Le mal n’existe pas ☆☆☆☆

Takumi élève seul sa fille Hana, en harmonie avec la nature dans un petit village isolé du monde au cœur de la forêt. Un projet de « camping glamour » en menace le paisible équilibre.

Il est des films unanimement encensés que j’ai ratés. Ratés ne signifie pas que je ne les ai pas vus. Mais que je les ai mal vus. Que je suis passé à côté. Ils ont reçu des louanges unanimes. Mais je ne les ai pas aimés. Le Règne animal est de ceux-là. Drive my Car aussi.

Et je dois hélas ajouter Le mal n’existe pas du même Ryusuke Hamaguchi que décidément je ne comprends pas, à cette liste. Je n’en ai pourtant lu que du bien : Télérama se pâme, Le Monde frise l’orgasme, Première l’a élu film du mois. Et moi ? J’ai dormi !

Vous me direz que si je n’avais pas dormi, j’aurais peut-être aimé. Mais, comme l’oeuf et la poule, le sommeil et le – mauvais – film entretiennent un lien de causalité indémêlable : si j’ai dormi, c’est parce que je suis un vieillard narcoleptique, mais c’est aussi parce que la première moitié du film m’a assommé d’ennui.

Mettons de côté mes troubles de sommeil, mes goûts et mes dégoûts nombrilistes et parlons du film. Élégie écolo ? Fable politique ? Western contemplatif ? Superbe écrin à la musique planante de Eiko Ishibashi – qui vit dans la région où le film a été tourné et autour de la musique de laquelle il a été écrit par son réalisateur ? Peut-être.

Ce que j’ai surtout aimé dans ce film y est accessoire. C’est le long débat public qui confronte deux consultants fraîchement débarqués de Tokyo pour présenter leur projet de « glamping » aux habitants du village qui lui sont hostiles. Une telle confrontation, en France, aurait tourné à la dispute, aux injures, aux coups peut-être. Rien de tel au Japon où pourtant, le fond du problème est le même : d’un côté, deux blancs-becs essaient de parer de beaux mots un projet nuisible, de l’autre des paysans bourrus leur opposent leur solide bon sens. Au Japon, on ne s’invective pas, on s’insulte encore moins. Si on n’est pas d’accord, on l’exprime avec mille précautions. Mieux encore : on écoute les arguments de son contradicteur, voire on accepte de changer d’avis et de reconnaître ses torts.

Cette scène est le pivot du film. C’est celle qui le fait démarrer – même si elle survient vingt bonnes minutes après son commencement – et qui crée une tension. C’est aussi l’occasion d’un changement de focale, les deux consultants tokyoïtes devenant alors les personnages principaux d’une histoire qu’on pensait cantonnée aux limites de ce petit village sylvestre.

Mais le film revient bientôt dans son lit, qui m’a tellement ennuyé au point de m’assoupir : la forêt, sa sauvage beauté, indifférente au Bien et au Mal, le tout enrobé dans la même phrase musicale certes poignante mais ô combien répétitive après deux heures de projection.

En confessant mon manque d’appétence pour ce film, je ne me pose pas en rebelle. Je suis bien trop conformiste pour de telles postures. Pas plus n’est-il dans mon intention de vous dissuader de le voir. Car je comprends parfaitement que ce film puisse plaire. Je respecte plus simplement la règle du jeu (du je ?) qui régit ce blog : une subjectivité cinéphile et argumentée.

La bande-annonce

Madame Hofmann ☆☆☆☆

Sylvie Hofmann travaille depuis quarante ans à l’Hôpital Nord de Marseille. Cadre au service d’oncologie, la vie ne l’a pas épargnée : sa mère, octogénaire, qui fut infirmière elle aussi, enchaîne les cancers à répétition ; sa fille, atteinte d’une grave maladie respiratoire à la naissance, a longtemps nécessité  ses soins attentifs ; son compagnon, après un quadruple pontage coronarien, a pris une retraite anticipée dans les Hautes-Alpes. Sylvie Hofmann elle-même a mal supporté le Covid, la pression sur les lits, ses protocoles draconiens. Atteinte d’une surdité partielle, peut-être causée par le surmenage, elle décide de prendre sa retraite.

Sébastien Lifshitz a remporté le César du meilleur documentaire à deux reprises : en 2013 pour Invisibles et en 2021 pour Adolescentes. Il décrivait dans le premier la vie ordinaire de couples homosexuels, en démontrant, à rebours des outrances incendiaires des opposants au mariage pour tous, que les gays n’étaient ni des monstres dénaturés ni des pervers partouzeurs. Dans le second, il suivait pendant cinq ans, de la quatrième à la terminale le parcours de deux adolescentes de cette France qu’on ne dit plus « profonde » mais « périphérique » depuis que le géographe Christophe Guilluy en a popularisé l’expression.

En filmant Sylvie Hofmann, il donne un visage à ces soignants pour lesquels, pendant le confinement, la France, pour une fois unanime, a fait tintinnabuler ses casseroles à vingt heures tapantes. Il joue sur la corde de l’empathie en filmant cette « mère courage » à l’accent chantant, qui a consacré sa vie à ce dur métier, qui s’est tant dévouée à sa tâche et qui peut enfin revendiquer le droit à se reposer. Si j’en crois les critiques élogieuses que j’en lis ici ou là, l’objectif est atteint : « Magnifique portrait d’une très belle personne. C’est émouvant et profondément humain. Que ça fait du bien de voir cela aujourd’hui! » écrit alexis01 sur Allociné.

Aussi, je me sens d’autant plus monstrueux de ne pas communier avec l’enthousiasme général. Madame Hofmann ne m’a pas convaincu. Pire, il m’a irrité. Tout a commencé avec la bande-annonce dont la tonalité victimaire m’avait déplu. Le documentaire hélas est de la même farine. Son héroïne se plaint. Elle se plaint beaucoup. Elle est effroyablement auto-centrée. Tout tourne autour d’elle : quand sa mère lui parle du quatrième cancer consécutif qui la frappe, sa réaction est de s’inquiéter des « gènes pourris » qu’elle lui aurait légués. Elle passe son temps à se vanter d’avoir la carapace épaisse pour se plaindre sans cesse des fissures qui risquent de la faire exploser.

L’image que donne ce documentaire de l’hôpital est particulièrement pauvre. Autrement moins intéressante et subtile que celle que donnent ceux, nombreux, tournés dans ce cadre : Nicolas Philibert sur la formation des infirmières, De chaque instant, Claire Simon sur le corps des femmes en souffrance, Notre corps, sans oublier la série Hippocrate avec Louise Bourgoin ou le film L’Ordre des médecins avec Jérémie Renier. La caméra, à force de se focaliser sur Sylvie Hofmann, ne filme rien d’autre : ni ses collègues, réduites à des seconds rôles, alors qu’il y aurait eu beaucoup à dire sur l’évolution du métier et la façon dont le vivent les jeunes générations, ni les médecins qu’on ne voit jamais à l’exception de la figure paternaliste du chef de service, ni surtout les patients, qui sont les grands absents du film, ou leurs familles.

Et que dire de la musique sursignifiante qui souligne chaque plan et de la mise en scène qui sent à plein nez l’artifice : on ne nous fera pas croire que la scène où Sylvie Hofmann annonce au médecin-chef que l’un de ses patients vient de décéder à la sortie du bloc opératoire n’a pas été rejouée pour les besoins de la cause.

J’aurais difficilement assumé mon hostilité si je n’avais vu ce documentaire en compagnie d’une professionnelle de santé qui, à mon grand soulagement, a partagé mon irritation et m’a dit ne pas s’être reconnue dans l’image sulpicienne ainsi donnée de sa profession et de son vécu.

La bande-annonce

La Vie de ma mère ☆☆☆☆

Pierre (William Lebghil) a la trentaine déjà bien entamée. Pourtant, il peine encore à se stabiliser. Professionnellement : la fleuristerie qu’il a reprise n’a pas encore atteint le point d’équilibre. Sentimentalement : il ne parvient pas à se déclarer à Lisa (Alison Wheeler). La raison de ces blocages réside dans sa relation compliquée à sa mère (Agnès Jaoui) qui revient brutalement dans sa vie, après deux ans d’absence. Gravement bipolaire, elle vient de s’échapper du centre psychiatrique où elle avait été internée. C’est à Pierre qu’il incombe de l’y reconduire.

Je suis allé hier en traînant les pieds voir, dans une salle pourtant comble, La Vie de ma mère, quatre semaines après sa sortie… et mes craintes se sont hélas avérées fondées. La Vie de ma mère fait partie de ces films dont tout le sujet tient dans sa bande-annonce et dans son pitch.

Aucune surprise ne doit en être attendue. Ni dans le jeu des acteurs : Agnès Jaoui surjouera encore plus ce qu’elle a l’habitude de jouer – la mamma attachante et exaspérante – et William Lebghil endossera le rôle pas si ingrat du fils chargé de fliquer sa mère, entre rodomontades et attendrissement lacrymal. Ni dans le scénario, une « comédie de l’empêchement » dont l’issue – le retour de Judith dans son HP – est sans cesse contrariée par une série d’obstacles, une halte dans une station-service qui tourne en eau de boudin, un passage sur la tombe du grand-père, un coucher de soleil sur la dune du Pilat, etc. À chaque fois que Pierre est sur le point d’atteindre son but, il suffit au spectateur d’un coup d’oeil à la montre pour savoir s’il y parviendra ou pas encore.

Il y a cinq ans, le même film avait déjà été tourné où s’était fracassée Fanny Ardant, perdue dans un cabotinage gênant, Ma mère est folle. Sur la bipolarité, ceux qui en souffrent et ceux qui doivent au quotidien la prendre en charge, était autrement convaincant Les Intranquilles avec Damien Bonnard et Leïla Bekhti.

La bande-annonce

The Sweet East ☆☆☆☆

Lilian (Talia Ryder) est une jeune lycéenne sans histoire qui profite d’un voyage de classe à Washington DC pour prendre la clé des champs. Sa folle errance du New Jersey au Vermont la conduira chez des hippies antifas, des suprémacistes blancs, un prof de fac libidineux, des artistes noirs hyperbranchés et finalement dans un camp d’entraînement de musulmans en armes.

The Sweet East est un pur produit indie qui en a la fraîcheur, la spontanéité, mais aussi les tares jusqu’à la caricature. La rumeur bienveillante qui l’entoure est largement exagérée. Il est filmé avec un amateurisme revendiqué qui rappelle les projets de fins d’études, filmés à l’arrache par une bande délirante de copains, avec deux bouts de ficelle et de mauvais raccords.

Le scénario s’inspirerait d’Alice au pays des merveilles, l’histoire d’une innocente jeune fille passée de l’autre côté du miroir. C’est surtout le prétexte à une succession sans gradation de saynètes, une collection de tout ce que l’Amérique compterait de plus déjanté. Cette accumulation porte-t-elle un message politique ? décrit-elle une Amérique en déréliction, fragmentée en une myriade de groupuscules tous plus extrémistes ? Même pas.

Prix du jury au dernier festival de Deauville, The Sweet East se contente de surfer d’une histoire à l’autre, sans s’attarder ni rien approfondir. Les épisodes que traverse son héroïne ne la touchent pas. Ils ne nous touchent pas non plus.

La bande-annonce

Comme un fils ★☆☆☆

Jacques Romand (Vincent Lindon) est en pleine dépression après le drame familial qu’il a vécu. Après une altercation au collège où il enseigne, amplement relayée sur les réseaux sociaux, il a demandé une disponibilité à l’Education nationale. Un soir, il est témoin d’un vol à la supérette où il fait ses courses et collabore à l’arrestation d’un des larrons. Victor (Stefan Virgil Stoica) a quatorze ans. Il est rom. Orphelin, il est sous la coupe de son oncle qui le bat comme plâtre s’il ne ramène pas chaque jour le fruit de ses petits larcins. Jacques n’accepte pas d’abandonner le gamin à son sort et décide, avec l’aide de Harmel, la directrice d’une association, de lui venir en aide.

Je suis allé voir avec des semelles de plomb ce film dont la bande-annonce avait été diffusée ad nauseam pendant tout le mois de février. Il ne passait plus en troisième semaine que dans une seule salle parisienne, à des heures improbables, signe évident de son échec cinglant. Pourtant j’aime beaucoup le cinéma noir et tendu de Nicolas Boukhrief (Le Convoyeur, Made in France, Trois Jours et une vie…).

Abandonnant son registre habituel, Boukhrief marche sur les pas du cinéma social des frères Dardenne et de Stéphane Brizé. On pense aux premiers, et notamment au Gamin au vélo, un de leurs tout meilleurs films, qui racontait aussi l’histoire de l’attachement d’une adulte (Cécile de France) pour un enfant. On pense évidemment au second à cause de Vincent Lindon, son acteur fétiche. Le futur candidat à l’élection présidentielle – Le Monde, dans un long reportage, racontait le mois dernier ce fantasme délirant – se plaît à passer le costume d’un rôle qui lui est désormais familier : celui du mâle blanc d’âge mûr qui tout à la fois porte sur ses épaules le poids de la culpabilité de notre système injuste/capitaliste/postcolonial, refuse de se laisser broyer et puise dans les forces qui lui restent le ressort d’une juste colère.

Ce message, si politiquement correct, me sort des yeux. Je conçois volontiers la subjectivité de ma réaction et j’accepte tout aussi volontiers qu’on ne la partage pas. On me rétorquera – et on n’aura pas tort – que les violences infligées à ce gamin, la main tendue de cet homme en miettes, la manière dont il aide ce fils de substitution (ah ! le titre !) tout en se reconstruisant sont justes et belles. On pourra même ajouter que ces sentiments là sont préférables à ceux, radicalement opposés, qui prôneraient le racisme ou l’exclusion. Ces arguments sont recevables. Mais tant de bien-pensance mielleuse finit par coller aux doigts.
Et, si on revient d’un terrain politique vers celui plus strictement cinématographique, on ne peut que bâiller d’ennui devant un scénario qui déroule un récit dont on connaît depuis la bande-annonce le début, le milieu et la fin.

La bande-annonce

Une famille ☆☆☆☆

Née en 1959 à Châteauroux, Christine Schwartz n’est reconnue qu’à quatorze ans par son père qui lui transmet son patronyme. Christine Angot est violée par son père entre treize et seize ans. Elle révèle l’inceste qu’elle subit en 1999. Elle en fait le sujet de plusieurs de ses livres : L’Inceste, Un amour impossible, Le Voyage dans l’Est. Elle a décidé de poursuivre au cinéma son entreprise littéraire.

Depuis vingt-cinq ans maintenant, Christine Angot est devenue un personnage de la scène littéraire. On connaît ses livres, qui ont fait naître un courant littéraire prolifique, l’ego-histoire. On connaît ses interventions médiatiques transgressives dans des émissions de grande écoute. On connaît surtout le traumatisme qu’elle a subi adolescente, dont elle ne s’est jamais remise et qui constitue l’objet sans cesse recommencé de sa création littéraire.

La soixantaine bien entamée, Christine Angot n’a pas changé. La colère qui l’anime ne s’est pas apaisée. Alors même qu’elle avoue que son histoire l’écrase, elle continue à la ressasser et en fait le sujet central de son premier documentaire. Questionnant la famille qui l’entoure, elle sillonne la France pour rencontrer ses proches – sa belle-mère, sa mère, son ex-mari, son actuel compagnon, sa fille…- et les interroger sur le sens qu’ils donnent au crime qu’elle a subi.

Une famille débute par une séquence sidérante. Elle a été tournée en septembre 2021 à Strasbourg où Christine Angot était allée présenter son dernier livre. À cette occasion, elle se rend au domicile de la veuve de son père. Elle n’en cache ni le nom ni l’adresse. Elle sonne à sa porte, en force l’entrée et lui impose la présence d’une équipe de tournage pour recueillir son témoignage. L’atteinte à la vie privée de cette personne, filmée contre son gré, est flagrante. La défense de l’avocat de Christine Angot, qui estime qu’en révélant les dénis des conséquences de l’inceste sa cliente accomplit une œuvre d’intérêt général à laquelle l’intimité de la plaignante ne saurait être opposée, ne tient juridiquement pas la route.

Si elle est bien plus violente que celles qui suivent, cette première séquence est au diapason du film et en donne le ton. Dans une démarche vengeresse, Christine Angot se filme sillonnant la France pour aller demander des comptes à ses proches. Qu’elle ait été victime d’un crime odieux, qu’elle en porte encore les séquelles, nul ne le lui conteste et, mieux encore, tous aujourd’hui en conviennent – alors que fut un temps, heureusement révolu, où sa parole a été mise en doute et son traumatisme euphémisé. Que sa « famille » ne lui ait pas montré à l’époque des faits et, dans une certaine mesure, renâcle encore aujourd’hui à lui témoigner la solidarité qu’elle aurait méritée, chacun aujourd’hui le reconnaît volontiers et le déplore.
Mais l’outrage qu’elle a subi ne saurait exonérer l’autrice-réalisatrice de toute mesure. Elle n’a pas le droit, en son nom, de tout ramener à son statut de victime. Si sourcilleuse sur sa vie privée et les violences qu’elle a subies, elle gagnerait à l’être de temps en temps sur celle de ses proches et les atteintes que sa violence leur cause.

La bande-annonce

La Grâce ☆☆☆☆

Un homme taiseux et une jeune fille boudeuse sillonnent le Caucase russe à bord d’un vieux van rouge à bout de course. Lentement on comprend qu’ils sont père et fille et qu’ils s’arrêtent dans des villages reculés pour y projeter sur un écran blanc des films et y vendre sous le manteau des DVD interdits. Leur errance les mènera sur les bords de la mer de Barents.

Ilya Povolotsky est un jeune réalisateur russe exilé en France. Son premier film a été sélectionné à la Quinzaine des cinéastes à Cannes.
Cette entrée en matière pose question. Apprécierait-on différemment ce film si son réalisateur n’était pas réfugié politique ? Aurait-il été sélectionné à Cannes s’il avait été un thuriféraire de Vladimir Poutine ?

La Grâce est un film aride et exigeant. Son titre louche du côté de Bresson, de Tarkovsky, de Bergman ou de Bruno Dumont. Excusez du peu. De quoi parle-t-il ? D’une relation père-fille sans parole, de deuil, d’émancipation…

Je comprends qu’on puisse le tenir pour un chef d’oeuvre. Je comprends tout aussi bien qu’on puisse s’y ennuyer copieusement. C’est que La Grâce dure près de deux heures alors que son propos aurait pu, sans préjudice, tenir en moins d’une heure trente. Estimons nous heureux : il aurait pu durer trois heures !

Que s’y passe-t-il ? Quasiment rien. On y voit ce fameux minivan rouge sillonner la campagne.. Aux langues utilisées – le géorgien, le balkar, l’adyguéen – on comprend qu’on est au nord du Caucase. Quasiment aucun mot n’est échangé entre la fille et son père, qui entretient quelques liaisons avec des inconnues de passage au grand dam de sa fille, laquelle de son côté, se languit de connaître un premier amour émancipateur.

Sans transition – ou alors l’ai-je raté dans un moment d’assoupissement – on se retrouve dans une station météorologique désaffectée sur les bords d’un océan glacé. Il faut lire le dossier de presse pour apprendre qu’il s’agit de la mer de Barents, à quatre mille kilomètres au nord. C’est là que se déroule l’ultime scène finale, qu’on avait devinée par avance et qu’on attendait impatiemment depuis deux bonnes heures.

La bande-annonce

Le Molière imaginaire ☆☆☆☆

17 février 1673, Molière, exsangue, remonte sur la scène du théâtre du Palais-Royal pour jouer le dernier acte son Malade imaginaire. Dans deux heures il sera mort.

Le film d’Olivier Py commence fort. Il nous promet de nous raconter quasiment en temps réel les derniers moments de Molière et peut-être de résumer toute une vie en l’espace d’une représentation. Il se lance à lui-même un autre défi : celui de rester enfermé entre les quatre murs du théâtre où se donne la pièce – un espace dont il ne s’échappera que pour un épilogue funèbre.

Pour filmer le théâtre, l’immense dramaturge qu’est Olivier Py utilise pour son premier long métrage de cinéma tous les artifices à sa disposition. Son film a l’apparence dun seul plan séquence – alors qu’il est en fait composé d’une trentaine de plans entre lesquels les coutures sont quasiment invisibles. Sacré gageure en terme de caméra, sans cesse en mouvement, de la scène à la salle en passant par les coulisses, en terme d’éclairage, le film ayant été entièrement tourné à la bougie – ce qui, nous a raconté le réalisateur pendant le débat qui a suivi le film, n’est pas si compliqué grâce à l’hypersensibilité des lentilles aujourd’hui – en terme de tension scénaristique aussi.

Le film repose enfin sur un troisième atout de taille : Laurent Lafitte qui, mieux que personne, incarne un mourant, brûlé par sa passion pour la scène, brisé par la désaffection du roi dans lequel il plaçait tous ses espoirs, refusant jusqu’à son dernier souffle de renier son art.

Mais, pour le reste, j’ai tout détesté de ce Molière crépusculaire voire obituaire. Olivier Py se prend les pieds dans la caméra et imagine que ses mouvements épileptiques suffiront à donner du rythme à son récit. On passe alternativement de la scène aux coulisses. Sur scène, Molière, de plus en plus malade, crache ses poumons en récitant son texte. Dans les coulisses, il croise ceux qui l’entouraient et, dans un songe, retrouve même ses chers disparus, son père, tapissier du Roy, sa défunte épouse, Madeleine Béjart….

Faisant fond sur la bisexualité de Jean-Baptiste Poquelin mentionnée par Grimarest dans sa Vie de monsieur de Molière, Olivier Py ne résiste pas au plaisir de filmer complaisamment ses ébats avec un bel Adonis, le jeune acteur Michel Baron, dans une salle d’eaux aux airs de bain turc dans une scène qu’on croirait tout droit sortie d’un porno de M6. Mais le comble est atteint dans de longs dialogues prétentieusement métaphysiques, dont j’aurais aimé pouvoir noter le texte lourdement sentencieux sur Dieu, la vie, la mort, etc. pour mieux les railler.

Cet étalage de pompe a l’élégance de ne durer qu’une heure trente. Il n’en est pas moins interminable. À aucun moment l’émotion ne jaillit, l’empathie ne naît. Beurk…

La bande-annonce

La Bête ☆☆☆☆

En 2044, dans un monde dominé par l’intelligence artificielle, Gabrielle (Léa Seydoux) doit, pour trouver un emploi, se purger des traumatismes qui ont marqué ses vies antérieures. En 1910, elle était une pianiste renommée, mariée à un industriel fabricant de poupées. En 2014, jeune modèle fraîchement débarquée à Los Angeles, elle avait la garde d’une immense villa hollywoodienne. À ces deux époques, sa route a croisé celle de Louis (George McKay) pour lequel elle a ressenti une grande attraction. Mais le pressentiment funèbre d’une catastrophe imminente – la crue de la Seine en 1910, le « Big One » en 2014 – a chaque fois hypothéqué leur relation.

C’est la seconde fois, à quelques mois de distance, que le court roman de Henry James, La Bête dans la jungle, est porté à l’écran. Bertrand Bonello n’a décidément pas de chance avec ses sujets : la même mésaventure lui était arrivée avec son Saint Laurent. Mais il faut reconnaître à sa Bête plus de souffle, plus d’ambition qu’à l’oubliable Bête dans la Jungle de Patric Chiha avec Anaïs Demoustier et Tom Mercier, tout comme son Saint Laurent dépassait de la tête et des épaules le plus plat Yves Saint Laurent avec Pierre Niney.

D’une durée écrasante de près de deux heures trente, La Bête est dominée par la star Léa Seydoux sur laquelle les avis s’opposent. Certains lui reprochent sa généalogie, comme si elle était coupable d’être la petite-fille de son grand-père et lui devait sa célébrité. Autre reproche, plus pertinent celui-ci : la platitude de son jeu. Ses admirateurs renversent ce reproche-là et soutiennent au contraire que c’est sa capacité à résister à la caméra, à ne rien lui donner qui fait sa grandeur, à l’instar d’une Deneuve.
À ses côtés, George MacKay (1917, Captain Fantastic) a la lourde tâche de remplacer Gaspard Ulliel au pied levé, acteur fétiche de Bonello, à la mémoire duquel le film est dédié, qui devait interpréter le rôle de Louis avant que sa mort subite, en janvier 2022, ne l’en empêche. Il doit être assez pénible pour l’acteur anglais qui, dit-on, a appris le français pour les besoins du rôle, d’être sans cesse renvoyé à ce statut de suppléant.

Le scénario de La Bête est sacrément ambitieux. Le court roman de Henry James, comme son adaptation par Patric Chiha, racontait une seule histoire : celle d’un homme et d’une femme qui n’avaient pas vécu ensemble la grande histoire d’amour qui leur était promise par peur de l’imminence d’une catastrophe. Cette histoire-là, La Bête la décline au carré ou même au cube en trois histoires parallèles à trois époques différentes.

Comme toujours, Bonello crée une ambiance à la fois ouatée et élégante – on n’évoque pas assez son travail sur le son. Elle est la marque d’un grand réalisateur dont il serait malhonnête de nier l’immense talent. Pour autant, très subjectivement, je dois confesser, depuis L’Apollonide (2011) et même depuis Le Pornographe (2001), une grande résistance sinon une franche aversion à son cinéma. Je n’y comprends pas grand’chose, à supposer qu’il y ait quelques chose à y comprendre. Plus grave car Bonello je crois est moins un cinéaste de la réflexion que de la perception : il ne me touche pas.

À aucun moment, je n’ai ressenti d’empathie pour Gabrielle dans ce film, sinon peut-être dans les scènes de home invasion, excellement filmées, qui se plaisent à nous vriller les nerfs. À aucun moment, le couple qu’elle forme, ou essaie de former, avec Louis ne m’a semblé crédible. Pire, le film m’a été une épreuve qui m’a donné un seul plaisir : le soulagement de son terme après deux heures trente pénibles.

La bande-annonce

Les Chambres rouges ☆☆☆☆

Le procès de Ludovic Chevalier, accusé d’avoir kidnappé, violé, filmé et tué trois mineurs, s’ouvre au palais de justice de Montréal. Dans l’assistance prennent place deux groupies de l’accusé : Kelly-Anne, mannequin, geek et hackeuse, propriétaire au sommet d’une des plus hautes tours de Montréal d’un immense appartement avec vue panoramique, et Clémentine, d’une origine beaucoup plus modeste, une Québécoise pur jus débarquée à Montréal.

Après Les Faux Tatouages, inédit en France, et Nadia, Butterfly (que je pensais avoir aimé mais dont la critique que j’en ai écrite à la sortie est mitigée, preuve que le souvenir qu’on garde d’un film fluctue avec le temps), Pascal Plante sort son troisième film.

Son sujet est aussi original que stimulant : qui sont ces groupies qui s’entichent de criminels dangereux inculpés des actes les plus horribles, qui leur écrivent des lettres d’amour en prison, qui prennent courageusement leur défense ? Le sujet aurait mérité une étude approfondie, qui emprunte à la fois à la psychologie, à la criminologie et à la sociologie.

Hélas, Pascal Plante nous livre un plat thriller, tourné comme un téléfilm. Il alterne les joutes oratoires du procureur et de la défense au palais de justice et les plongées périlleuses qu’effectue dans le dark web Kelly-Anne, dont les intentions transparentes sont entourées d’un inutile voile de mystère. Ses actrices sont horriblement mal dirigées. Son héroïne, une top model dont c’est le premier film, n’a guère que sa plastique parfaite à faire valoir.

La bande-annonce