Le Dernier Souffle ☆☆☆☆

Inquiet d’une tache qu’un premier IRM a révélée, le célèbre essayiste Fabrice Toussaint (Denis Podalydès) en passe un  deuxième dans un grand hôpital parisien. Il y croise le professeur Augustin Masset qui lui fait visiter le service de soins palliatifs qu’il dirige. Il lui raconte les patients qui y ont défilé. Entre l’homme de lettres et le médecin pétri d’humanisme, une amitié se noue.

Même s’il est des films plus adaptés à une soirée de Saint-Valentin (Bridget Jones 4 dans la salle d’à côté affichait complet), je tenais à aller voir Le Dernier Souffle. À ça deux raisons. La première : l’immense renommée de Costa-Gavras, le cinéaste franco-grec dont l’oeuvre aura marqué le siècle (Z, L’Aveu, Missing, Amen…). La seconde : son sujet, la fin de vie qui, comme tout un chacun, m’interroge, partagé entre deux philosophies opposées, la stoïcienne qui prône d’y penser chaque jour pour mieux s’y préparer, l’épicurienne qui au contraire recommande de n’y penser jamais et de la laisser advenir le moment venu.

Quelle ne fut pas ma déception ! Costa-Gavras est parti du livre co-écrit par Régis Debray et Claude Grange. J’irai lire ce court essai de 130 pages à peine. Je fais confiance au bouillant philosophe – qui fut quelques mois conseiller d’Etat par le fait du Prince avant de considérer que le métier était trop ardu pour le modeste prestige qui y était associé – et au grand médecin pour avoir eu un échange de haute tenue. Costa-Gavras, auquel on ne saurait reprocher de ne pas être un grand réalisateur, échoue hélas complètement à en tirer un film.

L’incarnation de ces deux hautes figures est une catastrophe et une bouffonnerie. Denis Podalydès, immense acteur s’il en est, joue l’hypocondriaque, hanté par la mort qui vient, flottant dans la blouse blanche trop grande que lui fait porter le professeur Masset. Kad Merad est plus mauvais encore. Il livre une prestation plus exécrable que dans le dernier Lelouch. C’est dire… Chaque ligne de ses dialogues trop écrits est prononcée d’une voix sentencieuse, avec un demi sourire censé symboliser à la foi une profonde sagesse et une infinie bienveillance.

Le film est construit autour de plusieurs cas. On voit défiler militairement quelques visages connus, dont on se dit qu’ils ont accepté de passer un jour ou deux sur le plateau par amitié ou par admiration pour le réalisateur nonagénaire : Charlotte Rampling, un spectre cadavérique soucieux de garder jusqu’au bout sa dignité, Françoise Lebrun, pleine d’une sagesse inspirée de la philosophie bouddhiste, Hiam Abbass, épouse aimante, exigeant contre toute raison la poursuite pour son mari d’un traitement inutile, Agathe Bonitzer, une jeune femme incapable d’accepter l’injustice de sa mort précoce, Ángela Molina, matriarche gitane droite comme un i, Karin Viard, cancérologue compatissante, etc.

Si, pendant vingt minutes, on se dit que le film part sur une mauvaise voie mais que son sujet n’en demeure pas moins passionnant (des dimensions rarement évoquées de la fin de vie y sont traitées, notamment le rôle déterminant de l’entourage familial, bénéfique ou maléfique selon les cas), cette accumulation de courtes scènes caricaturales, tellement artificielles, si mal interprétées, devient vite ridicule. Au point que l’envie débilitante et rarissime de quitter la salle m’a pris.

Si le sujet de la fin de vie vous intéresse – et Dieu (!) sait qu’il est intéressant – allez plutôt voir le dernier Almodovar, De son vivant avec l’excellent Benoît Magimel, l’adaptation du roman de Emmanuèle Bernheim, Tout s’est bien passé, le déchirant Blackbird ou, le meilleur de tous, Quelques heures de printemps.

La bande-annonce

April ☆☆☆☆

Obstétricienne dans un petit hôpital au fin fond de la Géorgie, Nina voit sa responsabilité mise en cause après le décès d’un nouveau-né. Une enquête administrative est confiée à l’un de ses collègues qui se révèle avoir été son amant. Parallèlement, Nina se déplace dans les campagnes et y pratique des avortements clandestins lorsque les délais légaux de l’IVG sont dépassés.

Dea Kulumbegashvili est décidément une réalisatrice qui ne laisse pas indifférent. J’avais été profondément marqué par son premier film, Au commencement, hésitant à crier au génie ou à l’escroquerie, et optant finalement pour un « coup de gueule » retentissant. J’ai eu exactement la même réaction en sortant du MK2 Beaubourg, la seule salle parisienne à diffuser April. J’ai été horripilé par ce film qui s’étire pendant plus de deux heures dans des plans fixes d’une durée exténuante. Mais je me suis néanmoins demandé si je n’étais pas passé à côté d’un chef d’œuvre.

April nous vient de Géorgie un pays qui décidément occupe sur la carte du cinéma européen une place intéressante. Nous viennent régulièrement de ce petit pays du Caucase, dont on sait par ailleurs les troubles géopolitiques qu’il traverse, coincé entre l’ours russe et ses aspirations europhiles, des œuvres âpres et intenses : Blackbird, Blackberry, sur l’éveil tardif à la sexualité d’une quinquagénaire, Sous le ciel de Koutaïssi, une languide histoire d’amour dans une petite ville de province plombée par l’ennui, Et puis nous danserons, qui brise le tabou de l’homosexualité au Ballet national géorgien, Khibula, sur la longue errance d’un président déchu et de son dernier quarteron de fidèles, etc.

L’héroïne d’April aurait pu être une femme admirable et courageuse, une Antigone moderne bravant une loi inique pour sauver de grossesses dont elles ne voulaient pas des femmes perdues dans une campagne arriérée. Mais Nina est plus ambivalente. C’est une femme profondément dépressive dont les nuits sont hantées par des visions monstrueuses. Sa nymphomanie – elle saute au paf d’un autostoppeur ou d’un laveur de glaces – cache un profond mal-être. En tous cas, son personnage ne suscite ni l’empathie ni l’identification.

Jusqu’à sa conclusion déroutante, April est un film sinistre dont la lenteur et la noirceur revendiquées ne peuvent que rebuter. Si Dea Kulumbegashvili aspirait secrètement à ce qu’on déteste ses films, elle ne s’y prendrait pas autrement.

La bande-annonce

God Save the Tuche ☆☆☆☆

Cathy Tuche (Isabelle Nanty) est fascinée par la famille royale. L’occasion lui est enfin donnée de se rendre en Angleterre lorsque son petit-fils est sélectionné par la pépinière de jeunes talents d’Arsenal. Son mari, Jeff Tuche (Jean-Paul Rouve), sa mère et ses trois enfants l’accompagnent dans ce nouveau voyage.

Depuis 2011, Les Tuche est devenu une franchise bankable qui attire à chaque opus les spectateurs par millions – même si le quatrième a eu moins de succès (2,4 millions d’entrées) que le troisième (5,7). Ses personnages sont devenus des stars familières des cours de récré : Jeff, sa coiffure improbable, ses bananes, Cathy et son solide bon sens, la grand-mère punk, son sabir délirant et son alcoolisme pas très mondain, Stéphanie, la bimbo pas très futée, Wilfried, qui, contre tout entendement, entend réconcilier le rap et le bal musette et enfin Donald, le petit dernier surdoué…. Le ressort de chaque film est de placer cette famille si fièrement franchouillarde dans son exact contraire sociologique : Monaco (Les Tuche 1), les Etats-Unis (Les Tuche 2), l’Elysée (Les Tuche 3)….

Le succès des précédents épisodes appelle mécaniquement le tournage des suivants. La logique de ses franchises est délétère, qui s’éteindront quand le box office déclinera. On espère que ce sera bientôt le cas pour ces Tuche à bout de souffle qui recyclent, sans souci d’innover, les recettes éculées des films précédents.

Le Covid aidant, j’avais eu la curiosité de regarder à la télé le premier épisode. J’en étais ressorti traumatisé par autant de médiocrité. Mais, le souvenir de ce douloureux précédent s’étant évanoui, je me suis retrouvé dimanche dernier à une avant-première, juste avant le Maria de Pablo Larrain.

Je pensais me divertir gentiment. Je me suis copieusement ennuyé. Pire, je n’ai jamais ri. C’est peut-être le signe que je n’ai aucun sens de l’humour ou que je n’ai pas le même que celui de Jean-Paul Rouve, qui a remplacé derrière la caméra Olivier Barroux, qui a claqué la porte de Pathé, et de ses co-scénaristes. « Moi, je suis Français, je roule à droite » est l’une des plus bêtes et des plus poussives punchlines du film. Et si « Date de naissance ? Le jour de mon anniversaire ! » est sa réplique la plus drôle, je vous laisse imaginer le reste…

La malheureuse Elizabeth II doit se retourner dans sa tombe….

La bande-annonce

La Voyageuse ☆☆☆☆

Iris (Isabelle Huppert), une Française, vit à Séoul des cours de français qu’elle donne à des Coréens déconcertés par sa méthode peu orthodoxe. Un jeune poète coréen lui offre un toit.

Dix ans après In Another Country (2012), cinq ans après La Caméra de Claire (2017), Isabelle Huppert tourne pour la troisième fois avec Hong Sangsoo. La star française s’est abondamment expliquée dans la presse sur l’étonnante méthode du réalisateur coréen et sur le plaisir qu’elle prenait à sa direction : «Moins Hong Sang-soo m’en dit et plus ça me plaît» a-t-ele confié à Libération.

Qu’Isabelle Huppert prenne plaisir à ses tournages – et se fasse payer ainsi des voyages sympas en Extrême-Orient, tant mieux pour elle. Le problème est le spectateur qui est le grand oublié de ces happenings improvisés entre le réalisateur et ses acteurs.

Hong Sangsoo tournant environ deux films par an, j’en ai chroniqué près d’une vingtaine depuis que je tiens ce blog car j’ai le masochisme d’aller les voir tous. Ces critiques sont assez drôles à lire dans leur ordre chronologique – si ce n’est que je m’y répète beaucoup de l’une à l’autre : j’y oscille métronométriquement entre un abattement défaitiste et un sursaut d’indulgence. Comme si j’essayais de me persuader, sans doute influencé par les critiques laudatives de la presse autorisée, que les films de Hong Sangsoo valaient décidément mieux que ce que j’en pensais.

Mais vient le moment de dire stop. Il est peut-être arrivé avec ce film de trop. Qu’y voit-on ? Trois scènes qui s’étirent interminablement (La Voyageuse dure quatre-vingt-dix minutes alors que les précédents films de Hong Sangsoo avaient l’élégance d’en durer quinze ou vingt de moins) entre lesquelles s’intercalent quelques plans de coupe filmés en extérieur. On y voit Isabelle Huppert, qui, dans tout le film, porte la même robe à fleurs et le même gilet vert, successivement dans trois appartements : face à une élève coréenne pianiste amateure, avec une autre plus âgée que rejoint son mari, enfin chez le jeune poète qui l’héberge avant que sa mère ne débarque.
Saute aux yeux la façon surréaliste dont ont été tournées ces scènes : avec deux mots d’indication sur leurs personnages, les acteurs ont été abandonnés à eux mêmes devant une caméra qui tourne sans interruption. On les sent mal à l’aise dans cet exercice d’improvisation qu’ils ponctuent de rires gênés qui masquent mal leur nervosité. On aurait aimé qu’ils se tournent vers la caméra et qu’ils aient le courage de dire : « arrêtons ce cirque ».

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Better Man ☆☆☆☆

Better Man est un biopic consacré à Robbie Williams, le chanteur pop rock anglais. On l’y suit depuis son enfance, dans une famille modeste de l’Angleterre du nord. On le voit acquérir une célébrité inattendue au sein d’un boys band, entamer avec succès une carrière solo, s’enfoncer dans l’alcool et dans la drogue mais finalement réussir à se libérer de ses démons.

Better Man est un film de commande, produit par Robbie Williams lui-même, dirigé par le réalisateur australien Michael Gracey qui s’est fait connaître en signant en 2017 The Greatest Showman, une comédie musicale avec Hugh Jackman que j’avais détestée et assassinée dans ma critique. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, Better Man est du même acabit qui enfile les vidéo clips jusqu’au plus délirant, Rock DJ, filmé sur Regent Street. On se croirait sur MTV, pas au cinéma.

Better Man a une particularité qui aurait pu titiller : son héros est interprété par un chimpanzé reconstitué en image de synthèse. Sa présence pour le moins surprenante au milieu d’une foule d’humains n’est jamais questionnée. On en déduit qu’il s’agit de la façon dont Robbie Williams se voit lui-même et non pas celle dont il est perçu. Ô combien subtile métaphore de sa difficulté à trouver sa place dans un monde auquel il se sent étranger et à se regarder dans le miroir !

Ce biopic d’une banalité crasse coche toutes les cases du genre. Il raconte, comme tant d’autres (Ray Charles, Johnny Cash, Elton John, Freddy Mercury…) avant lui, les passages obligés de la vie d’une rock star : son enfance dans un milieu modeste, ses traumas (ici la relation au père, un crooner de pacotille qui lui transmit néanmoins sa passion pour l’entertainment), sa percée (c’est peut-être la partie la plus réussie, ou disons la moins ratée, du film, qui montre comment un boy’s band qui visait un public gay est devenu à son corps (!) défendant l’idole des midinettes), l’expérience traumatisante d’une célébrité envahissante, la déchéance avant la rémission finale.

Les fans de Robbie Williams s’y retrouveront peut-être. Je n’en fais pas partie. J’avais même confondu son nom avec celui de Robin Williams, me demandant pourquoi diable le héros de Mrs Doubtfire et du Cercle des poètes disparus jouait dix ans après sa mort dans le biopic d’un chanteur anglais !

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Six Jours ★☆☆☆

Un inspecteur de police lillois (Sami Bouajila) ne se remet pas d’une affaire dont il a eu la responsabilité dix ans plus tôt et dont les faits seront prescrits dans six jours à peine. Une fillette avait été kidnappée. Elle était morte dans les bras de sa mère (Julie Gayet) et le ravisseur avait réussi à s’enfuir avec la rançon au nez et à la barbe de l’inspecteur chargé de l’arrêter.

J’ai pris devant Six jours le même plaisir et ai éprouvé la même déception qu’à la lecture d’un (mauvais) polar. Certes je n’ai pas regardé ma montre – comme on tourne les pages d’un polar en perdant la notion du temps – tout entier happé par la résolution d’un mystère qui révèle progressivement son double fond. Mais j’ai trouvé ce film d’une grande banalité, son scénario lesté de rebondissements extravagants, son casting rempli de gloires recyclées, son image grise et laide. J’ai cru un temps m’être égaré devant une publicité sponsorisée par Lille métropole. J’ai failli crier au plagiat devant son affiche et devant l’une de ses scènes principales pompées du chinois Une pluie sans fin.

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Nosferatu ☆☆☆☆

La jeune Ellen (Lily-Rose Depp) est hantée depuis son plus jeune âge par des cauchemars. Son époux, Thomas (Nicholas Hoult), travaille à Wisborg en Allemagne dans une étude de notaire. Il a été missionné en Transylvanie par son employeur pour en ramener le comte Orlock, un riche propriétaire terrien qui souhaite faire l’acquisition d’une belle demeure. Le vieil homme, à la table duquel Thomas est convié au terme d’un long voyage, se révèle être un vampire qui a passé un pacte de sang avec Ellen dont il hante les nuits. Thomas parvient de justesse à lui échapper mais Orlock réussit à embarquer à bord d’un navire qui fait voile vers Wisborg.

Fort de la célébrité que lui ont value ses précédents films (The Lighthouse, The Nothman), Robert Eggers s’attaque à l’un des films les plus mythiques du cinéma. Nosferatu le vampire de F.W. Murnau a créé en 1922 un genre appelé à un succès immense : le film d’horreur (les puristes objecteront, et ils auront raison, que Méliès en signa le tout premier dès 1896, Le Manoir du diable). Il s’agissait de l’adaptation du roman de Bram Stoker Dracula, dont le studio de Murnau n’avait pas eu les moyens d’acheter les droits.

Roberte Eggers a quasiment tout gardé du film de Murnau : le nom des personnages, l’intrigue et son dénouement. Cette fidélité à l’original interroge. Pourquoi un cinéaste réalise-t-il, sans rien y apporter de nouveau, le remake d’un grand film indépassable ? Ne sait-il pas son entreprise condamnée par avance ? Les plus grands pourtant s’y sont aventurés sans succès : Gus van Sant avec Psycho, Steven Spielberg avec West Side Story.

Le film de Murnau, muet et en noir et blanc, a plus de cent ans. Celui de Robert Eggers peut raconter la même histoire autrement, avec des techniques beaucoup plus sophistiquées. Il ne s’en prive pas. À condition de ne pas être allergique aux jump scares et aux coups de cymbales, son Nosferatu est un émerveillement pour l’oeil. Il contient sans doute quelques-uns des plans les plus beaux qu’il ait été donné de voir dans cette année qui s’achève.  Mais – et c’est à mes yeux le second défaut rédhibitoire de ce film – il se réduit vite à cela : une surenchère de plans tous plus parfaits les uns que les autres mais qui, mis bout à bout, ne font guère de sens.

Pourtant, la figure du vampire ouvre à des questionnements angoissants : la vie après la mort, le sang et sa transmission, la relation au corps, la sexualité et sa découverte (qu’on songe au succès planétaire de Twilight). Ces thèmes sont ici à peine ébauchés. Tout se passe comme si – et c’est là que ma seconde critique rejoint la première – prisonnier d’une « sur-esthétisation maniaque » (l’expression est de Mathieu Macheret dans Le Monde), Eggers s’en était remis à Murnau pour raconter une histoire dont il se désintéresse.

La bande-annonce

100 000 000 000 000 – cent mille milliards ☆☆☆☆

Afine est escort à Monaco. Il partage une villa sur les hauts de Nice avec trois amies, escorts comme lui, qui partent à Dubaï passer les fêtes de Noël. Resté seul, Afine traîne son ennui dans les rues silencieuses de la principauté, éclairées par les illuminations de Noël. Une de ses clientes, une plantureuse sexagénaire, l’emmène faire des courses, manger une glace, se baigner dans sa piscine. Afine croise une amie serbe qui s’est vu confier par des parents milliardaires la garde de Julia, une enfant de douze ans à peine.

Virgil Vernier (Les Mercuriales, Sophia Antipolis) est un réalisateur français proche de Bertrand Mandico ou de Yann Gonzalez qui entend réinsuffler un peu de magie dans notre quotidien désenchanté. Il revendique une esthétique kitsch et queer.

Son troisième film – dont rien ne vient expliquer le titre – est un croisement improbable entre le documentaire et le conte. Documentaire : il se déroule dans la principauté monégasque dont le luxe ostentatoire et triste déborde dans les ruelles pendant les fêtes de fin d’année. Conte : les parents de Julia se font construire une île pour s’y réfugier après une catastrophe écologique mondiale imminente.

Au risque de me montrer bien dur, je ne trouve rien à sauver dans ce cinéma-là. Ni la pauvreté du jeu des acteurs, ni l’indigence du scénario, ni la laideur des images mal éclairées.

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Finalement ☆☆☆☆

Un auto-stoppeur (Kad Merad), la casquette vissée sur la tête, un vieux sac en cuir jeté sur l’épaule, sillonne la France. Il assiste aux commémorations du Débarquement sur le pont de Bénouville, passe devant le Mont-Saint-Michel, achète une trompette à Béziers, prend un bain de foule aux 24 Heures du Mans et danse sous le pont d’Avignon. Pour chacun des conducteurs qui le prend en stop, il s’invente une nouvelle identité, prêtre défroqué, réalisateur de films X, amant meurtrier, et raconte les crimes qu’il aurait commis et qui expliquent sa cavale. Il s’agit en fait d’un grand avocat parisien, Lino Massaro, atteint d’une maladie dégénérative. Lino finit par croiser dans une ferme bourguignonne une accorte paysanne (Françoise Gillard). Sa femme (Elsa Zylbertstein) et son meilleur ami (Michel Boujenah) essaient en vain de le retrouver.

À quatre-vingt-sept ans passés, Claude Lelouch sort son cinquante-et-unième long métrage. Incroyable carrière d’un immense réalisateur qui a accumulé les plus grands succès (Un homme et une femme, Itinéraires d’un enfant gâté, Les Uns et les Autres…) et tourné avec le Gotha du cinéma français (Trintignant, Piccoli, Ventura, Belmondo…). Son style inimitable se reconnaît au premier plan : de longs dialogues filmés en plans-séquences laissant une large place à l’improvisation, une caméra virevoltante qui tournoie autour des acteurs, une musique omniprésente avec quelques « tubes » qui restent longtemps dans l’oreille…

Je lui voue une fidélité sans réserve et suis allé voir tous ses films depuis que j’ai l’âge d’aller au cinéma. Il faut dire que, dans les années 80, leur sortie était un sacré événement. Je me souviens encore du choc causé par Les Uns et les Autres, de la mystérieuse bande-annonce de Viva la vie et de l’immense succès d’Itinéraires d’un enfant gâté.

Mais la vérité oblige à dire que Lelouch a vieilli et qu’il a mal vieilli. Son cinéma se répète. Son cinéma bégaie. Kad Merad est le copier-coller du Belmondo d’Itinéraires. Même personnage, même dégaine, même fuite hors du monde… Sauf que la production est moins richement dotée et qu’au lieu des chutes Victoria, on filme le Mont Saint-Michel…. Francis Lai est mort ; Ibrahim Maalouf signe la musique ; Didier Barbelivien écrit encore tant bien que mal les chansons. Ses textes sont d’une indigence rare : « Maintenant, le temps efface / Nos regards devant la glace / Maintenant, le cœur se lasse / La vie passe, nous enlace / Nous embrasse et nous remplace ». Quant aux dialogues, ils nous servent sentencieusement quelques aphorismes tout droit sortis d’un manuel de feng shui : « tout ce qui nous arrive, c’est pour notre bien ! », le « livre de la vie (…) ne se lit pas deux fois »etc.

Pire : Lelouch entonne le refrain rance du « c’était-mieux-avant ». À l’en croire, dans la France post #MeToo, on n’aurait plus le droit de ne rien dire sous peine d’être immédiatement dénoncé à la police comme sous l’Occupation : ne plus dire son amour des femmes, sans être accusé d’être un violeur. D’où l’héroïsation d’un personnage qui s’autorise, lui, à tout dire. Finalement se voudrait iconoclaste, libéré du politiquement correct qui corsète notre époque ; c’est au mieux malaisant, au pire ridicule.

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Sarah Bernhardt, La Divine ★☆☆☆

Sarah Bernhardt (1844-1923) est considérée comme l’une des plus grandes tragédiennes de son temps. Elle fut, avant l’invention du cinéma, la première star mondiale.

À l’heure où le moindre artiste un tant soit peu célèbre, écrivain, peintre (Manet), chanteur de variété (Aznavour, Gainsbourg, Piaf), star de rock, couturière (Coco Chanel) se voit consacrer son biopic, il était inévitable que le cinéma français s’empare de la figure haute en couleur de Sarah Bernhardt. Femme libre, immense actrice de théâtre, elle incarne à elle seule une période, celle de la Belle Epoque, tellement cinégénique.

Guillaume Nicloux, plus à l’aise dans le polar poisseux que dans le film d’époque, s’acquitte dignement de la tâche. Les décors et les costumes sont resplendissants ; le casting rassemble tout ce que la Comédie-Française a de meilleur : Laurent Lafitte, Laurent Stocker, Sébastien Pouderoux. Et Sandrine Kiberlain, plus exubérante que jamais, lâche les chevaux en tête d’affiche.

Le problème de ce film est son point de vue. Sarah Bernhardt nous est certes présentée comme une femme libérée, une féministe avant l’heure, bisexuelle et ne se cachant pas de l’être, dreyfusarde quand l’antisémitisme suintait par tous les pores de la IIIème République. Mais elle est somme toute ramenée à un schème très sexiste : une femme qui n’a aimé qu’un seul homme, Lucien Guitry (Laurent Lafitte), et s’est consumée d’amour pour lui.

Plus grave encore : on nous vend le biopic d’une actrice qu’on ne voit jamais jouer. Pas une scène où on la voie sur scène ! C’est un comble ! Et surtout pas une scène où on l’entende parler de son art, sinon quelques allusives allusions à Lorenzaccio, à Cyrano – qu’elle reproche à Rostand d’avoir écrit pour Coquelin – ou à Shakespeare.

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