The Whale ☆☆☆☆/★★★★

Charlie (Brendan Fraser) a perdu le contrôle. Après la mort de son compagnon, il s’est laissé aller à une boulimie maladive et a pris du poids jusqu’à devenir un énorme corps malade de 260kg, quasiment impotent, menacé de céder d’un instant à l’autre à un infarctus fatal.
Charlie enseigne à distance l’anglais à des adolescents auxquels il essaie de transmettre son goût de la littérature et qu’il exhorte sans succès à faire preuve de plus d’authenticité dans leurs rédactions.
Liz, une infirmière bienveillante, est son seul lien physique avec le monde extérieur.
Sentant sa fin prochaine, Charlie veut renouer avec sa fille, Ellie, une adolescente rebelle, que son ex-femme l’a empêché de voir depuis que Charlie a reconnu son homosexualité et a divorcé.

The Whale est un film-choc qui m’a inspiré des réactions contradictoires. J’ai longtemps hésité sur la « note » que je lui mettrai – puisque la règle, même si elle m’exaspère, veut que je mette une « note » à chacun des films que je critique sur ce blog. J’aurais dû faire la moyenne des sentiments paroxystiques que ce film a suscités chez moi et logiquement lui attribuer un 10/20 médian. Mais deux étoiles aurait été un jugement bien fade sur un film qui ne l’est pas.

The Whale vaut d’abord pour l’interprétation hénoooooorme de Brendan Fraser, une de ces figures christiques que Hollywood adore et à laquelle elle vient d’ériger un autel en lui décernant l’Oscar du meilleur acteur. On ne voit rien de lui sinon d’abord un écran noir dans une visioconférence qu’il anime en prétextant une panne de caméra. Puis son corps apparaît, vautré dans un sofa. Il s’en extrait non sans mal et aidé par un déambulateur, ahanant, se dirige vers les toilettes. Image dantesque, même si son effet vient autant sinon plus des prothèses collées sur le corps de l’acteur que de son jeu.

The Whale vaut ensuite pour ce portrait bouleversant – ne demandez pas où je suis allé chercher cet adjectif – d’un homme en perdition, ivre de chagrin, qui se suicide lentement à force de corps gras. Il ne faut pas avoir le cœur au bord des lèvres pour le regarder se goinfrer de pizza, de mayonnaise, de boissons sucrées… et il ne faut pas avoir de cœur du tout pour ne pas être retourné par la somme de solitude, de chagrin et de remords qui l’écrase.

Mais The Whale a au moins autant de défauts que de qualités.
C’est l’adaptation d’une pièce de théâtre qui peine à s’affranchir du théâtre filmé : un seul décor dont on ne sortira quasiment pas, quatre ou cinq personnages à peine, de longues tirades. On attendait autre chose, on attendait mieux de Darren Aronofsky dont les transgressions punk – qu’on se rappelle Pi ou Requiem for a Dream – promettaient de faire souffler un grand vent d’air frais dans le cinéma hollywoodien du début des années 2000.

Ce huis clos nous prend au piège d’un drame suffocant.
Le film aurait été grandiose s’il s’était réduit au face-à-face entre Charlie et son infirmière. Mais on dira encore – et on aura raison – que je fais la critique du film que j’aurais aimé voir. Hélas, le scénario a la mauvaise idée d’introduire deux autres personnages : un jeune prêcheur faisant du porte-à-porte pour rallier de nouveaux fidèles et Ellie, la fille de Charlie, insupportable adolescente qui oppose aux tentatives larmoyantes de son père pour se rapprocher d’elle des rebuffades toujours plus cruelles dont on comprend vite qu’elles cachent un manque abyssal d’amour.

Le principal défaut de The Whale est l’énorme pathos dans lequel il est englué. Derrière ses montagnes de graisse, Brendan Fraser nous décoche des regards noyés de chagrin de petit chat écorché qui émouvront jusqu’aux plus endurcis.
La dernière scène – dont je ne suis pas certain d’avoir compris le sens – m’a laissé dans le même état d’incertitude que le reste du film : est-elle déchirante ou insupportablement pathétique ?

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En toute liberté ★☆☆☆

Radio al-Salam est une radio fondée en 2015 en réaction à l’occupation par Daech du nord de l’Irak. Basée à Erbil, au Kurdistan irakien, cette radio a pour objectif de favoriser la réconciliation et la paix, en diffusant, en arabe et en kurde, des reportages et de la musique à destination des populations déplacées arabes, chrétiennes, kurdes, yézidies qui affluaient dans la région suite aux avancées de Daech.

Si la chute de l’Organisation de l’Etat islamique libère Mossoul du joug tyrannique de Daech, la ville, distante d’Erbil de quatre-vingts kilomètres à peine, est en ruines, les populations déplacées attendent dans des camps de fortune leur réinstallation et la réconciliation prendra du temps.

Xavier de Leauzanne consacre le deuxième volet de sa trilogie « La Vie après Daech » à sept journalistes qui travaillent dans cette radio. Le premier volet, 9 jours à Raqqa, était consacré au nouveau maire de cette ville-martyre, qui fut pendant quatre ans la capitale de l’Etat islamique. Le troisième, qui sortira bientôt, filme les étudiants de l’université de Mossoul en pleine reconstruction.

En toute liberté documente un pays qui peine à panser ses plaies. Les images des immeubles en ruine de Mossoul, sur les rives du Tigre, sont apocalyptiques et laissent augurer l’ampleur des travaux et les fonds nécessaires avant le retour à la normale.

En toute liberté raconte les efforts déployés par une radio indépendante pour encourager le « vivre-ensemble ». Elle le fait dans ses reportages sur le terrain auprès des personnes déplacées mais aussi dans ses émissions où elle ouvre ses ondes à tous les témoignages.
Elle le fait surtout – et c’est tout le message du documentaire – à travers l’exemple qu’elle donne dans sa diversité humaine. Ses sept journalistes, quatre hommes et trois femmes, représentent un échantillon quasiment parfait de la sociologie des personnes déplacées qui ont trouvé à Erbil un refuge, après l’invasion américaine et la guerre en Syrie : un Kurde d’Iran, une yézidie qui a failli tomber aux mains de Daech à Sinjar en août 2014, un jeune Syrien sunnite qui confesse avoir flirté avec l’extrémisme, un chrétien…

SI bien sûr, on ne peut, sauf à manquer de cœur et de raison, que prendre fait et cause pour cette noble entreprise, on s’autorisera néanmoins quelques réserves sur ce documentaire qui en fait le panégyrique. À commencer par un titre passe-partout qui pourrait être utilisé pour bien d’autres sujets et dont, ici, la pertinence ne saute pas aux yeux – le Kurdistan irakien jouissant d’une très grande autonomie est une région qui s’administre librement et qui reconnaît la liberté d’expression. Ensuite la promotion du « vivre-ensemble » est un concept qui fait sens à nos oreilles françaises mais dont on peut se demander s’il n’est pas trop occidentalo-centré.
Enfin – et c’est le reproche le plus grave que j’adressais d’ailleurs déjà à 9 jours à Reqqa – les journalistes de Radio al-Salam sont tellement héroïsés, sans contrepoint, que En toute liberté finit par se réduire à un long clip publicitaire.

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Women Talking ★☆☆☆

Une communauté rurale coupée du monde vit selon les règles millénaires qu’elle s’est fixées. Cet isolement sert de couverture à des violences sexuelles inouïes : les femmes de la communauté sont droguées et violées pendant leur sommeil. Longtemps elles demeurent convaincues d’avoir été victimes de fantômes ou de Satan en personne. Mais bientôt le pot aux roses est découvert, un violeur arrêté et, suite à ses confessions, l’ensemble des coupables appréhendés par la police d’Etat.
En attendant la libération sous caution des hommes de la communauté, les femmes disposent de quarante-huit heures pour prendre leur destin en main. Choisiront-elles de rester et pardonner ? de rester et se battre ? ou de prendre la fuite ?

Women Talking vient de recevoir cette nuit à Los Angeles l’Oscar de la meilleure adaptation. Sarah Polley, réalisatrice féministe revendiquée, qui entend porter à l’écran des sujets féministes mais aussi adopter sur le plateau des méthodes de travail plus douces (présence permanente d’un psychologue pour permettre à tous les acteurs, actrices, techniciens et techniciennes d’exprimer un malaise) et mieux adaptées aux rythmes de vie de chacun (elle met un point d’honneur à renvoyer toute l’équipe dans ses foyers avant l’heure du dîner alors que les journées de tournage interminables sont la règle à Hollywood) a transposé à l’écran le livre de Miriam Toews Ce qu’elles disent. Ce livre s’inspirait de faits réels : entre 2005 et 2009, dans une communauté mennonite isolée de la Bolivie, de nombreuses filles et femmes ont été violées par des hommes de la colonie qui s’étaient servis d’un anesthésiant vétérinaire pour endormir leurs victimes et abuser d’elles.

Women Talking est un huis clos qui réunit huit femmes de tous âges chargées de décider pour l’ensemble d’entre elles la meilleure option.
Ce parti pris, qu’on retrouve dans le livre comme dans le film, nous prive de tout un pan de l’intrigue : la commission des viols, le mensonge dans lequel les femmes ont longtemps été maintenues, la découverte de la supercherie, l’arrestation d’un coupable, ses aveux, l’incarcération des autres hommes de la communauté… Tout cela aurait pu fort bien constituer une bonne moitié du film, mais est résumé en une poignée de minutes à peine. Reste, pendant les cent minutes suivantes, une seule chose : un long huis clos.

On peut fort bien construire un film tout entier autour d’un huis clos. Douze hommes en colère en est peut-être le plus célèbre où, on le sait, Henry Fonda, va patiemment venir à bout des préjugés de ses onze co-jurés qui s’apprêtaient à envoyer bien hâtivement un accusé à la mort.
Mais pour qu’un huis clos fonctionne et tienne le spectateur en haleine tout du long, il faut qu’il s’y passe quelque chose ; il faut que des faits se produisent ou que des arguments soient échangés qui fassent avancer l’intrigue.

Or Women Talking est désespérément dépourvu de carburant. La réalité des faits – les viols commis sur des victimes inconscientes – l’identité et le nombre de leurs auteurs ne sont pas débattus. La question posée – rester ou partir – met face à face deux partis dont on peine à comprendre lequel est le plus radical : les plus vengeresses sont-elles celles qui veulent rester pour se battre contre les hommes ou celles qui veulent partir pour ne plus jamais avoir commerce avec eux ? Et les arguments échangés sont d’une indigente pauvreté : partir, c’est à la fois un saut terrifiant dans l’inconnu et la promesse d’une nouvelle vie débarrassée du patriarcat.

Sans avoir la dureté de Murielle Journet, qui assassine Women Talking dans Le Monde en quelques phrases cinglantes, je me suite vite ennuyé devant ce film, aux couleurs inutilement désaturées, à la musique envahissante et dont le jeu des nombreuses stars (Rooney Mara, Claire Foy Jesse Buckley…) m’a semblé inutilement paroxystique.

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Toi non plus tu n’as rien vu ★★☆☆

Claire Morel (Maud Wyler) est avocate, mère épanouie de deux ravissantes petites filles, épouse heureuse de Thomas, ingénieur agronome (Grégoire Colin). Elle fait un déni de grossesse, accouche une nuit dans sa salle de bains et dépose son nouveau-né sur une poubelle après avoir tranché le cordon ombilical. Son enfant doit la vie à un voisin qui passait par là promener son chien.
Claire est emprisonnée pour tentative d’homicide. Sa meilleure amie, Sophie (Géraldine Nakache), avocate comme elle, va la défendre.

Comme elle le raconte dans le dossier de presse, la réalisatrice Béatrice Pollet s’est intéressée au déni de grossesse dès 2011 et a mené un long travail de recherche et de documentation.

Le phénomène est passablement troublant, qui ne concerne pas seulement des femmes nullipares souffrant de troubles psychotiques mais bien – c’est le cas le plus souvent – des femmes vivant une relation stable et déjà mères, à l’instar de Claire, l’héroïne du film. Ni elle ni leur entourage n’ont conscience de leur grossesse, quasiment indécelable, le foetus se développant à la verticale dans un utérus qui ne bascule pas.

Le sens commun voudrait que la future mère, surtout si elle a déjà vécu une ou plusieurs grossesses, ressente des symptômes familiers. Il voudrait aussi que, à supposer que la mère s’aveugle sur une réalité bien visible, son conjoint, lui, s’en rende compte. Mais, les dénis de grossesse dûment documentés par la littérature médicale montrent qu’il n’en est rien. Jusqu’au jour de l’accouchement, la mère n’a pas conscience de son état.

Ces faits dérangeants sont très bien racontés dans le film dont le titre, qui aurait plus claqué en choisissant Déni, préfère insister sur l’altération collective subie non seulement par la parturiente mais aussi par ses proches. Ce titre et l’affiche entraînent d’ailleurs le spectateur dans une fausse piste : on imagine qu’il se focalise sur la relation entre Claire et Sophie en pointant la complicité de la seconde. Mais tel n’est pas le cas.

Toi non plus tu n’as rien vu suit un scénario beaucoup plus classique qui déroule chronologiquement l’accouchement, l’emprisonnement de Claire et son procès six mois plus tard. On regrette le classicisme d’une histoire et d’une mise en scène qui auraient volontiers supporté un peu plus d’originalité. On regrette surtout une direction d’acteurs très lâche : si Maud Wyler est convaincante dans le rôle d’une mère murée dans l’incompréhension de son geste, Géraldine Nakache en fait trop en ténor.e du barreau et Ophélia Kolb est insupportable en procureure agressive.

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El Agua ★☆☆☆

Les adolescents meublent l’ennui d’un été étouffant dans un petit village du sud-est de l’Espagne. Ils traînent, boivent, fument, dansent… Une idylle se noue entre Ana, dont la mère tient le bar du village, et José, qui a longtemps vécu à l’étranger, dont le père est le propriétaire d’un champ de citronniers.
Une vieille rumeur court : la rivière qui traverse le village peut tomber amoureuse d’une jeune fille, déborder de son lit et l’entrainer avec elle.

La jeune réalisatrice Elena Lopez est allée tourner dans son village natal, à mi-chemin d’Alicante et de Murcie, un film de fiction à la forte teneur ethnographique. On y voit, comme dans un documentaire, plusieurs habitantes raconter face caméra la légende qu’elles se transmettent de génération en génération.

Cette légende fantastique constitue l’arrière-plan de ce film dont le sujet sinon serait banalement classique : il s’agit de raconter, comme on l’a déjà fait mille fois, les premières amours d’un groupe d’adolescents (peut-être parce que le film se déroule en Espagne et que les sonorités me l’ont rappelé, j’ai pensé au long documentaire de Jonás Trueba Qui à part nous ?).

Pendant tout le film, l’orage couve. Il se déchaînera dans son tout dernier quart d’heure. Pour le montrer, la réalisatrice utilisera des images tournées, parfois à partir d’un simple téléphone portable, pendant l’ouragan qui a submergé la petite ville d’Orihuela en septembre 2019.

Mais jusqu’à ce dénouement apocalyptique – que je ne suis d’ailleurs pas sûr d’avoir compris – le film pâtit de sa longueur et de sa langueur. Ses deux héros, Ana et José, tombent si vite amoureux l’un de l’autre qu’aucune tension, aucun suspens n’a le temps de s’installer. Le film fait du surplace, ne raconte rien et ne montre pas grand’chose.

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Sois belle et tais-toi ! (1977) ★★☆☆

Sois belle et tais-toi ! est construit à partir de vingt-trois interviews données à Delphine Seyrig par des actrices françaises et américaines en 1976 et 1977. Elles témoignent du sexisme dont elles sont victimes dans leur métier, de l’omnipotence des hommes à tous les postes d’influence (réalisateurs, producteurs, agents…), de la pauvreté et du formatage des rôles « de mère ou de putain » qui leur sont proposés, du jeunisme qui les condamne, passé un certain âge, à l’invisibilité…

La grande actrice Delphine Seyrig fut une féministe engagée. Elle signa le manifeste des 343 et organisa dans son appartement la première IVG réalisée en France avec la méthode Karman (sujet du film Annie colère). À la tête du collectif des Insoumuses, elle tourne des vidéos féministes. Sois belle et tais-toi ! est l’une d’entre elles, qui n’avait pas vocation à sortir en salles et n’y sortit d’ailleurs que tardivement en 1981 et brièvement. Fort de l’actualité que MeToo lui redonne, il est ressorti dans quelques salles parisiennes le mois dernier. La projection à laquelle j’ai assisté a été suivie d’un débat haut en couleurs.

Deux voix antagonistes s’y sont fait entendre. La première salue l’actualité toujours brûlante du procès instruit par ce documentaire avant-gardiste. Elle dénonce les inégalités dont souffrent toujours les femmes dans le milieu du cinéma, mentionne les révélations d’abus sexuels qui l’ont entaché (dont Sois belle et tais-toi ! ne parle pourtant pas).
La seconde rend également hommage à cette oeuvre pionnière mais insiste plutôt sur les progrès réalisés, mettant en avant, même si elles restent minoritaires les réalisatrices qui ont réussi, non sans mal, à se faire un nom, et surtout la place accrue que les films, même s’ils restent tournés par des hommes, donnent aux femmes. Certes en effet, on peut légitimement regretter que les cinq films nommés aux derniers Césars du meilleur film aient tous été réalisés par des hommes ; mais il faut avoir l’honnêteté de saluer qu’ils faisaient quasiment tous la part belle aux femmes (La Nuit du 12, En corps, L’Innocent, Les Amandiers…).
L’une voit le verre à moitié vide, l’autre à moitié plein…

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Mon crime ★★★☆

Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz) et Pauline Mauléon (Rebecca Marder) partagent une chambre de bonne dont elles ne parviennent plus à payer le loyer. La première est une artiste sans cachets, la seconde une avocate sans clients.
Mais la chance semble leur sourire quand Madeleine est suspectée du crime d’un célèbre producteur retrouvé tué d’une balle dans la tête juste après avoir reçu la jeune actrice sur la promesse d’un rôle et avoir tenté d’abuser d’elle. Pauline y voit l’occasion pour son amie, qui s’accusera d’un crime qu’elle n’a pas commis et plaidera la légitime défense, et pour elle qui en assurera brillamment la défense, de devenir célèbres et de sortir de la pauvreté.

François Ozon, décidément l’un des tout meilleurs réalisateurs français contemporains, est de retour, comme chaque année, avec la même régularité métronomique qu’Amélie Nothomb à chaque rentrée littéraire. Après l’adaptation de deux romans en 2020 (Été 85 dont la jeune révélation Felix Lefebvre tient un petit rôle dans Mon crime) et 2021 (Tout s’est bien passé), Ozon adapte à nouveau, comme il vient de le faire en 2021 avec Peter von Kant, une pièce de théâtre.

Il s’agit d’une pièce de boulevard, signée Georges Berr et Louis Verneuil, qui fut un grand succès dans les années 30 avant de sombrer dans l’oubli. Ozon est amateur du genre : il avait déjà ressuscité des pièces surannées – la première datait de 1958, la seconde de 1980 – pour réaliser Huit femmes et Potiche.
Ozon n’a pas son pareil pour s’emparer de ce matériau-là et en assumer avec une sympathique effronterie toute l’artificialité.

La Grande Magie réunissait quasiment les mêmes ingrédients : l’une des réalisatrices les mieux introduites de la place de Paris, une pléiade d’acteurs tous plus bankables les uns que les autres – y inclus Rebecca Marder – l’adaptation d’une pièce de théâtre à succès et une intrigue qui se déroulait dans l’entre-deux-guerres. Et pourtant La Grande Magie ne m’a pas plu. Pourquoi ? Parce que La Grande Magie, sous des dehors de légèreté, se prenait au sérieux, alors que Mon crime n’a pas ce travers.

Mon crime est léger comme une coupe de champagne qui se consomme le sourire aux lèvres en grignotant des fraises. Tout y est spirituel et pétillant.
Ozon – qui sait attirer autour de lui les meilleurs acteurs du moment – réunit le duo le plus prometteur du jeune cinéma français : Nadia Tereszkiewicz, auréolée de son récent César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans Les Amandiers et Rebecca Marder, coiffée au poteau par la précédente pour cette distinction qu’elle aurait amplement méritée pour son interprétation dans Une jeune fille qui va bien.

Mon crime fait le pari audacieux de les entourer d’une luxueuse galerie de seconds rôles, qui ont tous l’âge d’être leurs grands-parents et qu’on avait, pour certains, perdu l’habitude de voir à l’écran : Daniel Prévost, Régis Laspalès, Franck de La Personne (blacklisté pour ses sympathies frontistes), Myriam Boyer, Evelyne Buyle… Je ne peux évidemment pas ne pas évoquer Fabrice Lucchini, qui tente désespérément d’arriver à la cheville de Louis Jouvet, et Isabelle Huppert dont l’honnêteté m’oblige à reconnaître qu’elle est désopilante d’autodérision dans le rôle d’une vieille actrice sur le retour.

Sorti le 8 mars, mettant en vedette deux héroïnes, Mon crime s’affiche volontiers comme un film féministe. Mais on peut s’interroger sur cette classification flatteuse. Grâce à la chaleureuse sororité qui l’unit à Pauline, Madeleine, dont son fiancé veut faire sa maîtresse et que le juge d’instruction prend pour une grue, va prendre sa revanche sur la phallocratie. Mais cette revanche n’est nullement subversive. Madeleine et Pauline ne renversent pas les règles d’un monde honni mais y cherchent et y trouvent leur place.

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Tel Aviv – Beyrouth ★☆☆☆

C’est l’histoire éclatée sur trois moments (1984, 2000 et 2006) de deux femmes libanaise et israélienne qui partagent des racines françaises. La première, Tanya, a un père officier dans l’Armée du Sud Liban qui a collaboré en 1984 avec l’envahisseur israélien et qui n’a eu d’autre issue en 2000, lorsque Tsahal s’est retiré, que de quitter le Liban. La seconde, Myriam, de quelques années plus âgée, est mariée à un officier du renseignement israélien qui combat au Liban et qui y a connu le père de Tanya. Elle a eu un fils qui part faire son service militaire en 2006 et qui est fait prisonnier au front.

La réalisatrice Michale Boganim a grandi en Israël avant l’installation de ses parents en France. Son précédent film était un documentaire consacré aux Mizrahim, ces Juifs orientaux, originaires du Maroc, d’Algérie, de Syrie, du Yemen, attirés en Terre promise par la promesse d’une vie meilleure, mais souvent relégués dans des cités pionnières, en lisière du désert, et cantonnés à des tâches subalternes. Tel Aviv – Beyrouth prend la forme de la fiction mais aurait pu tout aussi bien nourrir un documentaire, voire une série tant son sujet est riche.

Son titre est trompeur : de Tel Aviv ou de Beyrouth on ne verra pas une seule image. Mais son titre n’est pas idiot : il s’agit d’étudier la relation complexe entre deux pays voisins sinon frères, déchirés par une guerre permanente dont on ne voit pas l’issue. Il aurait pu tout aussi bien s’intituler La Frontière ; car c’est à ce point précis que tout se joue et c’est là que le destin toujours ramène Tanya et Myriam.

Le problème de ce film est sa densité et sa complexité. Le résumé que j’en ai fait, qui ne brille pas par sa lisibilité, simplifie pourtant largement une intrigue qu’il faut patiemment reconstituer à la sortie de la salle si on veut la comprendre. Il y a trop de personnages, trop de faits dans ce film surchargé où l’on saute, sans qu’on le comprenne toujours, d’un lieu à l’autre, d’une période à l’autre. Dommage….

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L’Homme le plus heureux du monde ★☆☆☆

Asja, la quarantaine, s’est inscrite à une journée de speed dating. Elle y retrouve Zoran, un homme de son âge, avec qui elle avait déjà échangé quelques messages électroniques. Mais rien ne se passera comme prévu.

Du lard ou du cochon ? Le titre du film, son affiche, le résumé qu’on en lit sèment la confusion. L’Homme le plus heureux du monde s’annonce comme une joyeuse comédie de mœurs. On attend quelques scènes cocasses et drôles sur le speed dating, les rencontres improbables qu’il provoque, les alchimies étonnantes qu’il suscite parfois…

Rien de tel en fait. Ou plutôt, pas vraiment ça ; car L’Homme le plus heureux…. ne peut pas s’empêcher d’utiliser cette toile de fond très fertile pour caractériser la situation et développer quelques intrigues secondaires.

Mais son sujet n’est pas là. On le découvre très vite. Le film se déroule en Bosnie et cette localisation n’est pas anodine. Il s’agit d’y cicatriser les plaies encore ouvertes d’un passé douloureux. Une trentaine d’années plus tôt, lors du siège de Sarajevo, Zoran, enrôlé de force par les milices serbes avait pris dans sa ligne de mire Asja et lui avait décoché entre les omoplates une balle qui l’avait durablement plongée dans le coma.
C’est cette confession un peu folle que Zoran fait à Asja en implorant son pardon.

Cette information nous parvient dès le premier tiers du film. Et elle en épuise l’intérêt. Car les deux tiers restants se retrouvent privés de carburant, à n’avoir rien à dire.
C’est d’autant plus dommage que ce second film d’une réalisatrice nord-macédonienne, dont on avait vu avec intérêt le premier (Dieu existe, son nom est Petrunya), avait attisé notre curiosité.

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La Romancière, le Film et le Heureux Hasard ★★☆☆

Une célèbre romancière retrouve dans un quartier excentré de Séoul une ancienne amie qui tient une librairie. Elle croise ensuite un réalisateur et sa femme, une jeune actrice de cinéma qui vient de décider de faire une pause dans sa carrière et, de retour dans la librairie de son amie, un vieux poète qu’elle avait connu de nombreuses années plus tôt.
Après cette journée riche en rencontres, elle décide avec la jeune actrice de réaliser un court métrage.

Six mois après son dernier film en date, Juste sous vos yeux, six mois avant la sortie de son prochain, Walk up, déjà diffusé en festival, le prolixe réalisateur coréen Hong Sangsoo est de retour sur les écrans avec sa vingt-neuvième réalisation.

Avec le masochisme qui me caractérise, j’en ai vu une bonne vingtaine depuis que ma belle-soeur me raconta avec hilarité l’état d’hébètement dans lequel l’avait laissée son tout premier, Le jour où le cochon est tombé dans le puits (ex aequo à l’Index familial avec Khroustaliov, ma voiture !).

Le cinéma de Hong Sangsoo m’a fait passer par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. J’ai d’abord salué la fraîcheur de ce « Rohmer coréen » – l’expression a tellement été utilisée que je ne devrais la mentionner qu’en rougissant. Puis, très vite, je me suis lassé de ses dispositifs répétitifs : des rencontres hasardeuses  dans les rues de Séoul et de longs dialogues vite brouillés par les vapeurs de l’alcool avec de brusques ellipses qui en rendaient la compréhension malaisée. Cette lassitude a ensuite laissé la place à l’irritation : j’ai même reproché à Hong Sang soo de se ficher de nous avec son stakhanovisme, ses scénarios indigents, ses zooms épileptiques (Introduction). Et finalement, je suis revenu à un jugement plus mesuré.

À quoi est due cette évolution vers plus d’aménité ? Le cinéma de Hong Sangsoo a-t-il changé ? La soixantaine approchant, il se serait lesté de sujets plus graves comme dans Hotel by the River ou dans Juste sous vos yeux. Mais surtout, me semble-t-il, je me suis lentement mais sûrement accoutumé à sa grammaire. Comme le café sans sucre que j’ai d’abord trouvé insupportablement amer avant de m’y habituer – au point de ne plus tolérer de le boire sucré – j’ai fini par me faire au cinéma de Hong Sangsoo.

Je lis ici ou là des critiques cinglantes de La Romancière…. Je les comprends volontiers car j’aurais pu les signer au mot près : scénario inconsistant, noir et blanc sans poésie, personnages sans relief, plans fixes interminables, etc.
Pour autant, je ne les ferai pas miennes. Car j’ai pris un certain plaisir à ce film, comme celui que l’on prend à prendre un verre avec un vieil ami dont on aurait cessé de réprouver les défauts les plus irritants.

La bande-annonce