Sidonie au Japon ★★☆☆

Sidonie Perceval (Isabelle Huppert) a accepté à contrecœur de se rendre au Japon pour la réédition de son premier livre. Son éditeur japonais (Tsuyoshi Ihara) l’y accueille, qui la cornaquera pendant tout son séjour. Sidonie a bien du mal à se faire à la politesse ouatée de ses hôtes. Son trouble grandit encore quand lui apparaît dans sa chambre d’hôtel le fantôme d’Antoine (August Diehl) son mari défunt.

« Martine au pays des cerisiers en fleurs », pardon « Sidonie au Japon », partait mal. Dès les premiers plans, l’irritation pavlovienne que suscitent en moi Isabelle Huppert, sa voix haut perchée, sa démarche de petit oiseau fragile sur le point de se briser, son visage lifté et ses mains tavelées, son incapacité à jouer autre chose qu’elle-même, a bien failli provoquer un « coup de gueule » homérique.

D’autant que je trouvais le film bien languissant. On n’y voyait qu’un Japon de carte postale, incluant les passages obligés dans ses hauts lieux touristiques : Kyoto, Nara, Naoshima…. Le sympathique fantôme d n’avait rien d’horrifique, ni rien d’émouvant, une sorte de Casper japonais à l’accent germanique. Je trouvais bien maladroite la juxtaposition des deux histoires d’amour que Sidonie vivait simultanément : celle de la lente acceptation du deuil de son mari et celle qui était en train de naître lentement avec son éditeur japonais.

Et puis lentement la sauce a pris. Il m’est difficile d’expliquer comment et de mettre des mots sur cette conversion. Lentement – et je ne répète pas cet adverbe pour souligner la longueur du film mais pour signifier que ce changement d’état ne fut pas pour moi la conséquence d’un événement précis – l’émotion m’a gagné. Pourtant le sujet de Sidonie au Japon m’est bien éloigné : j’ai la chance de n’avoir pas (encore) perdu d’être cher dont j’aurais été incapable de faire le deuil. Pour autant, j’imagine la puissance de ce sentiment-là et la douleur de s’en guérir.

Au Japon, Sidonie accepte de « laisser partir » Antoine. Et elle se rapproche de son éditeur. On me dira que cette conclusion est sans surprise – et je reproche, plus souvent qu’à leur tour, aux films leur fin prévisible. L’était-elle tant que ça ? Et surtout vous attendiez-vous à ce qu’elle prenne cette forme là, cette série de photos des deux amants qui soulignent la beauté et la fragilité de leurs corps nus ?

La bande-annonce

Quelques jours pas plus ★★☆☆

Arthur (Benjamin Biolay), journaliste chez Libération, se voit confier par son directeur (Hippolyte Girardot) le soin de couvrir l’évacuation d’un camp de réfugiés sur le périphérique parisien. Il y rencontre Mathilde (Camille Cottin), une ancienne avocate, bénévole dans une ONG et accepte, dans la foulée, pour lui (com)plaire, d’accueillir, « quelques jours pas plus » un immigré afghan à son domicile.

Depuis quelques années, le cinéma français, sous convert d’engagement citoyen, se plaît à raconter le parcours éprouvant des immigrés qui frappent à nos portes et leur rencontre avec des Français ordinaires, brutalement dessillés par la découverte de cette humanité en détresse. Ce cinéma là a deux terres d’élection : Calais (Welcome, Ils sont vivants) et Briançon (Les EngagésLes Survivants, La Tête froide).

Quelques jours pas plus se déroule à Paris. Le détail a son importance. Il s’agit de la très fidèle adaptation par Julie Navarro du roman de son compagnon Marc Salbert, De l’influence du lancer de minibar sur l’engagement humanitaire (la signification du titre passablement déroutant s’éclaire vite si l’on explique que Arthur se voit confier la rédaction de cet article sur l’évacuation des réfugiés de la Porte de la Chapelle après avoir jeté un minibar depuis la chambre d’hôtel où son journal le logeait).

On pourrait dire de Quelques jours pas plus que c’est un hymne à l’hospitalité républicaine dégoulinant de bien-pensance. On n’aurait pas tort. Mais il serait injuste de n’en dire que ça. Certes, son sujet conformiste est de ceux qui provoquent le soutien pavlovien du CNC et des chaînes TV. Certes la comédie sentimentale dont le scénario est lesté, qui verra immanquablement le rapprochement des contraires, le bobo cynique et la pasionaria des prétoires, est téléphonée. Certes enfin l’histoire gentillette se déroule gentiment jusqu’à la conclusion prévisible, ni trop joyeuse ni trop désespérante, vers lequel le film n’avait d’autre choix qu’aboutir (le scénario de La Vie de ma mère , un film pour lequel j’ai eu la dent très (trop ?) dure, se conclut exactement dans les mêmes termes).

Pour autant, j’ai trouvé à l’exécution de ce film très quelconque un charme indéniable. La responsabilité en revient à ses deux acteurs, et plus particulièrement à Benjamin Biolay. Il n’a jamais eu la voix aussi grave ; il n’a jamais été aussi beau. Son rôle, à la frontière de la comédie, est d’une auto-dérision pleine d’ironie. Pendant longtemps, Benjamin Biolay était un chanteur qui tournait des films ; il est en train de devenir – ou peut-être l’était-il devenu depuis longtemps mais j’en prends conscience grâce à ce film – un acteur de cinéma qui, à ses heures perdues, pousse la chansonnette.

La bande-annonce

Averroès & Rosa Parks ★★☆☆

Après Sur l’Adamant, Averroès & Rosa Parks constitue le deuxième volet du triptyque que Nicolas Philibert consacre au pôle psychiatrique de Paris-Centre, à ses patients et à ses soignants. La sortie du troisième est déjà programmée pour le 17 avril. On y suivra les visites que les soignants effectuent au domicile des patients récemment sortis d’hopîtal et tentant de se réacclimater à une vie « normale ».

Sur l’Adamant avait été accueilli par un tombereau d’éloges et l’Ours d’or à Berlin. Ma critique était un peu en demi-teinte. Les reproches que j’adresserais à ce deuxième volet sont les mêmes que ceux que j’adressais au premier, immédiatement tempérés par l’admiration que suscite sa démarche, par son intérêt à la fois cinématographique et politique, par son humilité aussi. S’y ajoute enfin le reproche de tirer à la ligne, de diluer la sauce, de consacrer trois films de plus en plus longs à ce qui aurait pu tenir en un seul.

La démarche de Nicolas Philibert rappelle celle de Frederick Wiseman, le pape du documentaire. S’insérer dans un lieu, s’y faire admettre, y poser sa caméra, filmer des heures et des heures de rushes puis, par un patient montage, sans voix off ni sous-titres, leur donner du sens.

Après s’être focalisé sur une annexe de l’hôpital Esquirol, délocalisé sur une péniche amarrée sous le pont d’Austerlitz, Nicolas Philibert s’intéresse aux deux pavillons de l’hôpital psychiatrique situés à Charenton dans le Val-de-marne et jadis désigné sous l’appelation « asile de Charenton ». On aurait imaginé qu’il évoque voire qu’il éclaire l’origine des noms qui leur ont été donnés. Mais on restera sur sa faim.

Le documentaire est organisé autour des tête-à-tête entre les patients et leur psychiatre. Quelques séquences, moins nombreuses, sont des scènes de groupe, durant lesquelles soignants et soignés discutent ensemble des conditions générales de vie à l’hôpital.
Ces tête-à-tête sont doublement révélateurs. Révélateurs des troubles psychiatriques dont souffrent les patients – schizophrènes, paranoïaques, maniaques… -, un échantillon d’humanité dont l’état suscite souvent la gêne, parfois le rire et toujours espérons-le la compassion. Révélateurs de la patience et du talent de l’équipe soignante, notamment des trois psychiatres que l’on voit le plus souvent, dont le rôle n’est pas simple, dans l’écoute, dans l’empathie, mais aussi dans l’injonction thérapeutique.

On n’oubliera pas de sitôt certains patients, dont ceux qu’on a déjà vus sur l’Adamant. Ainsi de ce professeur de philosophe, normalien, major à l’agrégation, qui a manifestement « pété les plombs » et face auquel on se dit que la frontière est décidément bien fine entre une vie normale et une autre qui dérape. Ainsi de cette vieillarde à bout de force rongée par la paranoïa que son psychiatre essaie en vain de rassurer.

Hélas, ce deuxième volet, s’il en a les mêmes qualités, a aussi les mêmes défauts que le premier. Il tourne en rond, sans début ni fin, sans introduction ni conclusion. Il dure plus de deux heures sans que se justifie cette durée exigeante. On en sort ébloui par tant d’humanité mais un peu sonné.

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Drive-Away Dolls ★☆☆☆

Jamie (Margaret Quilley) et Marian (Geraldine Wisvanathan) forment un duo désassorti. Autant Jamie est extravertie et libérée, autant Marian est timide et collet-monté. Le hasard les réunira pour une virée en Floride au volant d’une voiture de location dont le coffre se révèlera contenir deux paquets compromettants.

Les frères Coen font désormais bande à part. Le cadet, Ethan, a signé le scénario de Drive-Away Dolls avec sa femme, Tricia Cooke. Son action se déroule à la fin des années 90, à l’époque des films les plus célèbres des deux frères. Il leur fait d’ailleurs des clins d’oeil répétés.

C’est bien là la limite de ce film, sympathique par ailleurs : on a la fâcheuse impression de regarder un spin-off de Fargo ou de The Big Lebowski. Ethan Coen donne les deux rôles principaux à un couple de lesbiennes dépareillées dont on sait par avance qu’elles finiront immanquablement par se rapprocher. Le résultat est paradoxalement transgressif et puritain : Drive-Away Dolls met en scène des scènes de sexe explosives (ah ! l’équipe de foot féminine !) mais ne montre pas un bout de sein et se révèle finalement très sage.

Quant à l’histoire, c’est plus un prétexte qu’autre chose. La cavale des deux filles avec leur butin est l’occasion de les confronter à une variété d’interlocuteurs, notamment aux deux pieds-nickelés de mafieux qui sont à leur trousse.

On passe un moment agréable devant Drive-Away Dolls, notamment aux pitreries irrésistibles de Margaret Quilley – que je tiens depuis la série The Leftovers et sa pub pour Kenzo comme l’une des stars de demain. Mais on oubliera vite ce film condamné à être relégué parmi les oeuvres mineures des frères Coen.

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L’Affaire Abel Trem ★★☆☆

Abel Trem est un lycéen besogneux qui, malgré l’aiguillon de ses parents, révise sans conviction les épreuves du baccalauréat. Il sera collé à l’épreuve d’histoire, ne trouvant rien à dire aux deux sujets qui lui sont successivement proposés. Pour expliquer sa faillite à son père furieux, Abel invoque la remarque que lui a faite un examinateur qui l’a questionné sur la cocarde tricolore qu’il portait à sa boutonnière, un signe de reconnaissance des partisans du Fidesz, le parti conservateur de Viktor Orban. Monté en épingle et déformé, l’échec au bac d’Abel Trem vient aux oreilles d’une jeune journaliste qui en fait l’objet d’un article.

Après La Salle des profs, après Pas de vagues, on pourrait penser que L’Affaire Abel Trem est à nouveau un film sur l’école. Ce n’est qu’en partie vrai. Certes, il a pour héros un lycéen qui passe le bac. Mais, à la différence des films précités, il ne se passe pas entre les murs d’une école. J’ai lu par ailleurs que ce film racontait les conséquences d’un mensonge, le mensonge qu’Abel aurait fabriqué pour expliquer à son père son échec. Ce n’est là encore pas tout à fait exact à mon avis. Je ne crois pas qu’Abel mente. L’un des examinateurs l’a bien interrogé sur sa cocarde et Abel n’impute pas son échec à cette question. En vérité, il n’a été victime d’aucune discrimination en raison de ses opinions politiques réelles ou supposées. S’il a échoué au bac, c’est tout simplement parce qu’il s’y était mal préparé et n’a pas su traiter les sujets qu’il a tirés.

L’Affaire Abel Trem n’est donc pas un film sur l’école. Il ne s’agit pas non plus de restaurer la vérité autour d’un événement auquel plusieurs personnages donne une lecture différente (le fameux effet Rashomon). C’est plutôt l’histoire d’une rumeur qui se répand avant d’exploser. Si la rumeur croît, si la rumeur explose, c’est parce qu’elle est crédible. Ou plutôt, c’est parce que certains y croient spontanément ou ont intérêt à y croire : les pro-Orban y voient la confirmation d’être les cibles d’une gauche bien-pensante – ici incarnée par Jakab, ce professeur d’histoire au look d’hipster barbu à catogan.

Le récit est raconté en plans serrés et en dix chapitres polyphoniques, mettant en scène successivement Abel, son père, un architecte pro-Orban, son professeur d’histoire, au contraire anti-Orban, et la journaliste dont l’article mettra le feu aux poudres. Abel Trem est bien le héros de ce film choral. Le rôle est particulièrement ingrat : Abel, avec ses trois poils de moustache, est un ado mal dans sa peau, en situation d’échec scolaire, qui se consume d’amour pour l’une de ses camarades, qui, elle, n’a d’yeux que pour son beau professeur d’histoire. La toute dernière scène souligne l’enjeu du film du point de vue de son réalisateur. Mais, l’accomplisserment d’Abel est moins intéressant que le rapport des forces en Hongrie entre pro- et anti-Orban qui éclate lors de la scène de confrontation entre le père et le professeur. C’est, pour moi, là que se situe l’enjeu du film.

La bande-annonce

Et plus si affinités ★★☆☆

Xavier (Bruno Campan) et Sophie (Isabelle Carré) forment un couple vieillissant. Avec les années, le désir s’en est allé et, avec lui, la tendresse qui les unissait l’un à l’autre. Ce soir-là, la mauvaise humeur de Xavier, professeur de musique aigri, compositeur raté, est encore accrue par la décision que Sophie a prise : inviter à dîner Alban (Pablo Pauly) et Adèle (Julia Faure) leurs nouveaux voisins dont les retentissants ébats nocturnes les réveillent chaque nuit.

Aimez-vous le théâtre de boulevard ? celui qu’on regardait jadis à la télévision, avec les décors de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell ? celui qui a disparu des petits écrans mais survit toujours à Paris et – si la pièce y a marché – en tournée en province ? celui qui mettait en scène, dans des appartements bourgeois, des couples joyeusement infidèles ? Alors courez voir cette pièce de théâtre filmé qui coche toutes les cases du genre : l’unité de temps, de lieu et d’action (l’histoire se déroule tout entière le temps de ce repas entre voisins), mais surtout le comique de situation et l’alignement pétaradant des bons mots.

Quant aux autres…. à ce stade, vous pourriez penser, cher lecteur, que ma critique s’arrêterait ici. Mais avec votre oeil de lynx, vous avez déjà constaté qu’elle comptait encore deux paragraphes. C’est le signe donc que cette comédie n’est pas à jeter, qu’elle pourra séduire au delà du cercle – réduit et vieillissant – des nostalgiques de Au théâtre de ce soir.
Car, il faudrait être sacrément bégueule pour ne pas avoir ri une seule fois devant ce film-là – même si, comme souvent hélas, les meilleures punchlines sont dans la bande-annonce. Et sacrément insensible pour ne pas avoir été touché par le couple égrotant que forment Xavier et Sophie.

Voici donc, une fois reformulée, ma recommandation : sauf à être absolument allergique au théâtre de vaudeville, courez voir Et plus si affinités !

PS : Une réplique m’a brisé le cœur : « 24 ans »

La bande-annonce

La Vie de ma mère ☆☆☆☆

Pierre (William Lebghil) a la trentaine déjà bien entamée. Pourtant, il peine encore à se stabiliser. Professionnellement : la fleuristerie qu’il a reprise n’a pas encore atteint le point d’équilibre. Sentimentalement : il ne parvient pas à se déclarer à Lisa (Alison Wheeler). La raison de ces blocages réside dans sa relation compliquée à sa mère (Agnès Jaoui) qui revient brutalement dans sa vie, après deux ans d’absence. Gravement bipolaire, elle vient de s’échapper du centre psychiatrique où elle avait été internée. C’est à Pierre qu’il incombe de l’y reconduire.

Je suis allé hier en traînant les pieds voir, dans une salle pourtant comble, La Vie de ma mère, quatre semaines après sa sortie… et mes craintes se sont hélas avérées fondées. La Vie de ma mère fait partie de ces films dont tout le sujet tient dans sa bande-annonce et dans son pitch.

Aucune surprise ne doit en être attendue. Ni dans le jeu des acteurs : Agnès Jaoui surjouera encore plus ce qu’elle a l’habitude de jouer – la mamma attachante et exaspérante – et William Lebghil endossera le rôle pas si ingrat du fils chargé de fliquer sa mère, entre rodomontades et attendrissement lacrymal. Ni dans le scénario, une « comédie de l’empêchement » dont l’issue – le retour de Judith dans son HP – est sans cesse contrariée par une série d’obstacles, une halte dans une station-service qui tourne en eau de boudin, un passage sur la tombe du grand-père, un coucher de soleil sur la dune du Pilat, etc. À chaque fois que Pierre est sur le point d’atteindre son but, il suffit au spectateur d’un coup d’oeil à la montre pour savoir s’il y parviendra ou pas encore.

Il y a cinq ans, le même film avait déjà été tourné où s’était fracassée Fanny Ardant, perdue dans un cabotinage gênant, Ma mère est folle. Sur la bipolarité, ceux qui en souffrent et ceux qui doivent au quotidien la prendre en charge, était autrement convaincant Les Intranquilles avec Damien Bonnard et Leïla Bekhti.

La bande-annonce

Bis repetita ★☆☆☆

Delphine (Louise Bourgoin) est une agrégée de lettres classiques désabusée qui a passé un pacte avec la bande de cinq élèves paresseux qu’elle se coltine depuis la classe de seconde : en échange de la paix royale qu’ils lui laissent, elle leur met à tous 19 de moyenne. Mais son stratagème se retourne contre elle lorsque ces résultats exceptionnels qualifient ses élèves pour une compétition internationale de latin organisée à Naples. Leur ignorance crasse risque d’éclater au grand jour. D’autant que Rodolphe (Xavier Lacaille), le propre neveu de la directrice (Noémie Lvovsky), qui termine une thèse sur l’apprentissage immersif du latin, est du voyage.

Je suis surpris des bonnes critiques de ce film que je lis dans Le MondeTélérama ou Première. Sans doute Bis Repetita est-il une comédie gentillette. Mais il ne mérite pas tant d’éloges.

Son sujet n’est guère crédible. Si on peut encore concevoir qu’une professeure surnote ses élèves, on imagine mal comment leur nullité ne serait pas révélée dès la première épreuve du concours international auquel ils doivent participer. Le scénario s’en sort avec des gags dignes des Sous-doués passent le bac : ils me faisaient rire quand j’avais dix ans, nettement moins passés les cinquante !

Son motif n’est guère plus convaincant. On redoute d’ailleurs que Bis Repetita ne tourne à la pétition pour la défense de l’enseignement du latin au collège, dans le style des blagounettes qui circulent régulièrement sur les réseaux : « à quoi me servirait d’apprendre le latin pour étoffer mon curriculum vitae ? ». D’ailleurs le scénario semble ne pas y croire vraiment qui ne nous sert pas de cette soupe-là, au risque de la contradiction interne : Bis Repetita (pourquoi diable ce titre ? Pourquoi pas à ce compte « Mare Nostrum » ou « Alea Jacta Est » ?) est un film sur l’enseignement du latin qui ne se donne même pas la peine de défendre l’enseignement du latin.

Restent le film d’ados, vu et revu, avec ces cinq lycéens, échantillon représentatif de la jeunesse d’aujourd’hui (la black de service, la punk taiseuse, l’homo, le rappeur et le blondinet timide), qui peinent à sortir de l’enfance, et la comédie romantique improbable, qu’on voit venir à des kilomètres, qui se soldera par la réunion de ses deux héros, en dépit de leurs différences (d’âge, de taille… pour ne citer que ces deux-là).

Je m’en serais arrêté là et aurais poussé un « coup de gueule » énervé s’il n’y avait pas eu Louise Bourgoin. J’ai pour elle, depuis ses débuts il y a une quinzaine d’années dans La Fille de Monaco, les yeux de Chimène. Sa seule présence au générique suffit à me faire perdre toute objectivité. Je trouve qu’elle respire la classe. Sa démarche me rappelle Sandrine Kiberlain – et les girafes du parc d’Amboseli. Elle a une manière de hausser le sourcil (droit), elle a un rire qui me remuent. Son rôle ici a une vraie profondeur et réussit à jouer aussi bien sur les tableaux de la comédie que du drame. Mais je ne suis pas crédible en cherchant dans le scénario les raisons de mon éblouissement : elle lirait le Bottin qu’elle me subjuguerait encore.

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La Nouvelle Femme ★☆☆☆

Lili d’Alengy (Leïla Bekhti) est une cocotte parisienne qui cache un secret : elle a une fille déficiente mentale, Tina, confiée aux soins de sa mère. Mais à la mort de celle-ci, Lili , encombrée de Tina, n’a d’autre solution, pour éviter que ce secret honteux ne s’évente, que de quitter Paris pour Rome, où un riche marquis lui a proposé de l’héberger en échange de la jouissance de ses charmes.
Dans la capitale italienne, Lili rencontre Maria Montessori (Jasmine Trinca) qui tient un établissement d’éducation pour les jeunes déficients. Comme Lili, Maria cache un secret : l’enfant qu’elle a eu avec le professeur Montesano, le directeur de l’institut qu’elle a refusé d’épouser par hostilité au mariage et à l’assujettissement de la femme qu’il signifie à l’époque.

Comme tout le monde, j’ai entendu parler de la méthode Montessori, une méthode d’éducation originale, qui insiste sur le développement de l’autonomie de l’enfant (J’ai d’ailleurs l’impression qu’on en parlait plus souvent il y a vingt ans qu’aujourd’hui). Mais j’ignorais ses origines. J’ignorais qu’elle avait été inventée par une femme au début du siècle dernier. J’ignorais également que Maria Montessori avait d’abord travaillé auprès d’enfants neuro-déficients – ainsi qu’on désigne aujourd’hui dans notre novlangue policée les « idiots » d’hier.

Se fondant sur des faits historiques – Maria Montessori a en effet conçu un enfant hors mariage avec le professeur Montesano et a dû le placer en nourrice dans la campagne romaine – la réalisatrice et scénariste Léa Todorov, qui signe ici son premier long métrage de fiction après plusieurs documentaires, a la curieuse idée de lui adjoindre une demi-mondaine parisienne. Sans qu’il soit besoin de dériver dans l’anti-wokisme et de pointer ses origines maghrébines, Leïla Bekhti n’est pas très crédible dans ce rôle. Pourquoi avoir inventé de toutes pièces cette Française, cette courtisane, et la mettre dans les pattes de la vaillante éducatrice italienne ? Fallait-il une autre mère, une autre femme, un autre enfant caché ? Et si oui, pourquoi diable ne pas aller les chercher dans la haute bourgeoisie romaine tout simplement ?

Sans doute Jasmine Trinca, l’une des valeurs les plus sûres du cinéma italien contemporain (elle a remporté deux fois en 2018 et 2020 le Donatello, l’équivalent de nos César, pour Fortunata et Pour toujours que je n’avais aimés ni l’un ni l’autre) fait-elle impeccablement le job. Mais son énergie ne suffit pas à instiller un peu de fièvre à un film en costumes bien mollasson, qui se traîne sans surprise, du début jusqu’à sa fin.

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Paternel ★★☆☆

Prêtre à Auxerre, Simon (Grégory Gadebois) se dévoue corps et âme à ses paroissiens. Au beau milieu de l’enterrement de l’un d’entre eux, Louise (Géraldine Nakache), avec qui il avait eu une liaison, douze ans plus tôt, avant son ordination, revient dans sa vie et lui présente son fils, Aloé. Elle lui demande de le reconnaître.

Le cinéma décidément aime à s’emparer des sujets de notre temps. L’Eglise en est un. Grâce à Dieu documentait le combat mené par les victimes d’abus sexuels commis par le père Preynat et couverts par l’archevêque de Lyon Philippe Barbarin. Magnificat, que je n’ai pas vu tant les critiques qui ont accompagné sa sortie l’été dernier étaient cinglantes, avait pour héroïne une femme cachant son sexe pour devenir prêtre.

Paternel (qui aurait pu s’appeler Mon père) interroge le célibat des prêtres et l’obligation de chasteté « parfaite et perpétuelle » à laquelle ils sont tenus, une règle instaurée depuis le XIème siècle dans l’Eglise catholique. Le droit canonique est plus flou sur une éventuelle paternité. On conçoit aisément qu’elle suppose une violation du devoir de chasteté si la paternité intervient après l’ordination et qu’elle est donc, dans cette hypothèse, interdite. Mais quid d’une paternité intervenant avant l’ordination, par exemple pour des veufs auxquels la procréation dans le cadre du mariage ne serait entachée d’aucun manquement ? Ont-ils le droit de devenir prêtre ou le fait d’avoir des enfants le leur interdit-il ?

Rassurez-vous cher lecteur : Paternel ne s’enferme pas dans les arguties juridiques qui font le bonheur d’un conseiller d’Etat en exercice ou d’un vice-président honoraire (dont le rapport sur les abus sexuels dans l’Eglise qu’il a rédigé est dûment cité dès les premières minutes du film) qui en ont devisé ensemble jeudi soir sous la pluie. Beaucoup plus classiquement, Paternel décortique le dilemme auquel Simon est confronté lorsqu’il apprend brutalement sa paternité : devoir renoncer à sa vocation pour assumer sa paternité.

Paternel a un immense mérite. Il documente avec une grande précision et, autant que j’en puisse juger malgré ma médiocre expérience, sans la caricaturer, la vie quotidienne d’un prêtre. Il en montre la grandeur et les servitudes : les offices qui se succèdent, les sollicitations des fidèles, la vie à la cure, en compagnie d’un autre prêtre (l’excellent Lyes Salem) et de l’intemporelle « bonne du curé » (interprétée par Françoise Lebrun qu’on n’a jamais autant vue sur les écrans que depuis qu’elle approche ses quatre-vingts ans), la solitude sentimentale aussi…

Paternel a néanmoins un grave inconvénient : on en connaît par avance l’issue. Gregory Gadebois est un gros nounours si attachant, la foi chrétienne qui l’inspire est tellement soucieuse de l’Autre et généreuse dans l’amour qu’elle lui porte, qu’on n’imagine pas un instant que Simon puisse fermer sa porte à son enfant. Il suffit de jeter un oeil à l’affiche, à la bande-annonce et à cette critique (!) pour que tout suspense – si suspense il y eût – soit éventé.

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