Le Disciple ★★★☆

Sharad chante depuis l’enfance. Il y a été poussé par un père passionné de musique qui, faute de réussir à en faire sa profession, a voulu à toute force transmettre à son fils la vocation qu’il n’avait pas. Sharad a été formé par un gourou qu’il sert avec dévotion et qui exige de lui, non sans dureté, l’excellence. Pour vivre, Sharad retranscrit de vieux enregistrements sur des supports électroniques et les propose à la vente. Bientôt, l’âge venant, il devient professeur de chant dans un collège. Mais le succès tarde toujours à venir.

Signé par un jeune réalisateur indien dont le précédent film, Court, s’était déjà fait favorablement remarquer, Le Disciple, produit par Netflix,  prix du meilleur scénario à la Mostra de Venise 2020, est une œuvre à la fois profondément indienne et universelle.

Le Disciple est une œuvre profondément indienne qui a pour héros, ou plutôt pour anti-héros, un jeune artiste dont on suit la vie de l’enfance jusqu’à la maturité. Sharad est un chanteur de khyal, une musique classique indienne jouée dans le nord du pays. Le chanteur improvise, accompagné d’un tambour, d’un harmonium et de deux sitars. On en entend de longs morceaux hypnotiques qui enthousiasmeront les fans de musique indienne et risquent d’endormir les autres.

Mais Le Disciple ne se réduit pas à un simple documentaire musical exotique. C’est aussi une oeuvre qui touche à l’universel en racontant la vie d’un artiste qui peine à percer.
À Hollywood ce type de personnage aurait donné lieu alternativement à deux types de traitement caricaturaux : soit le héros à force de persévérance serait parvenu à surmonter les obstacles placés sur sa route (l’injustice du système et/ou la corruption d’un manager malhonnête et/ou la déchirure d’une rupture amoureuse) et serait devenu une star mondialement reconnue, soit au contraire il n’y serait pas parvenu et aurait sombré dans la folie.

Le Disciple choisit un parti beaucoup plus réaliste et beaucoup moins mélodramatique.
[attention spoiler] Sharad ne deviendra ni une star mondiale du khyal, ni un artiste raté et névrosé. Les années passant, il prendra conscience des limites de son talent et de celui de ceux censés le guider. Comme Spinoza qui professait que « la liberté est l’intellection de la nécessité », Sharad réalisera que la voie dans laquelle il s’était engagé était une impasse et en choisira une autre. C’est une leçon de vie amère ; mais ce n’en est pas moins une leçon de vie sage. [D’ailleurs, je crois que je vais arrêter d’écrire chaque matin des critiques de cinéma et me mettre sérieusement au kitesurf]

La bande-annonce

Dans les angles morts ★☆☆☆

Catherine Clare (Amanda Seyfried) est une New-Yorkaise restauratrice d’art. Sa vie auprès de George (James Norton), son mari, un brillant universitaire, et de Franny, sa ravissante petite fille de quatre ans, est en apparence épanouie ; mais Catherine, qui souffre secrètement d’anorexie, n’est pas heureuse.
Son malaise va grandir lorsque son couple tente un nouveau départ en allant s’installer dans le nord de l’Etat de New York, sur les bords de l’Hudson, où George prend un nouveau poste dans une petite université. La famille s’installe dans une vieille ferme dont les anciens occupants, qui y sont morts dans d’obscures circonstances, leur envoient des signaux inquiétants.

Elizabeth Brundage a écrit All Things Cease to Appear en 2016. Son roman fut traduit en français et publié début 2018 sous le titre Dans les angles morts. C’est sous ce titre là qu’il est diffusé par Netflix France depuis le 29 avril 2021, son titre anglais ayant lui été remplacé par Things Heard and Seen. Ces hésitations onomastiques reflètent l’indécision qui entourent le film : s’agit-il d’un film fantastique ? d’un film policier ? d’une tragédie familiale ?

Le roman d’Elizabeth Brundage, que le confinement m’avait donné le loisir de lire, était riche et complexe. Le film lui est fidèle. Paradoxalement, il est beaucoup moins réussi. Peut-être parce qu’il donne à voir des personnages qu’on imaginait autrement. Amanda Seyfried par exemple, malgré ses trente-cinq ans bien sonnés, y est beaucoup plus jeune et plus jolie qu’on s’était représentée l’héroïne du livre. C’est aussi le cas de James Norton, trop lisse pour incarner la duplicité de George. En revanche, F. Murray Abraham semble ne pas avoir pris une ride depuis son interprétation de Salieri dans Amadeus il y a près de quarante ans,

La fin du film respecte quasiment à la lettre celle du livre. Mais, en basculant dans le surnaturel, elle fait définitivement chavirer l’ensemble.

La bande-annonce

Framing Britney Spears ★★☆☆

Enfant star, révélée dès ses onze ans par le Mickey Mouse Club , Britney Spears accède à la célébrité à seize ans avec … Baby One More Time en 1998. Chanteuse de pop à la voix puissante et grave, elle s’inspire de Madonna et de ses chorégraphies millimétrées. Elle s’adresse à un public adolescent ; mais ses tenues très dénudées ont tôt fait de choquer l’Amérique puritaine. Sa liaison avec Justin Timberlake et sa rupture lui valent l’attention étouffante des paparazzi.
Mariée en 2004, elle a deux fils en 2005 et 2006. Mais son divorce lui fait perdre pied. Elle  provoque un scandale en se rasant la tête et en agressant un photographe. Internée contre son gré, elle est placée sous la tutelle de son père en 2008 qui gère, dans des conditions opaques, sa personne et ses finances. Treize ans plus tard, la chanteuse, qui continue pourtant à se produire, mais refuse désormais tout contact avec la presse, est toujours sous tutelle. Cette situation anormale suscite un mouvement de solidarité #FreeBritney.

Ce documentaire est le résultat d’une enquête menée par le New York Times. Il a été diffusé le 5 février 2021 sur la chaîne FX et est accessible depuis cette date aux Etats-Unis sur Hulu. Amazon Prime Video en assure depuis hier, 5 avril, la diffusion en France, en Allemagne et en Autriche. Sa sortie a immédiatement attiré l’attention du public tant la célébrité de la chanteuse reste grande et sa situation juridique controversée.

C’est en effet autour de sa tutelle et des interrogations qu’elle soulève que ce court documentaire, de soixante-quatorze minutes à peine, s’organise. Sur la jeunesse de la chanteuse, dans une petite ville de Louisiane où elle s’illustre vite dans la chorale de l’église baptiste, sur sa soudaine célébrité, sur l’enchaînement toxique des enregistrements et des tournées, le documentaire passe très vite. Trop vite peut-être pour ses fans enamourés – qui n’auraient en tout état de cause pas appris grand chose qu’ils ne sussent déjà.

Mais pour les autres – dont je suis – le principal intérêt de ce court documentaire se trouve dans la bataille juridique qui se joue autour de la star, de sa santé et, semble-t-il plus encore, de son argent. Constatant la dégradation de sa santé psychique et son internement d’office, un juge de Los Angeles l’a placée sous la co-tutelle de son père, Jamie Spears et d’un avocat ami de la famille, Andrew Wallet. La tutelle est-elle exercée au mieux des intérêts moraux et financiers de la chanteuse ? ou Britney est-elle en vérité bâillonnée contre son gré ? Les deux thèses s’affrontent. La seconde a quelques relents complotistes. Mais ce n’est pas la moins séduisante. Et c’est celle qu’accréditent les fans de la chanteuse ainsi que ce documentaire qui n’a pas obtenu des membres de la famille les réponses aux questions qu’il lui avait adressées.

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Madame Claude ☆☆☆☆

Paris. Fin des années soixante, début des années soixante-dix. Fernande Grudet alias madame Claude (Karole Rocher) dirige d’une main de fer un réseau de prostituées qui ont pour clients l’élite administrative et financière de la France pompidolienne. Elle bénéficie de l’appui de la pègre et de la police qu’elle renseigne régulièrement sur ses habitués. Pour autant, elle vit dans l’angoisse permanente d’être rackettée voire éliminée.
Ses filles viennent souvent d’un milieu modeste. Ce n’est pas le cas de Sidonie (Garance Marillier), sa dernière recrue, issue de la haute bourgeoisie, qui lui devient indispensable. Entre la « maquerelle de la République » et la jeune femme se noue une relation ambigüe qui durera jusqu’à la chute de madame Claude.

Le film de Sylvie Verheyde a débarqué avant-hier, 2 avril, sur Netflix avec tambour et trompette. Le sujet est sulfureux. Mais la réalisatrice, dans les interviews qu’elle a données à la presse, se défend d’en faire un usage racoleur. Au contraire, affirme-t-elle, Madame Claude serait un film post #MeToo qui dénonce les violences faites aux femmes.

Il est bien difficile de lui donner tort ou raison tant les obstacles se dressent en chemin avant qu’on puisse remettre en cause la posture qu’elle revendique.

Le premier est à mettre au crédit de ce Madame Claude. C’est la beauté du corps des filles et le luxe de la reconstitution historique, des décors, des costumes, des moindres extérieurs. Madame Claude a coûté cher. On pense au Casino de Scorsese. Et le résultat se voit à l’écran qui atteint un résultat contraire à celui que la réalisatrice s’était fixée : rendre glamour une réalité qui ne l’était pas.

Le deuxième est les personnages. Tout tourne autour de madame Claude qui est interprétée non sans talent par Karole Rocher qui, sans être une inconnue, n’est pas le genre de stars bankables sur les épaules de laquelle la réussite du film aurait pu reposer. L’idée, réussie, est d’en faire un gangster au féminin. Face à elle, en miroir, les scénaristes ont inventé le personnage de Sidonie, joué par la jeune Garance Marillier, révélée par Grave, dont on se demandera durant tout le film ce qu’elle est censée incarner : une disciple ? une rivale ? une victime ? Autour des deux femmes gravite une galaxie d’hommes recrutés parmi les meilleurs acteurs actuels du cinéma français : Roschdy Zem, dans le rôle de Jo Attia, un baron de la pègre qui a pris Fernande/Claude sous son aile depuis qu’elle est montée faire le trottoir à Paris après Guerre, Benjamin Biolay et Pierre Deladonchamps en inspecteurs des RG cauteleux, Paul Hamy en amant infidèle, etc. La liste est longue (j’ai oublié de citer Hafsia Herzi, Mylène Jampanoi et Philippe Rebot). Mais elle se heurte à un écueil : une absence totale d’empathie pour ces personnages, à commencer par les deux principaux.

La faute en est – et c’est le troisième obstacle – au scénario du film. Comme dans tous les biopics qui traitent d’une figure publique dont on connaît le destin, on sait déjà comment l’histoire de madame Claude se terminera. Du coup, le suspense en est éventé. Le fil qui tient le film se distend ; pire, il disparaît. Les épisodes se succèdent, sans transition, sans continuité. L’action est censée se dérouler en l’espace de six années – avec un épilogue vingt ans plus tard où Karole Rocher apparaît outrancièrement vieillie tandis que Garance Marillier n’a pas pris une ride – alors qu’elle pourrait aussi bien n’en occuper qu’une seule.

Madame Claude est-il un film post #MeToo qui dénonce les violences faites aux femmes ? Si j’étais un féministe militant, j’en douterais. Et j’en douterais d’autant plus que ce Madame Claude fonctionne sur un ressort éculé et malsain : promettre au spectateur libidineux – et je serais malhonnête de m’exclure du lot – la perspective de reluquer de jolies pépées dénudées.

La bande-annonce