The Greatest Showman ☆☆☆☆

Fils d’un modeste tailleur, P. T. Barnum (Hugh Jackman) a connu une enfance misérable. Il se marie avec Charity (Michelle Williams), la fille d’un bourgeois fortuné. Il rachète à New York un musée de curiosités qu’il baptise de son nom. Mais le succès tarde à venir. C’est alors que Barnum a l’idée d’embaucher des « monstres » (un nain, un géant, une femme à barbe, des frères siamois et…  des trapézistes noirs) pour monter un spectacle vivant. Puis, la fortune venue, il décide de produire Jennifer Lind (Rebecca Ferguson), le Rossignol suédois au risque de briser son mariage.

Toi, fidèle lecteur, qui connais mon penchant coupable pour les comédies musicales (La La land, Les Parapluies de Cherbourg, West Side Story), même les plus mièvres (Moulin Rouge, Les Misérables, Mamma Mia), tu imagines sans peine la gourmandise avec laquelle je me suis rué dans les salles pour aller la voir The Greatest Showman.

Quelle ne fut ma déception ! Dès les premières minutes, mon sang s’est glacé devant un numéro qui ressemble plus à un final étourdissant qu’à un timide prologue – tu me rétorqueras que c’était un peu le cas du préambule de La La Land et tu n’auras pas tort.

Tout sonne faux dans The Greatest Showman. Les acteurs ? Hugh Jackman a vingt ans de trop pour le rôle. Vingt ans de trop pour interpréter un personnage historique qui a ouvert son premier musée de curiosités à vingt-quatre ans seulement. Vingt ans de trop pour chanter et danser comme un fringant gandin qu’il n’est plus. Aucune alchimie avec la – vraie – blonde Michelle Williams. Guère plus avec la – fausse – blonde Rebecca Ferguson.

Quant à l’histoire, qu’en dire sinon qu’elle accumule les clichés et les contre-vérités ? Clichés ? cette enfance malheureuse à la Oliver Twist qui mène le jeune orphelin Phineas (avec un prénom pareil, la vie s’annonçait rude) des caniveaux de New York – où il manque être envoyé aux galères pour avoir volé un pain – aux riches palais que sa soudaine fortune lui permet d’habiter. Contre-vérités ? Barnum est présenté comme l’inventeur génial du cirque moderne – qui utilisa la publicité et se produisit sous un chapiteau – ce qu’il fut peut-être. Mais il est aussi présenté comme un philanthrope qui exhiba des monstres pour asseoir leur dignité alors que c’était un bonimenteur et un exploiteur qui apprit à un enfant de quatre ans à boire et à fumer pour le faire passer pour un nain adulte.

Les chansons sont exécrables. Je dois reconnaître, le cœur brisé, qu’elles sont signées  par Benj Pasek et Justin Paul, les compositeurs de La La Land. Mais, autant j’adore à peu près tout dans la BO du film de Damien Chazelle, autant je n’ai jamais vibré aux hurlements assourdissants, tout droit importés des pires débordements de The Voice, que The Greatest Showman nous inflige.

Bref, cher lecteur qui partage sans oser le dire mon goût immodéré pour les comédies musicales, ne fais pas demain ton coming out en allant voir ce navet en salles et reste plutôt chez toi pour regarder le DVD des Parapluies ou de La La land en pleurant des rivières.

La bande-annonce

Enquête au paradis ★★☆☆

Le cinéma algérien est d’une étonnante vitalité. Depuis quelques années, au risque d’ailleurs de créer un effet de lassitude, les films se multiplient, documentaires ou fictions, qui dressent de l’Algérie le portrait le plus sombre : La Chine est encore loin (2008), Les Terrasses (2013), Contre-pouvoirs (2015), Dans ma tête un rond-point (2016), En attendant les hirondelles (2016), À mon âge je me cache encore pour fumer (2016), Les Bienheureux (2017), etc.

Cette longue énumération est doublement révélatrice. Révélatrice bien sûr au premier chef de l’état de l’Algérie qui peine à refermer les blessures de la guerre civile qui l’a déchirée pendant dix ans. Mais révélatrice aussi paradoxalement de l’ouverture d’un régime qui accepte sinon de financer (ses films sont le plus souvent tournés avec des capitaux étrangers) du moins de laisser tourner des réalisations aussi critiques. Il est significatif que la Russie, la Turquie ou la Chine, pour ne citer que ces sympathiques démocraties, ne produisent guère d’œuvres similaires – ou du moins que, si elles existent, elles ne soient pas diffusées en France.

Le réalisateur Merzak Allouache, qui, à cheval sur les deux rives de la Méditerranée, s’est fait un nom dans la fiction (Chouchou, Bab el web, Les Terrasses…) choisit la voie du documentaire pour décrire son pays. Un documentaire en partie fictionnalisé puisqu’il confie le rôle de la journaliste à l’actrice des Terrasses Salima Abada. Comme le titre l’annonce, son enquête a pour objet le paradis et les fantasmes qu’il nourrit. La thèse est simple et la démonstration aisée : les Algériens projettent au paradis leurs frustrations et leurs rêves. En particulier, la frustration sexuelle masculine y trouve un mirage : ces 72 vierges qui attendent pantelantes le Musulman méritant.

En interrogeant tour à tour des hommes de la rue – les femmes refusent de répondre au micro qui leur est tendu – des imams qui incarnent un Islam malékite modéré, des intellectuels laïcs (on reconnaît au passage Kamel Daoud et Boualem Sansal), Enquête au paradis a tôt fait de mettre les rieurs et les cartésiens de son côté : d’où viennent ces 72 vierges et comment gérer le déséquilibre démographique du paradis ? les hommes mariés pourraient-ils en jouir ? quelle place y aurait-il pour les femmes mariées ? et comment ces vierges le resteraient-elles ?

Il n’est pas sûr que ce seul sujet suffise à nourrir un film. D’ailleurs, Enquête au paradis s’en écarte pour élargir son propos. Il le fait malheureusement sans ordre ni rigueur pour dénoncer l’usage pernicieux d’Internet, qui est devenu le seul loisir et la seule éducation d’une jeunesse désœuvrée, les dérives d’un régime corrompu qui a passé un pacte tacite avec les religieux pour enfermer la société dans une gangue moralisatrice et l’influence rampante du wahhabisme – ce qui décharge peut-être un peu vite l’Algérie et les Algériens de toute responsabilité dans la montée du fondamentalisme. Il a aussi le tort de le faire dans une durée trop longue qui, passé deux heures, perd en efficacité. C’est d’autant plus dommage que la sincérité du propos et l’intérêt du sujet auraient pu faire de ce documentaire, resserré autour d’un thème mieux délimité et dans une durée plus maîtrisée, une complète réussite.

La bande-annonce

Pentagon Papers ★★☆☆

En 1971, deux ans avant que Carl Bernstein et Bob Wooodward ne mettent à jour le scandale du Watergate, le Washington Post a publié les « Pentagon Papers », des documents classifiés du ministère de la Défense qui démontraient l’hypocrisie de la Maison-Blanche et de ses locataires successifs au Vietnam.

À la vérité, le résumé du film et la réalité historique sont un peu plus complexes que le résumé en une phrase que je viens d’en faire. Ce n’est pas le Washington Post, mais le New York Times qui, le premier mit la main sur le rapport McNamara, l’éplucha pendant plus de trois mois et le publia – selon une procédure qui n’est pas sans rappeler celle qui a été suivie pour le Cable Gate ou les Panama Papers. Mais une injonction d’un juge new-yorkais lui lia les mains. Et c’est alors – et alors seulement que le Washington Post prit le relais. Un autre juge refusant à l’administration d’adresser au Post une injonction similaire à celle que contenait l’ordonnance du juge new-yorkais, la Cour suprême fut saisie. Et, statuant donc à la fois sur les deux affaires, elle fit prévaloir la liberté de la presse sur la protection du secret d’État.

Le Post eut donc moins de mérite dans cette histoire que le Times. Et c’est avec raison que les journalistes du second ont reproché à Spielberg le titre de son film : The Post – dont, pour une fois, la traduction de ce côté-ci de l’Atlantique, n’est pas idiote. Mais ne nous arrêtons pas à ces détails.

Pentagon Papers aurait aussi bien pu s’intituler Katharine. Car au-delà d’un hymne à la grandeur du métier de journaliste et à la liberté de la presse, Pentagon Papers est un film sur la présidente du Post, Katharine Graham qui hérita de cette fonction après la mort de son père et le suicide de son mari. Le rôle, qui ne le sait, est interprété par Meryl Streep – et lui vaut sa vingt-et-unième nomination aux Oscars et peut-être sa quatrième statuette. Au début du film, c’est une grande bourgeoise qui a intériorisé le soupçon d’incompétence qui pèse sur elle et ne parvient pas à se faire entendre des membres exclusivement masculins de son conseil d’administration. À la fin, on s’en doute, elle aura pris de l’assurance et aura réussi à faire entendre sa voix – même si j’ai été frustré de ne pas l’entendre prononcer quelques paroles vibrantes sur les marches de la Cour suprême.

Bien sûr, Pentagon Papers est tourné par un excellent réalisateur qui sait comment écrire une histoire, la filmer et maintenir en haleine son auditoire pendant deux heures de rang. Bien sûr, Pentagon Papers est interprété par deux monstres sacrés du cinéma américain. Bien sûr, Pentagon Papers brasse des sujets (la liberté de la presse, l’empowerment des femmes) ô combien sensibles et bienvenus.

Mais c’est paradoxalement l’accumulation de toutes ces qualités, de toutes ces perfections, de tant de bien-pensance, de tant d’inconsciente vanité cocardière qui constitue le principal défaut de ce film. Avec les mêmes acteurs, sans doute excellents mais largement sexagénaires, avec la même insupportable et envahissante musique dont il ne résiste pas au besoin de saturer chaque scène, avec les mêmes procédés filmiques, quasiment sur les mêmes thèmes empruntés à l’âge d’or du cinéma fordien des années quarante, Spielberg tourne et retourne depuis vingt ans le même film. Romain Gary aurait dit : « Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable ».

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La Douleur ★☆☆☆

En juin 1944, à Paris, Robert Antelme, membre de la Résistance, vient d’être arrêté. Il sera bientôt déporté en Allemagne. Sa femme Marguerite s’inquiète. Elle rencontre un policier français qui travaille pour les Allemands. Puis l’hiver passe. Le printemps arrive. Et l’armistice. Mais Antelme ne revient pas. Marguerite l’attend.

Il existe autour de La Douleur , un « ouvrage » de Marguerite Duras – et non un « journal » ou un « roman » – publié en 1985, plusieurs malentendus. Le premier concerne son origine. Présenté par son auteur comme des carnets qu’elle aurait tardivement retrouvés, son texte est probablement apocryphe, rédigé ou, à tout le moins considérablement remanié, par Duras bien après la Libération, pour donner des faits une version qui lui serait plus favorable. Elle se serait érigée en Madone vertueuse, en veuve inconsolable alors qu’elle était déjà sur le point de quitter Antelme à son arrestation et qu’elle vivait avec Dionys Mascolo – dont elle aura plus tard un fils – pendant l’attente du retour de Robert.

L’autre malentendu est plus déterminant pour juger de l’adaptation qu’en fait Emmanuel Finkiel. La Douleur est en fait constitué de plusieurs nouvelles. Parmi celle-ci, « Monsieur X dit ici Pierre Rabier » raconte en effet sa rencontre avec un agent de la Gestapo. En regardant la bande-annonce, on pourrait penser que c’est l’unique sujet du film. Un film qu’on imagine aisément : le désarroi de Marguerite qui vient de perdre son mari, sa quête désespérée d’informations, de réconfort, sa rencontre avec un policier français, la rouerie de celui-ci qui comprend qu’il pourrait abuser d’elle en répondant à ses questions voire en influençant le sort de son mari, la répulsion de Marguerite à se prêter à ce jeu malsain et peut-être, comme dans L’Amant, le plaisir coupable qu’elle serait susceptible de prendre à entrer dans cette liaison dangereuse.

La situation aurait pu faire un film d’une heure trente. Or, il n’en est rien. Il ne dure qu’une quarantaine de minutes. Benoît Maguimel y est excellent. Mais le réalisateur ne lui laisse pas le temps de prendre sa place et l’évince lors de la Libération de Paris. C’est alors que commence un second film – comme dans l’ouvrage de Duras commence une autre nouvelle. Ce n’est plus le même. Rabier n’y a plus sa place. Nous sommes en 1945. Les déportés, juifs et/ou résistants, rentrent au goutte-à-goutte. C’est l’histoire de leur attente que filme Finkiel – qui en avait déjà fait le thème de son premier film l’excellent Voyages (1999).

Ce ne serait pas si grave si, par ailleurs, La Douleur ne souffrait à mes yeux d’un défaut rédhibitoire. Il trouve là encore son origine dans une fidélité excessive à l’œuvre de Duras. Il ne s’agit plus cette fois-ci d’un défaut de structure, mais d’un défaut d’écriture. La Douleur est un texte incandescent, un long monologue intérieur, une succession de phrases courtes et profondes, comme les ciselait l’auteur de Moderato Cantabile ou du Ravissement de Lol V. Stein. Je n’aime pas cette écriture prétentieuse, incantatoire, ampoulée. Finkiel au contraire lui voue une admiration révérencieuse. Son film est lesté d’une voix off envahissante où Mélanie Thierry, d’une voix grave, psalmodie le texte de Duras. Pendant dix minutes, c’est majestueux. Au bout de deux heures, c’est insupportable.

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My Fair Lady ★☆☆☆

Eliza Doolittle (Audrey Hepburn), une jeune fleuriste sans le sou affublée d’un terrible accent cockney, est repérée par le professeur Higgins (Rex Harrisson). Le linguiste fait le pari de la transformer en dame du monde.

My Fair Lady fait partie de ces films mythiques, couverts d’éloges. Quelque part entre Autant en emporte le vent, Ben Hur, Mary Poppins et Dansons sous la pluie. Récompensé par huit Oscars en 1965, il est – nous dit son affiche – le chef d’œuvre du grand George Cukor. Il offre à Audrey Hepburn l’un de ses plus grands rôles. Les incroyables costumes de Cecil Beaton – notamment les robes et les chapeaux portées par l’héroïne –  sont entrés dans la légende. Nombreux sont les cinéphiles – quoique d’un certain âge – qui classent My Fair Lady au nombre de leurs films préférés.

J’ai profité d’une rétrospective Cukor à la Filmothèque pour aller le voir. J’étais le plus jeune dans la salle – ce qui est à la fois de plus en plus rare et très mauvais signe. Une salle presque comble – ce qui démontre la popularité inentamée de ce chef d’œuvre.

À mon grand désarroi, j’ai trouvé My Fair Lady bien fade et totalement suranné. Pourtant, je ne suis pas rétif aux comédies musicales de cette époque. J’avoue, le rouge au front, avoir été touché par La Mélodie du Bonheur. Je place West Side Story parmi mes films préférés.

Mais rien ne m’a séduit dans My Fair Lady. Aucune des mélodies de André Prévin ne m’a touché – alors que les duos de West Side Story m’arrachent des sanglots. Même le jeu de Audrey Hepburn m’a semblé stéréotypé, dont on sait par avance que l’horrible petite souillon qu’elle incarne au début du film avec son accent effroyable se transformera en radieuse chrysalide. Je la trouve autrement plus émouvante dans Vacances romaines ou Diamants sur canapé.

Surtout, c’est le scénario de Alan Jay Lerner, fidèle à la pièce de George Bernard Shaw, qui m’a déplu. Sans me poser en féministe intransigeant, j’ai trouvé que My Fair Lady véhiculait les pires clichés sexistes. Sans que cela semble choquer personne et, pire, dans une scène censément comique, le père d’Eliza, un ivrogne invétéré, monnaye comme un vulgaire maquignon l’abandon de sa fille aux bons soins du professeur Higgins. La fin du film – qui s’écarte d’ailleurs sur ce point de la pièce de Shaw – n’est pas moins révoltante pour le spectateur du vingt-et-unième siècle qui voit Eliza, désormais transformée en ravissant papillon, passer les pantoufles aux pieds de son prétentieux Pygmalion.

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Seule sur la plage la nuit ★☆☆☆

Comme dans tous les films du prolixe réalisateur coréen , l’intrigue de Seule sur la plage la nuit – à supposer qu’il y en est une – est filandreuse et le résumé que le critique appliqué pourrait tenter d’en faire trop cartésien pour rendre fidèlement compte de sa fragile nébulosité.

Young-Hee est une célèbre actrice coréenne qui vit une idylle contrariée avec un homme marié. Elle met sa carrière entre parenthèse pour soigner un chagrin d’amour. Elle part en Europe (Hambourg ?) et discute avec l’amie qui l’héberge. Elle revient en Corée et discute avec des amis lors d’un dîner trop arrosé. Elle s’endort sur une plage et fait un rêve où elle discute avec des amis.

Les films de Hong Sangsoo se suivent et se ressemblent. Comme les livres de Modiano, ils ressassent les mêmes thèmes, réempruntent les mêmes formes. Il y est question d’adultère, de jeunes filles malheureuses qui s’interrogent sur le sens de l’amour, d’hommes mûrs, infidèles et lâches. Leurs longs dialogues sont filmés en extérieurs, souvent au bord de la mer, ou durant des soirées bien arrosées où l’alcool délie les langues et sonde les âmes.

On peut trouver une certaine émotion à retrouver ce cinéaste et ses trois ou quatre réalisations annuelles (Le Jour d’après, Yourself and yours, Un jour avec, un jour sans…). On peut aussi – et c’est mon cas – s’en lasser. Certes, ce film-là a une particularité : il fait référence, avec une étonnante audace, au scandale provoqué en Corée par la liaison adultère entre la jeune actrice Kim Minhee et le réalisateur Hong Sangsoo. Mais, cet arrière-plan autobiographique – que le spectateur ignorerait s’il n’avait eu ni le temps ni la curiosité d’aller glaner des informations sur le film – ne change tout compte fait pas grand’chose à la donne : Seule sur la plage la nuit n’est qu’un opus de plus dans une œuvre qui s’étiole dans la sempiternelle répétition des mêmes situations.

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3 Billboards – Les Panneaux de la vengeance ★★★☆

Mildred Hayes est en colère. Sa fille a été violée, tuée et brûlée à quelques mètres de chez elle et ses meurtriers courent toujours. Pour sensibiliser l’opinion publique, elle décide de louer les trois panneaux publicitaires qui se dressent sur les lieux du crime et d’y afficher un message bien senti, exhortant la police locale et son chef à l’action.

3 Billboards a fait carton plein aux Golden Globes. Frances McDormand a emporté le prix de la meilleure interprétation féminine. Le film de Martin McDonagh compte parmi les favoris aux prochains Oscars. On voit mal comment la statuette pourrait échapper à l’héroïne de Fargo (co-réalisé par son époux Joel Coen) et de la mini-série Olive Ketteridge – même si Meryl Streep a ses chances, au moins autant pour son rôle dans Pentagon papers que pour ses prises de parole de l’année écoulée contre Trump et Weinstein.

Sans doute 3 Billboards est-il un excellent film qui mérite amplement ses trois étoiles. Frances McDormand – on l’a dit et redit – y livre une interprétation magistrale. Le rôle de sa vie. Celui d’une femme révoltée. Révoltée contre son mari qui la battait et qui l’a quittée pour une cruche de dix-neuf ans. Révoltée surtout par la mort terrible de sa fille qu’elle n’a pas su protéger et dont elle ne sait aujourd’hui comment défendre la mémoire sinon dans la quête vengeresse de ses assassins.

Mais 3 Billboards ne se limite pas seulement à un one-woman show. C’est l’histoire d’une petite ville perdue dans le MidWest – comme aiment à les peindre les frères Coen – avec ses flics caricaturaux et ses citoyens attachants (un nain au grand cœur, le directeur moins pleutre qu’on en l’aurait cru de l’agence de publicité). Le scénario semble s’engager sur une voix toute tracée : l’acharnement de Mildred Hayes va convaincre le chef Willoughby (étonnant Woody Harrelson) de rouvrir le dossier du meurtre de sa fille et permettra d’en identifier les auteurs. Mais le scénario nous prend à contre-pied au milieu du film, qui emprunte alors un cours inattendu jusqu’à un dénouement qui n’en est pas un et qui laisse les options ouvertes – même si, à y bien réfléchir, elles ne le sont pas tant que cela.

Un excellent film. Mais pas un chef d’œuvre inoubliable. Les jurés de L.A. n’ont pas toujours eu la main heureuse. Ils ont parfois désigné des films qui, sans démériter, ne méritaient pas de rentrer dans l’histoire du cinéma : ainsi de Argo en 2013, Chicago en 2003, Un homme d’exception en 2002 et bien sûr Moonlight l’an passé qui a spolié La La Land d’une récompense qui lui était acquise (ouille ! je sens que cette énumération va me valoir des commentaires dissidents !). 3 Billboards s’ajouterait selon moi à cette liste peu glorieuse. Surtout si on le mesure à Dunkerque, lui aussi favori avec huit nominations, qui, de mon point de vue, mériterait cette consécration.

La bande-annonce

L’Échappée belle ★★★☆

Il a un Alzheimer. Elle a un cancer. Ella et John Spencer sont mariés depuis près de cinquante ans et s’aiment d’un amour toujours aussi tendre. Mais la maladie les a rattrapés et les jours leur sont comptés. Plutôt que d’aller mourir à l’hôpital, ils prennent une dernière fois leur camping-car pour d’ultimes vacances en Floride.

Sujet plombant ? Sans doute. La fin de vie d’octogénaires cacochymes n’est pas un sujet gai. Il n’intéressera ni les jeunes – qui lui préfèreront des sujets plus riants – ni les vieux – qui n’ont pas envie qu’on leur rappelle leur fin prochaine. D’ailleurs L’Échappée belle, quasiment sorti des écrans au bout de quatre semaines d’exploitation, fait un bide.

Pourtant, malgré ses défauts, son manque de rythme, ses longueurs, le film de Paolo Virzi n’est pas sans intérêt. Il est interprété par deux monstres sacrés du cinéma, un couple qui n’est pas sans rappeler Spencer Tracy et Katherine Hepburn. Elle, malgré le cancer qui la mine, n’a rien perdu de sa faconde. C’est un moulin à paroles qui se lie avec chaque personne qu’elle croise, lui racontant dans la seconde la réussite de ses enfants et les qualités de son mari. Lui perd gentiment la tête, malgré quelques éclairs de lucidité – qui lui permettent par exemple de réciter des pages entières d’Hemingway ou de Joyce qu’il a longtemps enseignés ou, dans une scène hilarante, de reconnaître une ancienne élève perdue de vue depuis des décennies alors qu’il peine à se souvenir du prénom de ses propres enfants.

Ces deux octogénaires descendent tranquillement la route 1, du Massachusetts jusqu’à la Floride des Keys. Cet itinéraire est moins connu que la route 66 – qui traverse les États-Unis d’Est en Ouest et sur laquelle l’action du livre dont L’Échappée belle est adapté se déroule. Sous leurs yeux, l’Amérique de l’été 2016 ne change pas toujours pour le meilleur – Trump y mène une campagne qui s’avèrera victorieuse.

Je fais montre d’une indulgence coupable en attribuant trois étoiles à ce film qui n’en mérite pas tant. Dans le même registre, on lui préfèrera La Maison du lac et Amour, Daddy Nostalgie ou Loin d’elle. Pour autant, son thème a pour moi, ces temps-ci, une résonance personnelle qui me touche profondément.

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Taste of Cement ☆☆☆☆

Dans la capitale libanaise, un gratte-ciel en construction domine fièrement la mer. Des ouvriers s’y affairent. Ils viennent de Syrie où la guerre civile fait rage. Interdits de sortie, ils vivent dans les sous-sols de cet immeuble d’où ils suivent, depuis leur téléphone portable, les destructions qui ravagent leur pays.

Après avoir lu cette présentation, le spectateur crédule pourrait croire que Taste of Cement documente l’exil des Syriens au Liban et le drame de leurs vies brisées. Ce ne serait qu’à moitié vrai. Car ce documentaire choisit délibérément le parti pris de la poésie voire de l’onirisme pour traiter d’une réalité politique autrement prosaïque.

Il ne nous dit rien sur la situation de cette diaspora. On entend une voix off qui, sans lien avec les images qui l’accompagnent, raconte, à la première personne, les souvenirs d’un enfant (syrien ?) dont le père allait travailler sur les chantiers libanais et en revenaient imprégné de « l’odeur du ciment ».

Il ne nous la montre guère plus. La caméra, souvent embarquée sur un drone, filme en longs plans-séquences l’immeuble immense qui s’élève lentement au dessus de Beyrouth. Ces plans ne sont pas sans beauté : la verticalité du béton, l’horizontalité de la mer produisent des effets vertigineux. La bande son est saturée de bruits : bruits qui montent de la ville embouteillée, bruits des outils qui œuvrent de l’aube au crépuscule sur le chantier de construction.

Puis on plonge dans les entrailles du monstre, la nuit tombée. Les travailleurs – dont on comprend enfin qu’ils sont syriens et exilés, obligés à fuir un pays en guerre – y sont parqués. Des images, parfois saisissantes, du conflit s’intercalent avec celles, plus paisibles de la construction qui continue du building libanais.

Pendant la première demie-heure, on est hypnotisé. Pendant la deuxième, on s’endort. Les images de la guerre nous réveillent durant la dernière ; mais, faute d’être expliquées, elles ne sauvent pas le spectateur de la catatonie dans laquelle il était plongé.

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Belinda ★☆☆☆

Belinda à neuf ans est une enfant boudeuse, élevée en foyer, inséparable de sa sœur aînée.
Belinda à quinze ans est une ado épanouie, qui vit désormais avec sa mère et célèbre le baptême de son neveu.
Belinda à vingt-trois ans a retrouvé son père et est amoureuse de Thierry qu’elle va épouser à sa sortie de prison.

Marie Dumora est une documentariste/réalisatrice hors normes qui suit depuis une vingtaine d’années quelques familles de la communauté yéniche de Mulhouse. Parmi les centaines d’heures de rush, elle a isolé ceux concernant Belinda et les a montés façon Boyhood : on la voit sous nos yeux à trois âges de sa vie.

La vie n’est pas tendre pour Belinda. On comprend qu’elle a été placée en foyer avec sa sœur parce que son père était en prison et que sa mère n’était pas capable de l’élever. On comprend que Thierry, son fiancé, a lui aussi connu la prison, qu’il en est sorti et pourrait enfin se marier, mais qu’il y est retourné et que son mariage a été ajourné.

Belinda n’est pas un documentaire sur la communauté yéniche, cette population germanophone et nomade assimilée à tort aux Roms. Ce n’est pas non plus un film romançant la vie de Belinda. C’est, entre les deux, l’album photo d’une vie cabossée qui n’est pas sans rappeler l’extraordinaire Party Girl (2013) qui avait pour cadre le lumpenprolétariat d’un Grand Est sans soleil.

On peut être attendri et ému devant Belinda, sa force de caractère, sa résilience. On peut aussi être révolté devant sa vie misérable, son analphabétisme, sa tabagie, ses kilos en trop qui affadissent au fil des années les traits graciles de la jeune enfant.

J’avoue ne pas partager l’opinion des critiques dithyrambiques qui ont salué la sortie de Belinda. Sans aller jusqu’à accuser Marie Dumora de voyeurisme, je lui reproche sa candeur, sa complaisance à l’égard d’une héroïne dont la vie n’a comme seul intérêt que d’être malheureuse.

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