La Tresse ★★☆☆

Laetitia Colombani, qui avait déjà signé plusieurs films, avant de prendre la plume, a elle-même adapté son premier roman. Publié en 2017, La Tresse a remporté un immense succès. Son adaptation, retardée par le Covid, lui est très fidèle. Elle se déroule sur trois continents et entrelace, comme le faisait déjà le roman, l’histoire de trois femmes.

Smita est une Intouchable. Elle vit dans le nord de l’Inde, avec son mari et sa fille. Elle n’a d’autre solution, pour que sa fille échappe à sa condition misérable, que de l’entraîner avec elle dans un long voyage vers une vie plus heureuse.

Giulia est une jeune fille rêveuse, passionnée de littérature. Son père dirige la dernière perruquerie de Sicile. Mais lorsqu’un accident de la route la plonge dans le coma, c’est à Giulia, qui vient de rencontrer Kamal, de prendre en main la destinée de l’entreprise familiale menacée de faillite.

Sarah est une brillante avocate canadienne qui a tout sacrifié à sa carrière. Elle élève seule les trois enfants qu’elle a eus de deux lits différents. Quand un cancer du sein l’oblige à abandonner son poste, son monde s’écroule.

J’avais lu avec beaucoup de retard La Tresse, à la fois appâté par et méfiant de son immense popularité. J’en avais trouvé les effets faciles ; mais je mentirais en n’avouant pas avoir versé ma petite larme. J’ai eu exactement la même réaction devant le film. Je ne l’ai pas vu à sa sortie fin novembre, dissuadé par des critiques abominables et l’avis de quelques amis de confiance. Mais, le voyant encore caracoler en haut du hit-parade et n’ayant plus guère de films serbo-moldaves en noir et blanc à me mettre sous la dent, je me suis trouvé bien snob de l’ignorer. Je suis allé hier soir dans une petite salle de la rue Mouffetard pleine à craquer de spectateurs et de spectatrices de tous âges dûment équipés en Kleenex qui en sont sortis ravis.

J’en ai eu moi aussi pour mon argent et j’ai versé ma larme, avec plus de discrétion j’espère que mes bruyants voisins. Pas une seule surprise néanmoins devant un film qui adapte fidèlement le livre, sa construction alternée – qui a l’avantage de soutenir l’attention et l’inconvénient de devenir un peu mécanique, comme le tempo métronomique d’une valse – ses personnages charismatiques, ses rebondissements jusqu’à son dénouement qu’on avait déjà deviné, avant même de lire le livre, à la seule lecture de son titre.

La Tresse est un hymne à la résilience. C’est aussi un hymne aux femmes. C’est enfin un tour du monde. Le film souligne chacun de ces éléments. Les personnages et les situations frisent la caricature. Les trois héroïnes réussissent vaillamment à se relever des pires échecs. La beauté des paysages filmés grand angle est amplifiée par la musique envahissante de Ludovico Einaudi.

La Tresse ne fait pas dans la nuance. Est-ce pour autant un mauvais film ? Je suis partagé. Tout dépend de la définition qu’on donne d’un « bon » film. Une question qu’il serait grand temps que je me pose alors que je suis sur le point de signer la 2867ème critique de ce blog. Un film qui tient le spectateur en haleine avec un scénario palpitant comme La Mort aux trousses ? Un film qui innove par sa façon de raconter une histoire ou de filmer ses acteurs comme Citizen Kane ? Un film qui exalte la beauté de ses stars comme Gilda ? Un film qui interroge la condition humaine comme 2001 ou La Liste Schindler ? Un film qui nous fait rire ? qui nous fait pleurer ?
« La principale règle est de plaire et de toucher. Toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première » disait Racine, qui doit se retourner dans sa tombe alors que j’utilise ses mots pour défendre La Tresse aujourd’hui et, qui sait, Les Tuche 5 demain.

La bande-annonce

Augure ☆☆☆☆

Après une longue absence, Koffi (Marc Zinga) revient au Congo présenter sa compagne Alice (Lucie Debay), enceinte de jumeaux, à sa famille. Mais Koffi, qui souffre d’épilepsie et a un angiome sur la joue gauche, passe pour un sorcier chez les siens qui l’accueillent froidement. Pendant son séjour, il croisera le chemin de trois personnes frappées comme lui d’ostracisme en raison de leur originalité et de leur refus des convenances.

Le musicien et cinéaste Baloji aurait pu, pour son premier film, tourner un banal retour au pays natal. Né au Katanga, émigré très jeune en Belgique, sans doute aurait-il pu puiser dans son histoire personnelle pour le raconter. Mais il a opté pour un autre parti, plus onirique, qui s’inspire du « réalisme magique ».

Le résultat, qui fait la part belle aux costumes et à la musique auxquels Baloji lui-même a mis la main, a été salué à Cannes dont il est reparti avec le Prix de la nouvelle voix. Augure avait été choisi pour représenter la Belgique pour l’Oscar du meilleur film étranger ; mais il ne figure pas dans l’ultime liste des quinze titres restés seuls en lice.

Le résultat n’en est pas moins déconcertant. Une fois passé le choc de la rencontre avec la famille de Koffi, le scénario s’étiole dans une succession de rencontres inutiles. Avec elles, l’attention du spectateur s’évapore. Très vite, on se désintéresse du sort de Koffi et d’Alice pour sombrer dans l’ennui.

La bande-annonce

Un hiver à Yanji ★☆☆☆

Yanji est une ville de Mandchourie à la frontière de la Corée du nord célèbre, l’hiver venu, pour ses sculptures sur glace. Trois personnes s’y croisent : Haofeng, un jeune trader dépressif venu de Shanghai y assister au mariage d’un ami, Nana, une guide touristique, et Xiao, un jeune sans éducation employé dans le restaurant de sa tante.

Un hiver à Yanji est vendu comme un Jules et Jim chinois. Il y a tromperie sur la marchandise. Un hiver à Yanji n’a pas la légèreté ni la sensualité de son prestigieux modèle truffaldien. S’il campe un triangle amoureux, ses différents côtés sont inégaux. Nana et Xiao sont amis de longue date au début du film ; peut-être une relation se serait-elle nouée entre eux avec le temps ; mais l’arrivée de Haofeng et la passion qui naît entre Nana et lui lève cette hypothèque. Autre côté négligé du triangle : il n’y a aucune alchimie, ni amicale, ni homo-érotique, entre Haofeng et Xiao. Point de triangle donc, mais en fait deux segments de droite avec Nana à leur intersection.

Moins que le trio formé par ces trois personnages, le véritable héros du film est la ville de Yanji. Le film commence d’ailleurs par un long plan quasi-documentaire, où l’on voit des travailleurs, lourdement harnachés pour éviter de tomber dans l’eau, débiter des blocs de glace sur la rivière. Yanji abrite une nombreuse communauté coréenne. Le chinois et le coréen y sont indifféremment utilisés. Un parc d’attraction sur la Corée y a même été ouvert, qui accueille les touristes chinois en mal d’exotisme.

Un hiver à Yanji aurait pu creuser cette veine documentaire et dresser le portrait de cette ville frontière, à cheval sur deux pays et sur deux cultures. Il opte pour une veine plus fictionnelle et se focalise sur les trois personnages principaux qu’il accompagne dans une longue errance dans les montagnes qui surplombent la ville et où se perche un lac céleste.

La bande-annonce

Perfect Days ★★★☆

La soixantaine, solitaire, Hirayama répète chaque jour la même routine. Il se lève aux aurores, se rase soigneusement, enfile sa combinaison et part dans son minivan à son travail. Il est chargé de l’entretien des toilettes publiques pour une société tokyoïte. Il s’acquitte méticuleusement de sa tâche. Son collègue, le jeune Takashi est autrement plus fantasque, plus bavard et moins méticuleux. À midi il s’octroie une pause dans un jardin public et déjeune d’un sandwich en regardant la nature. Son travail achevé, Hirayama enfourche son vélo, passe aux bains publics et dîne dans un restaurant souterrain. Parfois, il fait un détour par une librairie pour y renouveler son stock de lectures, et par un bar où il a ses habitudes.

Hirayama, pour des motifs qui resteront obscurs, a décidé de se retirer du monde. La brutale apparition de sa nièce, dont il s’occupera pendant quelques jours, lèvera un pan sur le mystère de son passé sans nous expliquer les raisons de son choix de vie. Hirayama a choisi de mener une vie érémitique en plein Tokyo. Il y accomplit le travail le plus vil qui soit. Mais Il le fait avec une telle application que sa dignité n’en est pas affectée. Au contraire, Hirayama trouve dans sa routine quotidienne, aussi modeste soit-elle, son équilibre et sa joie.

Perfect days est un film minimaliste qui ne raconte rien ou presque. Inutile de laisser planer un suspens qui n’a pas lieu d’être ou d’escompter d’étonnantes révélations qui ne viendront jamais : Hirayama n’est pas un ancien agent de la CIA que la prise en otage de sa fille obligera à un ultime acte de bravoure façon Taken 1, 2 ou 3 ! Hirayama est tout simplement un homme qui a longtemps cherché la paix intérieure et qui a fini par la trouver en faisant du mieux possible son travail et en s’adonnant à ses loisirs : la musique  pop des 70ies, la lecture, la contemplation des saisons qui passent derrière l’objectif de son appareil photo….

Ainsi résumé, le film avec ses deux heures et cinq minutes pourrait sembler bien ennuyeux. Il n’en est rien. Car Wim Wenders réussit, par le miracle de sa mise en scène, à donner du rythme à une vie qui n’en a guère. La répétition monotone des jours est filmée sous un angle chaque fois différent, avec un montage qui lui donne une coloration inédite. Prenez l’exemple du réveil de Hirayama auquel on assiste au moins quatre ou cinq fois et qui n’est jamais exactement filmé de la même façon. De micro-événements surviennent : les lubies de Tikashi – qu’on imaginerait plus volontiers dans un film de Takeshi Kitano que chez Wim Wenders – l’arrivée susévoquée d’une nièce, la rencontre de l’ex-mari de la patronne du bar que Hirayama fréquente, etc.

L’autre atout du film est la morale qu’il professe. Une morale peut-être autobiographique que nous livre Wim Wenders, ce si jeune réalisateur de soixante-dix huit ans. Au départ de Perfect Days était une commande publicitaire que lui avait passée la municipalité de Tokyo sur les toilettes publiques de Shibuya. Comme Hirayama qui réussit, malgré son emploi dévalorisé, à faire de chaque journée un moment de bonheur, Wim Wenders réalise une oeuvre d’art à partir d’une commande banalement mercantile.

La bande-annonce

Rien à perdre ★★☆☆

Mère célibataire, Sylvie (Virginie Efira) tire à Brest le diable par la queue et élève seule ses deux enfants, Jean-Jacques (Felix Lefebvre, révélé chez Ozon), un adolescent qui a trouvé dans la trompette et la pâtisserie un moyen de soigner sa boulimie, et Sofiane. Une nuit où Sylvie travaillait et où Jean-Jacques n’était pas rentré, le petit Sofiane se brûle au second degré en voulant se cuisiner des frites. Un signalement à l’Aide sociale à l’enfance provoque son placement. Sylvie, effondrée, se rebelle.

Il y a deux façons de lire ce film.

La première, la plus spontanée, érige Sylvie en victime d’un système administratif aveugle qui ignore le lien qui l’unit à son fils, l’amour qu’elle est capable de lui prodiguer, le trou béant dans lequel elle va s’enfoncer si Sofiane lui est retiré ainsi que le traumatisme dévastateur que cette séparation causera chez l’enfant. Ce film-là a l’avantage de la simplicité. Virginie Efira y est parfaite, qui suscite spontanément notre sympathie en Erin Brockovitch de l’ASE. Mais le film a le défaut de ses qualités : il sombre vite dans le manichéisme. Et il se condamne à une surenchère bien vite irritante – chaque tentative de Sylvie pour retrouver Sofiane se heurte au refus obtus de l’administration de le lui rendre – jusqu’à un épilogue prévisible : n’ayant plus « rien à perdre », l’héroïne n’a d’autres solutions que de brûler ses vaisseaux.

Mais Rien à perdre se prête aussi à une lecture plus subtile. Il n’oppose plus bord à bord une mère aimante à une administration butée. Plus subtilement, il laisse planer un doute sur les failles de Sylvie et, surtout, montre que l’administration, guidée par un principe de précaution, agit pour le bien de l’enfant.  Cette subtilité-là, c’est India Hair qui l’instille dans le rôle d’une assistante sociale toute en nuances. Ce film-là est autrement plus ouvert que le précédent. Mais il souffre d’un défaut paradoxal et rédhibitoire : Virginie Efira. L’actrice est si connue, si belle, si solaire, qu’on ne peut que prendre fait et cause pour elle. Pour tourner ce film-là, la réalisatrice Delphine Deloget aurait dû choisir une actrice moins connue, moins séduisante.

La bande-annonce

L’Arche de Noé ★★★☆

Alex (Finnegan Oldfield) a été condamné à des heures de TIG dans l’association dirigée par Noëlle (Valérie Lemercier). Elle accueille des jeunes LGBT rejetés par leurs familles.

Des foyers de jeunes, laissés à eux-mêmes, qui se reconstruisent difficilement grâce à l’attention que leur portent leurs éducateurs et grâce à l’affection chahuteuse que leur prodiguent les autres pensionnaires, on en a vu treize à la douzaine : Dalva, La MifMon frèreConséquencesLa Tête haute, States of GraceFish TankDog Pound… À tel point que leur description est devenue un genre cinématographique en soi.

L’Arche de Noé, avec son titre, son affiche et son pitch tellement bien-pensants, a pris le risque d’explorer ce sillon déjà maintes fois labouré. D’ailleurs, sa maigre distribution en salles, la quasi-absence de publicité au moment de sa sortie et sa disparition, trois semaines à peine après le 22 novembre, démontrent à la fois que ses distributeurs n’ont pas cru à son succès et qu’il n’a pas su trouver son public. Espérons qu’il ait une seconde vie en VOD et à la télévision où je fais le pari qu’il sera souvent (re)diffusé.

Car L’Arche de Noé est une réussite totale. Il réussit à nous prendre par la main pour nous faire pénétrer dans les murs de cette association, nous en présenter les règles – notamment celle qui limite à six mois la durée maximale du séjour et oblige donc les locataires à élaborer et mettre en oeuvre un projet de réinsertion avant cette échéance – et les acteurs. Signe d’une mise en scène réussie et d’une direction impeccable : chaque rôle secondaire trouve sa place et a son identité attachante, Krystal et Princesse, les travestis en pleine transition, Elsa, qui tait derrière ses cheveux rouges un traumatisme enfoui, Melvin, gamin mutique dévoré par la honte de ses pulsions, Brian, énorme nounours rongé par ses démons….

Certes L’Arche de Noé ne contient guère de surprises. Il se conclut exactement de la façon dont on le pressentait dès la première scène. Mais il ne verse jamais dans le film à thèse dans lequel chacun des personnages et chacune des situations auraient comme unique fonction d’évoquer un aspect des difficultés rencontrées par ces jeunes. Il réussit à rendre vivants et profondément attachants des caractères qui n’auraient pu être que des caricatures ou des prétextes.

La bande-annonce

Le Temps d’aimer ★★★☆

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au pied des remparts de Saint-Malo, Madeleine (Anaïs Demoustier), mère célibataire d’un petit Daniel, rencontre François (Vincent Lacoste), héritier rebelle d’une riche famille d’industriels. Entre eux, c’est le coup de foudre. Mais chacun cache un lourd secret qui hypothèquera pendant vingt ans leur couple.

Katell Quillévéré est une jeune réalisatrice bretonne – comme son nom l’indique – dont j’avais adoré le premier film, Suzanne, lequel avait valu en 2014 à Adèle Haenel son premier César. Deux ans plus tard, elle jouait sur du velours en signant l’adaptation d’un des meilleurs livres de la décennie, Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, devenue santo subito l’un de mes films préférés de l’année 2016.

Elle signe avec Le temps d’aimer un film d’un classicisme assumé auquel on pourrait adresser le reproche légitime qu’il aurait été filmé à l’identique il y a vingt ou quarante ans. C’est une reconstitution léchée de la France de la Libération avec son imagerie bien connue : des GIs débordants de vitalité, des caveaux enfumés, des Françaises qui découvrent émerveillées le chewing-gum et le twist… Le film commence par des images d’archives d’une force saisissante des Tondues de la Libération, accusées, selon l’expression d’usage, de « collaboration horizontale ».

Mais Le Temps d’aimer ne se résume pas à son simple prétexte historique. Son vrai sujet est le couple que forment Madeleine et François et les secrets qu’ils dissimulent. La bande-annonce en révèle un, l’homosexualité cachée de François ; il ne dit rien de l’autre, que le film pourtant révèle rapidement. Il contient une scène proprement stupéfiante, qui aurait pu sombrer dans la vulgarité ou le voyeurisme, mais que Katell Quillévéré réussit à monter avec une infinie élégance. Elle interroge le couple, la bisexualité, le désir qui va et qui vient, l’amour et la sexualité. J’espère en avoir suffisamment dit, mais pas trop, pour vous donner la curiosité de la voir.

Un mot des acteurs. J’ai si souvent dit du bien d’Anaïs Demoustier qu’il n’est pas nécessaire d’en rajouter une couche (néanmoins, « Anaïs, si vous lisez ces lignes, etc etc. »). Mais j’ai trop reproché à Vincent Lacoste sa lippe baveuse, son élocution languissante, sa silhouette dégingandée pour ne pas faire ici amende honorable : il est parfait dans le rôle de François, loin du registre ado-comique dans lequel il s’est longtemps complu. Comme l’an passé avec De nos frères blessés, le film historique lui va bien.

J’aurais un seul reproche à faire au Temps d’aimer : son titre. Je parie que, d’ici quelques semaines, vous et moi nous souviendrons de ce film mais chercherons à nous remémorer son titre passe-partout et anonyme qui nous aura échappé.

La bande-annonce

Cesária Évora, la diva aux pieds nus ★★☆☆

Cesária Évora a eu un bien étrange destin. Née en 1941, à Mindelo, dans une des îles du nord de l’archipel du Cap-Vert, elle a chanté très jeune dans les bars et les cafés. Elle a même enregistré quelques disques. Mais la célébrité vint sur le tard, à cinquante ans, avec l’album Miss Perfumado et le single Sodade qui commémorait le travail forcé des Cap-Verdiens dans les plantations de cacao de Sao-Tomé-et-Principe par le pouvoir colonial portugais.
Suivirent, jusqu’à sa mort en 2011, vingt ans de succès planétaire et de tournées mondiales.

Le documentaire de Ana Sofia Fonseca revient sur cette vie hors du commun. Cesária Évora en constitue le centre bien entendu ; mais elle en reste bizarrement étrangère, comme si elle était constamment ailleurs, perdue dans un nuage éthylique. Car Cesária Évora était gravement alcoolique. Elle avait besoin de boire pour chanter et interrompait même ses récitals pour s’asseoir à une table spécialement prévue à cet effet sur scène, allumer une cigarette, siroter un verre de whisky pendant que ses instrumentistes meublaient le silence.

Le documentaire parle assez peu de son art et de ses chansons. Mais il la montre, dans sa maison de Mindelo, qu’elle a fait construire avec ses premières royalties. Elle y vit au milieu d’une véritable cour des miracles, entourée de sa famille, de ses amis et aussi d’une foule nombreuse de profiteurs que sa générosité proverbiale attirait comme des mouches. Car Cesária Évora avait si longtemps vécu dans la pauvreté qu’elle était incapable de ne pas dilapider autour d’elle son argent en ouvrant sa bourse aux plus pauvres.

On sort de la salle un peu déçu de ne pas l’avoir plus entendue mais complètement emballé par l’image détonante de cette star placide que le succès a touchée trop tard pour la sauver de ses démons.

La bande-annonce

La Vénus d’argent ☆☆☆☆

Jeanne est prête à tout pour réussir. Elle vit avec son père, son petit frère et sa petite sœur dans une caserne de gendarmerie en banlieue parisienne. Mais cette étudiante polymathe est bien décidée à intégrer le monde carnassier de la haute finance.

Quelques semaines après Le Théorème de Marguerite, voici à l’affiche – et sur son affiche – le portrait d’une jeune femme surdouée qui cherche à se faire place dans le monde hostile qui l’entoure. Pour Marguerite, c’était la démonstration de la conjecture de Goldbach. Pour Jeanne, la coupe à la garçonne, caparaçonnée dans un costume cravate trop grand pour elle, ce sera la banque d’affaire façon Le Loup de Wall Street.

Hélas ! Là où Anna Novion réussissait si bien à nous faire partager la passion dévorante de Marguerite pour les mathématiques et son mal-être, Héléna Klotz caricature le monde de la finance et crée une distance avec son héroïne et ses tourments.

Filmé à l’économie, avec deux ou trois ordinateurs, des traders gominés et des recruteurs posant des questions ridicules, le monde professionnel que Jeanne a décidé d’infiltrer est une caricature. Son patron, interprété par Sofiane Zermani, qui semble aussi à l’aise à passer des ordres de vente que je le serais à chausser des patins sur glace, est l’un des pires rôles jamais écrits. Tout en lui sonne faux, depuis les abdos soigneusement découpés, jusqu’à sa suite au Shangri-La et à sa Rolls Royce – dont la vénus d’argent qui coiffe la calandre donnera son nom au film, on ne sait pourquoi.

La chanteuse Pomme fait des débuts prometteurs à l’écran. Elle interprète une jeune femme dont on peine à comprendre le moteur. Quand le film démarre, elle retrouve le militaire (Niels Schneider) dont elle a été amoureuse quatre ans plus tôt et qui l’a abandonnée après l’avoir déflorée. Leur relation, qui constitue le fil rouge du film, est incompréhensible : veut-elle se venger du mal qu’il lui a fait ? ou au contraire renouer avec lui la relation détruite ?

On croit un instant que le film sera sauvé du naufrage par Anna Mouglalis qui, toujours aussi magnétique, y fait une apparition à son milieu. Mais, laissée à elle-même, elle est si mal dirigée, que son seul talent ne suffit pas à donner au rôle ridicule qu’elle est censée interpréter – la dirigeante d’une organisation humanitaire mêlée à des opérations louches initiées par le patron de Jeanne – un peu d’épaisseur.

La bande-annonce

La Rivière ★★☆☆

Documentariste amoureux de la nature, Dominique Marchais avait déjà consacré plusieurs documentaires aux défis posés au monde agricole : Le Temps des grâces (2009), La Ligne de partage des eaux (2013), Nul homme n’est une île (2017). Il s’est rendu cette fois, le long des gaves, ces rivières qui dégringolent des Pyrénées jusqu’à l’Atlantique, dont l’écosystème est menacé par l’activité humaine, par les barrages qui bloquent la remontée des saumons, par les pesticides et les nitrates qui les polluent, par la culture intensive du maïs qui en assèche le débit.
Il donne la parole à des défenseurs de l’environnement, des bénévoles, des garde-pêche, des scientifiques qui inlassablement arpentent le versant des rivières, en diagnostiquent l’inquiétante dégradation et proposent des solutions pour la ralentir.

Le documentaire écologique est devenu un genre en soi. Il ne se passe pas de mois, sinon de semaine sans qu’on en voie sortir un en salles, certes souvent, dans une distribution très confidentielle. Certains rencontrent le sujet, moins d’ailleurs en raison de leur contenu que de leurs têtes d’affiche : Une vérité qui dérange avec le prix Nobel Al Gore, Home du photographe Yann Artus-Bertrand, dont nous avons tous offert les livres illustrés à Noël à notre belle-mère/beau-frère/ filleul(e) au début des années 2000, Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent… celui qui m’a laissé le souvenir le plus marquant fut Le Cauchemar de Darwin de Hubert Sauper sorti en 2004.

Le reste de la production ne laisse pas un souvenir marquant. Elle oscille entre deux écoles. La première se veut très pédagogique. La sensibilisation et l’éducation sont ses objectifs affichés. La seconde est plus poétique voire élégiaque : c’est la nature, sa beauté, sa fragilité qui sont mises en valeur.

Le documentaire de Dominique Marchais se situe à la rencontre de ces deux tendances. Il ne résiste pas à la tentation d’esthétiser la nature, d’en filmer la tranquille beauté dans de longs travelings silencieux. Mais il entend surtout délivrer un message, radicalement écologique : les écosystèmes sont fragiles, l’activité humaine les menace et ils seront fatalement détruits si rien n’est fait pour infléchir la tendance actuelle. Il a le mérite de ne pas sombrer dans l’alarmisme et de proposer des alternatives : ainsi de la culture du maïs grand-roux basque, porteur d’une plus grande diversité génétique et moins glouton en eau.

La bande-annonce