The Nice Guys ☆☆☆☆

Mais quelle mouche a piqué Russell Crowe, l’acteur américain le plus sexy des années 2000, et Ryan Gosling, l’acteur américain le plus sexy des années 2010 ? Des impôts à solder ? Un divorce à négocier ? Une gynécomastie à financer ? Pourquoi être allés se compromettre dans ce sombre navet ?

The Nice Guys emprunte à trois styles, à trois époques. Premièrement, une intrigue policière passablement emberlificotée qui louche, sans leur arriver à la cheville, du côté des scénarios de films noirs des années 40.  Deuxièmement l’esthétique flower power des années 70, la musique disco funk, les voitures chromées et le libertarisme hippie. Troisièmement le buddy movie des années 80 qui a légué au cinéma mondial des nanars fatigués reposant uniquement sur leurs deux héros.

Pas étonnant qu’un tel mélange donne un résultat médiocre. Certes, la première demi-heure de The Nice Guys suscite vaguement la curiosité : l’histoire est suffisamment intrigante pour qu’on s’y intéresse, le tandem formé par Russell Crowe et Ryan Gosling suffisamment détonant pour amuser, la reconstitution des seventies suffisamment soignée pour retenir l’œil. Mais bien vite, le plaisir s’émousse. Le scénario s’étire, qui aurait pu aussi bien s’achever trente minutes plus tôt. Les acteurs se ridiculisent à force de pantomimes. L’esthétique seventies s’avère au mieux artificielle, au pire hideuse.

Oubliez The Nice Guys et préférez-lui un épisode de Starsky & Hutch !

La bande-annonce

Le Fils de Joseph ★☆☆☆

Eugène Green construit une œuvre à nulle autre pareille. Après La Sapienza qu’une moitié de mes amis porte aux nues, que l’autre n’a pas vu et dont la troisième n’a jamais entendu parler, voici Le Fils de Joseph. Il ne s’appelle pas Jésus, mais sa mère s’appelle bien Marie et il se cherche un père. Il finit par arracher à sa mère le nom de son père biologique ; mais celui-ci s’avère être un éditeur cynique, misogyne et prétentieux. À défaut d’être reconnu par son père, le fils s’en choisira un autre en la personne de son oncle, le bien nommé Joseph.

Mais le scénario n’a au fond guère d’importance. Ce qui compte chez Eugène Green, c’est la forme. Une forme incroyablement artificielle, à la préciosité revendiquée, dont la diction ampoulée et le respect scrupuleux des accords, jusqu’aux plus improbables, constituent la marque de fabrique. Une préciosité au regard de laquelle la dentelle rohmérienne fait figure de boulevard putassier. Un cinéma qui, face aux blockbusters américains abrutissants, aux comédies françaises à l’humour graisseux, affiche son élitisme comme un acte de résistance.

Ainsi posé, le postulat idéologique est séduisant. Sauf qu’un film reste un film : une salle obscure, un écran, des spectateurs qu’un postulat idéologique ne suffit pas à séduire s’il dure cent quinze minutes.

La bande-annonce

Tout, tout de suite ★★★☆

En janvier 2006, le gang des barbares dirigé par Youssouf Fofana a enlevé, séquestré et torturé à mort Ilan Halimi, imaginant que son appartenance à la communauté juive leur garantirait le versement d’une rançon élevée. L’affaire avait provoqué une vive émotion en raison de l’antisémitisme primaire qui animait les ravisseurs et de la cruauté des souffrances qu’ils avaient infligées à leur prisonnier durant les trois semaines de sa séquestration.

Un caïd de banlieue, Youssouf Fofana, recrute une bande de voyous pour l’assister dans son projet criminel et, croit-il, lucratif : kidnapper un « feuj » et « faire cracher » sa famille. Pour l’attirer, il utilise un « appât », une jeune femme allumeuse – qui, quelques années plus tard, compromettra le directeur de la prison pour femmes de Versailles (l’affaire a été portée à l’écran avec Adèle Exarchopoulos dans le rôle de la jeune rabatteuse). Ilan est enlevé, séquestré, mais ses parents, bien moins riches que les ravisseurs l’escomptaient, ne peuvent pas payer la rançon réclamée. Régulièrement passé à tabac, bâillonné, entravé, affamé, Ilan Halimi est gardé dans un appartement sans chauffage puis dans une cave. Pendant ce temps, l’enquête policière patine jusqu’au dénouement macabre.

L’affaire du gang des barbares avait inspiré à Alexandre Arcady 24 jours, double procès à charge contre l’antisémitisme qui gangrène la société française et contre l’incurie policière. Le film de Richard Berry lui ressemble mais évite ces partis pris. Il adapte le livre de Morgan Sportès, prix Interallié en 2011. Écrit à partir des PV d’interrogatoires sur un mode clinique quasi notarial, Tout, tout de suite est construit autour d’un faux suspens (Ilan sera-t-il libéré ?) dont on connaît dès la première image l’issue fatale.

Cette affaire se prête à deux lectures. La première explique le comportement monstrueux des ravisseurs, ivres d’antisémitisme, imperméables à la moindre compassion, par leur origine sociale et leur milieu. La seconde, moins indulgente, fait porter toute la responsabilité à Youssouf Fofana, peint comme un monstre violent, éructant au téléphone des revendications disproportionnées et des menaces insensées, s’impatientant de son échec à mener son opération à bien et finalement acculé à en effacer les preuves quitte à immoler son prisonnier. Contrairement à ce que son titre annonce, Tout, tout de suite choisit plutôt la seconde,  comme 24 jours l’avait fait avant lui.

La bande-annonce

Julieta ★☆☆☆

Almodovar est un Grand d’Espagne. Depuis maintenant plus de trente ans, chacun de ses films crée l’événement. Au début de sa carrière, il a filmé la movida, cette période un peu folle où l’Espagne se débarrassa de la chape de plomb franquiste. Ce furent les délires survoltés de Femmes au bord de la crise de nerfs et de Talons aiguilles. Puis le cinéma d’Almodovar est devenu plus dramatique, plus grave. Ce furent les grands films de la maturité : Tout sur ma mère, Parle avec elle, Volver (que je tiens pour son chef-d’œuvre)…

À soixante ans passés, Almodovar a-t-il atteint l’âge de la retraite ? Son avant-dernier film, Les Amants passagers, pâle remake des comédies bigarrées des 80s, n’avait pas convaincu. Son dernier film, Julieta, entend renouer avec les grands portraits de femmes des années 2000. Il ne convainc guère plus.

Tissant un scénario complexe à partir de trois nouvelles de Alice Munro, Almodovar multiplie, comme à son habitude, les flash-back. On suit sur trente ans le personnage de Julieta, tour à tour interprété par Adriana Ugarte et Emma Suárez. Les couleurs, toujours aussi contrastées, explorent des gammes moins crues : le vert, le brun… La musique omniprésente plonge l’ensemble dans une atmosphère hitchcockienne vintage. Le film explore les thèmes chers au cinéaste : la relation mère-fille, les lourds secrets de famille, la culpabilité refoulée.

Pour autant, à la différence de Tout sur ma mère ou Volver qui m’avaient ému jusqu’au tréfonds, Julieta ne m’a pas fait vibrer un seul instant. Admiratif du savoir-faire du maestro, je n’ai jamais été emporté par un cinéma qui, à force de ressasser des recettes éprouvées, a oublié l’essentiel : l’authenticité.

La bande-annonce

Ma Loute ★☆☆☆

On ne peut être insensible au dernier film de Bruno Dumont, un des réalisateurs français les plus originaux. On est pour ou on est contre. Contre, je le suis résolument.

Tout dans ce film pourtant est original, à commencer par son titre. « Ma Loute » est le prénom d’un des protagonistes, fils aîné d’une famille de paysans, les Brufort, qui voit débarquer, l’été venu, les Van Peteghem, de riches bourgeois du Nord en villégiature au bord de la mer. Nous sommes en 1910 entre Proust et Jarry ; mais nous pourrions être aujourd’hui. Les Brufort sont des rustres mal dégrossis dont on apprendra (trop) vite le lourd secret. Mais, sous le vernis de la civilisation, les Van Peteghem ne valent guère mieux. Sort seule du lot Billie, la fille androgyne des Van Peteghem, qu’une attirance partagée rapproche du fils Brufort.

« Ma Loute  » est un spectacle totalement inédit. Par son cadre : la baie de la Slack superbement photographiée. Par son esthétique de bande dessinée et ses personnages truculents à commencer par le duo d’inspecteurs inspirés des Dupont & Dupond ou Laurel & Hardy. Par son mélange des genres : polar, gore, histoire d’amour, critique sociale…

Alors, me direz-vous, pourquoi être hostile à ce film si c’est pour l’encenser ? À cause de son inanité. « Ma Loute » est une belle machine qui tourne dans le vide. À trop vouloir critiquer bourgeois et paysans, consanguins et cannibales, Bruno Dumont les réduit à des caricatures cartoonesques. Immenses acteurs l’un et l’autre, Fabrice Luchini et Juliette Binoche jouent le ridicule au point de se ridiculiser. En tuant la lueur d’espoir qu’avait fait naître l’idylle naissante entre Billie et Ma Loute, Bruno Dumont étouffe la seule parcelle d’humanité que ce film nihiliste avait laissé éclore.

 La bande-annonce

Le Bois dont les rêves sont faits ★★☆☆

La documentaliste Claire Simon a planté sa caméra dans le bois de Vincennes. Pas dans le bois de Boulogne dont il y aurait eu peut-être plus de choses à dire : Roland-Garros et les travelos, le Pré Catelan et les minets de la place Dauphine, la Fondation Louis Vuitton et l’hippodrome d’Auteuil.

Pas non plus pour raconter l’histoire du parc de Vincennes, des monuments ou des institutions qui l’entourent. Pas un mot sur le zoo ou son jardin des plantes. Rien sur le château ou sur la Cartoucherie. Seulement une allusion à la faculté de Vincennes, temple de la contre-culture soixante-huitarde, qui s’est installée à Saint-Denis et dont il ne reste rien.

Sous les auspices de Gilles Deleuze et de Gilles Lipovetsky, Claire Simon filme un lieu anomique. Ni tout à fait en ville, ni tout à fait ailleurs. Le bois de Vincennes, c’est encore Paris mais ce n’est plus tout à fait Paris.

Elle y croise des marginaux qu’elle prend le temps d’apprivoiser (le film dure près de deux heures trente) et qu’elle filme avec un respect affectueux : un ermite misanthrope, une prostituée sympathique, un militaire retraité, une maman au bord de la dépression…

Ces rencontres ne nous disent rien sur Paris. Il n’y a aucune ambition sociologique, ni aucun message politique dans ce documentaire. Le Bois… est un kaléidoscope dont certaines séquences sont en état de grâce alors que d’autres ne riment pas à grand-chose. C’est la principale force de ce long documentaire. C’est aussi sa principale faiblesse.

La bande-annonce

Mr. Holmes ☆☆☆☆

En 1947, Sherlock Holmes, âgé de 93 ans, prend une retraite méritée au bord de la mer. Secondé par le fils de sa gouvernante, il essaie de se remémorer sa dernière enquête malgré une mémoire défaillante.

En dépit de la maîtrise de Sir Ian McKellen, je suis totalement passé à côté de ce Mr. Holmes. Son esthétique de téléfilm sent la naphtaline. Son scénario nous balade sans raison dans l’espace (un détour bien inutile par le Japon post-Hiroshima) et dans le temps (des flash-back ramènent Holmes trente ans en arrière). L’énigme policière, à supposer qu’on se donne la peine de la comprendre, est totalement dépourvue d’intérêt. Quant à la relation que le vieil homme noue avec le jeune garçon, sous le regard désapprobateur de sa mère, elle est aussi prévisible que mièvre.

Moi qui espérais un spectacle du niveau de Downton Abbey, j’ai eu Heidi.

La bande-annonce

Vendeur ★★☆☆

Encore un film français me direz-vous ? Un film sans grand budget mais avec des seconds rôles aux petits oignons ? Un de ceux qui disparaissent de l’écran au bout de deux semaines faute de trouver son public ? Qui passera en fin de soirée sur France 2 ? Qu’on ne trouvera jamais en VOD ni sur Air France ? Certes, mais je les aime tant. C’est à croire que je suis sponsorisé par UniFrance !

Vendeur se déroule dans le monde de l’entreprise. Un milieu que ce cinéma français a investi pour en dénoncer la dureté sinon l’inanité. On pense à Ressources humaines de Laurent Cantet (où il était déjà question de filiation), De bon matin de Jean-Marc Moutout ou, plus récemment, La Fille du patron de Olivier Loustau. Intéressant que cette thématique-là ne soit guère présente dans le cinéma américain – sauf à considérer que la série des Mad Men ou Le Loup de Wall Street sont des films sur l’entreprise.

La cinquantaine, portant beau, Serge (Gilbert Melki époustouflant) vend des cuisines. Son fils, Gérald (Pio Marmai omniprésent sur les écrans pour ma plus grande incompréhension) rêve d’ouvrir un restaurant, mais la crise l’oblige à rejoindre l’équipe de son père.

Pas sûr que cette histoire de filiation soit la dimension la plus réussie de ce film qui aurait pu se suffire à lui-même en se concentrant sur le personnage de Serge. Sa vie privée est une succession d’échecs : de chambres d’hôtels en bars à putes, il a sacrifié sa santé et sa famille à son travail. Un travail fascinant dont le film nous révèle, avec une dureté non dépourvue d’humour, les ressorts. Pour y exceller, il faut pas mal de cynisme, beaucoup de bagout et surtout énormément d’intelligence humaine.

La bande-annonce

 

Braqueurs ★★☆☆

Il est de bon ton de critiquer les séries B françaises en les comparant à leurs homologues outre-Atlantique : budgets riquiqui, intrigues banales, misérabilisme social… C’est souvent injuste, car le cinéma français sait produire des petits films bien troussés, bien écrits, bien joués, secs et efficaces.

Braqueurs est de ceux-là. Certes ni le titre ni l’affiche, ni le pitch concocté par une paresseuse boîte de com ne brillent pas leur originalité. À se demander quelle audience est visée, car Braqueurs ne plaira pas seulement à un public masculin, amateur de cascades et de scènes d’actions.

Yanis dirige une bande de braqueurs. Une erreur commise par son petit frère l’oblige à se frotter à des dealeurs des cités. Pour sauver sa famille, il doit braquer un « go-fast » chargé d’héroïne.

Le scénario de Braqueurs n’est pas simpliste. Riche en rebondissements et en personnages, il aurait facilement rempli deux heures. Julien Leclercq a l’intelligence de le résumer en une heure vingt, nerveuse, dense, sans gras. La caméra ne lâche pas Yanis. En chef de clan taiseux, Sami Bouajila confirme, si besoin en était, son talent.  Souvent cantonné au rôle de l’Arabe de service, il excelle aussi bien dans la comédie (Good Luck Algeria) que dans le film d’action.

La bande-annonce

Café Society ★☆☆☆

Depuis que je vais au cinéma, je n’ai jamais raté un Woody Allen. À mon âge ça commence à faire. 1987 ? 1988 ? C’est devenu un rite saisonnier, en général automnal mais cette année printanier, Cannes oblige. Un rendez-vous immanquable. Un peu comme le raisin en septembre et les truffes à Noël.

Depuis quelques années, le maestro vieillissait. Mais on lui laissait encore le bénéfice du doute. Combien de fois a-t-on écrit qu’un mauvais Woody valait mieux qu’un bon navet ? Au milieu d’une longue liste de films oubliables (qui se souvient de Melinda et Melinda ou de Scoop ?), quelques pépites rappelaient que Woody était un génie : Match Point, Blue Jasmine

Mais aujourd’hui le roi est nu. Woody a atteint ses limites. S’il n’avait pas quatre-vingts ans passés, j’oserais dire qu’il a fini de creuser sa tombe. Tant (oh mon Dieu, j’ai déjà oublié le titre de ce film que je viens de voir) Café Society est un ratage complet.

La mise en scène si tonique, si vivante, est désormais d’une soporifique paresse. Le scénario surprenant et rebondissant est ici long comme un jour sans pain. Même les acteurs ont l’air de s’ennuyer. Restent des décors, des costumes, une lumière (l’Amérique des années 30), luxueux mais sans âme.

Pariant sur la réputation de son auteur, Café Society a fait l’ouverture du Festival de Cannes. Il y était projeté hors compétition.  Pour ne pas éclipser les autres films ? Ou pour ne pas leur faire de tort ?

La bande-annonce