Court (en instance) ★★☆☆

Voilà un film indien intitulé Court. On comprend que les distributeurs français aient hésité à le sortir sous ce titre qui aurait conduit à bien des incompréhensions. On imagine qu’ils ont cherché une traduction française plus explicite. En court aurait pu faire l’affaire. En instance n’est pas mal non plus : le titre renvoie à la fois au statut de l’accusé (il est en instance d’être jugé) et au procès qui se déroule sous nos yeux (l’instance judiciaire). Mais pourquoi diable avoir accolé les deux titres, anglais et français ?

Ce titre bancal est un bien mauvais service rendu à ce film hors norme. A mi-chemin du documentaire et de la fiction, le jeune réalisateur indien Chaitanya Tamhane fait jouer à des acteurs, amateurs et professionnels, un procès bien réel. L’accusé : un vieux chanteur contestataire, à la mise irréprochable, mais dont les compositions inquiètent le pouvoir et électrisent les foules. Le chef d’inculpation : le texte d’une de ses chansons aurait poussé au suicide un éboueur. Le seul énoncé des faits suffit à prouver l’inanité de l’accusation. Mais le caractère ubuesque de la justice indienne, son formalisme ampoulé, son mépris éclatant des individus derrière ses formes policées ne résistent pas à l’exposition clinique de ses procédures par la caméra d’un documentariste qui louche du côté de Frederik Wiseman ou de Raymond Depardon (on pense aux procès de 10e chambre, instants d’audience).

Rien d’excessif, rien de manichéen dans ce film. Le président fait son travail, le procureur aussi, l’avocat de la défense de même. Court (en instance) se termine par un épilogue déconcertant qui nous éloigne de l’instance… pour mieux nous la faire comprendre.

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Red Amnesia ★☆☆☆

Sur le papier, le dernier film de Wang Xiaoshuai avait tout pour séduire. Une retraitée, qui voue sa vie à ses deux fils, est rattrapée par son passé. Red Amnesia joue sur plusieurs registres. Thriller : qui est l’auteur des menaces anonymes qu’elle reçoit ? Portrait de femme : une veuve hantée par des hallucinations. Chronique sociale : le choc des générations dans la Chine contemporaine. Drame historique : comment la Chine panse-t-elle les plaies de son passé ?

Red Amnesia est coupé en deux par un déplacement dans l’espace qui est aussi un saut dans le temps. Aux deux tiers du film, l’héroïne retourne au Guizhou, une région du sud de la Chine où elle a été exilée durant la Révolution culturelle. S’y dévoileront le crime qu’elle avait alors commis et l’identité de celui qui entend lui en faire payer le prix.

Je suis totalement passé à côté de ce programme alléchant. Red Amnesia m’est resté opaque. Je n’en ai pas compris le scénario filandreux, peinant à distinguer les scènes d’hallucination des scènes bien réelles. Et j’ai trouvé que le départ au Guizhou privait le film de son unité.

Mon incapacité à comprendre et à apprécier ce film m’inquiète car elle n’est pas isolée. J’avais eu la même réaction face à The Assassin au début de l’année et face au dernier film de Jia Zhangke, pourtant porté aux nues par la critique en décembre dernier. Est-ce de ma part le symptôme d’un rejet systématique du cinéma chinois construit selon des schémas qui me sont définitivement étrangers ?

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Ultimo Tango ★★★☆

Voici la réponse éclatante à mes amis qui me suspectent de masochisme à regarder d’improbables documentaires guatémaltèques en noir et blanc, sous-titrés et muets ! Celui-ci est germano-argentin. Il est en couleurs. Et s’il est sous-titré, il n’est – donc – pas muet.

Plus important : c’est un bijou !

Ultimo Tango (quel titre ridicule !) raconte l’histoire du couple le plus célèbre de l’histoire du tango. Juan Carlo Copes et María Nieves ont donné au tango ses lettres de noblesse, dans les années 50, en le faisant monter sur scène. Ils en furent les ambassadeurs dans le monde entier, notamment à Broadway où ils réalisèrent Tango Argentino.

Pour raconter cette légende s’offrait au documentariste plusieurs options : des images d’archives, une reconstitution jouée par des acteurs, l’interview des survivants. Fort astucieusement, les trois procédés sont simultanément utilisés. Copes & Nieves commentent des images d’archives en répondant aux questions que leur posent les acteurs jouant leurs rôles. Le résultat est terriblement efficace.

Copes & Nieves formèrent un couple de légende sur scène et à la ville. Mais s’ils continuèrent à danser ensemble jusqu’en 1997, ils se séparèrent vingt ans plus tôt. Une haine toujours vivace les tenant à distance l’un de l’autre, ils répondent chacun à son tour à la caméra. On sent chez elle une passion encore vive, alors que lui a reconstruit sa vie ailleurs. Le tourbillon de haine et d’amour qui a emporté ce couple n’est pas moins impressionnant que la perfection diabolique de leurs chorégraphies.

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L’Origine de la violence ★☆☆☆

Coup sur coup trois romans français que j’avais lus et diversement appréciés viennent d’être portés à l’écran : Tout, tout de suite (Sportès-Berry), Elle (Djian – Verhoeven) et aujourd’hui L’Origine de la violence écrit par Fabrice Humbert et réalisé par Élie Chouraqui.

Ces adaptations posent des questions qui me passionnent depuis longtemps. Peut-on réaliser un grand film à partir d’un mauvais livre ? Oui : c’est le cas de tous les films de Kubrick adaptés d’œuvres littéraires sans grand intérêt y compris 2001… Peut-on réaliser un mauvais film à partir d’un bon livre ? C’est le cas hélas de cet « Origine… »

Car le drame autofictionnel de Fabrice Humbert, sorti en 2009, était terriblement réussi. Il mettait en scène un professeur de lycée qui croit reconnaître son père sur une photo de détenus du camp de Buchenwald. Cette découverte n’est que la première d’une série de révélations sur des secrets familiaux longtemps enfouis.

L’histoire n’est pas sans rappeler Un secret, le roman de Philippe Grimbert adapté avec beaucoup d’élégance par Claude Miller. L’élégance, c’est précisément ce qui manque à Élie Chouraqui. L’auteur de Paroles et musique et de Ô Jérusalem filme à la truelle. Les flash-back dans les camps de concentration sont d’une pachydermique maladresse. Et le choix de César Chouraqui pour jouer le jeune héros est calamiteux.

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Elle ★☆☆☆

Elle a fait beaucoup de bruit sur la Croisette au point d’être cité parmi les favoris pour la Palme. Sans doute le Jury a-t-il fait prévaloir des critères politiques discutables en l’attribuant à Ken Loach ; mais il n’aurait pas eu la main heureuse en la donnant à Paul Verhoeven. Elle est au mieux une adaptation bien tournée et bien jouée du roman de Philippe Djian, que n’importe quel honnête réalisateur français aurait pu signer. Cette œuvre ne manque pas de surprendre dans la filmographie du vieux réalisateur hollandais qui s’était fait connaître aux Pays-Bas dans les années 80 avant d’aller signer à Hollywood quelques-uns des blockbusters les plus stimulants de la fin du siècle dernier (Robocop, Basic Instinct, Total Recall, Starship Troopers…).

Il faut partir du livre de Philippe Djian, que Verhoeven adapte avec une grande fidélité et dont il tire toute son originalité. L’histoire peut sembler complexe, mais se résume en une phrase [attention spoiler] : une femme tombe amoureuse de l’homme qui la viole. Sujet transgressif ? peut-être. Sujet qui manque surtout de crédibilité. Le reproche vaut pour beaucoup de romans de Djian : Incidences, adapté au cinéma par les frères Larrieu, ou Impardonnables, adapté par Téchiné. Les situations chez Djian sont tellement excessives, tellement incroyables… qu’on finit par ne plus y croire.

C’est le cas ici du personnage de Michelle jouée par l’inévitable Isabelle Huppert – ce que vous ne pouvez pas ne pas savoir car elle fait la couverture de Télérama, de Première et même de Psychologies ! Le cinéma français ne compte-t-il pas d’autres actrices talentueuses que tous les rôles de cinquantenaires doivent systématiquement lui être attribués ? C’est bien simple : je ne peux plus la voir !

Même si je réussis à faire abstraction une minute de l’antipathie naturelle que suscite chez moi Isabelle Huppert, n’en reste pas moins une grande gêne à l’égard du personnage qu’elle joue. Michelle, la cinquantaine, s’est construite à force de volonté et de travail après avoir été dans son enfance la protagoniste involontaire d’un drame familial sanglant. Elle dirige une prospère entreprise de jeux vidéo avec sa meilleure amie. Son fils est un adolescent immature, son ex-mari un écrivain sans le sou, sa mère une vieille femme obsédée par sa jeunesse perdue. Un jour, elle est victime d’un viol à son domicile. Renonçant à en alerter la police, elle cherche elle-même le coupable. Mais ce suspense, sur lequel le film aurait pu se construire, est vite dénoué tant les indices convergent vers son voisin.

Jusqu’à sa conclusion, le film oscille entre le drame et la comédie. Michelle est-elle une victime ou une manipulatrice ? Un soutien de famille ou la pire des égoïstes ? Une masochiste qui s’éveille à l’amour ou une perverse en quête de vengeance ? Michelle a la même ambiguïté que l’héroïne de La Pianiste qui avait valu à Huppert le Prix d’interprétation féminine à Cannes en 2001. Mais cette ambiguïté m’est tellement étrangère qu’elle me reste définitivement incompréhensible.

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Money Monster ★★★☆

Money Monster est le nom d’une émission télévisée produite par Patty Fenn (Julia Roberts) animée par Lee Gates (George Clooney), un journaliste boursier qui refile à ses auditeurs des tuyaux pas toujours fiables. Le cours de la société Ibis vient de décrocher. Un petit épargnant en colère (Jack O’Connell) déboule sur le plateau, prend Lee Gates en otage et veut comprendre pourquoi il a été ruiné.

Bingo pour Jodie Foster, aussi douée derrière la caméra que devant. Elle réussit avec Money Monster un film aussi divertissant qu’intelligent. Divertissant : on ne regarde pas sa montre une seconde devant un scénario qui raconte en temps réel cette prise d’otage. Intelligent : Money Monster contient une critique de la société spectacle et du capitalisme fou sans verser dans le moralisme.

Avec en bonus deux coups de cœur. Le premier pour un plan sur un baby-foot sur lequel le film aurait dû s’achever. Le second pour une actrice irlandaise au nom imprononçable et à l’élégance à couper le souffle : Caitriona Balfe.

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Baden Baden ★★★☆

Coup de cœur pour ce petit film français au titre décalé qui n’a rien à voir avec Baden Baden sinon qu’il se déroule à Strasbourg, de l’autre côté du Rhin. De là à dire que Baden Baden est au cinéma ce que La Chartreuse de Parme est à la littérature il y a un pas que je ne franchirai pas. D’ailleurs je me demande si je ne vais pas rayer cette phrase qui alourdit inutilement ma critique et n’y apporte pas grand-chose.

Anna a 26 ans. Un peu garçon manqué, beaucoup paumée, elle se cherche. Entre deux petits boulots, elle passe l’été chez sa grand-mère adorée. Elle lui construit une douche vénitienne, cueille des mirabelles, rencontre son ex toxique, perd son permis et tombe peut-être amoureuse. Bref elle vit.

J’assume totalement la subjectivité de ce coup de cœur pour ce premier long sans prétention, qu’on imagine volontiers autobiographique, d’une jeune réalisatrice servie par une actrice étonnamment juste. On y retrouve la fraîcheur de ce nouveau cinéma français dont Vincent Macaigne ou Vimala Pons sont devenus les porte-étendards. Des films bricolés avec deux bouts de ficelle, parfois gentiment foutraques (Pauline s’arrache) mais toujours animés d’une énergie communicative, d’une soif de vie revigorante.

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The Nice Guys ☆☆☆☆

Mais quelle mouche a piqué Russell Crowe, l’acteur américain le plus sexy des années 2000, et Ryan Gosling, l’acteur américain le plus sexy des années 2010 ? Des impôts à solder ? Un divorce à négocier ? Une gynécomastie à financer ? Pourquoi être allés se compromettre dans ce sombre navet ?

The Nice Guys emprunte à trois styles, à trois époques. Premièrement, une intrigue policière passablement emberlificotée qui louche, sans leur arriver à la cheville, du côté des scénarios de films noirs des années 40.  Deuxièmement l’esthétique flower power des années 70, la musique disco funk, les voitures chromées et le libertarisme hippie. Troisièmement le buddy movie des années 80 qui a légué au cinéma mondial des nanars fatigués reposant uniquement sur leurs deux héros.

Pas étonnant qu’un tel mélange donne un résultat médiocre. Certes, la première demi-heure de The Nice Guys suscite vaguement la curiosité : l’histoire est suffisamment intrigante pour qu’on s’y intéresse, le tandem formé par Russell Crowe et Ryan Gosling suffisamment détonant pour amuser, la reconstitution des seventies suffisamment soignée pour retenir l’œil. Mais bien vite, le plaisir s’émousse. Le scénario s’étire, qui aurait pu aussi bien s’achever trente minutes plus tôt. Les acteurs se ridiculisent à force de pantomimes. L’esthétique seventies s’avère au mieux artificielle, au pire hideuse.

Oubliez The Nice Guys et préférez-lui un épisode de Starsky & Hutch !

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Tout, tout de suite ★★★☆

En janvier 2006, le gang des barbares dirigé par Youssouf Fofana a enlevé, séquestré et torturé à mort Ilan Halimi, imaginant que son appartenance à la communauté juive leur garantirait le versement d’une rançon élevée. L’affaire avait provoqué une vive émotion en raison de l’antisémitisme primaire qui animait les ravisseurs et de la cruauté des souffrances qu’ils avaient infligées à leur prisonnier durant les trois semaines de sa séquestration.

Un caïd de banlieue, Youssouf Fofana, recrute une bande de voyous pour l’assister dans son projet criminel et, croit-il, lucratif : kidnapper un « feuj » et « faire cracher » sa famille. Pour l’attirer, il utilise un « appât », une jeune femme allumeuse – qui, quelques années plus tard, compromettra le directeur de la prison pour femmes de Versailles (l’affaire a été portée à l’écran avec Adèle Exarchopoulos dans le rôle de la jeune rabatteuse). Ilan est enlevé, séquestré, mais ses parents, bien moins riches que les ravisseurs l’escomptaient, ne peuvent pas payer la rançon réclamée. Régulièrement passé à tabac, bâillonné, entravé, affamé, Ilan Halimi est gardé dans un appartement sans chauffage puis dans une cave. Pendant ce temps, l’enquête policière patine jusqu’au dénouement macabre.

L’affaire du gang des barbares avait inspiré à Alexandre Arcady 24 jours, double procès à charge contre l’antisémitisme qui gangrène la société française et contre l’incurie policière. Le film de Richard Berry lui ressemble mais évite ces partis pris. Il adapte le livre de Morgan Sportès, prix Interallié en 2011. Écrit à partir des PV d’interrogatoires sur un mode clinique quasi notarial, Tout, tout de suite est construit autour d’un faux suspens (Ilan sera-t-il libéré ?) dont on connaît dès la première image l’issue fatale.

Cette affaire se prête à deux lectures. La première explique le comportement monstrueux des ravisseurs, ivres d’antisémitisme, imperméables à la moindre compassion, par leur origine sociale et leur milieu. La seconde, moins indulgente, fait porter toute la responsabilité à Youssouf Fofana, peint comme un monstre violent, éructant au téléphone des revendications disproportionnées et des menaces insensées, s’impatientant de son échec à mener son opération à bien et finalement acculé à en effacer les preuves quitte à immoler son prisonnier. Contrairement à ce que son titre annonce, Tout, tout de suite choisit plutôt la seconde,  comme 24 jours l’avait fait avant lui.

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Julieta ★☆☆☆

Almodovar est un Grand d’Espagne. Depuis maintenant plus de trente ans, chacun de ses films crée l’événement. Au début de sa carrière, il a filmé la movida, cette période un peu folle où l’Espagne se débarrassa de la chape de plomb franquiste. Ce furent les délires survoltés de Femmes au bord de la crise de nerfs et de Talons aiguilles. Puis le cinéma d’Almodovar est devenu plus dramatique, plus grave. Ce furent les grands films de la maturité : Tout sur ma mère, Parle avec elle, Volver (que je tiens pour son chef-d’œuvre)…

À soixante ans passés, Almodovar a-t-il atteint l’âge de la retraite ? Son avant-dernier film, Les Amants passagers, pâle remake des comédies bigarrées des 80s, n’avait pas convaincu. Son dernier film, Julieta, entend renouer avec les grands portraits de femmes des années 2000. Il ne convainc guère plus.

Tissant un scénario complexe à partir de trois nouvelles de Alice Munro, Almodovar multiplie, comme à son habitude, les flash-back. On suit sur trente ans le personnage de Julieta, tour à tour interprété par Adriana Ugarte et Emma Suárez. Les couleurs, toujours aussi contrastées, explorent des gammes moins crues : le vert, le brun… La musique omniprésente plonge l’ensemble dans une atmosphère hitchcockienne vintage. Le film explore les thèmes chers au cinéaste : la relation mère-fille, les lourds secrets de famille, la culpabilité refoulée.

Pour autant, à la différence de Tout sur ma mère ou Volver qui m’avaient ému jusqu’au tréfonds, Julieta ne m’a pas fait vibrer un seul instant. Admiratif du savoir-faire du maestro, je n’ai jamais été emporté par un cinéma qui, à force de ressasser des recettes éprouvées, a oublié l’essentiel : l’authenticité.

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