Camping du lac ★☆☆☆

La réalisatrice Eléonore Saintagnan part vers la mer sur un coup de tête. Une panne automobile l’oblige à interrompre son voyage et à s’installer dans un camping, au bord d’un lac, en Bretagne. Une légende liée au saint-patron du coin, Corentin, y circule autour d’un mystérieux poisson qui hanterait les fonds du lac. Avec sa caméra et son micro, Eléonore Saintagnan filme ce qui l’entoure : un vieil Américain, chanteur de country, à la recherche de sa fille, une mère de famille qui élève quelques poules, un tatoueur, un couple de vieux retraités…

Fiction ou documentaire ? Camping du lac revendique la fiction, mais louche plutôt du côté du documentaire. Il se déroule sur les bords du plus grand lac de Bretagne, le lac de Guerlédan dans les monts d’Armor, qui, ainsi filmés, ont des airs de Jura ou de Vosges.

Le prétexte en est inoffensif. S’agit-il d’une reconstitution historique de la vie de Saint Corentin comme ses dix premières minutes pourraient le laisser croire ? une enquête sociologique sur la France des campings ? ou encore, lorsque [attention spoiler] on découvre enfin le mystérieux poisson du lac, un conte onirique et écologique ? Le film peine à trouver sa voie et à prendre son envol. Y eût-il réussi, il s’arrête au bout de soixante-dix minutes à peine, victime de sa propre modestie.

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Let’s Get Lost (1988) ★★★☆

Chet Baker (1929-1988) fut sans doute l’un des plus grands musiciens de jazz du vingtième siècle. La sensualité de son jeu, sa voix de velours et son visage d’ange lui valurent une immense célébrité dans les années 50. Mais Chet Baker se drogua toute sa vie durant et fit souffrir son entourage.

Le photographe Bruce Weber rencontre en 1986 un vieil homme, qui n’a pas atteint ses soixante ans mais en fait au moins dix de plus. Chet Baker est au crépuscule de sa vie. Il mourra quelques mois plus tard, avant même la sortie du film, en se défénestrant du deuxième étage de son hôtel à Amsterdam. Le tournage, raconte Weber, fut particulièrement chaotique, devant tenir compte des sautes d’humeur de Chet Baker, constamment sous emprise.

Let’s Get Lost – du nom d’un standard de 1943 devenu célèbre grâce à l’interprétation qu’il en fit en 1955 – nous montre le jazzman à deux âges de sa vie. Dans les années 50, alors qu’il fait ses premiers pas dans le monde du jazz, dans le sillage de Charlie Parker qui lui donne sa chance et avec le saxophoniste Gerry Mulligan avec lequel il forme un quartet bientôt fameux, Chet Baker est d’une beauté surréelle, mélange de James Dean et de Jack Kerouac. Il devient vite le « prince du cool », la coqueluche de l’Amérique.
Mais ce visage angélique cache une âme tourmentée, torturée par la drogue. L’histoire de sa vie sera celle d’une longue déchéance qui le laisse essoré, à bout de souffle, le visage parcheminé, prématurément vieilli à cinquante ans à peine quand Bruce Weber le filme.

Dans un noir et blanc intemporel, Bruce Weber utilise des images d’archives notamment les célèbres photos de William Claxton. Il suit Chet Baker dans ses déambulations à Los Angeles, sur la plage de Santa Monica, sur la banquette arrière de ces décapotables qu’il aimait tant, dans le studio où il enregistre encore. Enfin, il interroge ses proches.

L’épreuve tourne vite au jeu de massacre quand il interviewe ses ex-compagnes. C’est que Chet Baker a eu une vie privée agitée : trois mariages, quatre enfants qu’il n’a guère élevés, des liaisons adultérines à la pelle… On comprend que Carol Jackson – la mère de trois de ses enfants et sa dernière épouse dont il ne divorça jamais – Diane Vavra – qu’il rencontra en 1970 et qui lui fut proche jusqu’à la fin de ses jours – et Ruth Young – une chanteuse de jazz avec qui il entretint une liaison au début des années 70 – ne mâchent pas leurs mots.
Mais la plus cruelle est la propre mère de Chet Baker, Vera Moser, une octogénaire permanentée, dont on imagine les heures qu’elle a passées pour se préparer à cette interview. Certes, elle ne cache pas sa fierté devant le talent inné et le succès de son fils mais elle garde un silence pudique lorsque Bruce Weber lui demande s’il fut un bon fils.

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Dissidente ★★★☆

Pour sauver de la faillite son entreprise agricole, Stéphane (Marc-André Grondin) a recours à des travailleurs guatémaltèques saisonniers. Il embauche parallèlement  une traductrice, Ariane (Ariane Castellanos), qui leur traduira les consignes de la direction. La jeune femme, lourdement endettée par une relation toxique, découvre bien vite les conditions inhumaines imposées aux travailleurs immigrés, cantonnés aux tâches les plus rudes, soumis à des horaires extravagants, sans possibilité de se défendre, otages du bon vouloir d’un patron qui peut les renvoyer sans sommation et refuser de leur signer l’attestation sans laquelle ils ne pourront retrouver un emploi l’année suivante.

Son sujet, son titre, son affiche… on pouvait légitimement redouter de ce film son manichéisme prévisible, opposant la courageuse traductrice qui, n’écoutant que son bon cœur, saurait prendre la défense de ces malheureux travailleurs immigrés, à un patron brutal et cupide. Or Dissidente réussit à éviter ce piège. C’est, à rebours du simplisme dans lequel il aurait pu verser, un film d’une grande subtilité.

Ses personnages ne sont pas taillés d’un bloc. Ariane, par exemple, n’est pas aussi parfaite qu’elle en a l’air. Elle ne fut pas seulement la victime des malversations dans lesquelles son ancien partenaire a versé, mais aussi sa complice tacite. Elle a un besoin vital de son emploi de traductrice et doit, pour le conserver, accepter quelques compromissions. Stéphane, lui non plus, n’est pas foncièrement mauvais. Sous la pression de ses actionnaires, il doit par tous les moyens équilibrer les comptes de son entreprise, sauf à la mettre en faillite et à en licencier tout le personnel qui compte sur lui. Il n’est pas jusqu’aux employés guatémaltèques qui n’aient leur part d’ombre, laissant prospérer parmi eux des pratiques mafieuses presqu’aussi pernicieuses que celles que leur impose leur employeur canadien.

L’intrigue réserve son lot de rebondissements. Elle suit notamment l’histoire de Manuel, un employé guatémaltèque au visage angélique qu’on a remarqué dès la première scène, pleurant silencieusement dans le bus qui l’amène à l’usine. Une scoliose l’empêche de travailler. Grâce à Ariane, il obtient un arrêt  maladie. Mais Stéphane, qui a absolument besoin de bras, l’oblige à rembaucher au péril de sa vie.

Dissidente est filmé en longs plans-séquences, la caméra collée aux acteurs, constamment en mouvement. Cette mise en scène immersive renforce la tension et nous tient en haleine tout le film durant. C’est la forme cinématographique la mieux adaptée pour décrire la violence sociale qui s’exerce sur ces travailleurs et les dilemmes dans lesquels l’héroïne se débat.

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Six pieds sur terre ★★☆☆

Fils d’un agent diplomatique algérien, Sofiane (Hamza Meziani) a suivi son père dans ses différentes affectations à l’étranger. Après avoir mollement suivi des études universitaires à Lyon, il se retrouve sous l’obligation de quitter le territoire français d’ici un mois. Pour faire pièce à cette mesure d’éloignement, il n’a d’autre alternative que d’aller travailler à Roubaix dans une entreprise de pompes funèbres musulmane. Il y découvre un métier auquel rien ne l’avait préparé.

Quel joli titre ! Six pieds sur terre nous rappelle la célèbre série de HBO diffusée au début des années 2000. À tort, si j’en crois les avis unanimes, je n’ai jamais réussi à aller au-delà de son premier épisode. Comme dans la série américaine, comme dans le film japonais Departures qui m’avait durablement marqué, ce film évoque, pour reprendre l’élégante expression de Jacques Mandelbaum dans Le Monde, « le commerce de la mort pour apprendre à mieux vivre ». Il a pour décor une entreprise de pompes funèbres où le jeune Sofiane, aux côtés d’un mentor mutique, découvre le métier de thanatopracteur.

Il est l’œuvre d’un réalisateur cosmopolite, Karim Bensalah, né d’un père algérien et d’une mère brésilienne, qui a grandi à Haïti avant de s’installer en France à dix-huit ans. On imagine volontiers ce qu’il a mis de lui dans le personnage de Sofiane, Algérien déraciné, sans Dieu ni mère, qui fait à son père le procès de ne pas l’avoir élevé.

Le parcours de Sofiane est certes original. Il n’en reste pas moins convenu, les différentes étapes de sa maturation étant scrupuleusement passées en revue : la découverte d’une vocation, la naissance d’un lien amoureux avec une belle Scandinave rencontrée dans un Lavomatic sans omettre bien sûr la réconciliation avec son père et ses sœurs.

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El Profesor ★★☆☆

Marcelo est un terne assistant de philosophie qui a toujours travaillé dans l’ombre de son mentor. Mais lorsque celui-ci décède brutalement, laissant libre sa chaire à l’université Puan de Buenos Aires, Marcelo est brutalement propulsé sur le devant de la scène. Seul hic : le retour au pays natal d’un collègue expatrié en Allemagne, paré de toutes les qualités que Marcelo n’a pas : il cite Heidegger en allemand dans le texte, a une petite amie influenceuse et un charisme fou qui séduit les étudiants.

El Profesor contient plusieurs niveaux de lecture que présente fort pédagogiquement son affiche.

Le premier, à l’avant-plan, c’est son héros bien sûr et son désarroi. Sa vie terne lui convenait ; mais le voilà obligé de se mettre en avant pour obtenir le poste auquel toute sa carrière le promettait. Le candidat qu’il trouve sur sa route est tout son contraire : un m’as-tu-vu prétentieux – qui se tient sur l’affiche derrière lui en embuscade.

Deux autres sujets se dessinent à l’arrière-plan.
Le premier, à gauche (!), c’est le peuple argentin en colère, qui défile contre le plan d’austérité imposé par le FMI. Puan est un haut lieu de la contestation estudiantine, une sorte de Vincennes ou de Nanterre argentin.
Le second, à droite, c’est la philosophie, le soleil de la connaissance et la figure de Socrate. El Profesor nous réserve, sans plastronner ni ennuyer, quelques belles envolées philosophiques, qui nous donneraient presque l’envie de nous y replonger et de revenir l’étudier sur les bancs de l’université [note pour moi : penser à m’inscrire à l’Université du quatrième âge].

El Profesor souffre d’un rythme un peu mou et d’une intrigue qui se résume tous comptes faits à pas grand-chose. Il n’en reste pas moins une comédie intelligente.

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Hors du temps ★★☆☆

Le réalisateur Olivier Assayas a hérité de ses parents une propriété familiale à Montabé en vallée de Chevreuse. Pendant le confinement, il s’y est installé avec son frère, comme d’autres Français qui avaient le privilège d’être propriétaires d’une résidence secondaire. Il revisite cette parenthèse hors du temps sous une forme fictionnelle en faisant endosser son rôle par Vincent Macaigne et celui de son frère, critique de musique à la radio, par Micha Lescot.

Au début de Hors du temps, on voit des photos d’une campagne printanière et édénique. Ce sont les images de cette propriété familiale et des bois qui l’entourent dont la voix off d’Olivier Assayas nous raconte l’histoire et l’attachement qu’il lui voue. On s’imagine convié à un documentaire proustien, familial et autobiographique ; mais Hors du temps prend bien vite une autre direction.

Il s’agira d’une fiction, jouée par des comédiens connus (aux côtés des deux acteurs masculins, on reconnaît Nora Hamzawi, toujours juste, et la débutante Nine d’Urso, que j’avais confondue avec Clotilde Hesme). J’en ai lu des critiques exécrables. On lui reproche son nombrilisme, son germanopratisme. Sans doute suis-je moi-même trop nombriliste et trop germanopratin pour que cela m’ait dérangé. Certes, j’ai trouvé que Hors du Temps était horriblement mal joué, que ces dialogues trop écrits sonnaient faux, comme du mauvais Rohmer.

Mais Hors du temps m’a ramené quatre ans en arrière, à cette période si particulière que nous avons tous vécue à notre façon et que nous n’oublierons pas de sitôt, dans ce temps suspendu où, bizarrement, nous avons retrouvé une part de liberté dont le traintrain quotidien boulot-métro-dodo nous avait aliéné. Sans doute, les réactions des deux personnages frisent-elles la caricature : Macaigne nourrit sa hantise du virus des informations glanées sur des sites Internet douteux tandis que Lescot peste contre des règles administratives absurdes qui entravent sa liberté. Mais l’honnêteté oblige à dire que nous avons tous, chacun à notre façon, oscillé entre ces deux réactions-là.

J’ai aimé replonger dans cette époque-là, dans ce temps vide qu’on pouvait occuper à son gré, à faire ce qu’on n’avait jamais eu le temps de faire (lire Les Trois Mousquetaires, vider la cave….), dans cette cohabitation obligée, à la fois étouffante et rassurante avec nos proches, dans ces repas amoureusement préparés, généreusement arrosés et lentement partagés. Hors du temps a le mérite de nous faire revivre ces moments-là et de nous interroger : qu’en avez-vous fait ? en quoi vous ont-ils transformé ?

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Le Moine et le Fusil ★☆☆☆

Le petit royaume du Bhoutan est un État indépendant quasiment coupé du monde, situé sur les contreforts de l’Himalaya. Son souverain abdique en 2006 pour en faire une démocratie parlementaire. Mais la décision n’est pas du goût de tous les Bhoutanais, confrontés à un saut dans l’inconnu.

Qu’on ne s’y trompe pas : Le Moine et le Fusil n’est pas un documentaire mais une fiction qui prend pour toile de fond la préparation des élections générales de 2008. C’est un film choral qui met en scène plusieurs personnages : un moine dont le lama lui demande de trouver deux armes, un guide touristique qui va chercher à l’aéroport un mystérieux Américain recherché par la police, une villageoise qui accompagne pendant quelques jours la directrice des élections venue de la capitale constater sur le terrain l’avancée des préparatifs, son mari en butte à l’hostilité des autres villageois parce qu’il prend parti pour un candidat….

Le film est tendu par un double suspense : d’une part le résultat des élections blanches organisées entre trois partis fictifs, bleu, rouge et jaune, d’autre part la rencontre qu’on sait inéluctable entre tous les protagonistes dont les trajectoires se croisent et se recroisent pendant tout le film.
Les deux conclusions nous réserveront l’une et l’autre deux jolies surprises pleines d’ironie.

Mais, comme on pouvait hélas le craindre, le propos du film est trop gentillet et son rythme trop lâche pour susciter l’intérêt.

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Un p’tit truc en plus ★★☆☆

Deux cambrioleurs en cavale (Artus, le réalisateur, et Clovis Cornillac) trouvent refuge dans un gîte rural qui accueille pour l’été une dizaine de handicapés placés sous la responsabilité de leur éducatrice (Alice Belaïdi, portrait craché de Bérénice Bejo)

Après Bienvenue chez les Ch’tis (vingt millions d’entrées en 2008), Intouchables (dix-neuf en 2011) et Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? (douze en 2014), Un p’tit truc en plus caracole vers les dix millions d’entrées. Rien ou presque ne permettait de pronostiquer un tel succès pour ce film au budget moyen (6 millions d’euros) sans star de premier plan.

Comment l’expliquer ? La réponse tient en un mot (ou en trois selon la façon de les compter) : feel-good-movie. Un p’tit truc en plus est un film-qui-fait-du-bien – comme l’étaient avant lui les trois précédents blockbusters français. Aucune réflexion. Aucune profondeur. Aucune originalité dans un scénario qui manque totalement de crédibilité. Mais une empathie folle. Un ton toujours juste. Des répliques et des situations qui font mouche.

Quelques belles âmes se sont étouffées devant un film accusé de se moquer des handicapés. Ainsi de Télérama, invoquant un « argument discutable », qui expédiait le film en dix lignes à sa sortie : « le personnage joué par Artus imite une personne trisomique avec des mimiques obscènes et franchement embarrassantes ». Ce procès est outrancier. Un p’tit truc en plus ne rit pas des handicapés ; il rit avec eux.

Que nous dit ce succès monstre au box office du cinéma et de son public ? Que le public français ne boude pas, bien au contraire, les productions hexagonales. Qu’il aime les feel-good-movies fédérateurs, sans sexe ni violence, à l’humour bon enfant, qui lui permettent de s’évader d’un quotidien souvent bien anxiogène. Que – si le box office était la seule aune à laquelle juger un art – le cinéma français se fourvoie dans des drames misérabilistes qui n’intéressent personne. Et enfin hélas, qu’il faut redouter de voir fleurir dans les années à venir des copier-coller de ce P’tit truc en plus, des Gros Trucs en moins qui, sans imagination, essaieront sans y arriver de reproduire ce succès inattendu.

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Gloria ! ★★☆☆

L’Institut Sant’Ignazio accueille près de Venise, dans les années 1800, des jeunes filles sans famille et leur donne une éducation musicale dans l’espoir de leur offrir un bon mariage. Il s’y prépare un événement exceptionnel : la venue du pape Pie VII. Hélas, le chef de chœur, un vieux prêtre à court d’inspiration, peine à écrire la partition que lui a commandée le riche protecteur de l’institut. Quatre pensionnaires, aidées d’une servante mutique, vont lui apporter une aide inespérée.

Je ne sais trop que penser de ce film. J’en ai lu des critiques assassines. La raison en est sa schizophrénie. C’est en apparence un film classique, en costumes, au féminisme inoffensif, au dénouement prévisible. Mais Gloria !, qui met en scène un groupe de jeunes mélomanes qui découvrent un piano forte dans les caves de leur pensionnat et l’utilisent pour écrire leur propre musique, prend un parti déroutant : celui de les laisser improviser une musique moderne, totalement anachronique, dont l’harmonie, le rythme et l’orchestration n’ont rien de commun avec la musique de l’époque.

Avec son héroïne, Gloria ! pose ou manque de poser une question passionnante : quelle musique une personne, par exemple une sourde-muette, vierge de toute influence musicale, pourrait-elle écrire ? Pour le dire autrement : aurait-on pu écrire une partition de jazz au XVIIIème siècle ? de reggae au XIXème siècle ? quelles sont les contraintes socio-politiques et les limites à la création musicale ?

Hélas (ou tant mieux), Gloria ! ne creuse pas cette question vertigineuse. Il se cantonne à un scénario sans surprise qui voit, comme on l’escomptait, le maître de chœur s’enliser face à une page blanche et ses pensionnaires, plus douées que lui pour la musique et plus inventives, lui proposer une planche de salut. Gloria ! se termine par un happy end aussi enthousiasmant qu’improbable. « Pop et Libérateur ! » nous promet l’affiche, une promesse aussi incongrue que tenue.

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Maria ★★☆☆

La jeune Maria Schneider a dix-neuf ans à peine quand elle est choisie par Bernardo Bertolucci pour tourner avec la star Marlon Brando dans Le Dernier Tango à Paris. Le film remporte un succès de scandale grâce notamment à une scène de sodomie simulée tournée sans le consentement de l’actrice. Maria, à laquelle on ne propose que des rôles dénudés, sombre dans l’addiction.

La journaliste Vanessa Schneider – qui pour l’anecdote m’a interviewé en 1994 alors qu’elle n’était encore que jeune pigiste chez Libération et que j’entamais ma scolarité à l’ENA qui venait d’être délocalisée à Strasbourg – a consacré en 2018 un livre autobiographique à sa cousine Maria. La petite Vanessa se souvient des frasques de sa cousine dans les années 70 qui trouvait parfois refuge chez son oncle, quand elle s’était disputée avec sa mère.
La jeune actrice ne s’est pas remise du succès sulfureux que lui valut Le Dernier Tango. Elle a refusé les rôles trop simplistes qui lui étaient proposés, s’excluant d’elle-même des castings. Elle s’est lentement abîmée dans l’alcool et dans la drogue. Elle a eu certes d’autres rôles, avec Antonioni et Rivette. Mais ses addictions étaient trop sévères pour lui permettre de tenir son planning, de mémoriser ses textes et de mener sa carrière. Elle s’est fait renvoyer du tournage de Cet obscur objet du désir par Bunuel qui ne la trouvait pas convaincante, et de celui de Caligula car elle refusait d’y jouer nue.

Maria Schneider est depuis #MeToo devenue une figure symbolique des violences sexistes dans le monde du cinéma. Elle est le témoin d’une époque qu’on espère révolue : celle où une jeune femme pouvait, sans son consentement, être agressée sous l’oeil voyeur de la caméra sans que l’équipe de tournage ne lui manifeste la moindre empathie, et être enfermée, pour le restant de sa vie, dans un rôle qu’elle n’avait pas choisi. Une séquence du documentaire de Delphine Seyrig Sois belle et tais-toi ! la montre fulminant contre le machisme du cinéma : « On ne me propose que des rôles de schizophrène, folle, meurtrière, lesbienne, que des choses comme ça, que je n’ai pas envie de faire »

Le film de Jessica Palud – qui fut stagiaire sur le tournage des Innocents de Bertolucci au début des années 2000 – rend justice à la figure de Maria Schneider. Il bénéficie de l’interprétation époustouflante de Anamaria Vartomolei. La jeune actrice, César du meilleur espoir féminin en 2022 pour L’Evénement, est décidément l’une des actrices les plus prometteuses de sa génération. On vient de la voir dans Le Comte de Monte-Cristo. Méconnaissable dans Maria sous la mèche brune qui lui cache les yeux, elle joue une adolescente en quête de père (Maria Schneider était la fille adultérine de Daniel Gélin qui ne l’avait pas reconnue), une jeune actrice qui se brûle les ailes à la flamme de la célébrité, une femme bafouée et perdue qui ne parvient plus à se reconstruire en dépit de l’amour que lui porte la jeune Noor (Céleste Brunnquell).

Maria est un film très appliqué, dans son scénario platement chronologique, dans sa mise en scène, dans sa reconstitution soignée des années 70. Sa défense de Maria Schneider, érigée en martyre d’un cinéma patriarcal, est irréprochable. Mais il a l’effet paradoxal d’enfermer son héroïne dans le rôle de victime dont Maria Schneider a pourtant essayé, sa vie durant, de s’arracher.

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