Pornomelancolia ★☆☆☆

Lalo Santos, la trentaine, possède un compte Twitter sur lequel il poste régulièrement des photos dénudées. Le succès venant, il est recruté pour tourner un film X gay à gros budget sur la révolution mexicaine.

« La chair est triste hélas ». Je ne sais pas si Lalo Santos, acteur X argentin à la ville et qui joue ici son propre rôle, a lu tous les livres. Mais peu importe…. Il se fond à merveille dans le rôle d’un acteur X dépressif. Quasiment muet, son rôle est tout en demi-teinte. On ne saura rien de son passé, de sa famille, de ses amours – à l’exception de celles, fugaces, qu’il noue, dans un sauna gay ou dans un parc à la nuit tombée. Tout au plus le voit-on au début du film employé dans une usine électrique – qu’il utilise comme arrière-plan pour prendre des photos lascives, le bleu de travail suggestivement entrebâillé pour laisser deviner son – avantageuse – anatomie.

On pourrait croire que Pornomelancolia est une dénonciation en règle de l’industrie du porno, comme le glaçant Pleasure ou le documentaire Hot Girls Wanted, de ses artifices plus ou moins frelatés, des clichés qu’elle véhicule, du sexisme crasse qui y règne, des conditions de travail dégradantes de ses acteurs et de ses techniciens. On se tromperait.
Pornomelancolia ne glamourise pas le porno non plus. Qui irait le voir en espérant en ressortir émoustillé ferait fausse route. Mais, comme l’écrit avec beaucoup d’intelligence Louis Guichard dans Télérama : « Pornomelancolia se situe toutefois au-delà, ou en-deça, de la dénonciation, n’imposant aucun message ».

Pornomelancolia n’est pas un film à thèse. Son héros n’est pas un symbole ou une incarnation. C’est un homme tout simplement, avec deux bras, deux jambes, une… et beaucoup d’états d’âme. Son défaut : il nous reste opaque tout du long… quand bien même il se dénude sans retenue avec une impudeur qui justifie une interdiction aux moins de seize ans. Et il n’évolue pas. On a l’impression de faire du surplace dans une histoire douce amère qui, tout bien considéré, ne raconte rien, sinon un mal-être diffus et constant.

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Elle s’appelle Barbara ★★☆☆

Barbara est née au Portugal et a grandi en France. Épouse d’un soldat de Daesh, elle est arrivée en Irak via la Turquie. Elle a donné à son mari, avant sa mort en martyr, deux enfants à douze mois d’intervalle. Devenue veuve, elle s’est remariée à un djihadiste français qui sera exécuté par les forces irakiennes sous ses yeux après la chute de l’État islamique. Enceinte d’un troisième enfant, Barbara attend son jugement et peut-être son rapatriement en France.

Sérgio Tréfaut est un documentariste brésilien chevronné qui a fui la dictature des militaires au Brésil dans son jeune âge et a grandi au Portugal où il a fait carrière. Il avait l’intention de réaliser un documentaire sur le départ de jeunes Européens convertis en Syrie. Il avait même commencé un scénario sur un jeune Portugais passionné de football. Mais à la chute de l’EI, il a changé son fusil d’épaule. Il s’est intéressé aux veuves des djihadistes et à leurs enfants en bas âge. Et il a opté pour la fiction.

Mais loin de tourner un film d’action au scénario rebondissant, il prend le parti radical de l’épure. Elle s’appelle Barbara (traduction bien maladroite de A Noiva, « La Mariée ») est un film minimaliste, certes tourné sur les lieux mêmes du drame, dans Mossoul libéré par les armées kurdes en Irak, mais qui pourrait être joué sur une scène de théâtre.

On y suit des cohortes de femmes enturbannées dans d’immenses niqabs noirs qui ne laissent rien deviner de leurs formes ni de leurs traits. Leur silence résigné témoigne de la violence des épreuves qu’elles ont traversées et de leur impuissance. Le scénario aurait pu imaginer des personnages secondaires en les faisant parler. Il ne recourt pas à cette facilité.

Barbara elle-même reste silencieuse. Le film tourne le dos courageusement à toute approche sociologisante ou psychologisante, affirmant ainsi l’impossibilité de réduire ces femmes à quelques traits de caractère qui permettraient d’expliquer leur amer destin. On ne saura rien du passé de Barbara, rien des motifs qui l’ont conduite en Syrie. On croit comprendre qu’elle est venue à Mossoul contre son gré, qu’elle désapprouvait la violence aveugle des djihadistes, mais bizarrement, elle ne prononce pas ces mots qui pourraient l’innocenter, soit qu’elle craigne la réprobation de ses compagnes de cellule, soit qu’elle sache par avance que ses gardiens et ses juges ne se laisseront pas amadouer par d’aussi vertueuses protestations.

Si ce hiératisme constitue peut-être la plus grande qualité de cette étonnante fiction, il en constitue aussi la principale limite. Car il corsète le film en l’amputant de scènes qu’on escomptait plus lyriques : la rencontre de Barbara avec sa belle-mère, venue chercher la dépouille de son fils à défaut de comprendre son choix radical, sa rencontre avec son père qui, à la différence de sa mère qui l’a reniée, lui a pardonné et souhaite la secourir.

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How to Save a Dead Friend ★☆☆☆

Née en 1989, rejetonne de la classe moyenne moscovite, Marusya est une adolescente dépressive que sauve du suicide la rencontre en 2005 d’un adolescent à peine plus vieux qu’elle et qui partage ses obsessions et ses addictions. Il mourra en 2016, comme nous l’apprend ce documentaire filmé à partir des centaines d’heures de vidéos enregistrées par Marusya pendant toute leur vie commune et même après leur séparation en 2013.

How to Save a Dead Friend est un documentaire qui peut se lire à deux niveaux.
Le premier est une histoire d’amour entre deux naufragés dont on sait par avance comment elle finira. On peut d’ailleurs se demander si le documentaire n’aurait pas été plus efficace en laissant planer le suspense sur son issue fatale. Kimi est un adolescent trop tôt vieilli, détruit par sa dépendance aux drogues les plus variées. Mais c’est grâce à lui, malgré tous ses défauts, que la jeune Marusya, dont on voit dans toutes les images une lueur au fond des yeux, absente de ceux de Kimi, s’accrochera à la vie et deviendra, après des études de cinéma à Moscou, une belle jeune femme, aujourd’hui exilée à Vienne.

Car – c’est l’autre versant de ce film – How to Save a Dead Friend documente, comme l’avait fait avant lui Leto pour la jeunesse soviétique dans les 80ies, la jeunesse russe sous Vladimir Poutine des années 2005-2015. Telle est du moins la version, partiellement inexacte, qui nous en est vendue. Car hélas, de la Russie poutinienne, How to Save a Dead Friend ne nous montre pas grand-chose sinon les vœux que chaque année Poutine – ou son éphémère doublure Medvedev – adresse à ses compatriotes. Rarement la caméra video de Marusya quitte-t-elle le petit appartement sordide que le couple partage, sauf une fois ou deux pour filmer des manifestations auxquelles il prend part. Et c’est bien dommage ; car on aurait aimé en savoir plus de ce qu’est d’avoir vingt ans en URSS… pardon… en Russie.

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Passages ★☆☆☆

Tomas (Franz Rogowski) est un réalisateur allemand qui achève à Paris le tournage de son dernier film. En couple avec Martin (Ben Whishaw), un imprimeur d’art, il a une liaison avec Agathe (Adèle Exarchopoulos), une – bien improbable – enseignante. Va-t-il quitter Martin pour Agathe ou former avec Agathe, qui leur donnera peut-être un enfant, et Martin, un trouple à l’équilibre toujours instable ?

Ira Sachs est un réalisateur américain à la solide filmographie, sorte de Woody Allen gay. Comme son illustre voisin, il a réalisé plusieurs films indépendants mettant en scène New-York et ses habitants si originaux. Comme son aîné, il vagabonde depuis quelques années en Europe. En 2019, il tourne au Portugal Frankie avec des acteurs français (Isabelle Huppert, Pascal Greggory), belge (Jérémie Rénier), britannique, irlandais (Brendan Gleeson), portugais, américain (Marisa Tomei, Greg Kinnear). Le casting de Passages est tout aussi cosmopolite avec son trio d’acteurs franco-anglo-allemand.

Le résultat n’est qu’en partie réussi. Franz Rogowski campe un réalisateur irascible et omnipotent, dans lequel on se demande quelle dose de masochisme Ira Sachs a mis de lui-même, qui rappelle les ogres fassbindériens pervers et manipulateurs. On se demande aussi lequel, de Martin ou d’Agathe, sera le plus blessé par les changements d’humeur de ce monstre d’égoïsme. Tomas alterne avec eux les enflammements les plus pressants et les rebuffades les plus cinglantes.

N’eût été le charme incandescent d’Adèle Exarchopoulos, face à qui je perds toute objectivité, et celui non moins troublant de Ben Whishaw, qui ébranlerait presque mon hétérosexualité tellement woke, ce film m’aurait été insupportable, comme m’ont été insupportables l’interprétation de Franz Rogowski, ses tenues de minet et sa diction chuintante.

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Love Life ★☆☆☆

Taeko, son fils Keita et son époux Jiro forment en apparence une famille sans histoire. Mais le couple a ses secrets : Keita est le fils que Taeko a eu d’une précédente union et que Jiro, sous la pression de ses parents qui n’ont jamais admis qu’il ait quitté la fiancée qui lui était promise pour épouser Taeko, n’a toujours pas accepté d’adopter. Un accident dramatique va faire resurgir ce passé enfoui.

Kōji Fukada fait partie, avec Ryūsuke Hamaguchi (Senses, Asako I & II, Drive my Car) ou Yukiko Sode (Aristocrats), de cette jeune génération de réalisateurs japonais qui ont déboulé dans les festivals internationaux depuis quelques années, dans la foulée de leurs aînés Hirokazu Kore-eda (The Third MurderUne affaire de familleLa Vérité) ou Kiyoshi Kurosawa (CreepyAvant que nous disparaissionsInvasion). J’ai vu quasiment tous ses films et les ai scrupuleusement critiqués dans mon blog depuis qu’ils sont sortis ou ressortis en France : Hospitalité (2010), Sayonara (2015), Harmonium (2016), L’Infirmière (2019) et enfin le diptyque Suis-moi je te fuis, Fuis-moi, je te suis l’an dernier. Mais la vérité m’oblige à dire que je ne les ai guère aimés. Pourquoi ? Parce que j’en trouvais souvent le scénario trop chargé et pas assez crédible.

C’est le même reproche que j’adresserais à ce Love Life qu’une critique élogieuse a fini par me convaincre d’aller voir, fût-ce avec retard, quelques semaines après sa sortie le 14 juin. Ses rebondissements, loin de me clouer sur mon fauteuil, m’ont semblé passablement capillotractés, par exemple le passé de Park que son retour en Corée nous révèle (j’en ai déjà peut-être trop dit). Comme aux autres films de Fukada, je lui fais le grief d’une écriture scénaristique bizarrement organisée qui conviendrait mieux, selon nos critères occidentaux, au rythme d’une mini-série qu’à celui d’un film.
Mais, plus grave encore, je lui reproche le manque de psychologie de ses personnages qui traversent toujours des épisodes émotionnels traumatisants mais dont jamais on ne ressent la profondeur.

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Vers un avenir radieux ★★★☆

Giovanni (Nanni Moretti dans son propre rôle) est un réalisateur italien reconnu mais vieillissant dont l’avenir est de moins en moins radieux. Le film qu’il tourne à grands frais sur un épisode de l’histoire italienne qui lui tient à cœur – la réaction du PCI de Togliatti à l’insurrection hongroise de 1956 et à sa répression par les chars russes – subit bien des déboires, à cause des foucades de son actrice principale (Barbara Bobulova) et de la déconfiture de son producteur français (Mathieu Amalric), l’obligeant à une démarche humiliante auprès des producteurs de Netflix (survendue comme la séquence la plus drôle du film mais déjà largement éventée par la bande-annonce). Sa femme (Margherita Buy), la productrice de tous ses films, produit parallèlement le thriller sans âme d’un jeune réalisateur italien surcôté et s’apprête à le quitter. Sa fille, qui compose la musique de ses films, a grandi et refuse de se plier aux rites familiaux auxquels son père est tant attaché ; elle est sur le point de déserter le nid familial pour épouser un barbon polonais qui a bien trois fois son âge.

J’ai lu beaucoup de critiques élogieuses du seizième film de Nanni Moretti et d’autres qui l’étaient beaucoup moins. Je me suis paradoxalement reconnu dans toutes.
J’admets volontiers qu’on puisse ne pas aimer Vers un avenir radieux, qu’on puisse reprocher à son réalisateur, vieillissant et bougonnant, son égocentrisme et à son scénario gentiment prévisible sa paresse. Pour qui n’a jamais vu de film de Nanni Moretti, cette première confrontation est sans doute déroutante sinon décevante, donnant l’impression de faire irruption dans une réunion de famille à laquelle on n’a pas été dûment invité.

Mais, pour les vieux cinéphiles comme moi dont la quasi-totalité de la vie adulte a été bercée, à intervalles réguliers, par les films de Moretti (je l’ai découvert en 1994 seulement avec Caro Diario et ai eu besoin de quelques séances de rattrapage pour découvrir Sogni d’Oro, Bianca et La messe est finie), retrouver le maestro à la sortie de chacun de ses films, comme pour ceux de Woody Allen, a le parfum d’une fidélité nostalgique.

Il ne faudrait pas déduire de la (trop) longue phrase qui précède que la seule qualité de Vers un avenir radieux soit d’ajouter une nouvelle ligne à la riche filmographie de son réalisateur.
Sa principale qualité me semble-t-il est l’auto-dérision dont Nanni Moretti sait faire preuve. Faute avouée, dit-on, est à moitié pardonnée. Nanni Moretti est incontestablement égocentrique. Mais il l’est d’une façon très particulière. Son personnage – dont on se demande la part d’autobiographie qu’il recèle – n’est pas unanimement sympathique. Son aveuglement n’a d’égal que son orgueil. Sa diction est volontiers sentencieuse. Ce vieux beau, toujours élégamment mis, s’écoute parler… et ne tient pas toujours des propos lumineux. Même la trottinette qui a remplacé le scooter mythique de Caro Diario sent un peu trop son boomer. Il faut, me semble-t-il, un sacré culot pour écrire un tel rôle et pour le jouer.

On pourrait reprocher à Nanni Moretti de cabotiner. Les yeux interloqués qu’il roule, les silences qu’il oppose aux situations qui le sidèrent sont les mêmes que ceux qu’il avait dans ses films précédents. Mais là encore, le vieux cinéphile que je suis trouve un plaisir nostalgique à les retrouver, de film en film (on me dira – et on aura raison – que je ne prends pas le même plaisir à retrouver Isabelle Huppert de film en film). Le plaisir manifeste qu’il a pris à tourner les deux dernières séquences est tellement contagieux qu’on sort de la salle revigoré et rajeuni.

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Fifi ★★☆☆

Sophie a quinze ans et étouffe l’été venu dans le petit appartement d’un HLM nancéen où sa mère, ses quatre frères et sœurs et son neveu s’entassent. Quand elle croise Jade, une amie de collège, sur le point de partir en vacances sur la côte atlantique, elle ne résiste pas à la tentation de dérober les clés de la belle villa de ses parents. Dès le lendemain, elle s’y glisse en catimini et jouit de son luxe et de son silence. Mais Stéphane, le frère aîné de Jade, étudiant en école de commerce à Paris, surgit à l’improviste et débusque l’intruse. Après avoir hésité à la dénoncer à ses parents, il choisit de la laisser faire et de lui laisser la porte ouverte.

À tort ou à raison, on aura tôt fait de classer Fifi parmi ces petits films français qui ne cassent pas trois pattes à un canard et qui n’auraient pas existé sans les (généreuses ?) subventions publiques qui financent – certains disent qui entretiennent – le cinéma d’auteur français. En effet, Fifi, qui a déjà quasiment disparu des écrans dans sa deuxième semaine d’exploitation à peine, ne brille ni par son originalité ni par sa maîtrise. Il ne suffit pas de filmer une relation platonique (pardon d’avoir spoilé)  en la lestant de dialogues très écrits pour se croire autorisé à invoquer les mânes de Rohmer.

Pour autant, Fifi n’est pas sans charme. Le principal est dans celui de ses acteurs. Céleste Brunnquell et Quentin Dolmaire forment un couple désassorti. D’ailleurs ce décalage est justifié : si les héros avaient été trop proches, on n’aurait pas compris qu’ils ne finissent pas par s’embras(s)er.
J’ai passé tout le film à me demander si Quentin Dolmaire était un bon ou un mauvais choix de casting. Il était parfait dans les rôles torturés de post-adolescents fiévreux écrits pour lui par Arnaud Desplechin (Trois souvenirs de ma jeunesse) ou Nadav Lapid (Synonymes). Il manque trop de sensualité comme de maturité pour trouver sa place ici. On se demande quelle attirance (physique ? intellectuelle ?) il peut exercer sur la jeune Fifi.
En revanche, Céleste Brunnquell est encore une fois parfaite. Elle l’était déjà dans Les Éblouis qui lui avait valu le César du meilleur espoir féminin en 2019 (je lui y avais trouvé des faux airs de Simone Signoret jeune). Elle est connue du grand public depuis la série à succès En thérapie – à laquelle bizarrement je n’avais pas accroché après les trois premiers épisodes. Je prends le pari que commence pour elle une belle et longue carrière.

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La Nuit du verre d’eau ★★☆☆

Les dissensions entre Chrétiens et Musulmans font craindre les débuts d’une guerre civile au Liban en 1958. Les répercussions se ressentent jusque dans la vallée reculée du Mont-Liban où les Daoud, une riche famille chrétienne, ont depuis des lustres leur fief. Leur patriarche règne en maître sur sa femme et ses trois filles. L’aînée, Leyla, mariée très jeune à un homme violent qu’elle n’aime pas, a un fils, Charles, âgé de sept ans. Bientôt les cadettes, Eva d’abord, Nada la plus rebelle ensuite, seront mariées. Deux touristes français sont en vacances dans la région, un chirurgien en poste à Beyrouth (Pierre Rochefort) et sa mère (Nathalie Baye)

J’ai lu des critiques très tièdes de ce Verre d’eau qui, s’il n’est certes qu’à moitié plein, n’est quand même pas complètement vide non plus (j’ai l’esprit taquin ce matin !).

On lui reproche son académisme. C’est au contraire ce qui m’a plu dans ce film aux toilettes si élégantes de ces années cinquante incroyablement glamour (ah ! si je pouvais être réincarné.e, j’aimerais que ce soit à Saint-Germain des Prés avec Boris Vian ou à Hollywood avec Natalie Wood en 1955 !).

Certes son sujet n’est pas follement original. Il s’agit du récit d’une émancipation féminine dont le sujet résonne si bien avec l’air de notre temps, même si l’histoire se déroule il y a plus de soixante ans. C’est encore une fois à travers les yeux d’un enfant qu’on voit les adultes se déchirer, comme dans L’Île rouge sorti deux semaines plus tôt, dans la critique duquel j’évoquais Jeux interdits, Cría Cuervos et Fanny et Alexandre que je ne mentionnerai pas une fois de plus.
Mais il est suffisamment exotique, comme l’était d’ailleurs L’Île rouge, pour nous dépayser sacrément.

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Marcel le coquillage (avec ses chaussures) ★★★☆

Marcel est un bigorneau de deux centimètres qui vit dans un Airbnb avec sa grand-mère Connie et qui ne se console pas de la disparition des siens, partis avec les précédents locataires. Sa taille minuscule l’a jusqu’à présent protégé des humains sans l’empêcher d’utiliser astucieusement toutes les ressources qu’offre une maison. Mais le nouveau locataire, Dean, un documentariste qui peine à se remettre d’une récente séparation, le remarque, le filme et lui confère une célébrité aussi soudaine qu’inattendue que Marcel va utiliser pour retrouver sa famille.

Marcel le coquillage (avec ses chaussures) est le film le plus improbable qui soit. Je ne serais jamais allé le voir si une amie ne l’avait chaudement recommandé.
Improbable par son titre d’abord. Connaissez-vous des  films dont le titre contienne des parenthèses ? Mais plus improbable encore par son sujet. Quelle idée de mettre en scène un coquillage anthropomorphe et de le chausser de pataugas orange ! Vous me rétorquerez que Bob l’Eponge est bien devenu une star mondiale et vous aurez raison !

Derrière ce film se cache une longue histoire. Et d’abord un projet de couple – dont le divorce ultérieur donne au film un parfum étonnamment mélancolique. Dean Flesicher Camp et Jenny Slate (qui prête sa voix de Betty Boop au mollusque) ont imaginé en 2010 ce personnage hors normes, l’ont filmé avec trois bouts de ficelle – et un budget, dit la légende, de six dollars – et ont posté la video de trois minutes tournées en deux jours sur Youtube… avant d’engranger trente millions de vues.
Un tel succès allait entraîner deux suites en 2011 et 2014 et bientôt le projet d’un long métrage qui mit sept ans à voir le jour et neuf à traverser l’Atlantique.

Le résultat est mimi tout plein, gorgé jusqu’au rebord de good vibes, mélangeant, comme seuls les Américains savent le faire, les bons sentiments et une mélancolie qui nous fait verser une larme (la sublime Isabella Rossellini prête sa voix à Connie dont on devine, dès la première apparition le destin qui la guette).

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Il Boemo ★★☆☆

Josef Mysliveček, un jeune compositeur tchèque bourré de talent, ne réussit pas à percer en Italie à la fin du XVIIIème siècle. Pour vivre, il donne des cours de musique dans la Venise des Doges. Une de ses élèves veut le convaincre de l’épouser pour éviter le mariage que son père veut lui faire contracter avec un vieux barbon borgne et manque de se tuer quand Mysliveček se refuse à elle. Le musicien, surnommé « Il Boemo », du nom de la région de Tchéquie dont il est originaire, quitte Venise pour Naples où il retrouve la diva Caterina Gabrielli. Il compose pour elle et partage le lit de cette grande séductrice. S’il croise le jeune Mozart à Bologne en 1770 – lequel reconnaîtra plus tard sa dette envers lui – Mysliveček meurt dans la misère à Rome en 1781 rongé par la syphilis.

Je ne connaissais pas Josef Mysliveček et la joyeuse bande d’amis mélomanes avec laquelle je suis allé voir ce film dimanche dernier en avant-première non plus, à une rare et admirable exception près. Tous en sont sortis enthousiastes et ont essayé de me convaincre de lui attribuer trois étoiles durant le joyeux dîner que nous avons partagé ensemble.

Mais, têtu comme un âne, je ne lui en concède que deux – et encore, j’ai bien failli me limiter à une seule.

J’ai trouvé bien des défauts à ce long film italo-tchéco-slovaque (couvert de prix aux derniers Český lev, l’équivalent tchèque des César) tourné, certes en italien dans d’improbables palais bohémiens ou moraves, avec des acteurs inconnus doublés par quelques grandes voix du répertoire baroque (l’incontournable Philippe Jaroussky et la soprano slovaque Simona Šaturová).

Le premier est d’avoir voulu mettre la lumière sur ce musicien tombé dans l’oubli. Les plus férus de musique baroque s’insurgeront peut-être devant ce béotisme revendiqué. Je dois avouer ne pas connaître grand chose à la musique de cette époque. Mais autant celle de l’Amadeus de Forman m’avait emporté – sans parler ici de l’interprétation délirante de Tom Hulce – au point que j’en ai écouté pendant de longues années la cassette audio sur le poste crachotant de ma première voiture, autant celle de ce Boemo m’a laissé de marbre.

Le second est l’ombre portée de l’autre immense chef d’oeuvre dont Il Boemo revendique la filiation : Barry Lyndon. Son héros a les mêmes traits que Ryan O’Neal. Ses costumes sont les mêmes, qui sont ceux de la seconde moitié du XVIIIème siècle que l’on retrouve aussi dans le Casanova de Fellini. Mais c’est peu dire que Petr Vaclav, l’obscur réalisateur de Il Boemo, n’a pas le génie de Stanley Kubrick et que son film n’a pas le charme vénéneux de celui de son illustre prédécesseur.

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