Neptune Frost ☆☆☆☆

Sur les hauts plateaux du Burundi, dans un futur proche, Matalusa, un ancien forçat échappé de la mine où il était réduit en esclavage, et Neptune une hackeuse transgenre, rejoignent une communauté cyberpunk qui est entrée en résistance contre un pouvoir techno-autoritaire.

Neptune Frost est un OVNI cinématographique comme on en a rarement vu, au croisement de plusieurs genres : la science-fiction, la comédie musicale, le manifeste politique cyberqueer anticolonialiste et anticapitaliste…

Sur le papier, un tel programme est séduisant, qui fait penser aux romans d’anticipation d’Alain Damasio – dont on attend toujours avec impatience qu’un Terry Gillian ou un Gaspard Noé décide de les adapter. Mais il y fallait des moyens et un souffle que Neptune Frost hélas n’a pas. Faute de budget, la production a dû recourir à des bricolages qui, aussi ingénieux et réussis soient-ils, se voient un peu trop.
Quant au scénario, il essaie sans succès de cacher son inconsistance derrière des fulgurances qui se voudraient poétiques.

Un ratage complet….

La bande-annonce

Le Violent (1950) ★★☆☆

Dixon Steele (Humphrey Bogart) est un célèbre scénariste hollywoodien en panne d’inspiration. Il est suspecté d’avoir tué l’employée d’un restaurant revenue un soir chez lui à son bras pour l’aider à écrire l’adaptation d’un livre médiocre qu’il n’avait pas eu le courage de lire. Mais le témoignage d’une voisine, Laurel Gray (Gloria Grahame), le disculpe. Bientôt se noue une idylle avec elle, qui lui redonne le goût de l’écriture. Mais Dixon cache un fond anxieux et paranoïaque qui resurgit à chaque occasion et hypothèque le bonheur du jeune couple.

Le Violent est un chef d’œuvre oublié, éclipsé par Boulevard du crépuscule de Billy Wilder et All About Eve de Joseph Mankiewicz qui sortirent la même année et traitaient d’un sujet à la mode à l’époque : les coulisses de Hollywood. Il a pour héros, ou plutôt comme anti-héros, un scénariste interprété par Humphrey Bogart qui était alors au sommet de sa gloire et qui accepta pourtant le rôle antipathique d’un homme pathologiquement jaloux et violent.

Le film est l’adaptation d’un polar de Dorothy Hughes, une auteure à succès elle aussi reléguée dans l’oubli, In a Lonely Place, traduit en français sous plusieurs titres, Tuer ma solitude, Un homme dans la brume et même Le Violent. Nicholas Ray, qui n’avait pas encore tourné Johnny Guitare (1954) ni surtout La Fureur de vivre (1955) mit dit-on beaucoup de lui-même dans le personnage de Dixon Steele, lui aussi rongé par ses démons intérieurs. Il confia le rôle de Laurel à Gloria Grahame qu’il avait épousée deux ans plus tôt et dont il était en train de divorcer (elle avait été surprise en fâcheuse posture avec le premier fils de Ray, qui avait alors treize ans à peine).

Le Violent n’est pas un polar. L’enquête sur le meurtre de Mildred Atkinson n’en constitue pas le sujet essentiel. C’est une description quasi-clinique de la pathologie de Dixon : une anxiété incontrôlable qui l’entraîne aux pires excès. On parlerait aujourd’hui de masculinité toxique et on ne lui consacrerait certainement pas un film.

La bande-annonce

L’Automne à Pyongyang, un portrait de Claude Lanzmann ☆☆☆☆

En 2015, Claude Lanzmann se rendait en Corée du nord avec son producteur François Margolin, sous le prétexte d’y tourner un documentaire sur le taekwondo mais en fait pour y retrouver la trace d’une infirmière qu’il y avait croisée en 1958 et dont il était tombé éperdument amoureux durant une brève séance de canotage sur le fleuve Taedong. Ce voyage surréaliste a inspiré un documentaire, Napalm, dont j’ai fait une longue critique à sa sortie en 2017.

Cinq ans après la mort de Claude Lanzmann, en juillet 2018, à quatre-vingt-douze ans, François Margolin revient sur cet ultime voyage. On comprend mal l’utilité de ce post-scriptum, qui utilise les rushes que Napalm n’avait pas jugé bon de retenir. On y retrouve le vieil intellectuel qui disserte sur quelques épisodes marquants de sa vie : son compagnonnage avec le Parti communiste, sa liaison avec Simone de Beauvoir, le suicide de sa soeur, le tournage de Shoah

En 2017, ma critique mi-figue mi-raisin lui trouvait quelques circonstances atténuantes. Mon admiration pour le grand intellectuel m’empêchait de tirer à boulets rouges sur le vieillard sénile et libidineux. Mais en 2023, face à cet Automne à Pyongyang redondant, je n’aurai plus la même indulgence. Si la vieillesse est un naufrage, Claude Lanzmann en fournit hélas une vivante, quoique moribonde, illustration. L’homme, sourd comme un pot, quasiment grabataire, est à bout de force et à bout de souffle. En soi, cela n’est en rien blâmable. Mais il affiche cette impatience, cette morgue, qui caractérisent souvent les vieillards égocentriques. Il ne cesse de rembarrer son producteur qui l’interroge en le renvoyant à ses livres et en l’accusant de ne pas les avoir lus. C’est à se demander quel masochisme anime François Margolin pour avoir montré ces scènes où il se laisse humilier.

Outre l’hubris de son personnage, deux choses m’ont particulièrement dérangé dans ce dernier voyage et dans ce qu’il nous montre de Lanzmann. La première est son manque de recul vis-à-vis du régime communiste nord-coréen. Sans doute se moque-t-il de la laisse courte que ses cornacs nord-coréens lui imposent et qu’il essaie par tous les moyens de desserrer. Mais il n’exprime aucune critique sur la chape de plomb qui s’est abattue depuis plus de soixante ans sur ce pays.
La seconde est l’expression de moins en moins décomplexée de sa libido. Le documentaire n’en dit mot ; mais Claude Lanzmann dans les dix dernières années de sa vie a été plusieurs fois accusé d’agressions sexuelles. Sans doute faut-il être indulgent avec nos aînés et prendre en compte l’affaiblissement de leurs forces ; mais la sénilité n’excuse pas tout.

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The Wild One ★★☆☆

Connaissiez-vous Jack Garfein (1930-2019) ? Moi pas.
Le documentaire de Tessa Louise-Salomé a le mérite de corriger cette lacune et de lever le voile sur ce réalisateur méconnu, proche de Lee Strasberg, le fondateur de l’Actor’s Studio.

Garfein fut metteur en scène de théâtre. Il réalisa deux films à Hollywood qui furent vite blacklistés pour leur audace. Adapté de la pièce de Broadway qu’il avait mis en scène et produit, Demain ce seront des hommes (1957) se déroule dans une académie militaire du sud des Etats-Unis et a pour héros un sergent sadique interprété par Ben Gazzara. Le second et dernier film de Jack Garfein, Au bout de la nuit (Something Wild dans la version originale … qui a inspiré le titre de ce documentaire) met en scène une jeune femme victime d’un viol dans Central Park. Le rôle est interprété par la femme de Jack Garfein, Carroll Baker, révélée quelques années plus tôt dans le rôle titre de Baby Doll d’Elia Kazan. Après ces deux films, Jack Garfein ne tourna jamais plus mais se consacra à l’enseignement.

Le jeune Jakob Garfein avait grandi dans une petite ville de l’actuelle Slovaquie sous la menace de l’antisémitisme nazi. Réfugié en Hongrie après l’annexion de la Tchécoslovaquie, il y fut néanmoins arrêté et déporté vers Auschwitz. Il survécut par miracle aux marches de la mort et fut libéré à Bergen-Belsen en 1945 alors qu’il pesait vingt-deux kilos à peine. Envoyé dans un orphelinat en Suède, il émigra aux Etats-Unis en 1946.

Le documentaire de Tessa Louise-Salomé est construit sur l’alternance de ces deux volets de la vie de Jack Garfein : ses souvenirs d’enfant et d’adolescent pendant la Seconde Guerre mondiale et sa carrière vite brisée à Hollywood dans les 50ies et 60ies. Bien sûr, les premiers sont poignants. Mais c’est le second volet de sa vie qui m’intéressait le plus. Et je regrette que la documentariste se soit laissée aller à la facilité de s’appesantir sur le premier, au risque de nous raconter une histoire qui, pour dramatique qu’elle ait été, nous est hélas tristement familière, alors que le second ne nous l’est pas.

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Une histoire d’amour ★★★☆

Katia et Justine tombent amoureuses. Elles décident d’avoir un enfant ensemble. Mais le couple se sépare avant l’accouchement de Katia. Douze ans passent. L’enfant de Katia, Jeanne, est devenue une jeune fille passionnée de lecture. Katia, qui n’a jamais oublié Justine, apprend qu’un cancer généralisé ne lui laisse plus que quelques semaines à vivre et demande à son frère William de prendre soin de sa fille.

Alexis Michalik a révolutionné le théâtre français en l’espace de quelques années. Sa méthode : des scénarios follement romanesques, riches en rebondissements et en personnages hauts en couleurs, menés tambour battant. Après Le Porteur d’histoires et Le Cercle des illusionnistes, le succès arrive en 2016 avec Edmond, couvert de prix et transposé à l’écran début 2019. Il monte Une histoire d’amour début 2020 à La Scala où j’ai eu la chance d’aller le voir avant que le Covid-19 ne coupe les ailes aux tournées prévues. Mais dès 2021, il s’attèle à son adaptation à l’écran..

Les critiques ont eu la dent dure avec ce film qui a connu un cinglant échec. « Personnages réduits à des archétypes, rebondissements téléphonés, chantages à l’émotion… » écrit Thierry Chèze dans Première. « Empêtré dans ses grosses ficelles, ce mélodrame sonne faux du début à la fin » surenchérit Julie Loncin dans Les Cahiers du cinéma.

J’aimerais pouvoir dire que ces critiques sont injustes. Mais elles ne le sont pas. Une histoire d’amour est un film raté, un mauvais film, un film qui croûle sous les bons sentiments en convoquant au risque de la surenchère autant de situations écrasantes : le traumatisme enfoui d’un père alcoolique et violent et d’une mère trop tôt décédée d’une maladie incurable, le coup de foudre amoureux de Katia qui se termine par une séparation jamais cicatrisée, la vie brisée de William et désormais hantée par ses fantômes…

Mais ce cinéma-là, aussi mauvais soit-il, qui raconte une histoire et qui charrie des sentiments à la pelle en nous tirant des larmes, est précisément celui qui me touche. Parce qu’il me tient en haleine du début à la fin du film. Parce qu’il évoque des situations que j’ai vécues ou que je serais susceptible de vivre. Parce qu’il le fait d’une façon terriblement contemporaine, mélange paradoxal d’ironie permanente et de dramatisation hystérique. Comme les Sundae Caramel de mon adolescence tellement sucrés qu’ils en devenaient écœurants, comme les Prosecco que plus personne ne boira dans cinq ans, je sais pertinemment que c’est mauvais et pourtant, malgré mon goût revendiqué pour la haute gastronomie, je prends un plaisir régressif à m’en goinfrer.
Alexis Michalik, c’est mon Sundae caramel de cinéma. C’est mauvais… mais j’aime ça !

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Fifi ★★☆☆

Sophie a quinze ans et étouffe l’été venu dans le petit appartement d’un HLM nancéen où sa mère, ses quatre frères et sœurs et son neveu s’entassent. Quand elle croise Jade, une amie de collège, sur le point de partir en vacances sur la côte atlantique, elle ne résiste pas à la tentation de dérober les clés de la belle villa de ses parents. Dès le lendemain, elle s’y glisse en catimini et jouit de son luxe et de son silence. Mais Stéphane, le frère aîné de Jade, étudiant en école de commerce à Paris, surgit à l’improviste et débusque l’intruse. Après avoir hésité à la dénoncer à ses parents, il choisit de la laisser faire et de lui laisser la porte ouverte.

À tort ou à raison, on aura tôt fait de classer Fifi parmi ces petits films français qui ne cassent pas trois pattes à un canard et qui n’auraient pas existé sans les (généreuses ?) subventions publiques qui financent – certains disent qui entretiennent – le cinéma d’auteur français. En effet, Fifi, qui a déjà quasiment disparu des écrans dans sa deuxième semaine d’exploitation à peine, ne brille ni par son originalité ni par sa maîtrise. Il ne suffit pas de filmer une relation platonique (pardon d’avoir spoilé)  en la lestant de dialogues très écrits pour se croire autorisé à invoquer les mânes de Rohmer.

Pour autant, Fifi n’est pas sans charme. Le principal est dans celui de ses acteurs. Céleste Brunnquell et Quentin Dolmaire forment un couple désassorti. D’ailleurs ce décalage est justifié : si les héros avaient été trop proches, on n’aurait pas compris qu’ils ne finissent pas par s’embras(s)er.
J’ai passé tout le film à me demander si Quentin Dolmaire était un bon ou un mauvais choix de casting. Il était parfait dans les rôles torturés de post-adolescents fiévreux écrits pour lui par Arnaud Desplechin (Trois souvenirs de ma jeunesse) ou Nadav Lapid (Synonymes). Il manque trop de sensualité comme de maturité pour trouver sa place ici. On se demande quelle attirance (physique ? intellectuelle ?) il peut exercer sur la jeune Fifi.
En revanche, Céleste Brunnquell est encore une fois parfaite. Elle l’était déjà dans Les Éblouis qui lui avait valu le César du meilleur espoir féminin en 2019 (je lui y avais trouvé des faux airs de Simone Signoret jeune). Elle est connue du grand public depuis la série à succès En thérapie – à laquelle bizarrement je n’avais pas accroché après les trois premiers épisodes. Je prends le pari que commence pour elle une belle et longue carrière.

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La Nuit du verre d’eau ★★☆☆

Les dissensions entre Chrétiens et Musulmans font craindre les débuts d’une guerre civile au Liban en 1958. Les répercussions se ressentent jusque dans la vallée reculée du Mont-Liban où les Daoud, une riche famille chrétienne, ont depuis des lustres leur fief. Leur patriarche règne en maître sur sa femme et ses trois filles. L’aînée, Leyla, mariée très jeune à un homme violent qu’elle n’aime pas, a un fils, Charles, âgé de sept ans. Bientôt les cadettes, Eva d’abord, Nada la plus rebelle ensuite, seront mariées. Deux touristes français sont en vacances dans la région, un chirurgien en poste à Beyrouth (Pierre Rochefort) et sa mère (Nathalie Baye)

J’ai lu des critiques très tièdes de ce Verre d’eau qui, s’il n’est certes qu’à moitié plein, n’est quand même pas complètement vide non plus (j’ai l’esprit taquin ce matin !).

On lui reproche son académisme. C’est au contraire ce qui m’a plu dans ce film aux toilettes si élégantes de ces années cinquante incroyablement glamour (ah ! si je pouvais être réincarné.e, j’aimerais que ce soit à Saint-Germain des Prés avec Boris Vian ou à Hollywood avec Natalie Wood en 1955 !).

Certes son sujet n’est pas follement original. Il s’agit du récit d’une émancipation féminine dont le sujet résonne si bien avec l’air de notre temps, même si l’histoire se déroule il y a plus de soixante ans. C’est encore une fois à travers les yeux d’un enfant qu’on voit les adultes se déchirer, comme dans L’Île rouge sorti deux semaines plus tôt, dans la critique duquel j’évoquais Jeux interdits, Cría Cuervos et Fanny et Alexandre que je ne mentionnerai pas une fois de plus.
Mais il est suffisamment exotique, comme l’était d’ailleurs L’Île rouge, pour nous dépayser sacrément.

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Marcel le coquillage (avec ses chaussures) ★★★☆

Marcel est un bigorneau de deux centimètres qui vit dans un Airbnb avec sa grand-mère Connie et qui ne se console pas de la disparition des siens, partis avec les précédents locataires. Sa taille minuscule l’a jusqu’à présent protégé des humains sans l’empêcher d’utiliser astucieusement toutes les ressources qu’offre une maison. Mais le nouveau locataire, Dean, un documentariste qui peine à se remettre d’une récente séparation, le remarque, le filme et lui confère une célébrité aussi soudaine qu’inattendue que Marcel va utiliser pour retrouver sa famille.

Marcel le coquillage (avec ses chaussures) est le film le plus improbable qui soit. Je ne serais jamais allé le voir si une amie ne l’avait chaudement recommandé.
Improbable par son titre d’abord. Connaissez-vous des  films dont le titre contienne des parenthèses ? Mais plus improbable encore par son sujet. Quelle idée de mettre en scène un coquillage anthropomorphe et de le chausser de pataugas orange ! Vous me rétorquerez que Bob l’Eponge est bien devenu une star mondiale et vous aurez raison !

Derrière ce film se cache une longue histoire. Et d’abord un projet de couple – dont le divorce ultérieur donne au film un parfum étonnamment mélancolique. Dean Flesicher Camp et Jenny Slate (qui prête sa voix de Betty Boop au mollusque) ont imaginé en 2010 ce personnage hors normes, l’ont filmé avec trois bouts de ficelle – et un budget, dit la légende, de six dollars – et ont posté la video de trois minutes tournées en deux jours sur Youtube… avant d’engranger trente millions de vues.
Un tel succès allait entraîner deux suites en 2011 et 2014 et bientôt le projet d’un long métrage qui mit sept ans à voir le jour et neuf à traverser l’Atlantique.

Le résultat est mimi tout plein, gorgé jusqu’au rebord de good vibes, mélangeant, comme seuls les Américains savent le faire, les bons sentiments et une mélancolie qui nous fait verser une larme (la sublime Isabella Rossellini prête sa voix à Connie dont on devine, dès la première apparition le destin qui la guette).

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Il Boemo ★★☆☆

Josef Mysliveček, un jeune compositeur tchèque bourré de talent, ne réussit pas à percer en Italie à la fin du XVIIIème siècle. Pour vivre, il donne des cours de musique dans la Venise des Doges. Une de ses élèves veut le convaincre de l’épouser pour éviter le mariage que son père veut lui faire contracter avec un vieux barbon borgne et manque de se tuer quand Mysliveček se refuse à elle. Le musicien, surnommé « Il Boemo », du nom de la région de Tchéquie dont il est originaire, quitte Venise pour Naples où il retrouve la diva Caterina Gabrielli. Il compose pour elle et partage le lit de cette grande séductrice. S’il croise le jeune Mozart à Bologne en 1770 – lequel reconnaîtra plus tard sa dette envers lui – Mysliveček meurt dans la misère à Rome en 1781 rongé par la syphilis.

Je ne connaissais pas Josef Mysliveček et la joyeuse bande d’amis mélomanes avec laquelle je suis allé voir ce film dimanche dernier en avant-première non plus, à une rare et admirable exception près. Tous en sont sortis enthousiastes et ont essayé de me convaincre de lui attribuer trois étoiles durant le joyeux dîner que nous avons partagé ensemble.

Mais, têtu comme un âne, je ne lui en concède que deux – et encore, j’ai bien failli me limiter à une seule.

J’ai trouvé bien des défauts à ce long film italo-tchéco-slovaque (couvert de prix aux derniers Český lev, l’équivalent tchèque des César) tourné, certes en italien dans d’improbables palais bohémiens ou moraves, avec des acteurs inconnus doublés par quelques grandes voix du répertoire baroque (l’incontournable Philippe Jaroussky et la soprano slovaque Simona Šaturová).

Le premier est d’avoir voulu mettre la lumière sur ce musicien tombé dans l’oubli. Les plus férus de musique baroque s’insurgeront peut-être devant ce béotisme revendiqué. Je dois avouer ne pas connaître grand chose à la musique de cette époque. Mais autant celle de l’Amadeus de Forman m’avait emporté – sans parler ici de l’interprétation délirante de Tom Hulce – au point que j’en ai écouté pendant de longues années la cassette audio sur le poste crachotant de ma première voiture, autant celle de ce Boemo m’a laissé de marbre.

Le second est l’ombre portée de l’autre immense chef d’oeuvre dont Il Boemo revendique la filiation : Barry Lyndon. Son héros a les mêmes traits que Ryan O’Neal. Ses costumes sont les mêmes, qui sont ceux de la seconde moitié du XVIIIème siècle que l’on retrouve aussi dans le Casanova de Fellini. Mais c’est peu dire que Petr Vaclav, l’obscur réalisateur de Il Boemo, n’a pas le génie de Stanley Kubrick et que son film n’a pas le charme vénéneux de celui de son illustre prédécesseur.

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Asteroid City ★☆☆☆

En 1955, à Asteroid City, au bord d’un cratère creusé par une météorite, cinq enfants surdoués, leurs familles et les organisateurs de cette réunion d’astronautes amateurs voient une soucoupe volante et son passager extra-terrestre approcher de la Terre. Ils sont immédiatement placés sous quarantaine par l’armée américaine.

Le plus français des réalisateurs américains, Wes Anderson, est sans doute l’un des plus originaux et des plus appréciés de sa génération : La Famille Tenenbaum, À bord du Darjeeling Limited, Grand Budapest Hotel, The French Dispatch sont souvent cités parmi les meilleurs films de ces deux dernières décennies.  Son cinéma est reconnaissable à la première image, qui lorgne du côté de la BD : plans au cordeau d’une parfaite symétrie, couleurs vives, chapitrage du scénario, absence d’expressivité des personnages et refus de toute psychologisation…

Wes Anderson a aussi ce don rare de réunir autour de lui une palette exceptionnelle de stars qui lui sont fidèles de film en film. On regrette  dans Asteroid City l’absence de Bill Murray, d’Anjelica Huston ou de Owen Wilson qui étaient quasiment de tous ses précédents films ; mais on aime retrouver Adrien Brody, Edward Norton, Tilda Swinton et Willem Dafoe ; et on salue l’arrivée de quelques nouveaux venus, et non des moindres : Tom Hanks, Scarlett Johansson, Margot Robbie, etc.

Pour autant, comme je l’écrivais hélas déjà fin 2021 devant The French Dispatch, le cinéma de Wes Anderson ne me touche pas. J’en admire certes l’originalité formelle. Mais je n’en comprends pas le sens. Non pas qu’il s’agisse d’un cinéma incompréhensible qui dépasse mon entendement comme c’est malheureusement souvent le cas aujourd’hui. Wes Anderson a, tout au contraire, une forme de modestie, de simplicité qui rend son cinéma éminemment sympathique. Mais je ne comprends pas à quoi il rime, où il veut en venir.

Tel était le cas devant ses films précédents – The Grand Budapest Hotel y inclus, même si j’entends les louanges unanimes qui l’ont accueilli. Tel est encore le cas devant Asteroid City que j’ai vu en avant-première dans une salle comble de jeunes spectateurs avec qui je n’ai plus l’habitude d’aller au cinéma (mes voisins de salle sont la plupart du temps des chômeurs en fin de droit et des retraités catarrheux).
J’ai bien sûr été emballé par son générique et par sa première demi-heure qui nous fait découvrir Asteroid City – qui ressemble à un décor de théâtre dont on ne sortira d’ailleurs jamais – et par sa galerie de personnages tellement nombreux qu’il faut bien ce temps-là pour qu’on se familiarise avec tous. Mais, ensuite, j’ai trouvé l’histoire languissante et m’en suis lentement mais sûrement désintéressé.

En lisant hier soir la critique brillantissime, évidemment brillantissime, de Mathieu Macheret dans Le Monde, je comprends qu’Asteroid City convoque « le théâtre psychologique de l’après-guerre » et, par une savante mise en abyme « pirandellienne » – Asteroid City raconte une pièce de théâtre en train de s’écrire – prend à bras-le-corps « la question de l’acteur et de l’incarnation ». Je comprends qu’il fallait y voir « une possible évocation du confinement » et « une « humanité engluée dans une horizontalité générique » confrontée à « la pagaille des sentiments, l’angoisse de la mort, le désordre d’un monde qui flotte dans son absence d’explication ». Je me sens moins bête après avoir lu cette brillante exégèse et très bête de ma cécité bas-du-front que j’ai confessée plus haut.

La bande-annonce