Mékong Stories ★☆☆☆

Il y a une vingtaine d’années, j’ai vu L’Odeur de la papaye verte. C’était mon premier film vietnamien. En ce temps-là, les cinémas du monde peinaient à trouver un chemin jusqu’à nos écrans. Je me souviens de mon émerveillement devant des films aussi exotiques que le malien Yeelen ou le finlandais Ariel. Je me souviens aussi que j’avais somnolé la moitié du temps devant un film esthétiquement envoûtant… mais mortellement ennuyeux.

C’est un peu le même sentiment – et la même somnolence – qui s’est emparé de moi devant Mékong stories. Sauf que, hélas, vingt années de cinéphilie et la considérable ouverture du paysage audiovisuel aux filmographies les plus exotiques ont annihilé la curiosité que m’avait inspirée à l’époque L’Odeur de la papaye verte.

L’intrigue de Mékong stories – traduction en français (sic) de Cha và con và qui signifie littéralement Père et fils et – est passablement complexe. On suit mollement une bande de jeunes Vietnamiens dans la moiteur de Saïgon et de la campagne environnante. Vu photographie ; Thang deale ; Van danse. Vu est amoureux de Thang ; Thang couche avec Van ; Van n’aime personne sinon elle-même. Vous n’avez rien compris ? Moi non plus ! Rendormez-vous !

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This is my Land ★★☆☆

La documentariste Tamara Erde pose une question simple : comment les systèmes éducatifs israélien et palestinien enseignent-ils à leurs élèves l’histoire de l’autre ? Son enquête y donne une réponse tout aussi simple qui donne froid dans le dos : des générations de jeunes Israéliens et de jeunes Palestiniens sont éduqués au mieux dans l’ignorance de leurs voisins au pire dans leur haine.

La jeune Franco-Israélienne a mené,non sans mal, son enquête dans une série d’établissements scolaires des plus libéraux (un collège mixte où juifs et non-juifs suivent le cours d’histoire donné à deux voix par deux professeurs, un Juif et une Palestinienne) aux plus intransigeants (l’école rabbinique d’une colonie juive, un collège palestinien où un enseignant pourtant débonnaire laisse sans réaction le témoignage d’un élève qui raconte avoir « craché sur une Juive » la veille). Partout, à quelques détails près, elle dresse le même constat désespérant : les enfants des deux communautés sont élevés dans l’ignorance et la méfiance de l’Autre, présenté côté israélien comme une menace et côté palestinien comme un spoliateur. Un voyage scolaire à Belzec et Treblinka loin d’encourager la réconciliation semble accréditer chez les jeunes Israéliens l’esprit de persécution et le désir subséquent de vengeance.

Conséquence dramatique : ces enfants n’aspirent qu’à quitter une terre où la réconciliation semble impossible. This is MY land et non this is OUR land.

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Red Amnesia ★☆☆☆

Sur le papier, le dernier film de Wang Xiaoshuai avait tout pour séduire. Une retraitée, qui voue sa vie à ses deux fils, est rattrapée par son passé. Red Amnesia joue sur plusieurs registres. Thriller : qui est l’auteur des menaces anonymes qu’elle reçoit ? Portrait de femme : une veuve hantée par des hallucinations. Chronique sociale : le choc des générations dans la Chine contemporaine. Drame historique : comment la Chine panse-t-elle les plaies de son passé ?

Red Amnesia est coupé en deux par un déplacement dans l’espace qui est aussi un saut dans le temps. Aux deux tiers du film, l’héroïne retourne au Guizhou, une région du sud de la Chine où elle a été exilée durant la Révolution culturelle. S’y dévoileront le crime qu’elle avait alors commis et l’identité de celui qui entend lui en faire payer le prix.

Je suis totalement passé à côté de ce programme alléchant. Red Amnesia m’est resté opaque. Je n’en ai pas compris le scénario filandreux, peinant à distinguer les scènes d’hallucination des scènes bien réelles. Et j’ai trouvé que le départ au Guizhou privait le film de son unité.

Mon incapacité à comprendre et à apprécier ce film m’inquiète car elle n’est pas isolée. J’avais eu la même réaction face à The Assassin au début de l’année et face au dernier film de Jia Zhangke, pourtant porté aux nues par la critique en décembre dernier. Est-ce de ma part le symptôme d’un rejet systématique du cinéma chinois construit selon des schémas qui me sont définitivement étrangers ?

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Ultimo Tango ★★★☆

Voici la réponse éclatante à mes amis qui me suspectent de masochisme à regarder d’improbables documentaires guatémaltèques en noir et blanc, sous-titrés et muets ! Celui-ci est germano-argentin. Il est en couleurs. Et s’il est sous-titré, il n’est – donc – pas muet.

Plus important : c’est un bijou !

Ultimo Tango (quel titre ridicule !) raconte l’histoire du couple le plus célèbre de l’histoire du tango. Juan Carlo Copes et María Nieves ont donné au tango ses lettres de noblesse, dans les années 50, en le faisant monter sur scène. Ils en furent les ambassadeurs dans le monde entier, notamment à Broadway où ils réalisèrent Tango Argentino.

Pour raconter cette légende s’offrait au documentariste plusieurs options : des images d’archives, une reconstitution jouée par des acteurs, l’interview des survivants. Fort astucieusement, les trois procédés sont simultanément utilisés. Copes & Nieves commentent des images d’archives en répondant aux questions que leur posent les acteurs jouant leurs rôles. Le résultat est terriblement efficace.

Copes & Nieves formèrent un couple de légende sur scène et à la ville. Mais s’ils continuèrent à danser ensemble jusqu’en 1997, ils se séparèrent vingt ans plus tôt. Une haine toujours vivace les tenant à distance l’un de l’autre, ils répondent chacun à son tour à la caméra. On sent chez elle une passion encore vive, alors que lui a reconstruit sa vie ailleurs. Le tourbillon de haine et d’amour qui a emporté ce couple n’est pas moins impressionnant que la perfection diabolique de leurs chorégraphies.

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L’Origine de la violence ★☆☆☆

Coup sur coup trois romans français que j’avais lus et diversement appréciés viennent d’être portés à l’écran : Tout, tout de suite (Sportès-Berry), Elle (Djian – Verhoeven) et aujourd’hui L’Origine de la violence écrit par Fabrice Humbert et réalisé par Élie Chouraqui.

Ces adaptations posent des questions qui me passionnent depuis longtemps. Peut-on réaliser un grand film à partir d’un mauvais livre ? Oui : c’est le cas de tous les films de Kubrick adaptés d’œuvres littéraires sans grand intérêt y compris 2001… Peut-on réaliser un mauvais film à partir d’un bon livre ? C’est le cas hélas de cet « Origine… »

Car le drame autofictionnel de Fabrice Humbert, sorti en 2009, était terriblement réussi. Il mettait en scène un professeur de lycée qui croit reconnaître son père sur une photo de détenus du camp de Buchenwald. Cette découverte n’est que la première d’une série de révélations sur des secrets familiaux longtemps enfouis.

L’histoire n’est pas sans rappeler Un secret, le roman de Philippe Grimbert adapté avec beaucoup d’élégance par Claude Miller. L’élégance, c’est précisément ce qui manque à Élie Chouraqui. L’auteur de Paroles et musique et de Ô Jérusalem filme à la truelle. Les flash-back dans les camps de concentration sont d’une pachydermique maladresse. Et le choix de César Chouraqui pour jouer le jeune héros est calamiteux.

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Elle ★☆☆☆

Elle a fait beaucoup de bruit sur la Croisette au point d’être cité parmi les favoris pour la Palme. Sans doute le Jury a-t-il fait prévaloir des critères politiques discutables en l’attribuant à Ken Loach ; mais il n’aurait pas eu la main heureuse en la donnant à Paul Verhoeven. Elle est au mieux une adaptation bien tournée et bien jouée du roman de Philippe Djian, que n’importe quel honnête réalisateur français aurait pu signer. Cette œuvre ne manque pas de surprendre dans la filmographie du vieux réalisateur hollandais qui s’était fait connaître aux Pays-Bas dans les années 80 avant d’aller signer à Hollywood quelques-uns des blockbusters les plus stimulants de la fin du siècle dernier (Robocop, Basic Instinct, Total Recall, Starship Troopers…).

Il faut partir du livre de Philippe Djian, que Verhoeven adapte avec une grande fidélité et dont il tire toute son originalité. L’histoire peut sembler complexe, mais se résume en une phrase [attention spoiler] : une femme tombe amoureuse de l’homme qui la viole. Sujet transgressif ? peut-être. Sujet qui manque surtout de crédibilité. Le reproche vaut pour beaucoup de romans de Djian : Incidences, adapté au cinéma par les frères Larrieu, ou Impardonnables, adapté par Téchiné. Les situations chez Djian sont tellement excessives, tellement incroyables… qu’on finit par ne plus y croire.

C’est le cas ici du personnage de Michelle jouée par l’inévitable Isabelle Huppert – ce que vous ne pouvez pas ne pas savoir car elle fait la couverture de Télérama, de Première et même de Psychologies ! Le cinéma français ne compte-t-il pas d’autres actrices talentueuses que tous les rôles de cinquantenaires doivent systématiquement lui être attribués ? C’est bien simple : je ne peux plus la voir !

Même si je réussis à faire abstraction une minute de l’antipathie naturelle que suscite chez moi Isabelle Huppert, n’en reste pas moins une grande gêne à l’égard du personnage qu’elle joue. Michelle, la cinquantaine, s’est construite à force de volonté et de travail après avoir été dans son enfance la protagoniste involontaire d’un drame familial sanglant. Elle dirige une prospère entreprise de jeux vidéo avec sa meilleure amie. Son fils est un adolescent immature, son ex-mari un écrivain sans le sou, sa mère une vieille femme obsédée par sa jeunesse perdue. Un jour, elle est victime d’un viol à son domicile. Renonçant à en alerter la police, elle cherche elle-même le coupable. Mais ce suspense, sur lequel le film aurait pu se construire, est vite dénoué tant les indices convergent vers son voisin.

Jusqu’à sa conclusion, le film oscille entre le drame et la comédie. Michelle est-elle une victime ou une manipulatrice ? Un soutien de famille ou la pire des égoïstes ? Une masochiste qui s’éveille à l’amour ou une perverse en quête de vengeance ? Michelle a la même ambiguïté que l’héroïne de La Pianiste qui avait valu à Huppert le Prix d’interprétation féminine à Cannes en 2001. Mais cette ambiguïté m’est tellement étrangère qu’elle me reste définitivement incompréhensible.

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Théo & Hugo dans le même bateau ★☆☆☆

Théo et Hugo ont le coup de foudre. Ils couchent sans préservatif. C’est ballot. D’autant que Hugo est séropo. Leur coup de foudre y survivra-t-il ?

Olivier Ducastel et son compagnon Jacques Martineau réalisent ensemble depuis bientôt vingt ans des films queer. Aucun n’a retrouvé le charme de leur tout premier, Jeanne et le Garçon formidable. Pas même Théo & Hugo… malgré le Teddy Award décroché à la dernière Berlinale.

Pourtant leur dernier film commence fort dans une backroom parisienne filmée sur un mode quasi documentaire avec musique techno à fond, corps en fusion, sexes en érection, fellations et sodomies. Vingt minutes plus tard, nos tourtereaux rhabillés reviennent à des pratiques plus bourgeoises (quoique) entre Strasbourg – Saint-Denis et Stalingrad via l’hôpital Saint-Louis où Théo se fait prescrire une trithérapie d’urgence.

Filmé en temps réel entre 4h30 et 6h dans la nuit parisienne, Théo & Hugo… pourrait passer pour un Victoria homo (pour l’ambiance after) ou pour un Cléo de 5 à 7 noctambule (pour l’attente anxieuse de résultats médicaux). Il affiche une radicalité qui ne dépasse pas ses vingt premières minutes. Il devient ensuite une romance un peu mièvre entre deux amoureux, doublée d’une mauvaise publicité qu’on croirait tout droit sortie des cartons du ministère de la Santé.

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Dégradé ★☆☆☆

Alors que les milices du Fatah et du Hamas se déchirent dans les rues de Gaza, une douzaine de femmes, de tous âges et conditions, patientent dans le salon de coiffure de Christine.

Le film des frères Tarzan & Arab Nasser (ça ne s’invente pas !) a deux défauts et une qualité – à condition de ne pas dire tout le mal qu’on pense d’un titre aussi paresseux.

D’abord, il nous rappelle des films quasi identiques, autrement réussis et par conséquent difficilement dépassables : Vénus beauté (institut) qui ne méritait peut-être pas quatre Césars mais qui n’en était pas moins très attachant et son remake libanais Caramel (le caramel utilisé pour l’épilation et non pour la pâtisserie… quoique).

Ceci étant, le sujet de Dégradé est pain béni pour les réalisateurs qui, en plantant leur caméra dans un microcosme, peuvent, depuis cette tour d’observation, évoquer des sujets aussi stimulants que les conditions de vie à Gaza sous embargo israélien, le statut de la femme dans le monde arabe ou les feux de l’amour qui embrasent et détruisent sous toutes les latitudes.

Mais la mécanique, par laquelle ces sujets sont successivement incarnés par chaque protagoniste dont se dévoilent à tour de rôle les secrets, est trop systématique, trop bien huilée pour emporter l’enthousiasme. Entendant donner la parole à chacune, sans en léser aucune, les frères Nasser nous empêchent de nous attacher. Pourtant, on aurait aimé mieux connaître Christine, la gérante russe, Eftikhar, la divorcée cynique, Wedad, la coiffeuse amoureuse, Salma, la future mariée…

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Money Monster ★★★☆

Money Monster est le nom d’une émission télévisée produite par Patty Fenn (Julia Roberts) animée par Lee Gates (George Clooney), un journaliste boursier qui refile à ses auditeurs des tuyaux pas toujours fiables. Le cours de la société Ibis vient de décrocher. Un petit épargnant en colère (Jack O’Connell) déboule sur le plateau, prend Lee Gates en otage et veut comprendre pourquoi il a été ruiné.

Bingo pour Jodie Foster, aussi douée derrière la caméra que devant. Elle réussit avec Money Monster un film aussi divertissant qu’intelligent. Divertissant : on ne regarde pas sa montre une seconde devant un scénario qui raconte en temps réel cette prise d’otage. Intelligent : Money Monster contient une critique de la société spectacle et du capitalisme fou sans verser dans le moralisme.

Avec en bonus deux coups de cœur. Le premier pour un plan sur un baby-foot sur lequel le film aurait dû s’achever. Le second pour une actrice irlandaise au nom imprononçable et à l’élégance à couper le souffle : Caitriona Balfe.

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Baden Baden ★★★☆

Coup de cœur pour ce petit film français au titre décalé qui n’a rien à voir avec Baden Baden sinon qu’il se déroule à Strasbourg, de l’autre côté du Rhin. De là à dire que Baden Baden est au cinéma ce que La Chartreuse de Parme est à la littérature il y a un pas que je ne franchirai pas. D’ailleurs je me demande si je ne vais pas rayer cette phrase qui alourdit inutilement ma critique et n’y apporte pas grand-chose.

Anna a 26 ans. Un peu garçon manqué, beaucoup paumée, elle se cherche. Entre deux petits boulots, elle passe l’été chez sa grand-mère adorée. Elle lui construit une douche vénitienne, cueille des mirabelles, rencontre son ex toxique, perd son permis et tombe peut-être amoureuse. Bref elle vit.

J’assume totalement la subjectivité de ce coup de cœur pour ce premier long sans prétention, qu’on imagine volontiers autobiographique, d’une jeune réalisatrice servie par une actrice étonnamment juste. On y retrouve la fraîcheur de ce nouveau cinéma français dont Vincent Macaigne ou Vimala Pons sont devenus les porte-étendards. Des films bricolés avec deux bouts de ficelle, parfois gentiment foutraques (Pauline s’arrache) mais toujours animés d’une énergie communicative, d’une soif de vie revigorante.

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