Come Sunday ★☆☆☆

Crise de foi. Carlton Pearson (Chiwetel Ejiofor) est un pasteur pentecôtiste born-again à qui tout semble sourire. Ses prêches enflammés attirent un public nombreux, noir et blanc, dans son Église de Tulsa dans l’Oklahoma. Il est marié à Gina (Condola Rashad), une femme sublime, qui lui a donné deux beaux enfants. Le célèbre télévangéliste Oral Roberts (Martin Sheen) le considère comme son fils spirituel et le destine à sa succession.
Mais, au contact d’un oncle qui se suicide en prison et d’un de ses musiciens homosexuel, malade du Sida, la foi de Carlton Pearson vacille : l’Enfer existe-t-il vraiment où les pêcheurs se consumeront dans des tourments éternels ? comment un Dieu d’amour peut-il réserver un tel sort à ses brebis ?
Le pasteur exprime publiquement ses doutes et s’attire bien vite l’hostilité de ses pairs qui l’accusent d’hérésie et la désaffection de ses ouailles désorientés par le nouveau tour de ses sermons. Fera-t-il amende honorable pour retrouver son confort ? ou s’entêtera-t-il dans l’hétérodoxie ?

Come Sunday est un film américain très exotique ; car son sujet nous est profondément étranger à nous, spectateurs de la vieille Europe déchristianisée. Les querelles dogmatiques qu’il évoque (l’enfer existe-t-il ? s’il n’existe pas, à quoi sert de mener une vie vertueuse pour gagner le paradis ?) nous semblent profondément anachroniques – sauf si nous faisons partie de l’infime minorité de croyants et de pratiquants que le doute théologique habite encore.

Dès lors, il y a trois façons radicalement différentes de recevoir ce film.
La première est de s’en sentir totalement éloigné – ce qui n’a pas été loin d’être mon cas – tant le sujet qu’il traite et sa façon de le traiter nous sont étrangères.
La deuxième est, au contraire, de le vivre comme une plongée quasi-documentaire dans l’Amérique du télévangélisme, de ses megachurches, de ces messes survitaminées où des pasteurs enflammés hystérisent leurs auditoires (Cf les enquêtes documentées du sociologue français Sébastien Fath).
La troisième enfin essaierait de sortir le sujet de son contexte, américain et chrétien, pour y voir l’histoire d’un homme qui essaie, malgré les pressions de son entourage, de rester fidèle à lui-même. Cette troisième voie est la plus ambitieuse et c’est sans doute sur elle que Netflix a parié en proposant ce film à son catalogue partout dans le monde. Mais il n’est pas certain que ce soit la plus opérante.

La bande-annonce

Psychokinesis ☆☆☆☆

Un père défaillant, qui a quitté une dizaine d’années plus tôt le domicile familial, végète dans un emploi minable de vigile. Pendant ce temps, sa femme meurt en défendant son petit commerce face à la mafia locale qui souhaite l’exproprier pour le compte d’un grand conglomérat. Sa fille, aujourd’hui âgée d’une vingtaine d’années, entend reprendre le flambeau, avec l’aide d’un avocat qui se consume d’amour pour elle. Elle aura besoin des pouvoirs télékinésiques dont son père est mystérieusement doté pour y parvenir.

Après Dernier Train pour Busan – qui lui valut un succès mérité et mondial – et Peninsula – qui ne casse pas trois pattes à un canard – le jeune réalisateur Yeon Sang-ho a tourné Psychokinesis. Sorti en salles en Corée en janvier 2018 où il se classa en tête du box-office, il fut racheté par Netflix qui en assure, depuis avril 2018, la diffusion à l’étranger.

Psychokinesis essaie d’articuler trois niveaux de récit. Premièrement le film de superhéros avec un sous-genre qui, depuis Spiderman, a gagné ses lettres de noblesse : le super-héros-malgré-lui.
Deuxièmement, la romance familiale ou l’histoire, courue d’avance, de la réconciliation d’un père et de sa fille.
Troisièmement, la lutte des classes entre le petit commerce menacé d’expropriation et le grand capital corrompu, allié à la mafia et à sa cohorte de gros bras bas-du-front.

Ce programme ambitieux aurait pu sans problème nourrir un film réussi. Hélas, rien ne marche dans Psychokinesis dont les ficelles sont trop grossièrement tissées pour tenir ensemble. La découverte par le héros de ses superpouvoirs est l’occasion d’une scène sans surprise que la bande-annonce avait au surplus déjà révélée. La réconciliation du père et de sa fille est tellement téléphonée qu’elle ne soulève aucune émotion. Quant à l’opposition bloc à bloc des courageux commerçants et des cyniques capitalistes, si elle fournit le prétexte à une scène d’un sadisme étonnant d’une PDG en talons aiguilles, elle est trop caricaturale pour susciter la moindre réflexion.

La bande-annonce

Lutine ★★★☆

Savez-vous ce qu’est le polyamour ? Le terme nous vient de l’américain polyamory – parfois traduit polyamorie. Il se répand avec le livre The Ethical Slut publié en 1997. Françoise Simpère qui le vulgarise en France lui préfère le terme de lutinage.

Le polyamour est la possibilité de vivre simultanément plusieurs relations sans tromperie ni mensonge. Le polyamour prône une non-exclusivité sexuelle et sentimentale librement consentie. Le polyamour, qu’on le vive seul.e (on parle de solo-poly), à deux, à trois ou à plus, entend dépasser le couple. Il se distingue de l’infidélité ou du donjuanisme – qui est une forme de non-exclusivité mais pas librement consentie – du libertinage – qui prône une liberté sexuelle mais pas amoureuse – ou de la polygamie – qui réduit la relation au cadre matrimonial. C’est une nouvelle forme de féminisme qui place les deux parties du couple sur un pied d’égalité.

Le sujet est intéressant et méritait un documentaire. On imagine volontiers qu’il aurait pu s’organiser autour de l’interview face caméra de tout un panel de sociologues et de polyamoureux, sur le même mode que celui récemment utilisé par Amandine Gay pour donner la parole aux femmes noires (Ouvrir la voix).

Mais Isabelle Broué ne se laisse pas aller à cette facilité. Elle préfère construire une histoire autobiographique dont elle serait l’héroïne, se filmant en train d’interviewer quelques personnalités marquantes du polyamour, et filmant aussi son couple que le tournage de ce film met à mal. Cette voie-là, les amours contrariées d’une quarantenaire, n’est pas sans rappeler l’excellent Jeune femme ou le non moins excellent Victoria. Ce parti-pris est est charmant. Mais ce n’est pas encore sur le terrain de la comédie romantique que Lutine est le plus intéressant.

Car Lutine a plusieurs tiroirs et cache un troisième film. Un film que n’annonce ni son titre ni son affiche et qu’à moitié son pitch. Lutine est un film sur une réalisatrice, intello bohème, diplômée de la Fémis, en panne d’inspiration et de financement depuis son dernier film tourné dix ans plus tôt, en train de tourner son film. Et il le fait avec une auto-dérision, avec une sincérité, avec une malice, avec une intelligence qui forcent l’admiration. En phase avec son temps, Lutine a la liberté de ton, la simplicité des meilleurs films français, petits par leur budget, mais pas par le talent de leur réalisateur : Antonin Peretjako, Guillaume Brac, Antoine Desrosières, Sophie Letourneur…

Au départ, on a l’impression d’être embarqué dans une entreprise que l’héroïne, un peu bordélique, ne sait pas vraiment comment mener à bien. Le scénario et les acteurs eux-mêmes font de constants allers-retours entre la réalité et le film : ainsi de Philippe Rebbot, excellent comme toujours, qui joue tout à la fois le rôle d’un producteur médiocrement réceptif au projet de d’Isa, puis celui de Philippe, l’acteur qui joue le rôle de l’amoureux d’Isa car celui-ci – lui-même interprété par l’acteur Mathieu Bisson – refuse d’y jouer, avant de jouer aussi le rôle de Philippe dans le film d’Isa. Au bout d’un moment, le spectateur s’y perd (comment Philippe peut-il à la fois jouer le rôle de l’amoureux d’Isa et le sien dans le film d’Isa ?) et les personnages eux-mêmes font mine de s’y perdre aussi.
Mais tout est parfaitement contrôlé. Si Lutine a des faux airs de making-of, son écriture au cordeau ne laisse aucune place à l’improvisation ou à la sortie de route. Le résultat réussit à être à la fois d’une étonnante spontanéité et d’une parfaite maîtrise.

À la fin de cette « comédie romantique de fiction documentée », on n’en sait hélas guère plus sur le polyamour ; mais on est tombé sous le charme d’Isabelle Broué, aussi talentueuse devant que derrière la caméra. Et on n’espère ne pas avoir à attendre dix ans pour voir son prochain film.

La bande-annonce

Place publique ★★☆☆

Productrice de télé survoltée, Nathalie (Léa Drucker) pend la crémaillère de la belle maison qu’elle vient d’acquérir « à trente-cinq minutes de Paris à vol d’oiseau »… mais un peu plus en voiture. Autour d’elle, sa sœur Hélène, toujours prête à s’engager pour la cause des déshérités au risque de négliger ses proches, l’ex-mari d’Hélène, Castro (Jean-Pierre Bacri) dont le talk-show racoleur produit par Nathalie connaît une perte de popularité, son chauffeur (Kevin Azaïs), la fille de Castro et d’Hélène, Nina (Nina Meurisse) qui va publier un roman à clés où elle caricature ses parents, la nouvelle femme de Castro, Vanessa (Hélène Noguera), ancienne miss Météo rêvant de monter sur les planches, Jean-Paul (Frédéric Dupont), l’homme dont Hélène est depuis toujours amoureuse, Biggistar, une nouvelle star de YouTube, etc.

Il est de bon ton de dire du mal du dernier film d’Agnès Jaoui. Les JaBac (Jaoui-Bacri), longtemps couple à la ville, pour toujours couple à l’écran, auraient épuisé la veine qui avait fait le succès de Un air de famille, On connaît la chanson, Le Goût des autres. Leurs grimaces feraient moins rire ; leurs dialogues feraient moins mouche.

La critique est méchante. car place publique est loin d’être un mauvais film. Il contient quelques scènes hilarantes – qui le seraient plus encore si on ne les avait vues et revues dans la bande-annonce diffusées ad nauseam avant la sortie du film. La direction d’acteurs est impeccable qui laisse s’exprimer tous les talents (mention spéciale à Léa Drucker, Sarah Suco et Olivier Broche). Et la morale du film, même si elle n’est guère innovante, touche souvent juste, qui fait le procès de la télé-spectacle, de la soif de célébrité et du jeunisme.

Place publique n’en a pas moins un immense handicap : il sort six mois après Le Sens de la fête, dont il reproduit quasiment à l’identique l’intrigue (une fête réunit l’espace d’une soirée une brochette de personnages), la tête d’affiche (Jean-Pierre Bacri au sommet de sa bacritude), le propos (une coupe longitudinale de la société française et de ses tics). Sur tous les tableaux, Place publique est juste un petit peu moins bon que Le Sens de la fête. Il m’a moins fait rire, m’a moins ému aussi.

La raison en vient peut-être, et paradoxalement, du manque de finesse du film de Nakache-Toledano. Les personnages de Gilles Lellouche, Jean-Paul Rouve, Vincent Macaigne ou Benjamin Lavernhe étaient hilarants parce qu’ils étaient monolithiques : un DJ prétentieux, un photographe ringard, un dépressif à la masse, un marié prétentieux… Dans Place publique, les personnages sont plus subtils, ni franchement sympathiques, ni carrément antipathiques. Du coup on s’y attache moins.

La bande-annonce

My Wonder Women ★★★☆

Récemment dévoilées par l’historienne américaine à Harvard Jill Lepore (The Secret History of Wonder Woman, 2014), la vie et l’oeuvre du professeur William Marston ont de quoi choquer les ligues de vertu. Dans l’entre-deux guerres, il enseignait avec sa femme Elizabeth – que la misogynie des temps avaient empêché de soutenir un PhD – la psychologie dans un collège de jeunes filles de la Côte Est. Le couple inventa le détecteur de mensonges en 1922. Pour les aider dans leurs recherches, William et Elizabeth recrutent et séduisent la jeune Olive Byrne, la nièce de Margaret Sanger, la fondatrice du féminisme moderne.

Mais les ragots vont bon train qui conduisent au renvoi de William désormais interdit d’enseigner et obligé de vivre de sa plume. C’est en puisant dans ses fantasmes que le professeur William Marston va alors inventer Wonder Woman la super héroïne la plus célèbre de la bande dessinée, avec son body en lycra frappé aux couleurs de la bannière étoilée, son diadème, son lasso et ses bracelets pare-balles.

Le premier tiers du film n’est pas le plus réussi qui décrit les recherches scientifiques du couple Marston et leur rencontre avec la troublante Olive. On aurait pu nous épargner quelques scènes de détecteurs de mensonge où, comme de bien entendu, l’aiguille s’affole lorsque l’innocente jouvencelle s’entête à nier les sentiments qu’elle éprouve au contact du beau professeur et de sa séduisante épouse.
Il est beaucoup plus stimulant dans sa deuxième, où s’installe le « trouple », entre jeux érotiques raffinés, réprobation sociale et famille élargie (William aura deux enfants d’Elizabeth et deux d’Olive)
Mais c’est sa troisième  qui est la plus stimulante, pour les fans de bandes dessinées comme pour les féministes, qui procède à une relecture de Wonder Woman, princesse grecque élevée au milieu des femmes dans le culte de Sappho, qui, pour l’amour d’un officier britannique, le suit dans l’Angleterre du Blitz et met ses super-pouvoirs au service de la lutte contre l’envahisseur nazi.

My Wonder Women a reçu un accueil public et critique mitigé qu’il ne méritait pas. Sous ses airs d’inoffensif biopic, il s’agit d’un film étonnamment transgressif qui parle de triolisme et de sadomasochisme. Il le fait avec l’élégance qui caractérisait les personnages de l’époque, qu’on croirait tout droit sortis d’un épisode de Downton Abbey. Il le fait sans aucune vulgarité. Il le fait surtout avec le romantisme très premier degré qui imprègne les bluettes sentimentales d’hier et d’aujourd’hui. My Wonder Women a le bondage bon enfant, la badine badine. L’effet est paradoxal. Les cyniques y verront de la niaiserie, les bégueules du vice pernicieux, les autres un éloge de l’amour libre et une ode au féminisme.

La bande-annonce

Foxtrot ★★☆☆

Deux militaires de Tsahal sonnent à la porte de l’appartement cossu de Michael et Dafna pour leur annoncer la pire des nouvelles : leur fils Yonathan, qui effectue son service militaire sur un poste frontière perdu au milieu du désert, vient de mourir.

Foxtrot est le deuxième film seulement de Samuel Maoz, après Lebanon, Lion d’Or à la Mostra de Venise en 2009. Il commence par un plan poignant. On y voit Dafna ouvrir la porte de son appartement, regarder effarée des visiteurs dont on ignore l’identité – sauf à avoir lu les lignes qui précèdent – et s’effondrer inanimée pour fuir l’horrible vérité qu’elle vient de deviner. Son fils est mort. C’est du moins l’annonce qu’on s’apprête à lui faire comme dans le chef d’œuvre de David Grossman Une femme fuyant l’annonce.

Sauf que … sauf que, pour qui a vu la bande annonce et lu les lignes qui vont suivre [attention spoiler], Yonathan n’est pas mort. Un soldat homonyme vient de décéder et de provoquer cette funeste erreur qui plonge Michael et Dafna d’abord dans la stupéfaction ensuite, une fois le quiproquo révélé, dans la colère. Si l’on connaît cette information, que la bande-annonce ne cache pas vraiment et que le dossier de presse expose ouvertement, notre perception du premier tiers du film en est renversée. Le chagrin des parents, dès lors qu’on le sait sans fondement, nous émeut moins.

Sans transition, le deuxième tiers du film nous conduit dans le désert auprès de Yonathan. Avec trois camarades d’infortune, il surveille un check point que ne franchissent guère que de rares véhicules et quelques dromadaires flegmatiques. Si le décor est surréaliste, c’est pour souligner combien la tâche assignée à ces conscrits l’est aussi. Jusqu’à l’incident dont le traitement a fait polémique, provoquant les critiques de la ministre Miri Regev et attirant dans les salles israéliennes un public nombreux excité par ce parfum de scandale.

Le troisième tiers du film nous ramène dans l’appartement de Michael et Dafna – comme le foxtrot, cette danse qui ramène les danseurs à leur point de départ. C’est la plus réussie. car elle repose sur une astuce de scénario que je ne dévoilerai pas. De là à dire qu’elle donne à ce film trop long, trop lent, claustrophobe et sur-signifiant, une saveur insoupçonnée, ce serait lui faire trop d’éloges. Mais cette troisième partie lui confère une épaisseur que les deux premières parties avaient échoué à lui apporter.

La bande-annonce

Transit ★☆☆☆

À une époque indéterminée, qui pourrait être contemporaine, mais qui rappelle les événements de la Seconde guerre mondiale, des réfugiés allemands se pressent à Marseille en quête d’un bateau vers les Amériques.
Parmi eux, Georg (Frank Rogowski) a subtilisé les papiers de Weidel, un écrivain qui s’est suicidé après que sa femme l’a quitté. Mais les pas de Georg croisent ceux de Marie Weidel (Paula Beer) qui ignore la mort de son mari et cherche à le retrouver.

Adapté d’un roman autobiographique de la romancière allemande Anna Seghers, réfugiée au Mexique en 1941, Transit opte pour un parti pris de mise en scène audacieux quoique pas totalement inédit (au théâtre le procédé est monnaie courante et au cinéma, Peau d’Âne ou, plus récemment, Marguerite & Julien étaient construits selon le même principe) : mélanger les temporalités en tournant un film d’époque dans des costumes et des décors contemporains.

C’est sans doute la principale richesse du film mais aussi sa principale faiblesse.
Sa principale richesse car l’histoire de Georg, de Marie et des quelques malheureux réfugiés qui errent dans les rues de Marseille, dans ses hôtels sordides, dans ses consultas débordés, n’est pas sans écho avec notre époque. L’accueil qui leur est fait, qui alterne et combine l’indifférence, l’hostilité et parfois la solidarité, n’a rien à envier à celui qui est réservé aux réfugiés qui franchissent ces temps-ci la Méditerranée au péril de leur vie. En mettant en scène une famille maghrébine, dans une banlieue défavorisée, à laquelle Georg se lie, Christian Petzold souligne d’ailleurs lourdement cette dimension de sa parabole.

Pour autant, on peine à comprendre l’utilité du procédé. Et on n’arrive pas à se convaincre que le film n’aurait pas été autant sinon plus efficace s’il avait été tourné dans des costumes d’époque. Si bien que ce qui est revendiqué comme un parti pris audacieux de mise en scène se révèle ex post comme un moyen habile de faire des économies sur le budget de production.

Cette mise en scène est d’autant moins stimulante qu’elle se met au service d’un scénario qui a mal vieilli. Le roman d’Anna Seghers décrivait une galerie de personnages auxquels le film accorde une attention trop limitée. Et son coup de théâtre final est trop daté pour émouvoir. La qualité des acteurs (Franz Rogowski, aperçu dans Happy End et dans Victoria, Paula Beer dont la démarche élancée et les talons mi-hauts rappellent immanquablement Nina Hoss, l’égérie des précédents films de Christian Petzold) ne suffisent pas à sauver ce film déséquilibré.

La bande-annonce

Don’t Worry, He Won’t Get Far On Foot ★☆☆☆

Né sous X, alcoolique à treize ans, tétraplégique à vingt-et-un, John Callahan n’a pas eu une jeunesse facile. D’autres que lui auraient pu sombrer. D’ailleurs l’accident qui le prive de l’usage de ses membres ne le dissuade pas de continuer de boire.
Mais, grâce à la chaleur amicale d’un groupe d’Alcooliques anonymes, grâce à l’amour d’une femme, grâce surtout à la pratique du dessin qui fera connaître ce dessinateur au trait provocateur du monde entier, John Callahan va commencer une nouvelle vie.

On comprend l’intérêt que Gus Van Sant a trouvé dans la rédemption de John Callahan, originaire comme le cinéaste, de Portland dans l’Oregon. Le personnage est attachant qui refuse toute démagogie, dans ses œuvres comme dans sa vie, et cultive une capacité étonnante à déplaire. En ces temps où la résilience est à la mode, ce feel good movie pourra toucher.
D’ailleurs sa première demie-heure fait illusion, qui entrelace plusieurs chronologies avec une étonnante maestria : une réunion des AA où Callahan fait retour sur son passé, sa vie débridée et alcoolique au début des années 80 (ah ! ces coiffures !), son arrivée à l’hôpital après son accident et sa terrible rééducation.

Mais le film souffre d’une cruelle défaillance de scénario. Aucune tension ne l’innerve, aucun fil ne le tend, aucun enjeu ne le fait avancer. Gus Van Sant se borne à raconter, aussi brillamment soit-il, l’histoire d’un homme qui s’en est sorti. Ce biopic sirupeux et inconsistant s’étire sur près de deux heures. Il rappelle Will Hunting – avec Robin Williams auquel le rôle de John Callahan était promis – et Harvey Milk dont je n’ai jamais partagé l’admiration respectueuse dont il fait l’objet. Quand bien même l’interprétation est étincelante (Joaquin Phoenix, qui aligne ces temps-ci les rôles titres, confirme qu’il est l’un des plus grands acteurs de sa génération, Jonah Hill surprend dans un rôle à contre-emploi, même Rooney Maria parvient à sauver son personnage de la caricature), elle ne suffit pas à tirer le spectateur de la lente somnolence dans laquelle il a tôt fait de glisser.

La bande-annonce

Sonate pour Roos ★★☆☆

Au terme d’un long voyage automobile dans la Norvège enneigée, Roos, la trentaine, photographe professionnelle, rejoint Louise, sa mère, une ancienne concertiste, et Bengt, son jeune demi-frère passionné d’acoustique. Entre la pianiste et la jeune femme, la tension est palpable, nourrie de rancœurs et de non-dits. Roos a un secret à partager dont elle tarde à s’ouvrir.

Sonate pour Roos est un film européen. Son réalisateur et ses deux actrices principales sont néerlandais. Son action se déroule en Norvège. Ses dialogues sont en anglais.

Son sujet est plus classique. Il traite des relations mère-fille dans une ambiance hivernale et morbide qui n’est pas sans rappeler Ingmar Bergman. Car le besoin d’amour de Roos se heurte au mutisme dédaigneux de sa mère, que la pratique exigeante de son art et la vie recluse dans le nord de la Scandinavie n’ont pas habituée aux épanchements maternels. Seules sources de réconfort pour Roos : la douceur d’un ancien amant qu’elle retrouve pour une courte étreinte et l’amour de son jeune frère, empli d’une rage artistique que la vie isolée qu’il mène avec sa mère peine à satisfaire.

Le sujet pourrait être plombant. Il est traité sans afféterie. Les mots sont rares dans ce film silencieux et volontiers contemplatif qu’emplissent la musique de Louise, les sons de Bengt et les photos de Roos. Il se termine par une scène glaçante dont je ne crains que trop d’avoir compris la signification.

La bande-annonce

Milla ★☆☆☆

Milla et Léo sont à peine sortis de l’enfance. Ils vivent d’amour et d’eau fraîche en périphérie d’une petite ville côtière du bord de la Manche. Ils y squattent un pavillon abandonné. Ils rient. Ils lisent. Ils volent leur nourriture. Ils écoutent en boucle Add it up du groupe folk punk Violent Femmes. Leo trouve à s’employer sur un chalutier. Milla est enceinte.
Un drame survient. La vie de Milla pourrait s’en trouver brisée. Mais la jeune femme résiliente va de l’avant.

Le sujet épuré de Milla pouvait se prêter à toutes les formes possibles de traitement. L’amour fou façon Lelouch avec musique tourbillonnante et travelings échevelés. La critique sociale façon Ken Loach avec des dilemmes déchirants. Le drame érotique façon Oshima avec du sexe à gogo.

Le parti pris de la jeune réalisatrice, qui signe son second long après Nana (2012) [Valérie Massadian aime décidément les titres brefs], est tout autre. Elle opte pour une approche quasi documentaire filmant en longs tableaux silencieux, séparés par de déroutantes ellipses, la vie de Milla qui s’écoule.

Le sujet aurait pu tenir en quinze minutes. Il dure plus de deux heures. La patience du spectateur est mise à rude épreuve. D’ailleurs nombreux sont ceux qui ne s’en laissent pas compter et quittent la salle. J’avoue que la tentation m’a frôlé, l’espace d’un instant. J’y ai vaillamment résisté et en suis heureux ; car le voyage mérite d’être mené jusqu’à son terme quand bien même aucun twist, aucun cliffhanger ne le ponctue. Est-ce à dire pour autant que j’ai été séduit par cet ascétisme arty ? Ce serait pousser le snobisme un peu trop loin.

La bande-annonce