La Supplication ★☆☆☆

Svetlana Alexevitch a reçu le prix Nobel de littérature l’an passé. Ses livres font entendre la voix, patiemment enregistrée, des témoins de l’histoire : les femmes ayant combattu pendant la Grande guerre patriotique de 1941-1945 (« La Guerre n’a pas un visage de femme »), les soldats de la guerre d’Afghanistan (« Les Cercueils de zinc ») ou les survivants de Tchernobyl (« La Supplication »).

C’est ce dernier livre publié en 1997 que le réalisateur luxembourgeois Pol Cruchten porte à l’écran, pariant probablement sur la récente notoriété que l’attribution du prix Nobel a conférée à son auteure.

Hélas, le pari est loin d’être réussi. Un recueil de témoignages peut faire un excellent livre. C’était le cas de « La Fin de l’homme rouge » qui avait fait connaître Alexievitch en France et que j’avais adoré. Mais il ne fait pas nécessairement un bon film. Pendant que des voix off psalmodient (en français) le texte de Alexievitch, Cruchten tourne des images de Tchernobyl et de Pripiat, la ville fantôme, abandonnée de ses habitants et peu à peu conquise par la végétation. Ces images sont désormais connues et n’inspirent aucune émotion. On s’ennuie ferme pendant une heure vingt-six.

Sur Tchernobyl, la fiction réalisée en 2011 par Michale Boganim, « La Terre outragée », était autrement réussie.

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Le Disciple ★★★☆

Dans un lycée de Russie, Veniamine est un élève à problèmes. Il sèche les cours, insulte ses professeurs, se bat avec ses camarades. La cause ? Une profonde crise de mysticisme et une lecture littérale de la Bible qui le pousse à condamner la société qui l’entoure : les filles en bikini à la piscine, le darwinisme enseigné en cours de biologie, l’homosexualité d’un de ses camarades…

Une fois encore le cinéma russe frappe fort. Deux ans après « Léviathan », un an après « Classe à part » – qui avait déjà le lycée pour cadre – c’est à la Russie qu’ont doit l’un des films les plus dérangeants de l’année. On n’oubliera pas de sitôt le personnage de Veniamine. Il rappelle inévitablement l’exaltation des héros dostoïevskiens. Une lueur de folie brille dans ses yeux. La Bible à la main, ses versets à la bouche, il crache sa haine à la société, à sa mère, à ses enseignants. Son obnubilation illustre l’aveuglement que le fondamentalisme religieux peut faire naître.

Mais ce qui est plus glaçant encore est la réaction de son entourage. Un seul personnage se dresse face à lui : sa professeur de biologie qui essaie de retourner ses propres armes contre lui, citant, comme il le fait, la Bible pour en montrer l’ambiguïté et la polysémie. Le reste de son entourage brille par sa lâcheté sinon par sa veulerie : sa mère est dépassée par les événements, son professeur de sports préfère draguer les filles en bikini et la directrice de l’école veut éviter les drames.

Le dénouement du drame est particulièrement édifiant. Ce qu’il révèle de la société russe n’incite pas à l’optimisme.

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Arès ★★★☆

En 2035, la France compte quinze millions de chômeurs et Paris est devenue une ville du tiers-monde. L’État en faillite a cédé le pouvoir aux groupes pharmaceutiques dont les produits anabolisants dopent en toute légalité les champions de l’Arena, un sport martial ultra-violent. Reda est un vieux boxeur sur le retour. Tout bascule pour lui le jour où le grand groupe Donevia teste sur lui son dernier produit.

Le cinéma français n’a jamais été à l’aise avec la science-fiction. « Babylon A.D. » fut un bide retentissant malgré l’ampleur des moyens déployés. « Gaz de France » sorti en début d’année est passé inaperçu et ne méritait pas autre chose. Cet « Arès » démontre toutefois que le cinéma français est capable de faire un film d’anticipation réussi sans la débauche de moyens mobilisés dans les super-productions de Luc Besson.

Pas de navette spatiale ou de combat intergalactique, mais une dystopie intelligente et bien filmée qui imagine un future anarchique, poisseux comme l’était celui de « Blade Runner » ou de « Soleil vert » (les images ont été tournées en Chine et en Ukraine et remarquablement mixées à des panoramas parisiens connus). Sur ce fond politique hélas réaliste s’écrit une histoire simple de rédemption et de machination. La rédemption d’un faux salaud, le héros, Arès, colosse bourru au cœur tendre interprété par Ola Rapace. Et la machination ourdie par les affreux capitalistes de Donevia, la multinationale présidée par Louis-Do de Lencquesaing caricatural à souhait.

Évidemment, « Arès » ne brille pas par sa subtilité. C’est un divertissement qui n’a pas la prétention de viser plus haut. Mais c’est un divertissement efficace dont je prends le pari qu’il aura son petit succès, sinon dans les salles (il est trop mal distribué pour l’espérer), du moins sur Internet.

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Freaks ★★★☆

Des monstres sont exhibés dans un cirque : lilliputien, microcéphale, sœurs siamoises, femme à barbe… Hans, le nain, est amoureux de Cléopâtre, la belle trapéziste qui, apprenant qu’il va hériter, décide de l’épouser puis de l’empoisonner. La communauté des monstres prend la défense de l’un des siens et se venge de la plus atroce des manières.

« Freaks » est un film de 1932 qui ressort en version restaurée au Grand Action. Il fait partie des « 1001 films à voir avant de mourir ». « Freaks » mérite cette célébrité à plusieurs titres. Il s’agit en premier lieu d’un documentaire étonnant sur le cirque et ses « curiosités » – ainsi qu’on les appelait à l’époque. On y voit des monstres. Des vrais (la MGM avait rassemblé tous les monstres des cirques américains). Comme il n’en existe plus. Ou comme, du moins, on ne les montre plus. Et on ne peut s’empêcher de ressentir une curiosité malsaine et voyeuriste à les découvrir.

Il s’agit en deuxième lieu d’une histoire profondément morale. Le plus monstrueux des personnages est la belle Cléopâtre qui, avec la complicité du fier Hercule, dupe l’innocent Hans et manque de l’assassiner. Au contraire, les monstres manifestent les plus hautes qualités : la solidarité autour de leur compagnon menacé, l’ingéniosité pour piéger la meurtrière….

Mais il s’agit en troisième et dernier lieu d’un film à la morale ambiguë. Car les monstres infligent à leur assaillant une punition d’une monstruosité inouïe, presque fantastique, jetant du coup un doute sur leurs qualités morales que je viens de vanter.

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Seul dans Berlin ★☆☆☆

En juin 1940, alors que l’Allemagne nazie fête sa victoire sur la France, Otto et Anna Quangel pleurent la mort de leur fils unique tombé au champ d’honneur. Ils décident d’entrer en résistance en écrivant et en distribuant des cartes postales contre Hitler.

Un peu comme « Suite française » d’Irène Nemirowsky, le roman de Hans Fallada, écrit en 1946, dont Primo Levi disait qu’il était « l’un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie », a connu un succès tardif et retentissant. Après une première traduction française en 1967 chez Plon, passée inaperçue, Denoël publie à nouveau « Jeder stirbt für sich allein » en 2002. Je l’ai lu entre Mascate et Shompole (mais là je frime). Le succès est cette fois ci au rendez-vous. Le livre est monté au théâtre, aux Amandiers et au Lucernaire où j’ai trainé mes ados maussades (je continue à frimer, un peu moins, mais encore trop). Il est traduit en anglais en 2009.

L’adaptation cinématographique était un produit dérivé inévitable. Elle est bizarrement l’œuvre de Vincent Perez, acteur populaire passé derrière la caméra, dont l’intérêt pour la Seconde guerre mondiale était jusqu’à présent peu médiatisé. Son film fut paraît-il difficile à réaliser. Et dès la première image on comprend pourquoi.

Tout sonne faux. Pour une raison simple. Les acteurs parlent anglais. Les Britanniques Emma Thompson et Brendan Gleeson – ce qui pourrait à la limite se comprendre – et même l’Allemand Daniel Brühl – ce qui est un comble. Ce choix linguistique calamiteux – dont on imagine qu’il a été dicté par le souci de toucher un public anglo-saxon rétif aux sous-titres – condamne inéluctablement ce film à n’être qu’une reconstitution empesée et désincarnée.

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Louise en hiver ★★☆☆

Alors que l’été se termine à Biligen-sur-mer, Louise rate le dernier train qui part vers la ville. Restée seule dans la cité balnéaire désertée, elle se prépare à affronter l’hiver.

La vieille dame et la mer. Le film d’animation de Jean-François Laguionie n’a pas grand’chose à voir avec le célèbre roman de Ernest Hemingway. Il n’y est pas question de pêche au thon ni de pêcheur tenace. L’auteur de « L’île de Black Mór » et « Le Tableau » raconte l’histoire d’une femme au crépuscule de sa vie qui finit par s’accommoder de la solitude à laquelle elle est condamnée. Après s’être construite une cabane sur la plage et s’être fait un compagnon d’un chien errant, elle s’organise une vie bien réglée.

La forme nourrit le fond. Les décors de « Louise en hiver » sont au diapason de l’histoire qu’il raconte : une gouache granuleuse aux tons pastels d’une grande tendresse. Flottant entre le présent et le souvenir, le rêve et la réalité, le sommeil et la veille, « Louise en hiver » est un film très doux, un peu triste, presque neurasthénique.

Pourquoi deux étoiles et pas trois ? Parce que, tout en reconnaissant les qualités de ce film, je n’ai pas été touché autant que j’aurais pu l’espérer. Soit que je n’étais pas hier dans le bon état d’esprit pour l’accueillir. Soit que cette histoire de vieille dame rêveuse est en fait trop insignifiante pour réellement susciter l’émotion.

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Iris ★☆☆☆

À la sortie du restaurant où elle déjeunait avec son époux , Iris  disparaît. Marc Lopez, un garagiste sans le sou, l’a kidnappée et exige de son mari le versement d’une rançon pour la libérer. Mais le kidnapping est une arnaque montée par Iris. À moins que…

« Iris » est un film qu’on aurait aimé aimer. Un polar à tiroirs comme le cinéma américain en réalise d’excellents et comme le cinéma français ne parvient pas à en faire. Avec un riche banquier sadomasochiste au sourire carnassier (Jalil Lespert devant et derrière la caméra). Un pauvre bougre embarqué dans une arnaque qui le dépasse (Romain Duris beaufement moustachu). Et une innocente épouse, peut-être moins innocente qu’il n’y paraît (Charlotte Le Bon au minois trop joli pour convaincre de la perversité de son personnage).

Interdit aux moins de douze ans, « Iris » est l’occasion de quelques scènes SM, faussement transgressives, une version un peu hard d’une pub pour La Perla. Mais il serait mesquin d’y trouver à redire, la plastique de Charlotte Le Bon – ou de sa doublure nu – et ses vertigineux escarpins ayant de quoi réjouir le petit cochon qui sommeille en chacun d’entre nous.

C’est plutôt du côté de la mise en scène qu’on pourrait mégoter. Alors que le scénario se déroule intelligemment avec son lot de rebondissements, la mise en scène, elle, ne passe jamais l’accélérateur, installant « Iris » dans un faux rythme soporifique. Comble du paradoxe : on finit par s’ennuyer ferme d’une histoire en tout point bien troussée.

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Swagger ★☆☆☆

Olivier Babinet filme onze collégiens à Aulnay-sous-Bois. Régis, le roi de la sape, Aissatou la Sénégalaise trop discrète, Paul qui vient de Pondichéry, Elvis qui veut devenir chirurgien…

Il faut écouter ce que ces ados, loin des préjugés qu’on en a, ont à nous dire. La première chose est la plus préoccupante : la rupture radicale et peut-être définitive avec les Français « de souche ». Pas un seul « Gaulois » dans « Swagger » – sinon la silhouette muette d’un enseignant. Les Blancs ont déserté Aulnay. Et les enfants, Noirs au Arabes, font le constat désabusé de leur désertion.

La seconde est plus réjouissante. Ces jeunes ont du swag, du style et du cran. Il faut écouter Régis raconter avec truculence un épisode des Feux de l’amour ou comparer le style vestimentaire de Barack Obama ou de François Hollande. Il faut écouter la frêle Naïla se lancer dans une critique désopilante de Mickey et de Barbie.

Des films ou des documentaires sur des ados de banlieue, on en a vu treize à la douzaine. Plus ou moins réussis. De « Bandes de filles » de Cécile Sciamma à « Entre les murs » de Laurent Cantet (qui, certes se déroulait dans un collège parisien intra muros … mais ne mégotons pas !) en passant par « Divines » « La Vie en grand » ou « Les Héritiers ». De « La Cour de Babel », l’excellent documentaire de Julie Bertuccelli sur une classe d’adaptation à « Elektro Mathematrix » l’euphorisante comédie musicale de Bianca Li. Et c’est bien là que le bât blesse.

« Swagger » hésite entre deux partis. Le premier, le plus classique, est celui du documentaire qui nous donnerait à entendre la parole de ces jeunes. Le second, plus audacieux, est celui de l’exercice de style qui projette d’Aulnay et de son urbanisme sans charme une image presque poétique, grâce à des vues aériennes, des jeux d’ombre et de lumière, des ralentis, une bande son très sequencée. Faute de choisir entre ces deux options, « Swagger » se condamne à un entre-deux qui le dessert.

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L’Histoire de l’amour ☆☆☆☆

Leo aime Alma. Alma aime Leo. Mais la Seconde guerre mondiale les sépare. Un roman « L’Histoire de l’amour » qu’une Américaine de Brooklyn traduit de l’espagnol soixante ans plus tard parviendra-t-il à les rapprocher ?

Nicole Krauss avait écrit au milieu des années 2000 un roman à tiroirs dont la lecture m’avait emporté. Je me faisais une joie de son adaptation à l’écran même si les critiques assassines du Masque et la Plume avaient refroidi mon enthousiasme.

Hélas ces critiques n’avaient pas tort. Elles reprochaient au scénario du film, qui procède par bonds répétés entre les lieux (la Pologne, le Chili, New York) et les époques  (1941, 1950, 1995, 2006), d’être difficile à suivre. Elles clouaient au pilori Derek Jacobi, qui interprète Leo vieux, pour son cabotinage. Elles blâmaient le réalisateur Radu Mihaileanu pour son lyrisme dégoulinant – qui déjà tangentait dangereusement la ligne rouge du tire-larmisme dans « Va, vis et deviens » et « Le Concert ».

Seules étaient épargnées l’interprétation de Gemma Arterton et sa rayonnante beauté. Hélas, aussi sensible que je puisse être au physique appétissant de l’héroïne de « Tamara Drewe » et « Gemma Bovery », force m’est de constater que, inondée de larmes ou grimée en vieillarde, elle n’est guère à son avantage dans cette Histoire de l’amour.

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Planétarium ★☆☆☆

À Paris, dans les années 30, les soeurs Barlow, Laura l’aînée  (Natalie Portman probablement la plus parisienne des stars hollywoodiennes) et Kate la cadette (Lily-Rose Depp tout juste sortie de l’enfance, portrait craché de sa mère), donnent un spectacle de spiritisme. Elles attirent l’attention d’un riche producteur (Emmanuel Salinger) qui rêve de capter sur la pellicule les esprits qu’elles convoquent.

J’avais adoré les deux premiers films de Rebecca Zlotowski : « Belle épine » qui avait révélé Léa Seydoux et Anaïs Demoustier (excusez du peu) et « Grand central ». La jeune réalisatrice, agrégée de lettres et diplômée de la Femis, quitte le terrain de la chronique sociale contemporaine pour celui, plus casse-gueule, de la reconstitution historique. On ne saurait lui faire le reproche d’avoir filmé à l’économie. Si les extérieurs sont rares, les costumes en revanche sont splendides.

Le problème vient d’ailleurs. D’un scénario qui, à l’instar du personnage du producteur Korben, ne sait pas ce qu’il veut. De quoi parle « Planetarium » ? On ne le saura jamais – pas plus qu’on ne nous donnera la moindre piste pour percer son titre. Le portrait de deux sœurs qui cherchent à vivre d’un don qu’elles ne sont pas sûres de posséder ? Le portrait d’un homme perdu dans ses chimères ? Le tableau d’une époque qui va à sa perte sans en avoir conscience ? Une métaphore du cinéma qui cherche sans succès à capter une vérité évanescente ?

Sans doute tout cela. C’est beaucoup. C’est trop.

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