassant bientôt. Le rap final qui clôt le film était sans doute de trop.

Mais surtout Sugarland a un défaut rédhibitoire. Il vient après Supersize me, le documentaire américain de Morgan Spurlock qui avait pris pendant deux mois tous ses repas au McDonald’s pour dénoncer les dangers d’une alimentation trop riche.

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Vers la lumière ★☆☆☆

Misako est audiodescriptrice : elle décrit à des spectateurs malvoyants les films qu’ils ne peuvent voir. Masaya est un photographe qui perd la vue.

On l’aura compris : le dernier film de Naomi Kawase, la réalisatrice des Délices de Tokyo et de Still the Water, interroge le regard.

Sa première scène est doublement intéressante. La jeune Misako y teste sur un panel d’une demie-douzaine de malvoyants son audiodescription d’une scène d’un film. Elle est intéressante par ce qu’elle nous montre des relations interpersonnelles au Japon : l’extrême délicatesse des compliments adressés à la jeune femme laisse bientôt percer des critiques d’autant plus blessantes qu’elles sont formulées avec une grande douceur.
Elle est aussi intéressante par le défi qu’elle lance, à nous, voyants, de nous mettre dans la peau d’un aveugle. Comment décrire la scène muette d’un film ? Faut-il rester dans la description objective des faits et des gestes au risque de la froideur ? Faut-il – comme le fait Misako et comme son panel le lui reproche – se risquer à une description plus psychologique, au risque de donner à la scène une signification qu’elle n’a pas et au risque surtout de priver le spectateur de sa liberté d’imagination ?

La question est passionnante. Mais elle ne fait pas un film. Et au bout de vingt minutes, le constat s’impose : on tourne en rond. Pour sortir de l’impasse, Naomi Kawase imagine une idylle entre l’audiodescriptrice et le photographe aveugle. Sur une musique envahissante et sursignifiante, c’est une catastrophe. Dommage.

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Gaspard va au mariage ★★★☆

Gaspard (Félix Moati) se rend au mariage de son père (Johan Heldenbergh) qui dirige un zoo dans le Limousin. Il demande à Laura (Laetitia Dosch) de l’accompagner et de se faire passer pour sa petite amie. Il y retrouve sa sœur Coline (Christa Théret) qui vit en symbiose avec les animaux et son frère Virgil (Guillaume Gouix) qui porte à bout de bras l’entreprise familiale menacée de faillite.

Gaspard… commence comme Ce qui nous lie, le dernier Klapisch : un fils prodigue revient au foyer après une longue absence pour y retrouver sa sœur et son frère. La ressemblance est d’autant plus troublante que Félix Moati et Pio Marmai portent le même collier de barbe et présentent les mêmes syndromes adulescents. Mais la ressemblance s’arrête là. Le troisième film d’Antony Cordier, un réalisateur peu prolixe dont j’avais adoré en son temps Sueurs froides (2005), préfère au réalisme un peu planplan du dernier Klapisch l’univers décalé de Wes Anderson – comme le remarque pertinemment le critique de Télérama. Comme dans La Famille Tenebaum ou La Vie aquatique, Gaspard… met en scène une famille gentiment dysfonctionnelle, loufoquement branquignole : la mère est morte sous les dents d’un tigre – quoique les circonstances exactes de son décès varient selon celui qui les raconte – le père compulsivement infidèle ne parvient pas à convaincre la vétérinaire de l’exploitation (Marina Foïs) de la sincérité de son attachement, la sœur qui se prend pour un ours nourrit pour Gaspard une attraction incestueuse, le frère est en passe d’épouser une tatoueuse professionnelle…

Le seul personnage un tant soit peu équilibré de cette réjouissante ménagerie est Laura l’intruse. Équilibrée, elle ne l’est pourtant pas tant que cela si l’on en croit le prologue qui la voit embarquée par des altermondialistes qui s’enchaînent sur une voie ferré pour y empêcher le passage de je-ne-sais- quel convoi. Jolie comme un cœur, d’une rafraichissante spontanéité, Laetitia Dosch confirme le succès de Jeune femme – qui devrait lui valoir le 2 mars prochain le César du meilleur espoir féminin.

Comme chez Wes Anderson, l’inéluctable sortie de l’enfance est le thème principal du film d’Antony Cordier. Gaspard et sa famille doivent sortir de l’Éden originel et vivre enfin une vie d’adulte loin de ce zoo enchanteur. La décrépitude de l’entreprise familiale, vidée de ses visiteurs, menacée par une bande de chiens sauvages qui s’attaquent aux bêtes dès la nuit tombée, les y contraint. C’est pour Coline que le choc est le plus rude qui porte depuis l’enfance une peau d’ours qui fait fuir ses soupirants par son odeur pestilentielle (dommage que le film ne soit pas projeté en odorama). C’est pour Gaspard que l’épreuve est la plus facile, lui qui déjà s’était tenu à distance depuis plusieurs années de cet environnement, lui qui y a introduit avec Laura un corps étranger, lui dont on sait dès la première scène qu’il en repartira avec elle, le veinard.

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Centaure ★☆☆☆

Centaure s’est marié sur le tard. Sa femme qu’il chérit est sourde et muette. Son fils, âgé de quatre ans seulement, tarde à parler. Projectionniste jusqu’à la fermeture de la salle de cinéma qui l’employait, il est désormais manœuvre sur les chantiers.
Centaure nourrit surtout une passion ardente pour les chevaux. En bon Kirghiz qu’il est, il croit aux légendes traditionnelles qui en font l’inséparable compagnon de l’Homme. Ce lien symbiotique est en passe d’être rompu par la vie moderne.
Centaure ne supporte pas de les voir en captivité. À la nuit tombée, il se glisse dans les haras pour libérer les pur-sangs que les nouveaux riches achètent à prix d’or pour parader dans les concours.

Vous aimez les chevaux ? Vous êtes en mal d’exotisme ? Le cinéma d’Asie centrale exerce sur vous une fascination cachée ? Courez voir Centaure, un film où, comme le laisse escompter son affiche, des chevaux montés à cru caracolent sur la  steppe kirghize sur fond de montagnes enneigées.

Quant aux autres, ceux qui n’aiment pas les chevaux, ceux que l’exotisme n’excite pas, ceux qui peinent à situer le Kirghizstan sur la carte compliquée de l’Asie centrale, abstenez-vous.

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