Le Royaume ★★☆☆

Lesia est une adolescente corse élevée par sa tante. Sa mère est morte ; son père est un chef de bande en cavale qui, entouré des siens, joue au chat et à la souris avec la police et avec les clans qui lui sont hostiles. Éperdument attachés l’un à l’autre, Lesia et son père réussissent à voler à la vendetta quelques instants d’intimité ensemble.

La Corse est décidément à l’honneur cette année : Borgo en avril, À son image en septembre et Le Royaume le mois dernier. À chaque fois, que le film soit réalisé par un pinzutu comme Stéphane Demoustier ou par un autochtone comme Thierry de Peretti (qui portait à l’écran un roman de Jérôme Ferrari) ou Julien Colonna, la réussite est au rendez-vous

Le Royaume est un film largement autobiographique. Julien Colonna est en effet le fils de Jean-Jé Colonna, un des grands parrains corses décédé en 2006. Il a eu une idée de génie en faisant de son héros une héroïne et en trouvant grâce à un casting sauvage à la fois Ghjuvanna Benedetti, élève en école d’infirmerie, pour interpréter sa fille et Saveriu Santucci, guide sur le GR20, pour interpréter son père. Celui-ci a une trogne incroyable : visage immense, crâne chauve, oreilles en chou-fleur.

L’histoire du Royaume est racontée par les yeux de la jeune fille. Elle est confuse. Et cette confusion est captivante. Pendant la première demi-heure, on ne comprend pas les liens de parenté qui unissent Lesia à sa tante, à son père. Pas plus qu’on ne comprend les raisons que le patriarche a de se cacher, ni les motifs qui l’ont conduit à cette interminable cavale et à cette sanglante vendetta. Tout s’éclaire lors d’un long monologue très émouvant quoiqu’un brin trop sentencieux.

Le Royaume aurait pu se terminer cinq minutes plus tôt. Il se clôt par une postface dont l’utilité interroge : le leste-t-elle d’une conclusion inutile ? ou lui confère-t-elle au contraire une dimension plus épique encore ?

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L’Affaire Nevenka ★☆☆☆

À la fin des années 90, la jeune Nevenka Fernandez se laisse convaincre de rejoindre la liste électorale menée par Ismael Alvarez, le maire sortant de la ville de Ponferrada, dans la province du Leon, dans le nord-ouest de l’Espagne. Sitôt réélu, le maire tout-puissant lui confie la délégation des finances. L’édile, de plus en plus pressant, la courtise et la jeune femme cède à ses avances. Mais quand elle décide enfin de rompre leur liaison, sa vie devient un enfer.

L’Affaire Nevenka ressemble à ces films que Les Dossiers de l’écran, l’émission hebdomadaire d’Antenne 2 des années 70 et 80, diffusait en première partie de soirée, avant qu’un cénacle d’experts ne discute du sujet du film. L’Affaire Nevenka parle d’un sujet et d’un seul : le harcèlement sexuel, évoquant sur son affiche « le premier cas #MeToo en Espagne », alors que le mouvement, on le sait, n’a été lancé qu’en 2017.

Il le fait impeccablement. Et implacablement. C’est sa principale qualité. C’est aussi son principal défaut. Car, bien vite, L’Affaire Nevenka se réduit à son sujet. Il est le face-à-face entre une ravissante jeune femme, douée et intelligente, frêle et fragile, et un ogre au physique de taureau, deux fois plus âgé que sa proie, manipulateur, ivre de son pouvoir. Ce face-à-face, aussi impressionnant soit-il, ne réserve aucune surprise. Il est prévisible de la première à la dernière minute : l’excitation de la jeune femme face à ses nouvelles responsabilités professionnelles, sa gêne face à la cour dont elle est l’objet, sa garde qui se baisse après un dîner trop arrosé, qu’elle regrette bien vite, son désarroi face à l’entêtement de son amant éconduit, jusqu’à son sursaut final et à l’injonction adressée à toutes les femmes dans une situation similaire à ne pas baisser la tête et à témoigner.

Bien sûr, le harcèlement sexuel, tel qu’il est décrit dans le film  est haïssable. Et les témoignages, comme celui-ci, qui permettent d’en alerter l’opinion publique et d’en prévenir la répétition, sont louables. Mais les bons sentiments ne font pas toujours du bon cinéma. L’Affaire Nevenka est l’exemple presque caricatural d’un film qui défend mal une juste cause.

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Rabia ★☆☆☆

Deux amies, à peine sorties de l’adolescence, Jessica (Megan Northam découverte dans Pendant ce temps sur terre et Fario) et Laïla (Natacha Krief), décident de quitter  la France et un quotidien qui les étouffe pour rejoindre en Syrie l’Etat islamique. Elles se retrouvent bientôt à Raqqa, dans une madafa, gouvernée d’une main de fer par Madame (Lubna Abazal).

Rabia raconte une situation qui appartient désormais à l’Histoire et qui a déjà été abondamment filmée : le califat proclamé en 2014 par Daech au nord de la Syrie. Le cinéma a déjà souvent décrit ces jeunes gens, endoctrinés via Internet, qui décident de rejoindre Daech au grand dam de leurs parents : Les Cowboys, Le ciel attendra, Mon cher enfant, ExfiltrésL’Adieu à la nuit, Les Filles d’Olfa… Le plus souvent, ces films se déroulent en France et adoptent le point de vue des parents qui cherchent à comprendre les motifs du départ de leurs enfants ; mais parfois ils les suivent en Syrie comme le belge Rebel ou la mini-série Kalifat diffusée sur Netflix pendant le Covid.

Rabia documente un aspect précis de cette page d’histoire. Il nous plonge à l’intérieur d’une madafa, une maison où les femmes sont enfermées dans l’attente de leur mariage avec un djihadiste. La réalisatrice, allemande, a raconté que ces lieux, dont elle avait appris l’existence grâce au témoignage de survivantes rentrées de Syrie, lui rappelait les Lebensborn nazis, ces pouponnières où grandissaient de fiers rejetons de la race aryenne. Sans avoir besoin de cette funeste référence, le lieu donne froid dans le dos, où s’exerce une violence déshumanisante contre des jeunes femmes, venues du monde entier, dont le passeport et le téléphone portable  ont été confisqués et dont le seul avenir sera d’accepter le mari qui leur sera donné et de lui faire des enfants, avant qu’il ne tombe au combat en martyr.

Aussi intéressant que soit le sujet, Rabia ne convainc pas tout à fait. La faute à une mise en scène qui ne parvient pas à faire oublier son artificialité de carton pâte. L’intérieur de la madafa a été reconstitué dans les locaux désaffectés de France Tabac en Dordogne et cela se sent. Lubna Azabal est certes impeccable et implacable dans son rôle de garde-chiourme sadique. Mais son personnage, comme le reste de l’histoire est trop caricatural, trop artificiel.
Le scénario oublie une dimension passionnante : l’avenir de ces femmes, ballotées entre la Syrie qu’elles cherchent à fuir et leur pays d’origine qui leur reproche leur participation à l’entreprise criminelle dont elles furent les complices avant d’en devenir les victimes. Il oublie aussi d’évoquer leurs enfants, parfois nés de viols sordides ou de vraies histoires d’amour et auxquels, en tout état de cause, on ne saurait reprocher les crimes de leurs pères.

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Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres ★★☆☆

L’oeuvre de Leni Riefenstahl (1902-2003) sent le soufre. La réalisatrice du Triomphe de la volonté (1935) et des Dieux du stade (1938) s’est vu reprocher de s’être fait la propagandiste complaisante du régime nazi. Toute sa vie durant, elle s’est défendue en affirmant qu’elle ne s’intéressait qu’à l’art, pas à la politique. Le documentariste allemand Andres Veiel a eu accès aux 700 cartons de ses archives. Il instruit son procès.

« Peut-on séparer l’oeuvre de l’artiste ? ». La question revient sans cesse, chaque fois qu’un artiste voit planer sur lui la menace d’une condamnation pour un acte commis dans sa vie privée. J’ai tendance moi-même à y répondre par la positive, n’appréciant guère les appels à la censure contre Depardieu, Allen ou Polanski. Le cas Riefensthal pourrait-il me faire reconsidérer ma position trop tranchée ?

Leni Riefenstahl a certes révolutionné l’art du documentaire, en utilisant notamment la plongée et la contre-plongée. Elle a pour ce faire mobilisé des moyens techniques inédits. Mais cette inventivité technique était indubitablement au service d’une idéologie haïssable dont, bien qu’elle s’en défende, Leni Riefenstahl, fut la complice zélée. Certes, la quasi-totalité de la population allemande soutenait Hitler dans les années Trente. Certes encore, on ne pouvait à l’époque imaginer que Hitler allait entraîner son pays dans une guerre totale et que son antisémitisme pathologique allait provoquer la Shoah – même si une lecture attentive de Mein Kampf (1925) aurait pu laisser augurer le pire.

Pour autant, la défense de Leni Riefenstahl ne tient pas, qui toute sa vie durant, avec une énergie pathétique a intenté des procès en diffamation à tous ceux qui lui reprochaient son compagnonnage avec le nazisme. « Je n’ai jamais gazé personne » clame-t-elle. C’est vrai ! Mais n’avoir gazé personne n’innocente pas pour autant Leni Riefenstahl d’avoir soutenu une idéologie qui a gazé six millions de victimes. « Je ne savais rien de ce qui se déroulait dans les camps de concentration » C’est (peut-être) encore vrai. Mais, là encore, c’est un peu court : si elle ne savait rien, c’est aussi parce que ça l’arrangeait bien de ne rien savoir !

Le documentaire de Andres Veiel ne présente pas Leni Riefenstahl sous son meilleur jour. Comme l’indique son affiche française, on y voit une vieille femme narcissique, obsédée, même à 98 ans, de l’image qu’elle donne d’elle-même, exigeant du chef éclairagiste qu’il efface les rides qui pourtant ravinent son vieux visage. Quelques révélations achèvent de la discréditer : le sort qu’elle a réservé à son directeur de la photographie, qu’elle a laissé enfermer dans un asile psychiatrique et stériliser, sa présence en septembre 1939, sur le front polonais, où elle a utilisé des Roms comme figurants dans l’un de ses films et a assisté sans protester à l’exécution de Juifs polonais. Jusqu’à sa fascination dans les années soixante pour les Noubas du sud du Soudan qui témoigne d’un goût suspect pour une race exempte de toute impureté.

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No Other Land ★★☆☆

Basel Adra, un activiste palestinien, est né et a grandi au sud de la Cisjordanie dans un petit village bédouin de la zone C, Masafer Yatta, sous le coup d’un arrêté d’expulsion. Épaulé par Yuval Abraham, un journaliste israélien arabophone, il a documenté de 2019 à 2023 la destruction de son village par l’armée israélienne, s’appuyant sur un jugement de la Cour suprême israélienne pour en déloger ses habitants et y créer un camp militaire.

Couronné du prix du meilleur documentaire au dernier festival du film de Berlin, No Other Land est un film militant. Il est constitué d’une succession d’images tremblantes, tournées la plupart du temps grâce à un téléphone portable, en plein cœur de l’action. Ces images rendent compte d’une situation qui ne peut que choquer : la lutte de David contre Goliath, de la puissante armée israélienne  et de colons ivres de violence contre des familles de Bédouins, implantés sur ces terres depuis plusieurs générations, dont les habitations sont détruites par des bulldozers. Les habitants, contraints de se terrer dans des grottes insalubres pour survivre, n’ont d’autre ressource que de reconstruire la nuit ce qui est détruit le jour. Mais dans ce combat déséquilibré, c’est Goliath qui l’emporte, rasant les maisons, expulsant les habitants, confisquant leurs voitures, bouchant leurs puits.

Filmer. Basel Adra n’avait que cette arme à opposer aux militaires venus détruire les maisons de son village. Il postait ses images sur YouTube pour sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale. C’est par ce biais que Yuval et Basel se sont rencontrés et qu’un collectif israélo-palestinien s’est constitué. Exemple admirable et dérisoire à la fois de la capacité des ressortissants de ces deux peuples à faire cause commune autour de certaines valeurs.

No Other Land manque cruellement de contrepoint. La situation nous est décrite uniquement du point de vue palestinien. Pour déchirante qu’elle soit, elle est pourtant la conséquence d’une décision de justice rendue par une Cour suprême d’un État démocratique. Le film se clôt en octobre 2023. Les représailles annoncées par Netanyahou contre Gaza désinhibent la violence des colons israéliens qui n’hésitent pas à faire usage de la force contre les Bédouins de Masafer Yatta et assassinent le frère de Basel sous ses yeux. Cette violence est inacceptable. Mais on regrette que pas un mot ne soit dit de celle, tout aussi inadmissible, déployée par le Hamas dans ses attaques du 7 octobre.

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Les Reines du drame ☆☆☆☆

En 2055, Steevyshady (Bilal Hassani, le représentant drag de la France au concours Eurovision 2019) raconte la longue et toxique histoire d’amour qui, pendant un demi-siècle a réuni, Mimi Madamour (Luiza Aura), une jeune starlette révélée par un concours de chant télévisé, et Billie Kohler (Gia Ventura) une icône punk.

Les Reines du drame – un clin d’œil à l’expression Drama Queen – est un film qui sort de l’ordinaire. Il explore une veine queer et kitsch qui résonne avec notre époque gender fluid. Comédie musicale remplie de tubes disco sucrés comme des bonbons ou de singles punk acides, Les Reines du drame convoque Mylène Farmer, Britney Spears, Mariah Carey et Buffy contre les vampires. J’étais de loin le plus vieux spectateur dans la salle du Marais qui le projetait hier – et sans doute le plus hétérosexuel.

Les Reines du drame est à la fois un éloge de la liberté sexuelle et du droit d’assumer sa différence, et une critique ironique du star system et de ses dérives.

Ce cinéma-là, dont on ne sait s’il faut le prendre au premier ou au énième degré, est sans doute rafraichissant. Le problème est qu’il est très mauvais. Car il échoue à raconter une histoire, se contentant de nous présenter deux héroïnes et une relation amoureuse dont les tenants et les aboutissants nous sont par avance connus. Car il échoue à mettre en scène un récit, filmant chaque scène comme la précédente, sans temps mort ni changement de rythme, donnant très vite à cette accumulation de chansons (la palme allant à « Je t’ai fistée jusqu’au cœur », répété ad nauseam), de costumes kitsch une tournure répétitive et ennuyeuse alors qu’on en attendait tout le contraire.

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Grand Tour ★☆☆☆

Un jeune employé de la Couronne britannique,  Edward Abbott, en poste en Birmanie en 1918, est pris de panique à l’annonce de l’arrivée à Rangoun de sa fiancée qu’il n’a pas vue depuis sept ans. Il fuit à Singapour, avant de gagner Bangkok, Saïgon, le Japon, les Philippines, puis Shanghai et Chongqing en amont du Yang Tse Kiang. Molly, sa fiancée, le suit à la trace et espère le rattraper.

Depuis la mort du vétéran Manoel de Oliveira (1908-2015), le cinéma portugais a trouvé dans les festivals internationaux un nouveau porte-drapeau en la personne de Miguel Gomes. Diplômé de l’École supérieure de théâtre et cinéma de Lisbonne, il signe en 2012 un film qui le fait connaître du grand public, Tabou, lointainement inspiré du chef d’oeuvre de Murnau, sur la colonisation portugaise et ses lointaines répliques. Son film suivant, Les Mille et une Nuits dure plus de six heures. Il est présenté en trois parties à Cannes en 2015. Je n’en ai vu que la première à sa sortie. Comme Le Journal de Tûoa en 2021, Grand Tour a également eu les honneurs de la Croisette où il a décroché en mai dernier le prix de la mise en scène.

Grand Tour est inspiré d’un roman de Somerset Maugham – qui, pourtant n’est pas crédité au générique. On y retrouve toute l’élégance de cet écrivain tombé dans l’oubli qui a su, comme EM Forster ou Graham Greene, décrire l’ambiance émolliente des colonies britanniques en Asie. L’action se déroule en 1918. Mais la mise en scène a pris un parti audacieux : alterner des images tournées en intérieur avec des acteurs en costumes d’époque et des images en couleurs tournées de nos jours en extérieur. Le cocktail pourrait être détonnant qui mélange ombrelles et téléphones portables. Mais on s’y fait très vite.

La caractéristique du cinéma de Miguel Gomes, on le savait depuis Tabou, est sa langueur. Pour certains critiques, au premier rang desquels ceux du Monde ou de Télérama, qui crient au génie, c’est un gage de qualité. Pour moi, hélas, qui suis bien moins intelligent qu’eux et surtout beaucoup plus narcoleptique,  l’âge aidant, c’est fréquemment une cause de somnolence.

Ca n’a pas manqué avec Grand Tour que j’ai eu le tort d’aller voir hier à l’heure de la sieste, dans une salle douillettement chauffée où j’étais pourtant l’un des plus jeunes spectateurs. Au bout d’une heure, bercé par la douce mélopée des voix off qui accompagnent, en birman, en chinois, en thaï ou en vietnamien, la longue errance d’Edward Abbott, je me suis profondément endormi. Cette longue ellipse me prive peut-être du droit de parler d’un film dont j’ai raté un bon tiers.

Quand je me suis réveillé, le scénario avait changé d’axe. Après avoir suivi Edward dans sa première moitié, il refait le même chemin cette fois-ci avec Molly qui manque de peu de rattraper à chaque étape son fugitif époux. Je ne dirai pas comment cette course-poursuite fort peu hollywoodienne se termine. Cet épilogue, dont je ne suis pas certain d’avoir compris le sens, n’aura pas été de nature à éclairer le souvenir nébuleux que je garderai de Grand Tour.

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En fanfare ★★★☆

Parce qu’il est brutalement frappé par une leucémie dont seule une greffe de moelle osseuse pourrait le sauver, un jeune et brillant chef d’orchestre (Benjamin Lavernhe) découvre qu’il a été adopté à sa naissance. Élevé dans une famille  bourgeoise des Hauts-de-Seine, Thibaut apprend simultanément qu’il a un frère, Jimmy (Pierre Lottin) qui, lui, a été élevé dans les corons. Si tout en apparence sépare les deux frères biologiques, le même don pour la musique les rapproche.

Il y a deux façons de réagir aux feel good movies. La première – qui est souvent la mienne – est, comme Goebbels, de sortir mon revolver, d’en railler les facilités, de se méfier de la larme qu’ils veulent à tout prix faire couler. La seconde est de s’y laisser prendre.

Je l’avoue : je n’ai pas sorti mon revolver, j’ai versé ma larme et me suis laissé prendre à ce feel-good movie, lacrymal à souhait, débordant de bons sentiments. Il se déroule dans le bassin minier du Nord. On n’est pas à Bergues ; mais l’esprit de Bienvenue chez les Ch’tis n’est pas loin dans ce film qui joue sur la corde – si j’ose dire – du régionalisme.

Son scénario est particulièrement improbable. Mais le rythme enjoué avec lequel il est débité excuse ses outrances. La première moitié du film est particulièrement enthousiasmante ; la seconde l’est moins dont on a l’impression qu’Emmanuel Courcol et sa co-scénariste n’ont pas su y mettre un terme et y rajoutent une couche de pathos inutile et indigeste.

Le succès du film doit beaucoup à son interprétation. En tête, Benjamin Lavernhe, le gendre idéal du cinéma français – dont on peut espérer que l’interprétation de l’abbé Pierre ne soit pas mise à son passif depuis que les révélations s’accumulent sur le passé sulfureux du saint homme. Mais celui qui crève l’écran, c’est Pierre Lottin, dans le rôle taiseux du frère que le destin n’a pas favorisé, condamné à servir des nouilles à la cantine du collège alors que son don pour la musique le prédisposait à une carrière aussi brillante que celle de son frère. Un coup de chapeau aussi pour Sarah Suco qui, depuis bientôt quinze ans accumule les seconds rôles (DiscountLa Belle SaisonOrphelineAurore, Guy, Place publiqueLes Invisibles…) et mérite largement son nom en haut de l’affiche.

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La Plus Précieuse des marchandises ★☆☆☆

Dans un lieu et à une époque inconnus, une pauvre bûcheronne recueille, contre l’avis de son mari, un nouveau né abandonné sur les rails d’une voie de chemin de fer.

Inspiré d’un bref conte de Jean-Claude Grumberg, le film d’animation de Michel Hazanavicius brode une métaphore transparente : nous sommes au cœur de la Seconde Guerre mondiale, en Pologne, à une encablure du camp d’Auschwitz, sur le chemin des locomotives qui y conduisent par centaines de milliers les Juifs qui s’y feront gazer.

Un tel sujet ne peut que susciter une admiration révérencieuse. Le film a d’ailleurs été accueilli par une critique louangeuse et un bouche-à-oreille admiratif. Dans quelle mesure la renommée de Michel Hazanavicius, qui a signé quelques-uns des films les plus stimulants du cinéma français contemporain (les deux premiers OSS 117, The Artist, Coupez !) ? On peut se le demander. Aussi est-ce avec beaucoup d’humilité que je ferai entendre deux notes dissidentes.

La première ne concerne évidemment pas la représentation de la Shoah, au sujet de laquelle on ne rouvrira pas le débat lanzmannien, mais le scénario. Je lui ferais deux reproches. Le premier est de reposer sur un ressort bien mince : l’accueil dans ce foyer sans enfant d’un nouveau-né auquel la bûcheronne voue immédiatement un amour inconditionnel et auquel on sait par avance que le bûcheron, sous ses dehors de grand ours mal léché, finira par s’attacher. Le second n’est pas sans lien avec le premier : ce motif-là étant trop mince, le film, après être resté dans l’intimité de ce couple et de cet enfant pendant toute sa première moitié, se voit obligé de quitter ce huis-clos pour entamer une odyssée qui le déséquilibre.

La seconde concerne l’animation. Pourquoi avoir eu recours à cette technique ? Pourquoi ne pas avoir tourné une fiction avec des acteurs de chair et de sang ? Son utilisation répond-elle à un impératif esthétique ? scénaristique ? Suscite-t-elle plus l’émotion ou la réflexion qu’un film « ordinaire » ? Cette technique ne va-t-elle pas rebuter le public adulte auquel le film est destiné – même si on sait, bien entendu, que l’animation pour adultes est un genre qui connaît une popularité grandissante ? Ne risque-t-elle pas d’attirer des parents et leurs très jeunes enfants, comme ceux qui se sont enfuis au milieu de la séance à laquelle j’étais hier lorsque le récit a pris un tour horrifique ?

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Hiding Saddam Hussein ★★☆☆

En décembre 2003, Saddam Hussein, traqué par les 150.000 soldats américains de l’armée d’occupation, est débusqué dans un petit village de la vallée du Tigre. Les images de son arrestation font le tour du monde et suscitent un iconique « Ladies and Gentlemen, We Got Him! » de l’administrateur civil américain en Irak, Paul Bremer. Saddam Hussein sera jugé, condamné à mort et pendu en décembre 2006.
Pendant 235 jours, un modeste fermier l’avait caché. Il témoigne.

Le pitch de ce documentaire est bigrement alléchant. Comment diable Saddam Hussein s’est-il caché de la première armée du monde pendant près de huit mois ? Où s’est-il terré ? Sur quelle complicité comptait-il pour échapper à ses poursuivants ? La réponse est simple : il s’est fait passer pour un vieux paysan dans une ferme tranquille des bords du Tigre.

L’histoire est racontée fort simplement. Alaa Namiq est filmé face caméra. En habit traditionnel, dishdasha et kaffiyeh, assis à même le sol, il s’exprime d’une voix claire et nous tient en haleine pendant une heure et demie en racontant chacun des épisodes de cette histoire incroyable : l’arrivée du raïs, entouré de ses gardes du corps, la crainte révérencieuse qu’il inspire, son installation à la ferme, les visites épisodiques que lui rendent ses fils et son secrétaire particulier, la brutale descente des soldats américains qui, dûment renseignés, débusquent vite le fugitif. Pour donner plus de vie à ce récit, les scènes qu’il raconte sont rejouées par des acteurs.

Hiding Saddam Hussein insiste sur les liens pleins d’humanité qui se sont noués entre ce fermier et son invité pas comme les autres. Son affiche en témoigne qui le montre aidant Saddam à traverser à gué une rivière. Dans une autre scène du film, Alla Namiq raconte avoir donné son bain au raïs et se l’être fait donner par celui-ci en retour. Cette petite musique-là est touchante. Mais, à trop s’y laisser bercer, on risque d’oublier le dictateur sanguinaire qui n’hésita pas à exterminer sa propre population et qui l’entraîna dans deux conflits suicidaires.

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