Mon gâteau préféré ★☆☆☆

Mahin vit à Téhéran. Veuve depuis de longues années, séparée de ses enfants partis vivre à l’étranger, elle ne supporte plus la solitude de son grand appartement en rez-de-jardin. Un beau jour, elle fait la connaissance de Faramarz, un ancien militaire devenu chauffeur de taxi. Entre les deux septuagénaires esseulés, le courant passe immédiatement.

Quel beau film pour la Saint-Valentin ! Devant l’UGC Gobelins, deux files de spectateurs bien différentes étaient reconnaissables avant-hier. La première rassemblait des spectateurs de dix-huit à cinquante ans devant Bridget Jones 4. La seconde, presque aussi nombreuse, faisait plutôt recette dans le troisième âge pour une comédie romantique iranienne qui bénéficie depuis sa sortie le 5 février d’un bouche-à-oreille élogieux. Devinez dans laquelle j’ai pris place!

L’extraordinaire cinéma iranien nous fournit à un rythme régulier des films coup-de-poing qui dénoncent , avec une redoutable efficacité, la restriction des libertés et l’asservissement de la femme en Iran. Il suffit de citer pour 2024 : Les Graines du figuier sauvage, que j’ai placé presque au sommet de mon Top 10 2024, Tatami, le diptyque de Mehran Tamadon Mon pire ennemi/Là où Dieu n’est pas, ou encore Chroniques de Téhéran. Mon gâteau préféré s’inscrit dans un registre inhabituel, plus doux : la comédie romantique.

Il n’en a pas moins valu à ces deux co-réalisateurs le même sort : la suppression de leurs passeports et l’assignation à domicile. Car Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha, qui avaient signé Le Pardon en 2021, y montrent ce que le régime des mollahs interdit de montrer : une femme en cheveux, qui boit du vin, qui danse et qui prend la défense des filles harcelées par la police des mœurs pour une mèche qui dépasse du tchador ou un chemisier trop moulant.

Mon gâteau préféré part d’une situation qui ne m’a semblé guère crédible. Je n’ai pas cru dans la rencontre de Mahin et de Faramarz qui se sont croisés au restaurant pour retraités où déjeune parfois Mahin pour rompre sa solitude. Si j’étais un septuagénaire iranien, chauffeur de taxi (ce que je ne suis pas !), je n’aurais pas suivi chez elle cette retraitée trop fardée et trop aguicheuse. Si l’on accepte cette prémisse, que penser de la suite du film ?

Je lui trouve deux défauts successifs dont la présentation m’entraîne à évoquer les développements du scénario. Les lecteurs allergiques au divulgâchage s’arrêteront ici.
On voit d’abord les deux tourtereaux roucouler. Le tableau est délicieux mais il est terriblement statique. Leur coup de foudre est trop immédiat pour être crédible, trop parfait pour ne pas condamner le scénario à la panne sèche. Que pourrait-il se passer maintenant que nos deux héros filent le parfait amour ?
C’est alors qu’intervient un coup de théâtre. Il évite au scénario la panne sèche qui le menaçait. Point positif. Mais il a le défaut d’entraîner le film dans une direction, macabre, qui n’était pas la sienne, qui rompt avec le registre qu’il avait choisi jusqu’alors, au risque d’en brouiller le message.

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Le Dernier Souffle ☆☆☆☆

Inquiet d’une tache qu’un premier IRM a révélée, le célèbre essayiste Fabrice Toussaint (Denis Podalydès) en passe un  deuxième dans un grand hôpital parisien. Il y croise le professeur Augustin Masset qui lui fait visiter le service de soins palliatifs qu’il dirige. Il lui raconte les patients qui y ont défilé. Entre l’homme de lettres et le médecin pétri d’humanisme, une amitié se noue.

Même s’il est des films plus adaptés à une soirée de Saint-Valentin (Bridget Jones 4 dans la salle d’à côté affichait complet), je tenais à aller voir Le Dernier Souffle. À ça deux raisons. La première : l’immense renommée de Costa-Gavras, le cinéaste franco-grec dont l’oeuvre aura marqué le siècle (Z, L’Aveu, Missing, Amen…). La seconde : son sujet, la fin de vie qui, comme tout un chacun, m’interroge, partagé entre deux philosophies opposées, la stoïcienne qui prône d’y penser chaque jour pour mieux s’y préparer, l’épicurienne qui au contraire recommande de n’y penser jamais et de la laisser advenir le moment venu.

Quelle ne fut pas ma déception ! Costa-Gavras est parti du livre co-écrit par Régis Debray et Claude Grange. J’irai lire ce court essai de 130 pages à peine. Je fais confiance au bouillant philosophe – qui fut quelques mois conseiller d’Etat par le fait du Prince avant de considérer que le métier était trop ardu pour le modeste prestige qui y était associé – et au grand médecin pour avoir eu un échange de haute tenue. Costa-Gavras, auquel on ne saurait reprocher de ne pas être un grand réalisateur, échoue hélas complètement à en tirer un film.

L’incarnation de ces deux hautes figures est une catastrophe et une bouffonnerie. Denis Podalydès, immense acteur s’il en est, joue l’hypocondriaque, hanté par la mort qui vient, flottant dans la blouse blanche trop grande que lui fait porter le professeur Masset. Kad Merad est plus mauvais encore. Il livre une prestation plus exécrable que dans le dernier Lelouch. C’est dire… Chaque ligne de ses dialogues trop écrits est prononcée d’une voix sentencieuse, avec un demi sourire censé symboliser à la foi une profonde sagesse et une infinie bienveillance.

Le film est construit autour de plusieurs cas. On voit défiler militairement quelques visages connus, dont on se dit qu’ils ont accepté de passer un jour ou deux sur le plateau par amitié ou par admiration pour le réalisateur nonagénaire : Charlotte Rampling, un spectre cadavérique soucieux de garder jusqu’au bout sa dignité, Françoise Lebrun, pleine d’une sagesse inspirée de la philosophie bouddhiste, Hiam Abbass, épouse aimante, exigeant contre toute raison la poursuite pour son mari d’un traitement inutile, Agathe Bonitzer, une jeune femme incapable d’accepter l’injustice de sa mort précoce, Ángela Molina, matriarche gitane droite comme un i, Karin Viard, cancérologue compatissante, etc.

Si, pendant vingt minutes, on se dit que le film part sur une mauvaise voie mais que son sujet n’en demeure pas moins passionnant (des dimensions rarement évoquées de la fin de vie y sont traitées, notamment le rôle déterminant de l’entourage familial, bénéfique ou maléfique selon les cas), cette accumulation de courtes scènes caricaturales, tellement artificielles, si mal interprétées, devient vite ridicule. Au point que l’envie débilitante et rarissime de quitter la salle m’a pris.

Si le sujet de la fin de vie vous intéresse – et Dieu (!) sait qu’il est intéressant – allez plutôt voir le dernier Almodovar, De son vivant avec l’excellent Benoît Magimel, l’adaptation du roman de Emmanuèle Bernheim, Tout s’est bien passé, le déchirant Blackbird ou, le meilleur de tous, Quelques heures de printemps.

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The Brutalist ★☆☆☆

L’architecte László Tóth (Adrien Brody), formé au Bauhaus, fuit l’Allemagne où il fut interné pendant la Seconde Guerre mondiale pour les Etats-Unis. Il est accueilli à Philadelphie par son cousin, Attila, et par sa femme avant de se brouiller avec eux. La riche famille des Van Burren le prend sous sa coupe après qu’il a rénové leur bibliothèque et lui confie la responsabilité d’un projet titanesque.

J’aurais adoré adorer The Brutalist. Nous était promis un intense moment de cinéma comme on n’y a guère droit qu’une ou deux fois par an, du niveau espéré de Babylon, de There Will Be Blood ou du Fils de Saul… 3h34 tourné en VistaVision, comme Les Dix Commandements ou Vertigo, avec un entracte en prime ! Une fresque qui plonge dans l’histoire et nous élève au sommet de l’architecture moderne pour raconter les rapports de pouvoir au cœur d’une Amérique dominée par un capitalisme cynique et rongée par un antisémitisme rampant. Que demander de mieux ?!

Son héros est un personnage de fiction. László Tóth n’a pas existé. Mais on peut s’amuser à retrouver ,dans sa biographie et dans ses constructions, la trace de Le Corbusier, de Mies van der Rohe ou de Marcel Breuer, le père du modernisme. Sublimées par la musique de Daniel Blumberg, les formes imposantes qui s’érigent pendant le film ne peuvent qu’inspirer le respect.

Pour autant, je n’ai pas été embarqué par The Brutalist. Son héros est une figure christique sur laquelle s’abattent tous les malheurs du monde : le traumatisme rémanent de son enfermement à Buchenwald, le mépris de classe dans lequel le tient la famille Van Burren. Ses retrouvailles avec sa femme (Felicity Jones) et avec sa nièce (Raffey Cassidy) ne réussiront qu’un temps à alléger son fardeau. Adrien Brody l’interprète avec la même mimique affligée que celle qui ne le quittait pas dans Le Pianiste.

Une telle accumulation de malheurs sur la tête d’un seul homme finit par broyer le spectateur, otage d’un film irrespirable qu’un voyage à Carrare pour trouver le marbre de l’autel ne réussira pas, loin s’en faut, à égayer. On a tout compte fait le sentiment que le réalisateur n’avait d’autre ambition que de nous en mettre plein la vue. Sans doute a-t-il mobilisé suffisamment de moyens, qu’il s’agisse de la musique ou des décors, pour y réussir. Mais ce cinéma tout-puissant nous écrase plus qu’il nous élève.

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5 septembre ★★★★

Le 5 septembre 1972, à Munich, un commando palestinien a pénétré dans le village olympique et y a pris en otage des athlètes israéliens. L’événement a marqué les esprits. Il a endeuillé les Jeux olympiques. Il a visé des Juifs alors que l’organisation des Jeux à Munich visait à effacer le souvenir sinistre des Jeux de 1936 à Berlin. Cette action retentissante a vulgarisé un mode d’action qui hélas est devenu de plus en plus fréquent dans les années suivantes : le terrorisme.

La prise des otages de Munich est entrée dans l’Histoire. le cinéma s’en est emparé. Kevin McDonald lui a consacré un documentaire remarquable, Un jour en septembre en 1999. Surtout, l’immense Steven Spielberg, dans Munich (2006), a raconté les patientes représailles organisées par le Mossad pour « venger Munich ».

Le suisse Tim Fehlbaum choisit une focale originale. Il ne raconte pas la prise d’otages proprement dite mais la manière dont ABC en a rendu compte. La chaîne américaine avait dépêché ses journalistes sportifs et ses équipes techniques pour filmer les épreuves en direct. Alors que rien ne les y préparait, cette équipe a retransmis en direct des images que près d’un milliard de téléspectateurs ont regardées.

Avec une redoutable efficacité et une admirable simplicité, 5 septembre raconte les faits tels qu’ils se sont déroulés et les décisions que l’équipe d’ABC a été obligée de prendre pour en rendre compte. Il nous montre le bricolage permanent que constituait, à l’époque, la réalisation d’un direct, avec des équipements qui, cinquante ans plus tard, nous semblent préhistoriques. Les légendes par exemple sont fabriquées à la main et filmées en gros plan avant d’être insérées au pied de l’image. Les images sont tournées en 16mm par d’énormes caméras sur des bobines qu’il faut patiemment développer. Avant l’ère du téléphone portable et des liaisons internet, les reporters communiquent via des téléphones à pièces ou des talkies walkies.

Mais, au-delà de ce bricolage bon enfant, le métier de journaliste, le 5 septembre 1972 à Munich, est autrement plus dramatique. Le film pose des questions éthiques qui sont toujours d’actualité. Une chaîne d’informations en continu a-t-elle le droit de tout montrer au nom de la transparence : l’exécution en direct d’un des otages au risque de traumatiser durablement ses proches ? le déploiement des forces de police sur le point de donner l’assaut au risque d’en informer les terroristes eux-mêmes ?
Autre interrogation éthique : quel degré de certitude la chaîne doit-elle avoir avant de diffuser une information ? Quand la rumeur court que les otages libérés sont sains et saufs, ABC peut-elle en rendre compte à l’antenne au risque d’accréditer cette information fragile et de susciter de fausses espérances sur leur sort ?

Ces questions, passionnantes, sont traitées avec une efficacité admirable. 5 septembre se déroule quasiment en huis clos dans l’atmosphère confinée de la régie de la chaîne. Quelques personnages, auxquels on a tôt fait de s’identifier, y travaillent dans une agitation frénétique : le directeur d’ABC Sports, Roone Arledge (Peter Sarsgaard), le chef débutant de la régie, Geoff Mason (Peter Magaro), un journaliste plus aguerri, Marvin Bader (Ben Champlin), une traductrice allemande, une des rares femmes de cette équipe ultra-testotéronée, qui s’avère vite indispensable, Marianne Gebhardt (Leonie Benesch).

5 septembre nous cloue à notre fauteuil. Durant toute la séance, ponctuée ces temps ci d’accès de toux et de reniflements, je n’ai pas entendu une mouche voler. Mené à un train d’enfer, 5 septembre ne nous laisse pas une minute de répit. Aurait-il été plus efficace encore s’il avait duré plus longtemps, au point de nous faire éprouver, dans notre corps, l’exténuation de cette prise d’otages interminable ?

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Prima la Vita ★☆☆☆

Francesca Comencini est la fille de Luigi Comencini, un immense réalisateur italien qui tourna une quarantaine de films parmi lesquels des chefs-d’œuvre tels que Pain, amour et fantaisie, L’Argent de la vieille ou Les Aventures de Pinocchio. Devenue réalisatrice elle-même, Francesca revient sur son enfance dans cette fiction autobiographique dont elle dit qu’elle y a pris quelques libertés avec la réalité sans préciser lesquelles.

On y découvre une petite fille passionnément aimée par son père et passionnément attachée à lui. Pour souligner la force de ce lien, la réalisatrice a gommé de son film sa mère et ses trois sœurs. Le père et sa fille sont seuls dans un face-à-face qui devient vite asphyxiant. Car, après le vert paradis des amours enfantines, l’adolescence de Francesca est plus ombrageuse. Alors que l’Italie plonge dans les années de plomb (née en 1961, Francesca est lycéenne quand Aldo Moro est assassiné), Francesca se rebelle contre l’ordre bourgeois incarné par son père, fait de mauvaises rencontres dans la Rome bohème et plonge dans la drogue. Pour l’en sevrer, son père décide de quitter l’Italie pour la France.

Prima la vita annonce, dès son titre, son projet contradictoire. « La vie avant le cinéma » est en effet un programme paradoxal pour un film qui met en scène l’un des plus grands réalisateurs italiens, nous le montre, toujours impeccablement cravaté, en train de tourner Les Aventures de Pinocchio. L’un des sujets du film est en effet la vie de Luigi Comenici (peut-on à son sujet parler de biopic ?). C’est en tout cas l’un des aspects du film qui attise notre curiosité même si la réalisatrice, avec ce titre-là, a l’air de nous dire : « Ne venez pas voir mon film en croyant qu’il parlera de cinéma ; car je veux parler de la vie plus que de cinéma ».

Puisque Prima la vita n’entend pas, hélas, parler de cinéma, laissons-le nous parler de la vie. Je peinerais à citer des films célèbres ayant pour sujet la relation père-fille (Bonjour tristesse, La Passion Béatrice, Mon père ce héros, La Fille de son père…). Prima la vita embrasse le point de vue de Francesca. Elle évoque bien sûr sa rebellion adolescente et sa chute dans la dépendance. Mais ce qui ressort avant tout c’est l’amour infini qu’elle porte à ce père vénéré, c’est l’admiration pour sa rigueur intellectuelle et sa créativité artistique, c’est la reconnaissance pour l’aide indéfectible qu’il lui a apportée alors qu’elle manquait de le décevoir.

Prima la vita est un cénotaphe dressé à la mémoire d’un père adoré (décédé en 2007). On imagine volontiers tout ce que la réalisatrice a mis dans son film. Mais on ne peut hélas que se sentir un peu oublié dans ce tête-à-tête qui ne nous concerne pas.

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April ☆☆☆☆

Obstétricienne dans un petit hôpital au fin fond de la Géorgie, Nina voit sa responsabilité mise en cause après le décès d’un nouveau-né. Une enquête administrative est confiée à l’un de ses collègues qui se révèle avoir été son amant. Parallèlement, Nina se déplace dans les campagnes et y pratique des avortements clandestins lorsque les délais légaux de l’IVG sont dépassés.

Dea Kulumbegashvili est décidément une réalisatrice qui ne laisse pas indifférent. J’avais été profondément marqué par son premier film, Au commencement, hésitant à crier au génie ou à l’escroquerie, et optant finalement pour un « coup de gueule » retentissant. J’ai eu exactement la même réaction en sortant du MK2 Beaubourg, la seule salle parisienne à diffuser April. J’ai été horripilé par ce film qui s’étire pendant plus de deux heures dans des plans fixes d’une durée exténuante. Mais je me suis néanmoins demandé si je n’étais pas passé à côté d’un chef d’œuvre.

April nous vient de Géorgie un pays qui décidément occupe sur la carte du cinéma européen une place intéressante. Nous viennent régulièrement de ce petit pays du Caucase, dont on sait par ailleurs les troubles géopolitiques qu’il traverse, coincé entre l’ours russe et ses aspirations europhiles, des œuvres âpres et intenses : Blackbird, Blackberry, sur l’éveil tardif à la sexualité d’une quinquagénaire, Sous le ciel de Koutaïssi, une languide histoire d’amour dans une petite ville de province plombée par l’ennui, Et puis nous danserons, qui brise le tabou de l’homosexualité au Ballet national géorgien, Khibula, sur la longue errance d’un président déchu et de son dernier quarteron de fidèles, etc.

L’héroïne d’April aurait pu être une femme admirable et courageuse, une Antigone moderne bravant une loi inique pour sauver de grossesses dont elles ne voulaient pas des femmes perdues dans une campagne arriérée. Mais Nina est plus ambivalente. C’est une femme profondément dépressive dont les nuits sont hantées par des visions monstrueuses. Sa nymphomanie – elle saute au paf d’un autostoppeur ou d’un laveur de glaces – cache un profond mal-être. En tous cas, son personnage ne suscite ni l’empathie ni l’identification.

Jusqu’à sa conclusion déroutante, April est un film sinistre dont la lenteur et la noirceur revendiquées ne peuvent que rebuter. Si Dea Kulumbegashvili aspirait secrètement à ce qu’on déteste ses films, elle ne s’y prendrait pas autrement.

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La Pampa ★★★☆

Willy, le brun, et Jojo, le blond, vivent dans une commune rurale du Maine-et-Loire. Les deux lycéens partagent la même passion pour le moto-cross qu’ils pratiquent à La Pampa, sur le terrain du père de Jojo (Damien Bonnard). Entraîné par Teddy (Artus), Jojo est bien placé pour décrocher le titre de champion de France.

Des quatre coins de l’Hexagone, nous viennent ces derniers temps des petits films français qui racontent la vie telle qu’elle est et qui remportent un succès mérité : En fanfare du Nord, Jouer avec le feu de Moselle, Vingt Dieux du Jura, La Pie voleuse des Bouches-du-Rhône et maintenant ce La Pampa, au titre faussement latino-américain, du Maine-et-Loire.

Sélectionné au dernier festival de Cannes dans la Semaine de la critique, La Pampa est l’œuvre d’Antoine Chevrollier qui s’est fait un nom dans le monde des séries (Le Bureau des légendes, Baron noir, Oussekine) avant de signer son premier long.

Son scénario est riche en rebondissements qui en rendent le résumé particulièrement piégeux. Disons, pour ne pas trop en dire, qu’un secret est révélé à la fin du premier tiers et qu’un drame glaçant marque la fin du deuxième. Disons aussi, puisque d’autres critiques ont pris la liberté d’en parler, qu’il y ait question d’homosexualité (mais ne laissez pas l’affiche du film vous entraîner sur une fausse piste) et d’homophobie.

L’écriture du film est particulièrement soignée. Elle présente l’originalité de confier le rôle principal, celui de Willy, interprété par Sayyid El Alami, repéré dans Leurs Enfants après eux, à un personnage secondaire : ce n’est pas en effet Willy mais plutôt Jojo qui est le personnage le plus important du film, celui autour duquel la narration se construit.

L’autre qualité de La Pampa est le soin apporté aux personnages secondaires. Il faut évidemment évoquer Damien Bonnard qui, de film en film, réussit la gageure d’être à chaque fois parfait, ici en père toxique qui a reporté sur son fils ses ambitions déçues, ainsi qu’Artus, désormais auréolé du succès surprise du P’tit truc en plus, dont il était à la fois le réalisateur et un des acteurs, à contre-emploi. Mais il ne faudrait pas oublier les personnages féminins : Florence Jaunas, dans le rôle de la mère de Willy, la prometteuse Léonie Dahan-Lamort dans le rôle d’une jeune étudiante aux beaux-arts qui ouvre à Willy des horizons insoupçonnés et enfin la jeune Axelle Fresneau, dans celui de sa petite sœur, une pré-ado pas plus haute que trois pommes, qui à onze ans à peine laisse deviner une étonnante maturité.

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Un monde violent ★★☆☆

Deux frères, Paul (Félix Maritaud) et Sam (Kacey Mottet Klein), braquent un camion de l’entreprise de logistique qui les emploie avec la complicité de l’assistante du directeur (Olivia Côte). Mais le conducteur est tué pendant le braquage. L’enquête menée par la gendarmerie a tôt fait de remonter leur piste. Le trio, lui, a tôt fait de se diviser.

Le jeune réalisateur Maxime Caperan plante pour son premier film sa caméra dans la Creuse, à mi-chemin de Guéret et de La Souterraine. Façon pas très subtile de montrer qu’il se déroule dans la France profonde. Il a pour toile de fond la crise des Gilets jaunes. Façon guère plus subtile de souligner que ses héros, des Français ordinaires accablés par un travail abrutissant, sont au bord de l’explosion.

Maxime Caperan entend jouer sur deux tableaux. D’un côté, une chronique sociétale de cette France qui s’ennuie et qui gronde. De l’autre, un film noir, un polar tendu comme on en lisait jadis dans la Noire, qui débute par un braquage et se termine très classiquement par une cavale.

Le résultat n’aurait pas grand intérêt s’il n’était servi par un trio d’acteurs remarquables. Kacey Mottet Klein, qui était il y a quelques années seulement, un adolescent en pleine croissance est devenu adulte, prématurément vieilli par une calvitie précoce. Aussi électrique qu’il l’était dans Sauvage qui l’a révélé en 2018, Félix Maritaud interprète son frère aîné et son contraire : autant Sam est timide, doux et effacé, autant Paul est extraverti, violent et solaire. Beau comme un diable, il a fait la conquête de Suzanne, interprétée par Olivia Côte. Séparée de son mari (Eric Caravaca) pour des motifs qu’on comprendra bientôt, isolée dans une ferme qu’elle ne peut plus entretenir, lestée d’une ado rebelle (Bonnie Duvauchelle, la fille de Nicolas Duvauchelle et de Ludivine Sagnier), Suzanne se met à douter : l’amour de Paul est-il sincère ? ou a-t-il été inspiré par la perspective du braquage ?

Ce trio remarquable et les tensions qui le divisent font l’originalité d’un film qui, sans lui, aurait été bien quelconque.

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Julie se tait ★☆☆☆

Julie est une jeune joueuse de tennis pleine de talent. Son entraîneur, Jérémy, est mis à pied par la direction du club flamand qui l’emploie. Les raisons de cette éviction ne sont pas dévoilées ; mais le témoignage de Julie, qui était l’élève la plus prometteuse de Jérémy, va s’avérer déterminant.

Julie se tait est un « film à thème » sur l’emprise dans le monde du sport. La fiction s’inspire hélas de nombreux faits divers qui défraient régulièrement l’actualité dans le monde du judo, du kayak ou du patinage artistique. En 2021, Slalom en traitait qui mettait en scène une jeune skieuse (la révélation Noée Abita) et son coach abusif (Jérémie Rénier).

Julie se tait choisit de traiter ce sujet sous un angle original. Il ne raconte pas, comme le faisait Slalom, la relation toxique de Julie et de son coach. Il se place après. Après quoi ? Là est la question à laquelle le film a l’intelligence (ou le défaut ?) de ne pas répondre.

Julie se tait se déroule après les faits dont le coach de Julie est accusé. Son sujet n’est pas la relation entre Julie et Jérémy mais le silence que gardera ou pas la jeune fille tiraillée entre des sentiments contradictoires : la fidélité à celui qui a fait d’elle une championne, la crainte de ne pas être crue, la volonté de minimiser un traumatisme qu’elle nie. Pour le dire en des termes plus cliniques, le sujet de Julie se tait est la libération de la parole.

C’est ce programme écrasant qui plombe le film. Il possède pourtant de solides atouts. Il réussit tout du long à créer une atmosphère particulièrement étouffante. La caméra ne lâche pas d’une semelle Tessa Van den Broeck- dont on admire qu’elle soit en même temps une excellente joueuse de tennis et une si bonne actrice. Cette omniprésence à l’écran crée avec le spectateur une proximité : on s’attache vite à elle au point de partager son indicible mal-être.

Pour autant, selon moi, Julie se tait est condamné à l’échec par son projet. Car on sait par avance comment il se terminera. Et on a anticipé les étapes que le scénario empruntera pour nous conduire à cette conclusion prévisible.

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Château Rouge ★☆☆☆/ Apprendre ★☆☆☆

À une semaine d’écart, les 22 et 29 janvier derniers, sont sortis deux documentaires similaires. Ils avaient l’école pour objet et suivaient pendant une année les élèves d’une classe de troisième d’un collège du XVIIIème arrondissement pour Château Rouge de Hélène Milano et d’une école primaire d’Ivry sur Seine pour Apprendre de Claire Simon. La seconde réalisatrice est bien connue, qui a derrière elle, à soixante dix ans passés, une longue filmographie (on lui doit aussi bien des films de fiction que des documentaires). La première fut longtemps actrice avant de passer derrière la caméra.

Ces deux films partagent les mêmes qualités. Tournés selon la grammaire wisemanienne qui désormais a valeur de commandement dans le monde documentaire, sans voix off, ni explication, ils nous font pénétrer dans le cœur du système éducatif et nous y font découvrir des individus profondément attachants : de jeunes élèves, à une période charnière de leur vie, celle qui précède l’entrée au lycée pour  ceux de Chateau Rouge, au collège pour ceux d’Apprendre, et leurs professeurs à l’admirable dévouement (on imagine toutefois, mais on espère se tromper, qu’ils ont refusé que soient gardées au montage les séquences les montrant sous un jour moins favorable).

Ces deux documentaires font l’éloge de l’école républicaine sans s’apesantir sur les difficultés qu’elle rencontrerait : rien sur les classes surpeuplées, sur la dégradation du métier d’enseignant, sur la violence qui pénètre le sanctuaire scolaire ou les débats lancinants sur la laïcité. C’est au contraire une image très (trop ?) lisse de l’institution scolaire qu’ils nous renvoient où les élèves sont somme toute des gamins attendrissants – même si on pourrait être en droit de s’inquiéter de l’avenir de certains loustics de troisième – et le corps enseignant (professeurs, surveillants, principal.e) des êtres d’une infinie patience voués à l’épanouissement de leurs ouailles.

Outre cette bénévolence, ils ont, l’un comme l’autre, un défaut rédhibitoire : celui de venir après une tripotée de documentaires similaires qui traitent, avec au moins autant d’intelligence, du même sujet et de la même façon. Être et avoir, Chante ton bac d’abord, Allons enfants, La Générale, Le monde est à eux, etc. Je me souviens avoir adoré le documentaire de Claire Simon Récréations en 1992. Le souvenir enthousiaste que j’en ai gardé tient-il à la qualité intrinsèque de ce documentaire ? ou au fait qu’à l’époque c’était la première fois que j’en voyais un sur ce sujet ? Toujours est-il que je me demande pourquoi, plus de trente ans plus tard, Claire Simon retourne le même film redondant.

La bande-annonce de Château Rouge
La bande-annonce d’Apprendre