León ★★☆☆

Julia vient de perdre sa compagne, Barby. Les deux femmes tenaient ensemble un restaurant. Elles élevaient ensemble León, le fils de Barby. Malgré les liens si forts qui l’unissent à cet enfant, Julia n’a aucun droit sur lui. Elle doit céder la place à la mère de Barby et au père de León.

Voilà un film qui aurait été parfaitement adapté pour précéder un débat des Dossiers de l’écran sur l’homoparentalité – et une entrée en matière que je devrais arrêter de répéter pour l’avoir faite déjà trop souvent et pour éviter de passer pour un indécrottable boomer. On voit en effet venir avec ses gros sabots le film prévisible mettant en scène une héroïne lesbienne, qui avait si amoureusement élevé le fils de sa compagne et qui s’en voit brutalement séparée à la mort de celle-ci, faute de posséder le moindre droit sur lui – et la revendication subséquente d’une nécessaire modification de la législation sur le sujet.

Dieu merci, León est plus subtil qu’il n’y paraît. La raison en est dans un montage ultra nerveux qui raccourcit les scènes au maximum et qui joue sur leur chronologie. La Julia endeuillée qui essaie de reconstruire sa vie sans Barby, de maintenir à flot son restaurant, de tenir tête à la mère de Barby et à son ancien compagnon, alterne avec celle, heureuse et épanouie, qui partageait la vie de son amoureuse.

Le résultat en est métamorphosé. Le fond reste assez banal – même s’il évite la manichéisme qu’on pouvait craindre – mais la forme lui donne un rythme particulièrement entraînant.

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The Summer with Carmen ★★☆☆

Deux amis homosexuels, Démosthène, bloc de virilité  velue sculpté dans le marbre de l’Attique, et Nikitas, androgyne aux cheveux mauves, passent l’après-midi sur une plage naturiste près d’Athènes. Ils réfléchissent au film drôle, sexy, grec et à petit budget qu’ils pourraient réaliser pour un producteur français. Ce film raconterait les événements qui se sont déroulés deux étés plus tôt, lorsque le couple formé par Démosthène et son compagnon de l’époque, Panos, a éclaté, laissant l’amant esseulé en compagnie de Carmen, le chihuahua recueilli par Panos.

The Summer with Carmen est un film estival qui a le bon goût de sortir au mois de juin. Je l’ai vu dans une salle du Marais, un jour de Gay Pride, au milieu d’une douzaine de spectateurs, exclusivement masculins, caricaturalement métrosexuels (si tant est que ce qualificatif ne soit pas aujourd’hui dangereusement démodé).

The Summer with Carmen affiche la couleur : c’est une romance gay, pas triste et ensoleillée. On y voit, comme sur son affiche, des hommes débordant de virilité et légèrement vêtus, affichant sans gêne leur insolente nudité recto-verso. Le temps n’est plus où l’on s’en offusquait….

Cet intérêt voyeuriste aurait pu être le seul atout du film, l’histoire bien conventionnelle qu’il raconte n’en présentant guère : rupture amoureuse, passades hédonistes, règlements de comptes familiaux… Mais The Summer with Carmen est sauvé par une astuce scénaristique : c’est un film dans le film qui se déroule l’espace d’une après-midi ensoleillée avec de longs flashbacks. Nikitas, la plume à la main, prend des notes pour son futur film et rappelle les grandes règles qui président normalement à l’écriture d’un scénario. Bien évidemment, le film qui est en train de se réaliser sous nos yeux les violera toutes les unes après les autres.

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Camping du lac ★☆☆☆

La réalisatrice Eléonore Saintagnan part vers la mer sur un coup de tête. Une panne automobile l’oblige à interrompre son voyage et à s’installer dans un camping, au bord d’un lac, en Bretagne. Une légende liée au saint-patron du coin, Corentin, y circule autour d’un mystérieux poisson qui hanterait les fonds du lac. Avec sa caméra et son micro, Eléonore Saintagnan filme ce qui l’entoure : un vieil Américain, chanteur de country, à la recherche de sa fille, une mère de famille qui élève quelques poules, un tatoueur, un couple de vieux retraités…

Fiction ou documentaire ? Camping du lac revendique la fiction, mais louche plutôt du côté du documentaire. Il se déroule sur les bords du plus grand lac de Bretagne, le lac de Guerlédan dans les monts d’Armor, qui, ainsi filmés, ont des airs de Jura ou de Vosges.

Le prétexte en est inoffensif. S’agit-il d’une reconstitution historique de la vie de Saint Corentin comme ses dix premières minutes pourraient le laisser croire ? une enquête sociologique sur la France des campings ? ou encore, lorsque [attention spoiler] on découvre enfin le mystérieux poisson du lac, un conte onirique et écologique ? Le film peine à trouver sa voie et à prendre son envol. Y eût-il réussi, il s’arrête au bout de soixante-dix minutes à peine, victime de sa propre modestie.

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Let’s Get Lost (1988) ★★★☆

Chet Baker (1929-1988) fut sans doute l’un des plus grands musiciens de jazz du vingtième siècle. La sensualité de son jeu, sa voix de velours et son visage d’ange lui valurent une immense célébrité dans les années 50. Mais Chet Baker se drogua toute sa vie durant et fit souffrir son entourage.

Le photographe Bruce Weber rencontre en 1986 un vieil homme, qui n’a pas atteint ses soixante ans mais en fait au moins dix de plus. Chet Baker est au crépuscule de sa vie. Il mourra quelques mois plus tard, avant même la sortie du film, en se défénestrant du deuxième étage de son hôtel à Amsterdam. Le tournage, raconte Weber, fut particulièrement chaotique, devant tenir compte des sautes d’humeur de Chet Baker, constamment sous emprise.

Let’s Get Lost – du nom d’un standard de 1943 devenu célèbre grâce à l’interprétation qu’il en fit en 1955 – nous montre le jazzman à deux âges de sa vie. Dans les années 50, alors qu’il fait ses premiers pas dans le monde du jazz, dans le sillage de Charlie Parker qui lui donne sa chance et avec le saxophoniste Gerry Mulligan avec lequel il forme un quartet bientôt fameux, Chet Baker est d’une beauté surréelle, mélange de James Dean et de Jack Kerouac. Il devient vite le « prince du cool », la coqueluche de l’Amérique.
Mais ce visage angélique cache une âme tourmentée, torturée par la drogue. L’histoire de sa vie sera celle d’une longue déchéance qui le laisse essoré, à bout de souffle, le visage parcheminé, prématurément vieilli à cinquante ans à peine quand Bruce Weber le filme.

Dans un noir et blanc intemporel, Bruce Weber utilise des images d’archives notamment les célèbres photos de William Claxton. Il suit Chet Baker dans ses déambulations à Los Angeles, sur la plage de Santa Monica, sur la banquette arrière de ces décapotables qu’il aimait tant, dans le studio où il enregistre encore. Enfin, il interroge ses proches.

L’épreuve tourne vite au jeu de massacre quand il interviewe ses ex-compagnes. C’est que Chet Baker a eu une vie privée agitée : trois mariages, quatre enfants qu’il n’a guère élevés, des liaisons adultérines à la pelle… On comprend que Carol Jackson – la mère de trois de ses enfants et sa dernière épouse dont il ne divorça jamais – Diane Vavra – qu’il rencontra en 1970 et qui lui fut proche jusqu’à la fin de ses jours – et Ruth Young – une chanteuse de jazz avec qui il entretint une liaison au début des années 70 – ne mâchent pas leurs mots.
Mais la plus cruelle est la propre mère de Chet Baker, Vera Moser, une octogénaire permanentée, dont on imagine les heures qu’elle a passées pour se préparer à cette interview. Certes, elle ne cache pas sa fierté devant le talent inné et le succès de son fils mais elle garde un silence pudique lorsque Bruce Weber lui demande s’il fut un bon fils.

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Six pieds sur terre ★★☆☆

Fils d’un agent diplomatique algérien, Sofiane (Hamza Meziani) a suivi son père dans ses différentes affectations à l’étranger. Après avoir mollement suivi des études universitaires à Lyon, il se retrouve sous l’obligation de quitter le territoire français d’ici un mois. Pour faire pièce à cette mesure d’éloignement, il n’a d’autre alternative que d’aller travailler à Roubaix dans une entreprise de pompes funèbres musulmane. Il y découvre un métier auquel rien ne l’avait préparé.

Quel joli titre ! Six pieds sur terre nous rappelle la célèbre série de HBO diffusée au début des années 2000. À tort, si j’en crois les avis unanimes, je n’ai jamais réussi à aller au-delà de son premier épisode. Comme dans la série américaine, comme dans le film japonais Departures qui m’avait durablement marqué, ce film évoque, pour reprendre l’élégante expression de Jacques Mandelbaum dans Le Monde, « le commerce de la mort pour apprendre à mieux vivre ». Il a pour décor une entreprise de pompes funèbres où le jeune Sofiane, aux côtés d’un mentor mutique, découvre le métier de thanatopracteur.

Il est l’œuvre d’un réalisateur cosmopolite, Karim Bensalah, né d’un père algérien et d’une mère brésilienne, qui a grandi à Haïti avant de s’installer en France à dix-huit ans. On imagine volontiers ce qu’il a mis de lui dans le personnage de Sofiane, Algérien déraciné, sans Dieu ni mère, qui fait à son père le procès de ne pas l’avoir élevé.

Le parcours de Sofiane est certes original. Il n’en reste pas moins convenu, les différentes étapes de sa maturation étant scrupuleusement passées en revue : la découverte d’une vocation, la naissance d’un lien amoureux avec une belle Scandinave rencontrée dans un Lavomatic sans omettre bien sûr la réconciliation avec son père et ses sœurs.

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Hors du temps ★★☆☆

Le réalisateur Olivier Assayas a hérité de ses parents une propriété familiale à Montabé en vallée de Chevreuse. Pendant le confinement, il s’y est installé avec son frère, comme d’autres Français qui avaient le privilège d’être propriétaires d’une résidence secondaire. Il revisite cette parenthèse hors du temps sous une forme fictionnelle en faisant endosser son rôle par Vincent Macaigne et celui de son frère, critique de musique à la radio, par Micha Lescot.

Au début de Hors du temps, on voit des photos d’une campagne printanière et édénique. Ce sont les images de cette propriété familiale et des bois qui l’entourent dont la voix off d’Olivier Assayas nous raconte l’histoire et l’attachement qu’il lui voue. On s’imagine convié à un documentaire proustien, familial et autobiographique ; mais Hors du temps prend bien vite une autre direction.

Il s’agira d’une fiction, jouée par des comédiens connus (aux côtés des deux acteurs masculins, on reconnaît Nora Hamzawi, toujours juste, et la débutante Nine d’Urso, que j’avais confondue avec Clotilde Hesme). J’en ai lu des critiques exécrables. On lui reproche son nombrilisme, son germanopratisme. Sans doute suis-je moi-même trop nombriliste et trop germanopratin pour que cela m’ait dérangé. Certes, j’ai trouvé que Hors du Temps était horriblement mal joué, que ces dialogues trop écrits sonnaient faux, comme du mauvais Rohmer.

Mais Hors du temps m’a ramené quatre ans en arrière, à cette période si particulière que nous avons tous vécue à notre façon et que nous n’oublierons pas de sitôt, dans ce temps suspendu où, bizarrement, nous avons retrouvé une part de liberté dont le traintrain quotidien boulot-métro-dodo nous avait aliéné. Sans doute, les réactions des deux personnages frisent-elles la caricature : Macaigne nourrit sa hantise du virus des informations glanées sur des sites Internet douteux tandis que Lescot peste contre des règles administratives absurdes qui entravent sa liberté. Mais l’honnêteté oblige à dire que nous avons tous, chacun à notre façon, oscillé entre ces deux réactions-là.

J’ai aimé replonger dans cette époque-là, dans ce temps vide qu’on pouvait occuper à son gré, à faire ce qu’on n’avait jamais eu le temps de faire (lire Les Trois Mousquetaires, vider la cave….), dans cette cohabitation obligée, à la fois étouffante et rassurante avec nos proches, dans ces repas amoureusement préparés, généreusement arrosés et lentement partagés. Hors du temps a le mérite de nous faire revivre ces moments-là et de nous interroger : qu’en avez-vous fait ? en quoi vous ont-ils transformé ?

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Le Moine et le Fusil ★☆☆☆

Le petit royaume du Bhoutan est un État indépendant quasiment coupé du monde, situé sur les contreforts de l’Himalaya. Son souverain abdique en 2006 pour en faire une démocratie parlementaire. Mais la décision n’est pas du goût de tous les Bhoutanais, confrontés à un saut dans l’inconnu.

Qu’on ne s’y trompe pas : Le Moine et le Fusil n’est pas un documentaire mais une fiction qui prend pour toile de fond la préparation des élections générales de 2008. C’est un film choral qui met en scène plusieurs personnages : un moine dont le lama lui demande de trouver deux armes, un guide touristique qui va chercher à l’aéroport un mystérieux Américain recherché par la police, une villageoise qui accompagne pendant quelques jours la directrice des élections venue de la capitale constater sur le terrain l’avancée des préparatifs, son mari en butte à l’hostilité des autres villageois parce qu’il prend parti pour un candidat….

Le film est tendu par un double suspense : d’une part le résultat des élections blanches organisées entre trois partis fictifs, bleu, rouge et jaune, d’autre part la rencontre qu’on sait inéluctable entre tous les protagonistes dont les trajectoires se croisent et se recroisent pendant tout le film.
Les deux conclusions nous réserveront l’une et l’autre deux jolies surprises pleines d’ironie.

Mais, comme on pouvait hélas le craindre, le propos du film est trop gentillet et son rythme trop lâche pour susciter l’intérêt.

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Gloria ! ★★☆☆

L’Institut Sant’Ignazio accueille près de Venise, dans les années 1800, des jeunes filles sans famille et leur donne une éducation musicale dans l’espoir de leur offrir un bon mariage. Il s’y prépare un événement exceptionnel : la venue du pape Pie VII. Hélas, le chef de chœur, un vieux prêtre à court d’inspiration, peine à écrire la partition que lui a commandée le riche protecteur de l’institut. Quatre pensionnaires, aidées d’une servante mutique, vont lui apporter une aide inespérée.

Je ne sais trop que penser de ce film. J’en ai lu des critiques assassines. La raison en est sa schizophrénie. C’est en apparence un film classique, en costumes, au féminisme inoffensif, au dénouement prévisible. Mais Gloria !, qui met en scène un groupe de jeunes mélomanes qui découvrent un piano forte dans les caves de leur pensionnat et l’utilisent pour écrire leur propre musique, prend un parti déroutant : celui de les laisser improviser une musique moderne, totalement anachronique, dont l’harmonie, le rythme et l’orchestration n’ont rien de commun avec la musique de l’époque.

Avec son héroïne, Gloria ! pose ou manque de poser une question passionnante : quelle musique une personne, par exemple une sourde-muette, vierge de toute influence musicale, pourrait-elle écrire ? Pour le dire autrement : aurait-on pu écrire une partition de jazz au XVIIIème siècle ? de reggae au XIXème siècle ? quelles sont les contraintes socio-politiques et les limites à la création musicale ?

Hélas (ou tant mieux), Gloria ! ne creuse pas cette question vertigineuse. Il se cantonne à un scénario sans surprise qui voit, comme on l’escomptait, le maître de chœur s’enliser face à une page blanche et ses pensionnaires, plus douées que lui pour la musique et plus inventives, lui proposer une planche de salut. Gloria ! se termine par un happy end aussi enthousiasmant qu’improbable. « Pop et Libérateur ! » nous promet l’affiche, une promesse aussi incongrue que tenue.

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Maria ★★☆☆

La jeune Maria Schneider a dix-neuf ans à peine quand elle est choisie par Bernardo Bertolucci pour tourner avec la star Marlon Brando dans Le Dernier Tango à Paris. Le film remporte un succès de scandale grâce notamment à une scène de sodomie simulée tournée sans le consentement de l’actrice. Maria, à laquelle on ne propose que des rôles dénudés, sombre dans l’addiction.

La journaliste Vanessa Schneider – qui pour l’anecdote m’a interviewé en 1994 alors qu’elle n’était encore que jeune pigiste chez Libération et que j’entamais ma scolarité à l’ENA qui venait d’être délocalisée à Strasbourg – a consacré en 2018 un livre autobiographique à sa cousine Maria. La petite Vanessa se souvient des frasques de sa cousine dans les années 70 qui trouvait parfois refuge chez son oncle, quand elle s’était disputée avec sa mère.
La jeune actrice ne s’est pas remise du succès sulfureux que lui valut Le Dernier Tango. Elle a refusé les rôles trop simplistes qui lui étaient proposés, s’excluant d’elle-même des castings. Elle s’est lentement abîmée dans l’alcool et dans la drogue. Elle a eu certes d’autres rôles, avec Antonioni et Rivette. Mais ses addictions étaient trop sévères pour lui permettre de tenir son planning, de mémoriser ses textes et de mener sa carrière. Elle s’est fait renvoyer du tournage de Cet obscur objet du désir par Bunuel qui ne la trouvait pas convaincante, et de celui de Caligula car elle refusait d’y jouer nue.

Maria Schneider est depuis #MeToo devenue une figure symbolique des violences sexistes dans le monde du cinéma. Elle est le témoin d’une époque qu’on espère révolue : celle où une jeune femme pouvait, sans son consentement, être agressée sous l’oeil voyeur de la caméra sans que l’équipe de tournage ne lui manifeste la moindre empathie, et être enfermée, pour le restant de sa vie, dans un rôle qu’elle n’avait pas choisi. Une séquence du documentaire de Delphine Seyrig Sois belle et tais-toi ! la montre fulminant contre le machisme du cinéma : « On ne me propose que des rôles de schizophrène, folle, meurtrière, lesbienne, que des choses comme ça, que je n’ai pas envie de faire »

Le film de Jessica Palud – qui fut stagiaire sur le tournage des Innocents de Bertolucci au début des années 2000 – rend justice à la figure de Maria Schneider. Il bénéficie de l’interprétation époustouflante de Anamaria Vartomolei. La jeune actrice, César du meilleur espoir féminin en 2022 pour L’Evénement, est décidément l’une des actrices les plus prometteuses de sa génération. On vient de la voir dans Le Comte de Monte-Cristo. Méconnaissable dans Maria sous la mèche brune qui lui cache les yeux, elle joue une adolescente en quête de père (Maria Schneider était la fille adultérine de Daniel Gélin qui ne l’avait pas reconnue), une jeune actrice qui se brûle les ailes à la flamme de la célébrité, une femme bafouée et perdue qui ne parvient plus à se reconstruire en dépit de l’amour que lui porte la jeune Noor (Céleste Brunnquell).

Maria est un film très appliqué, dans son scénario platement chronologique, dans sa mise en scène, dans sa reconstitution soignée des années 70. Sa défense de Maria Schneider, érigée en martyre d’un cinéma patriarcal, est irréprochable. Mais il a l’effet paradoxal d’enfermer son héroïne dans le rôle de victime dont Maria Schneider a pourtant essayé, sa vie durant, de s’arracher.

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Juliette au printemps ★★★☆

Trentenaire, dépressive, Juliette (Izïa Higelin), illustratrice de livres pour enfants, retourne se resourcer en famille dans l’Ain. Elle y retrouve ses parents séparés, son père un peu lunaire (Jean-Pierre Darroussin), sa mère fantasque qui se pique de peindre et passe d’amant en amant (Noémie Lvovsky), sa sœur hyperactive (Sophie Guillemin) qui étouffe auprès d’un mari trop planplan (Eric Caravaca), sa grand-mère qui vient d’être placée en EHPAD et dont Juliette se charge de vider la maison (Liliane Rovère).

La réalisatrice Blandine Lenoir avait déjà signé deux films remarquables : Aurore sur la crise existentielle d’une Agnès Jaoui en pleine ménopause, Annie colère sur le combat pour la décriminalisation de l’avortement au début des années 70. Son troisième est au moins aussi réussi. Pourtant son pitch tellement banal n’augure rien de bon. Il nous promet, tout au mieux, l’histoire convenue d’un retour au pays natal, d’une escapade en province d’une Parisienne dépressive, dont on sait par avance qu’elle sortira régénérée de ces quelques jours auprès des siens.

Avec un motif insignifiant, Juliette au printemps réussit pourtant le miracle de nous intéresser et de nous émouvoir. Il le doit d’abord à une panoplie d’acteurs qui comptent parmi les tout meilleurs du moment. Chacun dans son registre, Jean-Pierre Darroussin et Noémie Lvovsky font ce qu’ils savent si bien faire : lui incarne le lait de la tendresse humaine, elle la folie douce. Leur interprétation en deviendrait presque lassante si elle n’était pas à chaque fois si précisément juste. Celle qui crève l’écran, c’est Sophie Guillemin. La jeune révélation de L’Ennui de Cédric Kahn à la fin des années 90 a pris de longs chemins de traverse. Elle s’est convertie à l’Islam, a porté le voile, avant de revenir, Dieu merci, au cinéma. Depuis quelques années, la quarantaine épanouie, on la revoit enfin. Ici, elle tient un rôle étonnant de mère au foyer control freak et d’amante dionysiaque (on n’oubliera pas de sitôt ses galipettes dénudées avec son fantomatique amant). La seule qui détonne dans ce casting plaqué or, c’est Izïa Higelin, peut-être trop radieuse, trop souriante, trop solaire, pour interpréter une héroïne frappée par la neurasthénie (Nina Meurisse ou Suzanne Jouannet auraient été des choix plus judicieux).

Sa réussite, Juliette au printemps la doit aussi à un scénario qui nous ménage dans sa seconde partie une révélation déchirante. L’évoquer est déjà trop en dire. Chaque famille cache des secrets. Celui-ci n’en est pas tout à fait un. Il n’en est que d’autant plus émouvant. Il arracherait des larmes à une pierre.

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