Better Man ☆☆☆☆

Better Man est un biopic consacré à Robbie Williams, le chanteur pop rock anglais. On l’y suit depuis son enfance, dans une famille modeste de l’Angleterre du nord. On le voit acquérir une célébrité inattendue au sein d’un boys band, entamer avec succès une carrière solo, s’enfoncer dans l’alcool et dans la drogue mais finalement réussir à se libérer de ses démons.

Better Man est un film de commande, produit par Robbie Williams lui-même, dirigé par le réalisateur australien Michael Gracey qui s’est fait connaître en signant en 2017 The Greatest Showman, une comédie musicale avec Hugh Jackman que j’avais détestée et assassinée dans ma critique. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, Better Man est du même acabit qui enfile les vidéo clips jusqu’au plus délirant, Rock DJ, filmé sur Regent Street. On se croirait sur MTV, pas au cinéma.

Better Man a une particularité qui aurait pu titiller : son héros est interprété par un chimpanzé reconstitué en image de synthèse. Sa présence pour le moins surprenante au milieu d’une foule d’humains n’est jamais questionnée. On en déduit qu’il s’agit de la façon dont Robbie Williams se voit lui-même et non pas celle dont il est perçu. Ô combien subtile métaphore de sa difficulté à trouver sa place dans un monde auquel il se sent étranger et à se regarder dans le miroir !

Ce biopic d’une banalité crasse coche toutes les cases du genre. Il raconte, comme tant d’autres (Ray Charles, Johnny Cash, Elton John, Freddy Mercury…) avant lui, les passages obligés de la vie d’une rock star : son enfance dans un milieu modeste, ses traumas (ici la relation au père, un crooner de pacotille qui lui transmit néanmoins sa passion pour l’entertainment), sa percée (c’est peut-être la partie la plus réussie, ou disons la moins ratée, du film, qui montre comment un boy’s band qui visait un public gay est devenu à son corps (!) défendant l’idole des midinettes), l’expérience traumatisante d’une célébrité envahissante, la déchéance avant la rémission finale.

Les fans de Robbie Williams s’y retrouveront peut-être. Je n’en fais pas partie. J’avais même confondu son nom avec celui de Robin Williams, me demandant pourquoi diable le héros de Mrs Doubtfire et du Cercle des poètes disparus jouait dix ans après sa mort dans le biopic d’un chanteur anglais !

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Spectateurs ! ★☆☆☆

Spectateurs ! est un film étrange à mi-chemin de l’autobiographie, du documentaire, de la fiction et de la leçon du cinéma. Arnaud Desplechin y raconte sa cinéphilie.

Il se met en scène à travers son double fictionnel, Paul Dedalus, qu’on retrouve dans plusieurs de ses films depuis Comment je me suis disputé… ma vie sexuelle (1996). À l’époque, Mathieu Amalric – qui fait un caméo à la fin de Spectateurs ! – interprétait ce rôle, celui d’un jeune universitaire amoureux de plusieurs femmes (parmi lesquelles Marianne Denicourt qui, à l’époque, avant leur retentissante séparation, était la compagne de Desplechin à la ville). Dans Trois souvenirs de ma jeunesse (2015), c’est Quentin Dolmaire qui interprète le rôle de Paul adolescent.  Dans Spectateurs ! le même Paul est interprété par quatre acteurs à plusieurs âges de sa vie : Louis Birman à six ans, accompagnant sa grand-mère pour la première fois au cinéma et y découvrant, fasciné, Fantômas, Milo Machado-Graner, la révélation d’Anatomie d’une chute, à quatorze se glissant en trichant sur son âge dans une salle pour y voir un Bergman interdit aux moins de seize, Sam Chemoul à vingt-deux sur les bancs de Censier et Sali Cissé enfin à trente ans, remettant en question tout ce qu’il croyait savoir sur le cinéma.

Desplechin tourne un film de cinéphile pour les cinéphiles. Il sait pouvoir compter sur un public acquis à sa cause, partageant avec lui sa passion. Il pousse d’ailleurs la démagogie jusqu’à accorder au pluriel son titre – et à lui ajouter un point d’exclamation dont on se demande bien le sens – alors que Spectateur aurait parfaitement convenu à ce film égocentrique.

Certes, les spectateurs cinéphiles que nous sommes prendront un plaisir régressif et auto-satisfait à identifier les passages des films qui ont construit notre regard (Lumière, Keaton, Hitchcock, Cimino…).  On en prendra autant à écouter quelques leçons de cinéma, comme si on assistait à un cours à la Fémis ou à Paris-III, en décortiquant les écrits critiques de Cavell, Bazin ou Sadoul.

Mais, la formule lasse. Ou plutôt elle ne mène pas loin. Le film dure 1h28. Il aurait pu durer le double ou la moitié. Je dois humblement confesser la part de subjectivité qui leste mon jugement : le cinéma de Desplechin, qui passe dit-on pour l’un des plus grands réalisateurs de notre époque, m’a toujours semblé surfait, ampoulé, auto-centré et creux. Le voilà rhabillé pour l’hiver alors que, bien entendu, on a le droit de porter sur lui un jugement autrement moins sévère.

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Le Quatrième Mur ★★☆☆

Georges (Laurent Lafitte), un metteur en scène parisien, a promis à Sam, un ami juif mourant, homme de théâtre comme lui, de mener à bien le projet que ce dernier a entrepris au Liban : y monter Antigone avec des acteurs de toutes les communautés.

David Oelhoffen, habitué aux films testostéronés (Les Derniers Hommes en Indochine, Frères ennemis dans le 9.3, Loin des hommes en Algérie) adapte le roman de Sorj Chalandon, prix Goncourt des lycéens en 2013. L’auteur est devenu si célèbre (chacun de ses livres est désormais un best-seller), Le Quatrième Mur fut si populaire (j’ai découvert à ma grande surprise que beaucoup d’amis étaient entrés dans son oeuvre par ce titre-là) que son adaptation à l’écran était assurée d’attirer un large public.

J’ai gardé du livre un souvenir excellent, mais hélas trop brumeux pour savoir si le film lui était ou pas fidèle. En particulier, je ne me souviens pas de cette fin-là, et remercie par avance mes amis moins amnésiques que moi de me dire en mp ce qu’il en est.

On voit d’abord Georges arriver au Liban en 1982 et y découvrir stupéfait un pays déchiré par la guerre. La naïveté comme la nécessité de son projet lui sautent aux yeux : rien de plus futile que de monter une pièce de théâtre dans un pays en guerre, rien de plus nécessaire en même temps que de faire jouer ensemble des acteurs issus de communautés qui se haïssent. Le candide Parisien est pris sous sa coupe par un Druze bourru (Simon Abkarian égal à lui-même) et par sa famille aimante. Il a choisi pour le rôle d’Antigone une jeune enseignante palestinienne (Manal Issa, la révélation de Peur de rien, qu’on avait revue sans déplaisir dans Ulysse et Mona, Mon tissu préféré. et Memory Box) avec laquelle il a tôt fait de nouer une idylle.

À cette première partie, rythmée par les répétitions de la pièce, qui deviennent vite répétitives, succède une seconde, plus dramatique. On ne dira pas quel en est le facteur déclenchant, même s’il ne faut pas être grand clerc pour le deviner quand on sait que l’action se situe à Beyrouth à l’été 1982. Le drame qui éclate – c’est le cas de le dire – est glaçant. Il leste le film (et le livre ?) d’une gravité inattendue et, scénaristiquement parlant, bienvenue. Rien n’aurait été plus bisounours qu’une fin bien-pensante qui aurait vu, le soir de la première, les acteurs triompher devant un Liban enfin réconcilié. Dieu (oui, mais lequel ?!) merci, la fin de ce Quatrième Mur est autrement plus sombre.

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Mémoires d’un escargot ★★★☆

Grace n’a pas eu la vie facile. Sa mère est décédée à sa naissance. Elle est affligée d’un bec-de-lièvre qui en fait la risée de ses camarades d’école. Son père, un artiste des rues de nationalité française, est devenu paraplégique et a sombré dans la boisson. À sa mort, Grace est séparée de son frère jumeau, auquel la liait une relation symbiotique. Gilbert est placé à l’autre bout de l’Australie dans une famille d’horribles bigots. Devenue adulte, Grace se marie à Ken, un vendeur de micro-ondes ; mais le mariage tourne court. La seule joie qui aura été accordée à Grace sera l’amitié de Pinky, une octogénaire excentrique.

Adam Elliot est un réalisateur d’animation rare. Mémoires d’un escargot est son second long métrage après Mary et Max sorti en 2009. On y retrouve la même technique, le stop motion, les mêmes personnages sculptés en pâte à modeler et les mêmes tons sourds et gris – les lunettes flamboyantes de Pinky sont la seule touche de couleur de tout le film.

Ce que raconte Mémoires d’un escargot n’est pas gai ; Mémoires d’un escargot n’est pas triste pour autant. Si l’expression n’était pas si éculée (poke Pierre G.), on dirait que cette histoire dickensienne est un hymne à la vie. On ne peut que s’attacher à la disgracieuse Grace. La nature ne l’a pas gâtée. Son physique revêche cache néanmoins un cœur en or. Comme les personnages aux yeux immenses qui leur mangent le visage et qui se remplissent régulièrement de larmes face aux drames qu’ils traversent, le spectateur, sauf à avoir un cœur de pierre, y ira aussi de sa larme.

Cristal du meilleur long métrage au dernier festival d’Annecy, Mémoires d’un escargot n’est assurément pas un feel-good-movie. Mais c’est un film qui, tant par sa forme que par l’histoire qu’il traite, touche notre âme d’enfant et nous émeut au plus profond.

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Le Dossier Maldoror ★★☆☆

Deux jeunes filles ont disparu en Belgique en 1995. La police, déchirée par des rivalités intestines, ne parvient pas à les retrouver. L’affaire hante Paul Chartier (Anthony Bajon), un jeune gendarme obsessionnel. Son supérieur (Laurent Lucas) le charge de surveiller Marcel Dedieu (Sergi Lopez), un criminel récidiviste en liberté conditionnelle. Très vite, Chartier est convaincu que Dedieu séquestre les jeunes filles.

L’affaire Dutroux avait traumatisé la Belgique dans les années 90. Bizarrement, le cinéma ne s’en est pas saisi, sinon à ma connaissance dans un film belge de 1998, Pure Fiction, passé inaperçu. Cinéaste confirmé (Inexorable, Adoration, Message from the King, Calvaire, Vinyan), Fabrice Du Welz s’est colleté avec ce drame qui hante l’imaginaire collectif des deux côtés du Quiévrain depuis bientôt trente ans.

Il s’en est donné les moyens dans un film qui dure plus de deux heures trente et qui convoque le ban et l’arrière-ban : Anthony Bajon qui décidément s’impose comme l’un des espoirs masculins les plus prometteurs de la décennie, Alba Gaïa Bellugi, à laquelle on souhaite de s’affranchir de l’encombrante célébrité de sa sœur, Alexis Manenti, décidément cantonné dans les rôles de flics, Laurent Lucas, l’oeil borgne caché sous un bandeau et le visage mangé par une monstrueuse cicatrice, mais aussi Béatrice Dalle en mère alcoolo et repentante, Mélanie Doutey en procureure dépassée, Jackie Berroyer en pervers pépère ou encore Lubna Azabal impériale dans le rôle d’une cheffe de gang.

Le résultat n’est qu’à moitié convaincant. N’est pas David Fincher qui veut. Le Dossier Maldoror louche du côté de Zodiac mais ne lui arrive pas à la cheville. Le suspens est tué dans l’oeuf dès lors qu’on comprend sans doute possible la culpabilité de Dedieu. Reste l’entêtement obsessionnel de Chartier, ce jeune gendarme aux lourds antécédents familiaux, fiévreusement interprété par Anthony Bajon qui porte le film tout seul sur ses épaules. Il y a dans cet acteur au physique massif quelque chose de Gabin ou de Ventura en plus jeune, en moins sage, en plus éruptif.

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Je suis toujours là ★★★☆

Rubens Paiva, sa femme et ses cinq enfants coulent des jours heureux à Rio de Janeiro. Mais le Brésil est gouverné depuis 1964 par une dictature militaire et l’ancien député, revenu à la vie civile, est étroitement surveillé par la police, qui le suspecte de soutenir l’opposition en exil. Un matin, des hommes l’interpellent à son domicile. Commence pour son épouse, qui passe elle aussi douze jours dans les geôles de la police militaire, une longue attente traumatisante.

Voici un film remarquable sur une famille brisée par la dictature militaire au Brésil (1964-1985). Les faits sont anciens ; mais la mémoire en reste vive. Le succès de ce film au Brésil où il a fait trois millions d’entrées, en témoigne. C’est qu’à la différence de l’Argentine et du Chili, les crimes commis par la dictature ont été amnistiés au Brésil et toutes les tentatives pour mettre en place une Commission Vérité par les gouvernements de gauche de Lula et de Dilma Rousseff ont échoué.

Né en 1956, Walter Salles est sans doute l’un des plus grands réalisateurs brésiliens contemporains. Il doit sa célébrité à Central do Brasil, lauréat de l’Ours d’or 1998 et du Golden Globe du meilleur film en langue étrangère. Fernanda Montenegro y tenait le rôle principal. L’actrice aujourd’hui nonagénaire fait une courte apparition dans l’épilogue de Je suis toujours là. Et c’est sa fille Fernanda Torres qui y joue le rôle de l’épouse de Rubens Paiva.

L’interprétation de Fernanda Torres vient de lui valoir le Golden Globe de la meilleure actrice. Elle décrochera peut-être le 2 mars – si cette date est maintenue – l’Oscar. Elle le mériterait amplement. Elle est en effet magistrale dans un rôle tout en nuances. Elle joue à la perfection ce rôle à fleur de peau : celui d’une épouse, rongée d’inquiétude après la disparation de son mari et celui d’une mère désormais seule responsable de l’éducation de ses cinq jeunes enfants et soucieuse avant tout de prendre sur elle un traumatisme dont elle ne veut pas les charger.

On ne peut que follement s’attacher à cette nombreuse fratrie, même s’il faut au spectateur un moment pour s’y reconnaître : l’aînée Vera, la frondeuse Eliana, la charmante Nalu, la timide Beatriz et Marcelo le seul garçon de ce bruyant gynécée. Le bonheur sans nuage de cette famille nombreuse, qui vit au bord de l’une des plus belles plages du monde, à une époque où l’avenue Atlantica se traversait nu-pieds et où on pouvait quitter sa maison sans un tour de clé, se heurte brutalement à la réalité violente de la dictature, aux arrestations arbitraires, aux disparitions inexpliquées.

On ne peut qu’être ému par ce film, par son rythme ample (il dure plus de deux heures), par la grandeur d’âme des personnages qu’il décrit. Tout nous y élève ; rien de mesquin ou de petit ne nous y rabaisse. Seul défaut peut-être : une fin à tiroirs avec deux postfaces en 1996 et en 2014 dont Walter Salles aurait pu faire l’économie.

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La Fille d’un grand amour ★★☆☆

Ana (Isabelle Carré) et Yves (François Damiens) sont les parents divorcés de Cécile, étudiante en cinéma, qui leur demande de témoigner dans le film de fin d’année qu’elle doit réaliser pour son école de cinéma. Ana est antiquaire dans le Roussillon ; Yves, écrivain frustré, est banquier à Paris. Face caméra ils racontent leur rencontre et le coup de foudre qu’ils ont ressenti l’un pour l’autre. Ces souvenirs émouvants les rapprochent…

Le premier long métrage de la scénariste Agnès de Sacy (Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi, Les Envoûtés de Pascal Bonitzer, Yao de Philippe Godeau)  est largement autobiographique. En 1992, alors que ses parents étaient divorcés depuis une quinzaine d’années, elle leur avait demandé de raconter leur histoire pour le film de fin d’année que, jeune étudiante à la Fémis, elle devait réaliser. Ils s’étaient remariés trois ans plus tard.

SI ce film original échappe aux standards formatés de la comédie du remariage, c’est sans doute à cause de son fond autobiographique. Loin des schémas auxquels on est habitué, il raconte une histoire somme toute banale. Yves est homosexuel. Il n’a pourtant rien d’une grande folle efféminée. On comprend qu’il ne l’avait pas caché à Ana lors de leur rencontre ; mais on comprend aussi que c’est une des causes de leur séparation.

Un couple qui s’est séparé peut-il se reconstruire ? Les mêmes causes n’ont-elles pas vocation à produire irrémédiablement les mêmes effets ? Sans parler de divorce et de remariage, La Fille d’un grand amour interroge le couple, les concessions qu’il exige de part et d’autre, le moment où ces concessions accumulées deviennent insupportables. Avec la figure lumineuse de Cécile, interprétée par Claire Dubrucq révélée par Bertrand Mandinco, La Fille d’un grand amour interroge aussi la place de l’enfant dans le couple : est-ce le bloc de béton qui le rend indestructible ? ou le prétexte pour ne pas se séparer ? Le titre du film aurait dû nous mettre la puce à l’oreille : La Fille d’un grand amour ne se réduit pas, comme la photo de son affiche le laissait augurer, à l’histoire d’un couple mais est une histoire à trois.

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Babygirl ★★★☆

Travailleuse acharnée, perfectionniste obsessionnelle, Romy Mathis (Nicole Kidman) a su faire de l’entreprise qu’elle dirige un leader dans sa branche. Tout semble aller à merveille dans la vie de cette quinquagénaire entourée d’un mari aimant (Antonio Banderas) et de deux adolescentes épanouies. Mais Romy Mathis cache au plus profond d’elle une névrose qu’elle n’a jamais exprimée. La rencontre de Samuel (Harris Dickinson),  un stagiaire recruté par son entreprise, lui donnera enfin l’occasion de s’en libérer.

Je suis allé voir l’avant-première de Babygirl habité par deux sentiments contradictoires. Mon ça était tout émoustillé par ce pitch muy caliente et la perspective de voir l’une des plus grandes stars du monde dans une relation BDSM avec son séduisant stagiaire. Mon surmoi, plus raisonnable, craignait au contraire le pétard mouillé, le 9 semaines et demi version Milf et #MeToo, faussement transgressif et lourdement moralisateur.

Dans ce débat interne aux trois étages de la psyché freudienne, qu’en a pensé mon moi ?
Il a été très agréablement surpris.

D’abord Babygirl est un film interdit aux moins de douze ans, et méritant de l’être, qui ne verse jamais dans l’obscénité. On y a parle (beaucoup) de sexe ; on en voit (un peu) ; on le fait (souvent). Mais il n’y a dans la caméra de la jeune réalisatrice néerlandaise Halina Reijn aucun voyeurisme, aucune complaisance. L’imagerie videoclipesque de 9 semaines et demie est derrière nous ; et c’est tant mieux.

Ensuite, Babygirl ne se réduit pas à son pitch racoleur – une femme d’affaires entretient une relation adultère SM avec son jeune stagiaire. Comme je l’ai indiqué dans le premier paragraphe de cette critique, au risque d’ailleurs de dévoiler le sens du film (ou, du moins, le sens que je lui donne), le sujet de Babygirl est autrement plus complexe. Il ne s’agit pas du coup d’un soir d’une Milf en position de pouvoir, mais de la névrose d’une femme d’âge mûr.

Enfin Babygirl nous raconte une relation SM à mille lieues des clichés qui les entourent. Pas de latex, de fouet ou de croix de Saint-Georges. Babygirl décrit l’attirance irrépressible, presqu’animale, qu’éprouve Romy à son corps défendant – ou bien à son corps consentant – pour Samuel. Une scène est particulièrement réussie : celle de leur premier rendez-vous dans une chambre d’hôtel sordide. Le traitement de cette scène aurait pu être banalement vulgaire : on y aurait vu Nicole Kidman contrainte à quelques positions humiliantes (que je laisse le lecteur imaginer). Rien de tel sous la caméra de Halina Reijn qui filme l’indécision, les difficultés du désir à s’exprimer, les tâtonnements.

Babygirl est-il pour autant féministe ? Sans doute l’est-il au premier degré qui donne la priorité à son héroïne, à son désir, à sa réalisation au-delà de la honte et de la frustration. Tel était d’ailleurs le sens de la table ronde à laquelle j’ai assisté après le film. Une voix dissidente s’est toutefois fait entendre dans le public : l’héroïne reproduit un fantasme typiquement masculin, celui de la soumission féminine. Réponse très juste de la conférencière : certes, c’est un fantasme typiquement masculin, mais c’est SON fantasme.

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My Sunshine ★★★☆

À Hakodate, au nord du Japon, Takuya est un jeune garçon timide, affligé d’un bégaiement pénalisant. Pour s’intégrer, il pratique les sports populaires parmi les garçons de son âge : le base-ball l’été et le hockey sur glace l’hiver venu. C’est à la patinoire qu’il fait la connaissance de Sakura, une jeune patineuse talentueuse. Le coach de Sakura est un ancien champion international qui s’est installé sur l’île d’Hokkaïdo par amour pour son conjoint. Il a l’idée d’apparier Takuya et Sakura pour les faire participer aux épreuves de couple du prochain championnat national.

Le jeune réalisateur Hiroshi Okuyama avait déjà retenu l’attention avec son premier film, Jésus, sorti en 2018. Projeté dans la section Un certain regard à Cannes le printemps dernier, My Sunshine a fait l’unanimité.

Il faut en effet lui reconnaître bien des qualités. Il s’agit d’une histoire originale, comme on a peu coutume d’en lire ou d’en voir. Elle est délicieusement éclairée par les rayons obliques d’une lumière hivernale qui inonde l’intérieur de la patinoire ou lèche les bords du lac gelé sur lequel les patineurs s’entraînent le temps d’une échappée hors de la ville. On pourrait la croire réservée aux passionnés de patinage artistique, un sport au kitsch revendiqué qu’il est de bon ton de tenir en piètre estime. Sans doute, les séquences de patinage sont-elles nombreuses et le Clair de Lune de Debussy ou la Valse hollandaise finissent-ils par nous sortir par les oreilles.

Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans le coup de foudre que ressent Takeya et dans l’amour pur qu’il voue à Sakura. Il est dans la délicatesse de l’enseignement que leur prodigue leur coach visant tout à la fois à les faire progresser dans leur discipline et à les faire grandir. Il est enfin dans l’épanouissement de ces trois personnages qu’un hiver à Hokkaido – un titre qui aurait peut-être mieux convenu que l’antithétique My Sunshine – aura fait évoluer.

En voyant la bande-annonce, je croyais avoir par avance anticipé les développements du scénario : je tenais pour acquis qu’au terme d’un long entraînement ardu, le jeune couple remporterait le championnat et partagerait son succès avec leur entraîneur chaudement récompensé de ses efforts. Il n’en est rien. Le scénario prend un chemin de traverse qui a le mérite de nous surprendre. J’en ai beaucoup aimé le plan final, qui laisse ouvert le champ des possibles.

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Les Feux sauvages ★☆☆☆

Un homme (Zhubin Li) quitte Datong, dans le nord de la Chine, au début des années 2000, pour le sud à la recherche d’une meilleure position. Il cesse de donner des nouvelles à sa compagne (Zhao Tao) qui part à sa recherche sur les rives du Yang Tse Kiang où va s’ériger l’immense barrage des Trois-Gorges qui engloutira de nombreux villages. Les années passent….

La cause est entendue. Jia Zhangke est l’un des plus grands cinéastes chinois contemporains. Il a bâti depuis un quart de siècle et le fabuleux Xiao Wu, artisan pickpocket une oeuvre d’une incroyable cohérence. Historiographe de la Chine, de son entrée dans la modernité, de la hausse échevelée de son niveau de vie mais aussi de la destruction sacrilège de son patrimoine historique, Jia Zhangke est un cinéaste de la nostalgie et du temps qui passe.

Le Covid lui a donné l’idée de réaliser un film palimpseste, à partir des rushes de ses précédents films : Plaisirs inconnus (2002), Still Life (2006), Les Éternels (2018). Son action se déroule sur plus de vingt ans. Son thème peine à se comprendre et le résumé que j’en ai fait a posteriori le rend beaucoup plus lisible qu’il ne l’est vraiment.

C’est à un long voyage que nous invite Jia Zhangke. Un voyage dans le temps sur près d’un quart de siècle. Un voyage, circulaire, dans l’espace, à partir de Datong, une ville minière du Shanxi frappée par la désindustrialisation, jusqu’à Zhuhai, une ZES mitoyenne de Macao et de Hong Kong, sur le delta de la Rivière des Perles en passant bien sûr par le barrage des Trois-Gorges que Jia Zhangke n’a cessé de filmer (Still Life qui s’y déroule est pour moi son film le plus achevé).

Aussi élégiaque soit-il, Les Feux sauvages n’est pas d’un accès facile. Jia Zhangke procède par accumulation de petites saynètes dont le sens n’est pas toujours très clair. Les dialogues sont rares dans ce film quasiment muet Le fil narratif est si ténu qu’on peine à s’y accrocher et que [attention spoiler] lorsque les deux protagonistes se retrouvent enfin, par une nuit embrumée sur une avenue de Datong, on a perdu depuis longtemps, comme dans le récent Grand Tour de Miguel Gomes à la structure identique, tout intérêt à leur jeu de cache-cache. Si je rapproche ces deux films, c’est pour dire que je n’ai aimé ni l’un ni l’autre dont je lis partout pourtant le plus grand bien et que j’en suis honteusement désolé.

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