Fyre : The Greatest Party That Never Happened ★★☆☆

Pour promouvoir Fyre, une nouvelle application mobile, un entrepreneur, Billy McFarland, et un rappeur, Ja Rule, ont imaginé organiser un immense concert sur une île paradisiaque des Caraïbes. En décembre 2016, ils ont tourné une vidéo promotionnelle avec quelques uns des tops models les plus célèbres de l’époque : Kendall Jenner, Bella Hadid, Hailey Baldwin, Emily Ratajkowski… La vidéo faisait miroiter un concert extraordinaire sur une île déserte, au bras des plus belles filles du monde. Les réservations affluèrent immédiatement. Mais, sur place, la préparation du festival prévu en avril 2017 se heurte à bien des déboires.

On a tous, dans notre vie professionnelle ou dans notre vie privée, travaillé à une plus ou moins grande échelle, à la préparation d’un « événement » : les Jeux olympiques, le G7, les assises de la gastro-entérologie, son mariage…. On a tous vécu le stress et l’excitation des jours décomptés, des contre-temps qui s’accumulent, du sentiment grandissant que « rien ne sera prêt à temps »… et finalement, le jour venu, du soulagement qu’en dépit de quelques loupés mineurs que personne n’aura remarqués, « tout finalement s’est bien passé ».

C’est avec une joie mauvaise qu’on assiste à la chronique d’un crash annoncé. Car, hélas, on sait depuis le début, comment la préparation du Fyre Festival s’achèvera : par un immense, chaotique, humiliant désastre. Le jour venu, sur la soi-disant île paradisiaque, dont les promoteurs auront été entretemps délogés, rien ne sera prêt : les jets privés censés transporter les clients se seront transformés en charters low cost, les artistes programmés se seront décommandés les uns après les autres, les villas de luxe n’auront pas été construites à temps et les repas fins concoctés par des chefs s’avèreront n’être que d’insipides toasts au fromage.

Malheureusement, on connaît, depuis le début, la fin de l’histoire. Aussi suit-on les préparatifs fiévreux du festival avec moins d’anxiété. Les interviews des participants à ce fiasco – à l’exception des deux principaux dont les ennuis judiciaires les ont sans doute dissuadés sinon empêchés de témoigner – n’en restent pas moins triplement intéressants. Ils détaillent souvent avec humour les obstacles qu’ils ont rencontrés sans réussir à les surmonter. Ils évoquent simultanément l’électrisante énergie qui les animait tous et qui les laissait espérer que tout finalement finirait par rentrer dans l’ordre. Enfin ils dénoncent l’aveuglement de leur patron, contraint à une suicidaire fuite en avant – au risque d’occulter leur propre responsabilité à l’avoir suivi sur cette pente.

Ces faits étonnants ont inspiré deux documentaires sortis quasiment le même jour en janvier 2019, le premier pour Hulu, le second pour Netflix. Je n’ai pas vu le premier. Le second ne brille pas par ses qualités cinématographiques mais a le mérite de documenter scrupuleusement ce grandiose fiasco.

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L’Incroyable Histoire du facteur Cheval ★☆☆☆

À la fin du dix-neuvième siècle, dans les Préalpes drômoises, sans aucune connaissance en architecture, sans aucun financement, le facteur Joseph Cheval a consacré quarante ans de sa vie à construire sur son temps libre un palais. Nils Tavernier raconte son « incroyable histoire ».

Jacques Gamblin interprète un doux rêveur, taiseux sinon mutique, que sa tournée quotidienne met en contact avec une nature sauvage et austère. Veuf, séparé du fils qu’il a eu de sa première épouse et auquel il n’a jamais su manifester son attachement, il se remarie avec une veuve du village, Phénomène, qu’interprète avec une maternelle douceur Laetitia Casta. Le couple a bientôt une fille, Alice, à la santé fragile.

L’Incroyable Histoire du facteur Cheval joue la carte d’un classicisme assumé : son titre, son affiche, son casting, son scénario lorgnent ostensiblement vers le film du dimanche soir, grand public. Son sujet n’était pas inintéressant. Mais le film, qui s’enlise vite dans les bons sentiments, est par trop dépourvu d’audace. Les paysages sont trop léchés, la musique trop surlignante, les maquillages trop appuyés (pour vieillir Gamblin jusqu’à la mort de Cheval à près de quatre-vingt-dix ans).

Son seul intérêt : nous inviter à sortir de l’Autoroute du soleil et faire une halte à Hauterives dans la Drôme pour y visiter le Palais idéal du facteur Cheval.

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Les Estivants ★☆☆☆

Anna (Valeria Bruni-Tedeschi) est réalisatrice de cinéma. Elle travaille à son quatrième film pour lequel elle demande au CNC l’avance sur recettes. Son conjoint lui annonce qu’il la quitte. C’est donc seule qu’elle part en vacances dans la luxueuse villa familiale sur la Côte d’Azur. Servie par une abondante domesticité, elle y retrouve sa mère (Marisa Borini), sa sœur (Valeria Golino) et le mari de celle-ci (Pierre Arditi). Passe le fantôme de son frère mort.

Valeria Bruni-Tedeschi réalise son quatrième film. Comme dans les trois précédents (Il est plus facile pour un chameau…, Actrices, Un château en Italie), elle met en scène son double impulsif et hystérique. Elle s’entoure des membres de sa propre famille : sa mère joue sa mère, sa fille Oumy, une Sénégalaise adoptée en 2009 avec Louis Garrel, joue le rôle de sa fille. Elle évoque – sans jamais le nommer directement – sa rupture avec l’acteur français qu’elle avait rencontré sur le tournage d’Actrices. Elle n’a pas poussé l’ironie jusqu’à proposer à son beau-frère, Nicolas Sarkozy, d’interpréter son propre rôle mais a confié ce soin à Pierre Arditi qui, aux bras d’une femme plus jeune que lui, campe un ancien patron de droite acculé à la faillite et réduit à une oisiveté forcée (sic).

Après avoir raconté sa vie parisienne, Valeria Bruni-Tedeschi translate ses proches sur les bords de la Méditerranée, dans une villa dont le luxe et la localisation sont sans doute comparables à ceux de la maison de sa mère, près du cap Bénat, à une encablure du fort de Brégançon. Ses occupants n’ont rien à y faire, sinon à y lézarder au soleil, à se baigner dans la piscine ou dans la mer toute proche, à s’attabler pour d’interminables repas. Pendant que les riches devisent, la domesticité cancane. Rien n’a changé depuis La Règle du jeu.

Il y a de la part de sa réalisatrice/interprète/co-scénariste un certain culot dans cette « autobiographie imaginaire ». On imagine volontiers les rires jaunes et les grimaces qui ont accompagné son visionnage autour de la table familiale. On paierait cher pour connaître la réaction de Nicolas Sarkozy.

Mais jeter les masques n’est ni nécessaire ni suffisant pour réaliser un bon film. Même s’il est inspiré d’une pièce de Gorky et s’il a fallu pas moins de quatre co-scénaristes pour écrire son histoire (dont Noémie Lvovsky qui interprète le rôle… d’un script doctor qui vient aider l’héroïne à écrire le scénario de son prochain film), Les Estivants ne réussit pas à maîtriser son sujet. Étiré sur plus de deux heures, il se noie dans une succession de saynètes théâtrales. Chacun des trop nombreux acteurs a successivement droit à sa scène et s’en sort plus ou moins bien. Si Pierre Arditi cabotine et Yolande Moreau campe le rôle qu’elle a déjà trop joué d’une gouvernante amoureuse, Vincent Perez, censé interpréter un acteur suisse auquel est confié le rôle du frère dans l’autobiographie que l’héroïne s’apprête à filmer, n’est paradoxalement pas le plus mauvais.

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Qu’est ce qu’on a encore fait au bon Dieu ? ★☆☆☆

On avait laissé les époux Verneuil il y a cinq ans encaisser, non sans mal, l’annonce par leurs quatre filles de leurs mariages quasi-simultanés avec un Juif, un Arabe, un Noir et un Chinois. Qu’est ce qu’on a fait au bon Dieu ? a enregistré un tel succès (plus de douze millions d’entrées soit le troisième film français le plus populaire du siècle derrière Bienvenue chez les Ch’tis et Intouchables) que le tournage d’une suite s’imposait. L’entreprise n’était guère risquée et s’avère payante : le deuxième opus dépasse les six millions d’entrées et pourrait en engranger sept.

Le succès du premier volet reposait sur un cocktail éprouvé. Une comédie française portée par quelques acteurs reconnus enchaînant des situations cocasses. Un sujet d’actualité dans lequel tous les spectateurs, quels que soient l’âge ou le milieu, pourraient se reconnaître. Une conclusion à laquelle tous encore, de droite, de gauche ou d’ailleurs, pourraient adhérer : l’éloge du vivre-ensemble et des valeurs familiales.

Il n’y avait aucune raison d’ajouter à ce film une suite – si ce n’est celle d’exploiter la veine jusqu’à épuisement. La tâche des scénaristes n’était pas simple : il s’agissait d’écrire la même histoire pour ne pas dérouter les spectateurs sans écrire tout à fait la même pour ne pas leur donner trop ostensiblement l’impression d’être pris pour des poires. Après des séances de brainstorming qu’on imagine nombreuses et houleuses, ils ont accouché d’une histoire improbable : les gendres des Verneuil, fatigués des discriminations dont ils sont l’objet, décident de quitter la France. Sous la pression de sa femme, traumatisée par le départ de ses petits enfants, Claude Verneuil va tenter de leur faire renoncer à leurs expatriations. Ce seul ressort ne suffisant pas à faire un film, les scénaristes en ajoutent un autre : le mariage de Viviane Koffi – dont le père, Ivoirien bon teint, n’avait accepté qu’avec les plus extrêmes réserves l’union de son aîné avec une Blanche – avec… une femme.

Qu’est ce qu’on a encore fait au bon Dieu ? réussit à dire tout et son contraire. Il réussit tout à la fois à pointer les tares de la France (le racisme, les communautarismes et les embouteillages) et à en exalter les atouts (les Châteaux de la Loire, le bon vin et sa douceur de vivre). Cette schizophrénie n’est qu’apparente. Elle est au fond profondément en phase avec l’opinion publique contemporaine. La morale est empruntée à Sylvain Tesson, cité dans le texte : « La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer ».

Mais c’est bien là la seule qualité de ce film sans finesse. Chaque personnage se réduit à une caricature aussi simpliste que raciste : David le gendre juif est un entrepreneur raté, Chao le gendre chinois vit dans l’obsession des agressions dont les touristes asiatiques sont victimes… Tous les gags s’annoncent de si loin qu’ils peinent à arracher un sourire : ainsi du jardinier afghan qui porte une ceinture lombaire que Claude Verneuil suspectera de cacher des explosifs.

Éloge du vivre-ensemble et ode à la France éternelle, Qu’est ce qu’on a encore fait au bon Dieu ?, feel good movie revendiqué, voudrait faire rire la France des bobos et la France de l’apéro. Son succès au box office montre qu’il est en passe d’y parvenir. De là à les réconcilier…

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Si Beale Street pouvait parler ★★★☆

Tish a dix-neuf ans, Fonny trois de plus. Amis depuis l’enfance, ils s’aiment d’un amour infini. Mais l’Amérique des années soixante-dix n’est pas douce aux Noirs. Fonny est emprisonné pour un viol qu’il n’a pas commis. Épaulée par ses parents et par sa sœur, Trish, qui attend un enfant, tente de l’innocenter.

Si Beale Street pouvait parler est réalisé par Barry Jenkins, auréolé du succès de son précédent film. Moonlight a un défaut rédhibitoire : il a usurpé, dans les conditions que l’on sait l’Oscar du Meilleur film 2017 à La La Land. Mais, cette réserve posée, Moonlight était l’œuvre d’un grand réalisateur dont on voit la marque dans son film suivant. On y retrouve le même esthétisme, les plans très rapprochés, presque caressants, la musique élégiaque, le soin apporté à la direction d’acteurs.

Si Beale Street… est l’adaptation d’un roman de James Baldwin. Robert Guédiguian s’en était déjà librement inspiré, transposant l’action de New York à Marseille. La vie et l’œuvre de James Baldwin ont connu, depuis la sortie de I am not your Negro de Raoul Peck en 2017, un regain de popularité. Son intarissable colère contre le sort de ses frères de couleur, son combat pour leur donner une voix (on parlerait en américain d’empowerment, expression que traduit mal le terme « émancipation ») percent dans ce roman dès son titre et dans l’adaptation qu’en fait Barry Jenkins. Les Blancs n’y ont pas le bon rôle : flic odieux, prédateur sexuel… seul le jeune avocat qui accepte d’assurer la défense de Fonny sauve la mise.

Mais on se tromperait à résumer ce film à un seul plaidoyer en faveur des Noirs. Si Beale Street… est plus que cela. C’est d’abord, c’est surtout le portrait lumineux d’un jeune couple fou d’amour. Ils s’aiment avec la légèreté de leurs vingt ans et la gravité de qui aime pour la première fois. Sans doute ce film a-t-il des longueurs et aurait-il pu être amputé d’une bonne demie-heure. Sans doute a-t-il une gravité qui vire parfois à l’ostentation. Il n’en conserve pas moins une beauté, une majesté qui forcent l’admiration.

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Colette ★★☆☆

Née en 1873 dans un petit village de Bourgogne, Gabrielle-Sidonie Colette rencontre encore adolescente Willy, un écrivain parisien à succès et un homme à femmes. Elle l’épouse à vingt ans à peine et s’installe avec lui à Paris. Pour soutenir un train de vie dispendieux, Willy fait travailler autour de lui plusieurs nègres qui rédigent des ouvrages qu’il signe de son nom. Il convainc son épouse de raconter ses souvenirs d’enfance. Claudine à l’école, publié sous le nom de Willy, connaît un succès retentissant qui appelle vite une suite.
Mais celle qui se fait désormais appeler Colette supporte de plus en plus mal son inconstant époux. Elle découvre son homosexualité avec Georgie Raoul-Duval (la « Rézi » des Claudine) puis avec Mathilde de Morny. Surtout, elle exige de son mari le droit de signer ses livres de son propre nom.

Encore un biopic. Après Oscar Wilde, après Cézanne, après Rodin, après Paula Modersohn-Becker, après Toulouse-Lautrec, voici un nouveau biopic ayant pour cadre le Paris de la Belle époque. Il raconte la libération d’une femme qui, à l’époque de #MeToo, se teinte d’un écho particulier : Colette revendique son droit à vivre librement sa (bi)sexualité et gagne celui de le faire hors de l’emprise d’un mari phallocrate et spoliateur dont elle divorcera en 1910 et dont elle récupèrera les droits qu’il s’était arrogés sur la série des Claudine.

La production est anglo-saxonne. Il faut lui reconnaître le mérite d’y avoir mis le budget nécessaire et un soin tout particulier dans les décors et dans les toilettes (je peine à me remettre de la façon dont la rousse Eleanor Tomlinson s’en dévêt). Le rôle principal est confié à Keira Knightley qui s’est fait une spécialité des films en costumes : Orgueil et préjugés, The Duchess, Anna Karenine… Elle joue excellemment. Là n’est pas le problème. Elle est ravissante. Trop peut-être. Car Colette n’était pas jolie. Colette n’était pas gracieuse. Colette était une fille de la campagne dont l’accent rocailleux faisait la risée des cercles parisiens où Willy l’introduisit. Yolande Moreau – dont l’interprétation de Séraphine lui a valu le César de la meilleure actrice en 2009 – aurait mieux convenu pour le rôle.

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Sorry to Bother You ★★☆☆

Cassius Green (Lakeith Stanfield) vit dans le garage de son oncle avec Detroit, une performeuse (Tessa Thompson). Le couple, qui tire le diable par la queue, est recruté par une société de télémarketing.
En prenant au téléphone la voix nasillarde d’un Blanc, Cassius (prononcer : Cash is) en devient bientôt le meilleur employé. Mais tandis qu’il obtient une promotion éclair auprès du patron cocaïnomane de la société Worryfree, engagée dans un obscur projet de déshumanisation de la chaîne de travail, , ses camarades se mettent en grève pour obtenir de meilleures conditions de travail.

Sorry to Bother You est un film désopilant qui avait fait sensation à Sundance avant sa sortie en salles. Sa forme emprunte volontiers aux dystopies DIY et gentiment surréalistes d’un Michel Gondry – qui a d’ailleurs réalisé le film publicitaire qu’on voit dans la seconde moitié du film.

Sorry to Bother You est d’abord un film sur la condition noire aux États-Unis et sur la difficulté pour y vivre dans un monde de Blancs. Le sujet n’est pas nouveau et avait été traité avec la même féroce ironie par Justin Simien en 2014 dans Dear White People.

Mais Sorry... ne se réduit pas à cette seule dimension. C’est avant tout une œuvre politique qui dénonce la cupidité des entreprises et les tares du capitalisme. Quoique distribué par une major hollywoodienne, Sorry to Bother You est un film profondément subversif qui ridiculise autant qu’il récuse les valeurs du système américain.

Première réalisation de l’ancien rappeur Boots Riley, Sorry to Bother you n’est pas sans défaut. On sent que son auteur a voulu y mettre trop de choses et trop en dire. Comédie poilante, satire grinçante, anticipation effarante, plaidoyer vibrant, Sorry to Bother you est beaucoup pour un seul film.

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Ulysse et Mona ★☆☆☆

Ulysse (Eric Cantona) est un plasticien renommé qui, suite à une grave dépression, vit reclus à la campagne. Mona (Manal Issa) est une jeune étudiante aux Beaux-Arts qui s’est mise en tête de le faire sortir de son isolement.

Depuis quelques années déjà, un petit groupe de jeunes réalisateurs fait souffler un vent d’air frais dans le cinéma français. Sébastien Betbeder en fait partie avec Guillaume Brac (Contes de juillet, L’Île au trésor, Tonnerre, Un monde sans femmes), Antonin Peretjatko (La Loi de la jungle, La Fille du 14 juillet), Vincent Macaigne (Pour le Réconfort), Sophie Letourneur (Les Coquillettes, Le Marin masqué, La Vie au ranch) ou Léonor Serraille (Jeune Femme). Leur marque de fabrique : une légèreté, une fantaisie, une ironie qui rompent agréablement avec le naturalisme pesant de leurs aînés.

Sébastien Betbeder retrouve Eric Cantona qu’il avait fait tourner dans Marie et les naufragés. Cet acteur est étonnant. Sa célébrité lui vient du football. Il joue comme une casserole, manifestement à la peine pour retenir ses trois lignes de texte qu’il prononce d’une voix mécanique avec son inimitable accent. Et pourtant il dégage une puissance, une minéralité étonnantes. Face à lui, Manal Issa, jeune actrice libanaise révélée par Peur de rien, dégage une sensualité douce bizarrement asexuée.

On ne trouvera dans Ulysse & Mona rien de ce qui fait le fond de sauce sempiternel des comédies romantiques françaises : pas de meilleure amie branquignole, pas de scènes dans une boîte de nuit aussi bruyante qu’obscure, pas d’amants repus fumant une cigarette dans un lit blanc en milieu d’après-midi… Le problème de Ulysse & Mona est qu’à force de refuser d’emprunter les codes d’un certain cinéma, contre lequel Betbeder se construit, on n’y trouve pas grand chose : juste l’errance de deux solitaires qu’unit une grande tendresse. Ce n’est pas mal. Mais c’est trop peu.

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L’Heure de la sortie ★★☆☆

Pierre (Laurent Lafitte) est recruté par le prestigieux collège Saint-Joseph pour remplacer un professeur de français qui vient de se suicider. L’accueil glacial que lui réservent les élèves de 3ème 1, une classe d’élite qui rassemble les meilleurs éléments, le déstabilise. Pierre a vite la conviction que ces élèves surdoués, unis entre eux par un pacte mortifère, préparent le pire.

Le cinéma français, le pire (Le plus beau métier du monde avec Gérard Depardieu, Les Profs) comme le meilleur (Entre les murs palme d’Or à Cannes), nous a habitués à filmer le collège d’une seule façon : des gamins bruyants mais attachants qui persécutent un enseignant passionné mais débordé.

Adaptant librement un roman de Christophe Dufossé, Sébastien Marnier, déjà remarqué pour son premier film, Irréprochable avec Marina Foïs, ne suit pas cette voie tracée d’avance. Ses collégiens sont étonnamment calmes. Trop calmes. Étonnamment intelligents. Trop intelligents.  Tous ces trop cachent quelque chose. Le film est construit sur ce suspense. On s’y laisse prendre en se disant qu’on sera irrémédiablement déçu par son élucidation. Divine surprise : la fin du film réussit à nous surprendre.

Son principal atout : Laurent Laffitte. L’ancien sociétaire de la Comédie-française est, comme d’habitude parfait. La comédie potache comme le drame : il sait tout jouer.

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The Hate U Give ★☆☆☆

Starr (Amandla Stenberg) a seize ans. Elle vit dans le quartier noir d’une grande ville américaine contrôlé par une bande de voyous dont son père (Russell Hornsby) a fait jadis partie. Elle est choyée par ses parents qui l’ont placée dans un lycée privé majoritairement fréquenté par des élèves blancs. Elle ne vit pas facilement la schizophrénie à laquelle elle est condamnée.
À la sortie d’une soirée, alors que Khalil, un ami d’enfance, la raccompagne chez elle, elle est arrêtée par un policier. L’interpellation dégénère. Khalil est tué sous ses yeux. La cité s’enflamme pour protester contre cette violence policière, plaçant Starr face à un dilemme : témoigner ou pas ?

Hasard du calendrier ou indice d’un mouvement de fond : arrivent sur nos écrans simultanément plusieurs films qui interrogent l’identité noire aux États-Unis. Green Book, Si Beale Street pouvait parler, Sorry to Bother you – après Black Panther ou BlacKkKlansman l’an passé – sont emblématiques de l’acuité de la question noire. On aurait pu croire que #MeToo déclencherait une vague de films féministes ; mais ce sont encore les discriminations dont la minorité noire est victime qui inspirent le plus Hollywood et qui suscitent une pluie d’Oscars.

The Hate U Give est l’adaptation d’un roman à succès de Angie Thomas. Son titre reprend les mots du rappeur Tupac : The Hate U Give  Little Infants Fucks Everybody (THUG LIFE). L’adage dresse un constat et appelle une réaction : « La haine transmise aux plus jeunes contamine la société tout entière ».

Le film n’évite pas le didactisme. On a vite compris son propos : dénoncer la violence omniprésente qui gangrène les plus jeunes qui n’ont d’autre alternative que de la reproduire à l’âge adulte.

Il a un autre défaut : charger la barque au point de la faire couler dans un film qui excède allègrement les deux heures. Car il y est question de plusieurs sujets à la fois : non seulement la violence des gangs, déjà archi-filmée, mais aussi les difficultés rencontrées par une jeune ado pour se faire sa place dans les États-Unis d’aujourd’hui. Le dilemme auquel Starr est confrontée est celui de tous les jeunes de la classe moyenne noire : s’intégrer à une société blanche sans renier son identité. C’est dans la description de cette intégration impossible à une société qui se targue d’être permissive mais qui, au fond, continue à reproduire les mêmes schémas discriminatoires que The Hate U Give est le plus original. Il l’est nettement moins dans sa seconde partie quand il emprunte les formes éprouvées du film de gangs.

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