Grâce à Dieu ★★★☆

Alors qu’il était jeune scout, Alexandre (Melvil Poupaud) a été victime d’attouchements du père Preynat (Bernard Verley). En 2014, marié, père de famille nombreuse, catholique fervent, il découvre que son ancien aumônier officie toujours au contact des enfants. Bouleversé il contacte l’évêque de Lyon, le cardinal Barbarin (François Marthouret). C’est moins le pardon du curé qu’il attend que des sanctions de sa hiérarchie. Mais ses efforts restent vains. Si l’Église écoute son témoignage et lui manifeste sa compassion, si le père Preynat reconnaît les faits sans remettre en cause la parole d’Alexandre, aucune mesure n’est prise pour briser la loi du silence.
Bien que sachant les faits, qui remontent à plus de vingt ans, prescrits, Alexandre dépose plainte. Une enquête est diligentée par le capitaine Courteau (Frédéric Pierrot). Elle permet de retrouver plusieurs victimes du père Preynat parmi lesquels Denis (François Debord) devenu un athé militant, Emmanuel (Swann Arlaud) dont la vie porte les traces indélébiles de ce traumatisme et Emmanuel (Éric Caravaca) un chirurgien qui prend l’initiative de créer une association pour libérer la parole des victimes et médiatiser l’affaire.
Grâce à Dieu raconte leur combat.

La pédophilie dans l’Eglise est un sujet grave. Il fait la une de l’actualité. Il provoque dans l’opinion publique une réprobation unanime. On comprend l’utilité et l’opportunité pour le cinéma de s’en saisir – quelques mois après la sortie des Chatouilles.

Mais on ressent simultanément une triple gêne. Pourquoi recourir à la fiction plutôt qu’au documentaire ? Pourquoi pointer les culpabilités au mépris de la présomption d’innocence sans attendre que la Justice ait fait son office ? Et pourquoi Ozon ? Pourquoi l’enfant terrible du cinéma français dont l’œuvre se caractérise par son ironie acerbe et son réalisme fantastique s’est il lancé dans cette entreprise qui fleure bon les films de commande pour Dossiers de l’écran ?

Ces réserves sont substantielles. Mais force est de reconnaître qu’il s’agissait d’a priori suscités à la fois par le sujet du film, par sa bande annonce et par le tohu bohu judiciaire qui a accompagné sa sortie – les référés déposés par les avocats du père Preynat et de Régine Maire et leur rejet par la justice à la veille de la sortie du film lui offrant une publicité inespérée dans une semaine pourtant bien chargée (Le Chant du loup, La Chute de l’empire américain…).

Dès ses premières minutes, Grâce à Dieu nous saisit. La mise en scène de François Ozon, d’une incroyable fluidité, réussit à rendre passionnant des échanges d’emails lus en voix off. Le film se concentre sur Alexandre, remarquablement interprété par Melvil Poupaud, et sa blonde épouse (impeccable Aurélia Petit). On le quitte à regret pour les autres victimes de Preynat : François, Emmanuel, Gilles… La construction du film se dévoile : consacrer à chacun des personnages un long temps d’exposition. Le procédé aurait pu être pachydermique ; et pourtant il fonctionne.

Grâce à Dieu aurait pu verser dans le manichéisme ou le voyeurisme. Il aurait pu opposer des prêtres corrompus à des enfants brisés, une Église campée dans ses traditions contre une société civile courageuse. Il évite ces écueils. Grâce à Dieu n’est pas un film antireligieux. Il ne stigmatise ni le cardinal Barbarin, dont la compassion pour Alexandre est sincère, ni même le père Preynat qui reconnaît lucidement les faits. Grâce à Dieu rend compte sobrement de la démarche des victimes : ni vendetta contre un homme, ni lutte idéologique contre une institution mais une exigence de vérité et de justice – en résonance avec le combat des victimes du franquisme raconté par Le Silence des autres. Ours d’argent au festival de Berlin, Grâce à Dieu réussit à traiter sereinement un sujet propice à toutes les dérives.

La bande-annonce

Continuer ★☆☆☆

Sibylle (Virginie Efira) et son fils Samuel (Kacey Mottet Klein) chevauchent dans les montagnes kirghizes. C’est le voyage de la dernière chance pour ces deux individus écorchés vifs. Sibylle en a pris l’initiative pour se rapprocher de son fils dont elle a négligé l’éducation et pour sauver cet adolescent buté de sa violence.

Continuer est l’adaptation du roman éponyme de Laurent Mauvignier, sorti en 2016, qui figurait sur les premières listes du prix Goncourt, du Goncourt des lycéens, du Médicis, du Renaudot, du prix Décembre et du Fémina qu’il a tous ratés. Le roman était sec et court, tendu comme un arc. Le film lui ressemble.

Il ne s’y passe quasiment rien, sinon la rencontre de bandits de grand chemin, des sables mouvants où les deux randonneurs manquent de s’enliser et une tempête de neige. On y voit nos deux héros sur leurs chevaux dans des paysages majestueux. Le plaisir qu’a pris Joachim Lafosse à les filmer laisse suspecter une collusion possible avec l’Office du tourisme du Kirghizstan.

Continuer est bâti sur une relation mère-fils dont on connaît par avance le dénouement. Virginie Efira est tellement attendrissante dans le rôle d’une mère repentante, désespérée de reconquérir l’amour de son fils, qu’on ne peut imaginer qu’il lui résistera. Kacey Mottet Klein a beau avoir son Ipad vissé dans les oreilles, il n’est guère crédible dans le rôle du fils rebelle.

Aussi court soit-il Continuer est bien long et sa morale bien creuse.

La bande-annonce

The Place ★★☆☆

Un homme est assis dans un bar. Il griffonne dans un épais cahier noir. Devant lui défilent dix personnes qui lui demandent d’exaucer leur vœu le plus cher : retrouver la foi perdue, guérir un époux malade, recouvrer la vue.
L’homme assis consulte son cahier et passe avec ses « clients » un pacte faustien. Leur vœu sera exaucé à condition de relever un défi. À l’un il demande de kidnapper un enfant, à l’autre de poser une bombe, à un troisième de commettre un viol, etc. Ange ou démon ?

The Place est un double défi.
Le premier est de mise en scène. Comment raconter, sans jamais sortir de l’espace clos d’un café bondé, les rencontres successives d’un homme avec dix interlocuteurs ? Le plus simple, le plus calamiteux aurait été de filmer chaque rencontre en champ-contrechamp pendant dix minutes. Il fallait trouver autre chose. Le réalisateur Paolo Genovese, wonder kid du cinéma italien, y parvient remarquablement en jouant sur le tempo (certaines rencontres sont très brèves, d’autres plus longues), sur l’heure de la journée (certaines se déroulent en plein jour, d’autres dans l’atmosphère plus détendue d’une fin de soirée), sur les séquences (tel client réapparaît plus fréquemment que tel autre) et évite les chausse-trapes du film à sketchs.

Le second est de scénario. Le film est une question : qui est ce mystérieux inconnu ? Quelles pulsions l’animent ? Fait-il le bien ou le mal ? Est-il doté de pouvoirs surnaturels ? Ou n’est-il que l’instrument d’une puissance qui l’instrumentalise ? Le film en pose ensuite progressivement une autre : quels liens existent entre les dix personnages ? les défis lancés aux uns neutralisent-ils ceux lancés aux autres ?
Ces questions tiennent le spectateur en haleine. Son intelligence, sa perspicacité sont mises au défi et l’obligent à une attention accrue. The Place serait génial s’il répondait aux questions qu’il pose. Mais à défaut de le faire, il provoque une frustration similaire à celle que susciterait un puzzle de mille pièces d’un ciel bleu monochrome dont les morceaux ne s’ajusteraient pas.

La bande-annonce


Pearl ★☆☆☆

Léa Pearl (Julia Föry, vainqueur en 2016 des Arnold’s Classic) est bodybuildeuse. Elle est candidate au concours de Miss Heaven. Son coach Al (Peter Mullan révélé par Ken Loach) veille sur elle comme le lait sur le feu, vérifiant son régime, supervisant ses entraînements.
Rien ne doit venir perturber la concentration de la championne quand son passé fait brutalement irruption. Son ancien compagnon (Ariel Worthalter, le père de l’héroïne de Girl) déboule avec Joseph, leur fils de quatre ans.

Première assistante de Eugène Green, Mathieu Amalric, Noémie Lvovsky ou Bertrand Bonello, Elsa Amiel choisit pour son premier long métrage de filmer un milieu rarement montré. Celui du bodybuilding. Féminin qui plus est. Ce monde suscite parfois une curiosité malsaine. Les corps des bodybuilders donnent à voir des muscles hypertrophiés, presque monstrueux. Celui des bodybuildeuses nourrit un fantasme paradoxal : peut-on être à la fois féminine et musclée ?

En 2014, dans Bodybuilder, un petit film remarquable mais hélas passé inaperçu, Roschdy Zem avait mis en scène un bodybuilder et son fils perdu de vue. C’est la même veine qu’exploite Pearl en mettant face à face une bodybuildeuse et son fils. Cette rencontre est l’occasion de répondre aux questions que le sujet pose : la délicate conciliation entre le métier de bodybuildeuse et l’état de mère. Dans Bodybuilder, la paternité était interrogée par un scénario riche en rebondissements. Le scénario de Pearl n’a pas une telle subtilité. Une fois que l’héroïne se retrouve avec son fils, il fait du surplace jusqu’à une conclusion convenue.

Pearl est captivant dans sa première demie-heure qui nous fait découvrir les coulisses d’un monde inconnu, mais décevant dans ses deux tiers suivants. Il aurait fait un excellent court métrage.

La bande-annonce

L’Intervention ★★☆☆

Le 3 février 1976, des militants indépendantistes prennent en otage un bus de ramassage scolaire et ses occupants à Djibouti qui était alors un territoire français ultramarin. Ils forcent le conducteur à les amener à la frontière avec la Somalie. Le bus y est immobilisé tandis qu’une assistante sociale accepte de se constituer otage pour s’occuper des enfants.
Le lendemain, un groupe de tireurs d’élite de la gendarmerie nationale commandé par le lieutenant Prouteau prend d’assaut le bus, élimine les ravisseurs et riposte au feu des Somaliens postés de l’autre côté de la frontière.

Réalisateur en 2015 d’un premier film passé inaperçu, Fred Grivois est allé tourné au Maroc cette reconstitution historique. Il veut l’inscrire dans l’histoire avec un grand H : histoire de la décolonisation française de ce dernier confetti d’Empire, histoire d’une époque où les deux Supergrands se livraient en Afrique une guerre par procuration, histoire de la naissance du GIGN qui allait bientôt se spécialiser dans la libération d’otages.

Il prend quelques libertés avec les faits réels : ainsi du personnage de l’espion de la CIA ou de celui d’Olga Kurylenko qui interprète une belle institutrice. Mais peu importe que le film ne soit jamais aussi maladroit que lorsqu’il essaie de se donner une envergure qu’il n’a pas : le public visé n’a pas fait sa thèse d’État sur « l’équation sécuritaire de la Corne de l’Afrique » (poke Sonia Le Gouriellec).

Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. L’Intervention remplit sans se forcer son contrat. Même si on connaît par avance son issue, on suit cette prise d’otages sans regarder sa montre et on s’attache à chaque membre du commando, le petit jeu consistant à prédire celui qui y restera, à son sympathique commandant (comment peut-on être myope et tireur d’élite ?) et à la jolie maîtresse qu’il va sauver.
Manifestement, la recette, pourtant efficace, n’a pas trouvé son public : au bout de deux semaines L’Intervention a déjà quasiment disparu des écrans.

La bande-annonce

In My Room ★★☆☆

Rien ne va pour Armin (Hans Low), la trentaine. Suite à une ultime bourde, il est à deux doigts de perdre son job de caméraman à la télévision allemande. Sa vie sentimentale est un désastre. Sa grand-mère, que veille son père, est mourante.
Un beau matin, à son réveil, Armin découvre un monde vidé de son humanité. La vie reprend pour lui sur de nouvelles bases.

Que se passerait-il si le monde était brutalement vidé de sa population ? Que ferions-nous si nous étions les derniers hommes ? Comment survivrions-nous face aux éléments ? Céderions-nous au désespoir ? Chercherions nous désespérément d’autres survivants ?

Le sujet a irrigué la littérature autant que le cinéma. Dans ses sources d’inspiration, le réalisateur Ulrich Köhler cite le vieux roman de Marlen Haushofer Le Mur invisible, publié en 1963 et traduit en 1985 seulement par Actes Sud – qui n’était alors qu’une petite maison d’édition arlésienne. Mais récemment, on a vu sur les écrans et dans les librairies se multiplier des œuvres construites autour de cette hypothèse.

Je ne parle pas de films de genre façon Sans un bruit, 28 jours plus tard, World War Z ou Je suis une légende où une humanité réduite à néant doit combattre des créatures menaçantes. J’évoque ici des œuvres minimalistes où l’apocalypse n’est que le prétexte à une réflexion métaphysique sur la condition humaine. Le prix Pulitzer a consacré la meilleur d’entre elle : La Route de Cormac MacCarthy – remarquablement adapté à l’écran par John Hillcoat en 2009 avec Viggo Mortensen dans le rôle principal. Mais il y en a d’autres sans remonter aux ouvrages fondateurs de Barjavel (Ravage, Malevil…) : le film La nuit a dévoré le monde sorti l’an passé dont l’action se déroule dans un Paris aussi désert que familier, Le Dernier Combat, le premier film de Luc Besson, les récents romans de la française Céline Minard (Le Grand Jeu) ou de la canadienne Emily St John Mandel (Station Eleven). Ajoutons à cette énumération déjà trop longue un film inédit dans les salles françaises alors qu’il a pour tête d’affiche les très bankables Margot Robbie Chris Pine et Chiwetel Ejiofor : Z for Zachariah (2015)

In my room – dont le titre inspiré d’une chanson des Beach Boys n’annonce pourtant rien de tel – s’inscrit dans cette longue généalogie. Il prend le parti d’être construit en deux parties nettement distinctes. La première se déroule l’hiver sous une petite pluie fine dans une Allemagne nuageuse. Le héros bedonnant y mène une vie déprimante. La seconde, sans solution de continuité, se déroule sous un soleil radieux, en pleine nature avec un héros méconnaissable qui a pris du poil et des muscles, comme si l’apocalypse loin de le détruire l’avait sauvé.

Le sujet est un défi lancé au scénariste : comment filmer la solitude post-apocalyptique ? Si l’on veut se concentrer sur l’essentiel et éviter d’encombrer son histoire de rebondissements anecdotiques, on risque, en filmant les faits et gestes quotidiens d’un homme solitaire, de faire du surplace. C’était d’ailleurs le travers de l’adaptation cinématographique en 2012 du Mur invisible évoqué plus haut.

On ne pourra rien dire de ce qu’il advient de notre héros, ni des rencontres qu’il fera – ou pas. On indiquera simplement que le rebondissement autour duquel se construit le dernier tiers du film était largement prévisible : il suffit de lire l’affiche pour le deviner. Le parti qu’en prend le scénario et la façon dont le film se termine sont en revanche assez surprenants.

La bande-annonce

Les Révoltés ★★☆☆

Michel Andrieu et Jacques Kebadian avaient réalisé en 1968 plusieurs courts-métrages au sein du collectif ARC 68. Certains étaient même sortis en salles en 1978 sous le titre Mai par lui-même.
Cinquante ans plus tard, toujours verts, les deux réalisateurs ont décidé de les remonter, sans commentaires ni voix off. Ils se focalisent sur un moment bien particulier : celui de l’impossible « convergence des luttes » étudiante et ouvrière. Ils montrent comment syndicats et partis politiques à la traîne ont essayé de reprendre à leur compte la colère de la jeunesse sans y parvenir.

Il est parfois des retards miraculeux. Les Révoltés aurait dû sortir mi-2018 au plus fort des commémorations du cinquantenaire de mai 68. Sa sortie six mois plus tard coïncide avec les manifestations des Gilets jaunes.

Ce documentaire permet de comparer deux mouvements insurrectionnels et de mieux comprendre leurs différences. Elles sont nombreuses.

La première tient dans les modes d’organisation de la révolution. En 1968, Internet n’existait pas. Pour s’organiser, les manifestants devaient se réunir, passer des jours et des nuits ensemble dans les facultés et les usines. En 2018, les manifestants occupent certes l’espace public, les ronds-points en semaine, les avenues parisiennes chaque samedi. Mais l’agora est devenue virtuelle. La délibération collective réunit des individus isolés derrière leurs écrans. On ne débat plus irl.

La deuxième concerne leurs buts. En 1968, les contestataires s’appuyaient sur une idéologie étayée qui gouvernait la moitié de la planète : le marxisme et ses succédanés léninistes, trotskystes ou maoïstes. En 2018, ce qui frappe est l’absence d’armature intellectuelle des manifestants. On dira que la cause en est dans leur profil socioculturel autrement moins aiguisé que celui des étudiants de la Sorbonne en 1968. Mais elle est aussi dans l’absence d’idéologie existante susceptible d’être mobilisée.

La troisième – quitte à s’essayer au jeu dangereux du pronostic – est leur postérité. Même si mai 68 n’a pas renversé l’ordre capitaliste petit-bourgeois, il l’a considérablement ébranlé. Il a précipité la chute du général De Gaulle un an plus tard. Il a surtout ouvert une autre époque, plus hédoniste, plus permissive. Pas sûr que les Gilets Jaunes aient une telle influence. Une fois les ronds-points libérés, les gilets jaunes remisés, qu’en restera-t-il ? Quelle trace laisseront-ils ?

La bande-annonce

Don’t Forget Me ★☆☆☆

Tom est anorexique. Neil est psychotique. Ils se rencontrent, tombent amoureux, s’enfuient de l’institution spécialisée où Tom est placée sous un étroit régime de surveillance. Ils rêvent de quitter Israël pour l’Europe.

Dans sa première partie, Don’t Forget Me a des faux airs de documentaire. Il nous fait pénétrer dans une institution où des jeunes filles sont traitées pour des troubles dans le comportement alimentaire : anorexie, obésité… On se demande ce que la jolie Tom a à faire ici, dont la minceur n’a rien de pathologique. On le comprend quand on la voit au sein de sa famille entre un père et une mère au comportement inquiétant.

Les choses se gâtent quand Neil entre en scène, avec son inséparable tuba (sic). Le jeune homme, qui a passé son enfance à Amsterdam et mâtine son hébreu d’expressions néerlandaises, tombe sous le charme de la jeune fille. Ils se font la belle. Mais, comme on s’en doute, ils n’iront pas très loin.

Cette coproduction franco-germano-israélienne a fait la tournée des festivals. Il a tardé à se frayer un chemin jusqu’aux écrans français. Il est à craindre qu’il n’y reste pas longtemps à l’affiche. Car des histoires d’ados un peu branques, en rupture de ban, on en a déjà vu treize à la douzaine : Une vie volée, My Skinny Sister, My Summer of Love…. Et celui-ci n’a rien de particulier, sinon peut-être le charme gracile de Moon Shavit, qui le distingue du tout venant.

La bande-annonce

Un berger et deux perchés à l’Elysée ? ★★★☆

En 2016, Jean Lassalle, député Modem des Pyrénées-Atlantiques décide de se lancer dans la course à la présidence de la République. Deux réalisateurs l’accompagnent.

À lire le résumé que je viens d’en faire, Un berger… s’annonce comme l’histoire d’une campagne présidentielle. Une sorte de 1974, une partie de campagne où le truculent Jean Lassalle aurait volé la vedette à Valéry Giscard d’Estaing. Ou encore une version loufoque de L’Insoumis qui suivait Jean-Luc Mélenchon en 2017.

Mais Un berger… est plus que cela. C’est bien sûr un documentaire construit autour d’un homme politique et de son ambition : conquérir l’Élysée alors que les sondages ne le créditent guère que d’un pour cent des voix – il en obtiendra finalement 1.21 % à peine. Le personnage intrigue autant qu’il prête à sourire. Il devient célèbre pour avoir entonné dans l’hémicycle en 2003 un chant béarnais. Il aurait pu prendre comme slogan les trois B : « Béret, Béarn et Bon sens ». Est-il matois ou stupide ? Joyeux drille ou triste sire ? Souverainiste de droite ou révolutionnaire qui s’ignore ? Le documentaire ne répond pas vraiment à la question.

Car le sujet de Un berger… est ailleurs. S’il a pour héros Jean Lassalle, il a pour sujet sa relation avec les deux co-réalisateurs qui le filment et le malentendu sur lequel s’est nouée leur collaboration. Pierre Carles est en effet un réalisateur engagé à gauche. Contacté par le député-maire de Lourdios-Ichère (160 habitants) alors qu’il venait d’achever un documentaire sur le président équatorien altermondialiste Rafael Correa, Pierre Carles imaginait contre toute logique que le député béarnais pouvait porter un projet de gauche.

La méprise ne se révèle que progressivement. Le voyage à Damas de Jean Lassalle en janvier 2018 où il rencontre le président Assad et les piteuses explications qu’il sert sur le plateau de ONPC pour s’en justifier précipitent la rupture entre l’homme politique et le réalisateur néo-marxiste qui était devenu peu ou prou son directeur de campagne.

Ce malentendu aurait pu donner lieu à un règlement de comptes. Mais Pierre Carles ne s’y abaisse pas. Il choisit au contraire le parti de l’humour et de l’auto-dérision. Avec une grande lucidité et une ironie plus grande encore, il raconte le fossé grandissant entre ses fols espoirs d’un candidat disruptif – il ne dit pas un mot d’Emmanuel Macron qui les concrétisera – et les gaffes à répétition qui émaillent la campagne de l’incontrôlable candidat.

Il aurait été facile de se moquer de Jean Lassalle. Mais Un berger… n’a pas cette vulgarité qui donne à voir un candidat humain, trop humain, dont le seul défaut est de refuser les codes et un « journaliste » pris au piège de sa subjectivité.

La bande-annonce

La Mule ★★☆☆

Earl Stone (Clint Eastwood) a consacré sa vie à son entreprise d’horticulture quitte à y sacrifier sa famille : sa femme (Dianne Wiest), sa fille (Alison Eastwood) ne le lui ont pas pardonné. Mais, avec le développement du commerce en ligne, son entreprise périclite. Aussi accepte-t-il sans trop y regarder la proposition que lui fait un cartel mexicain : convoyer des livraisons de drogue de plus en plus importantes entre le Texas et l’Illinois.
L’agent spécial Bates (Bradley Cooper), récemment muté à Chicago, grâce aux infos que lui communique un narco qu’il a réussi à retourner, est sur les pistes de cette « mule » au profil inhabituel.

Le problème du dernier film de Clint Eastwood est qu’il se contente de suivre à la lettre le scénario que je viens de résumer. Sans surprise. Sans temps mort non plus. C’est la marque de fabrique du cinéma de Eastwood depuis une vingtaine d’années, un cinéma dont je n’ai jamais compris la vénération qu’il inspire. À rebours de ma génération, je ne tiens pas Sur la route de Madison ou Million Dollar Baby pour des chefs d’œuvre. Je n’ai pas le culot de soutenir qu’il s’agit de mauvais films. Mais je ne vois aucun génie dans leur mise en scène appliquée.

Sans doute La Mule frappe-t-il par l’humilité de son réalisateur qui n’hésite pas à se mettre (une dernière fois ?) en scène. Clint Eastwood a quatre-vingt huit ans. Earl Stone a le même âge. S’il a toute sa tête et une santé qui lui permet sans faillir d’avaler les kilomètres – et de passer toute une nuit avec deux charmantes donzelles – son dos s’est voûté, sa démarche est plus hésitante, sa peau parcheminée semble aussi fragile que du papier de soie. On est loin des poses virilistes de L’Inspecteur Harry.

Pour autant – et contrairement à ce que son affiche annonce, avec un héros qui, tourné vers la gauche, semble regarder vers son passé – La Mule n’a rien de crépusculaire. Il baigne au contraire dans une lumière radieuse. Il se borne à défendre un message simple, qui trouvera un écho chez tous les spectateurs des deux bords de l’Atlantique : il ne faut pas perdre sa vie à la gagner ni sacrifier sa famille à son travail. Simple. Simpliste.

La bande-annonce