Une pluie sans fin ★★☆☆

Des jeunes femmes sont tuées près d’une vieille usine dans le sud de la Chine en 1997. Yu Guowei en dirige la sécurité. L’officier Zhang l’associe à l’enquête de police.

Une pluie sans fin est le premier film de Dong Yue. Le réalisateur est un ancien chef opérateur qui soigne sa mise en scène. L’usine en cours de désaffection qui en est le cadre est en fait l’acteur principal. La pluie ininterrompue qui s’abat sur les personnages gomme les couleurs et sature le son.

Cet esthétisme, qui rappelle les fictions de Jia Zhang-Ke et les documentaires de Wang Bing, joue parfois au détriment de l’histoire dont le scénariste semble s’être désintéressé en cours de route, comme les films noirs américains des années cinquante. On perd de vue l’enquête policière proprement dite pour se focaliser sur les personnages : le héros Yu Guowei dont le zèle maladroit tourne bientôt à l’obsession, la belle Yanzi qui rêve de partir à Hong Kong dont la rétrocession est imminente, le vieux policier Zhang revenu de tout.

Une pluie sans fin est un film politique qui tend à la Chine un miroir : celui du temps pas si ancien de l’industrialisation maoïste à marche forcée. Une pluie sans fin raconte la fin de cette époque – qu’on aurait tort de situer dès les premières ZES lancées dès 1979. Il le fait sans nostalgie. Il tire plutôt son film vers l’onirisme ou le cauchemar éveillé : Yu Guowei, dont on doute un instant de la santé mentale, a-t-il vécu les événements qu’il relate ou s’est-il contenté de les rêver ?

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Tully ★★★☆

Marlo (Charlize Theron) est sur le point d’accoucher. Elle est à bout de forces. Son mari (Ron Livingston) et elle ont déjà deux enfants qui prennent toute leur énergie, surtout Jonah, le cadet, qui présente un syndrome autistique.
À la naissance de Mia, sa fille, Marlo se décide à recruter une nounou de nuit. Aussi efficace qu’amicale, Tully (Mackenzie Davis) va lui changer la vie.

Jason Reitman documente depuis une dizaine d’années les âges de la vie de l’Amérique contemporaine. Juno retraçait le parcours d’une adolescente tombée accidentellement enceinte qui décidait de garder son enfant. Young Adult – avec Charlize Theron déjà dans le rôle titre – mettait en scène une femme célibataire revenant dans la petite ville où elle avait grandi. Avec Tully, on fait un bond d’une dizaine d’années et on se retrouve dans les affres de la conjugalité quarantenaire.

Le pitch de Tully m’avait rebuté et j’ai mis plus d’un mois à me convaincre d’aller voir ce film. Je n’avais pas envie d’être le témoin du baby blues de Charlize Theron, de son ventre vergeturé et de ses montées de lait. Je n’avais pas envie non plus d’assister ensuite à sa renaissance au contact d’une moderne Mary Poppins.

Je me trompais sur ce film, beaucoup plus subtil qu’il n’en a l’air. La présence de Diablo Cody au scénario aurait dû me mettre la puce à l’oreille, qui avait déjà signé ceux de Juno et Young Adult. Elle y met une intelligence rare qui évite les ponts-aux-ânes attendus. Et Charlize Theron est bluffante, l’une des plus belles actrices du monde qui ose sans vergogne s’enlaidir – et n’y parvient pas tout à fait – pour convaincre.

Surtout Tully est illuminé par une idée de génie, un twist dont je ne dirai rien… mais dont j’ai déjà trop dit en vous révélant son existence… mais que je ne pouvais pas taire car c’est lui qui donne au film un relief inattendu et bouleversant.

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Bécassine ! ★★☆☆

Bécassine (Emeline Bayart) est née dans un foyer modeste. Son oncle Corentin (Michel Vuillermoz) tente sans y parvenir à la guérir de son indécrottable naïveté. Bécassine n’a qu’un rêve : quitter sa Bretagne natale et découvrir la capitale. Mais, en chemin, elle est recrutée par la marquise de Grand-air (Karin Viard) et par M. Proey-Minans (Denis Podalydès) qui viennent d’adopter la fille de leur jardinier. Bécassine va se révéler une nourrice aimante et une domestique pleine de ressources tandis que ses maîtres ont maille à partir avec un marionnettiste grec peu scrupuleux (Bruno Podalydès).

Gaston Lagaffe, Lucky Lucke, Astérix, Spirou, les Bidochon, les Schtroumpfs… il n’est quasiment aucun héros de bande dessinée française (et belge) qui n’ait donné lieu, avec un succès variable, à son adaptation cinématographique. La recette est paresseuse qui consiste à parier sur leur popularité pour espérer attirer les foules. C’est exactement le même principe qu’Avengers et ses avatars suivent d’ailleurs aux Etats-Unis.

Sans doute le même soupçon d’opportunisme peut-il peser contre le dernier film de Bruno Podalydès. Sauf que le réalisateur de Versailles Rive gauche, Liberté-Oléron et Adieu Berthe n’est pas le premier venu, qui a tissé depuis plus de vingt ans, une œuvre d’une grande cohérence caractérisée par son humour décalé et sa grande tendresse. Aussi, qu’on lui ait confié le soin de porter à l’écran cette icône de la culture populaire n’est-il pas sans pertinence.

Témoignage de la collision de deux mondes, de deux classes, le bon sens de la paysannerie d’un côté, la sophistication de la bourgeoisie urbaine en plein essor qui découvre avec ravissement le confort de la modernité (l’automobile, l’électricité, l’eau courante…), Bécassine née en 1905 de la plume de Jacqueline Rivière et de Joseph Pinchon est un personnage de son temps, cette Belle-Epoque que Bruno Podalydès avait déjà filmée en adaptant l’œuvre de Gaston Leroux (Le Mystère de la chambre jaune, Le Parfum de la dame en noir). Mais c’est aussi un personnage intemporel qui, comme Tintin, séduit les petits et les grands à travers les âges.

Le personnage a deux volets. À première vue, c’est une cruche, une bécasse. Quelques bretons régionalistes bas du front s’y sont arrêtés pour critiquer sans l’avoir vu ce film, invoquant une scandaleuse atteinte à leur identité picrocholine. Mais si Bécassine est naïve, elle est plus que cela. Sa naïveté révèle la pureté de son cœur. Son absence de malice ne fait pas d’elle une idiote ou une simple. Car Bécassine a du bon sens, de l’énergie et de l’amour à revendre.

Le personnage, donc, est attachant, sans même qu’il soit besoin d’évoquer sa robe verte blanche et rouge. Mais le problème est qu’un personnage ne suffit pas à faire un film. Il faut le mettre en action, lui faire jouer une histoire. Hélas, Bécassine ! en est cruellement dépourvu. Sans doute est-il construit autour du couple que la domestique zélée joue avec la petite Loulotte. Les mésaventures de la frivole marquise de Bel-Air viennent étoffer le récit. Mais, la succession de saynètes, empruntées en désordre à la trentaine d’albums que compte la série, ne suffit pas à construire un récit. Bécassine ! dure une heure et quarante deux minutes. Il aurait pu en durer vingt de plus ou de moins, avoir une suite… ou pas.

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Penché dans le vent ★★☆☆

Photographe, sculpteur et performer mondialement connu, l’Écossais Andy Goldsworthy travaille la nature. La pluie, la pierre, l’argile : tels sont les materiaux dont il fait ses œuvres éphémères et changeantes au gré de la météo. Une rivière, un champ, une colline : tels sont les lieux où il les expose. Thomas Riedelsheimer lui avait consacré un premier documentaire en 2004. Voici le second.

Le documentariste allemand a suivi pendant trois ans le land artist britannique à travers le monde : des rues d’Edimbourg à la jungle amazonienne en passant par la garrigue provençale et le New Hampshire. Au gré de ce tour du monde, on découvre in situ ses réalisations les plus marquantes : des « pierres dormantes », des arbres peints, des rochers emmurés, des rivières endiguées…

Sans se presser, Penché dans le vent alterne des interviews de l’artiste et des images de ses œuvres. Le cheveu grisonnant, les pieds dans la glaise, Andy Goldsworthy dit des choses belles et simples sans pontifier ni jargonner. On lui est en particulier reconnaissant de nous éviter le prêchi-prêcha New Age qu’on craignait sur Mère nature, sa beauté et sa fragilité. Il n’est jamais plus convaincant que lorsqu’on le voit au travail, tâtonnant, échouant souvent (parce que le vent s’est levé et emporte les feuilles dont il avait patiemment revêtu la roche), réussissant parfois à faire naître de la beauté.

Sans doute Penché dans le vent fascinera-t-il ceux qui s’intéressent au Land Art et à l’œuvre de Andy Goldsworthy. Sans doute sera-t-il l’occasion pour ceux qui ne le connaissait pas de découvrir son travail. Pour autant, cette réalisation très académique ne se hisse pas au-delà du tout-venant documentaire et, s’il a sa place sur Discovery Channel, sa sortie en salles, aussi confidentielle soit-elle, ne se justifiait pas.

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C’est qui cette fille ? ★☆☆☆

Gina (Lindsay Burge) est hôtesse de l’air. La trentaine, elle vient de perdre son mari et tarde à se remettre de cette disparition. Une nuit, à Paris, dans un bar interlope, elle rencontre Jérôme (Damien Bonnard). Pour elle, c’est le coup de foudre. Elle décide de tout quitter, les Etats-Unis, son travail, pour s’installer à Paris. Mais pour lui, Gina est juste un coup d’un soir.

C’est quoi ce film ? C’est qui cette fille ?, calamiteuse traduction de Thirst Street est un OVNI cinématographique qui voudrait, sans y réussir, jouer avec les genres, comme il voudrait se jouer des frontières, à cheval sur les deux rives de l’Atlantique. Il se présente comme « l’anti-comédie romantique de l’été » ; mais il n’a pas les moyens de ses ambitions. Il n’est pas assez drôle pour être parodique, pas assez sérieux pour être dramatique. La fantaisie de Gina ne fait pas vraiment rire ; la folie dans laquelle elle bascule progressivement ne fait pas non plus pleurer. Au bout de quatre-vingt-trois minutes (sa brièveté est une de ses rares qualités), on comprend que Gina est frappa-dingue, voire toxique. Mais on s’est depuis longtemps désintéressé de son sort, de celui de Jérôme et de Clémence (Esther Garrel), la chanteuse de rock dont il est en fait amoureux.

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Hotel Artemis ★☆☆☆

Juin 2028. Los Angeles est à feu et à sang après que CleanWater, la compagnie privée chargée de la distribution d’eau, a  annoncé l’interruption du service.
Pourtant, tandis que le chaos règne à l’extérieur, une journée comme une autre commence à l’hôtel Artemis, une clinique ultra-moderne dont l’accès est strictement réservé à ses membres, des criminels en cavale qui cherchent à se faire soigner en toute discrétion.
L’infirmière en chef Jean Thomas (Jodie Foster) secondé par le fidèle Everest (Dave Bautista) fait la tournée des chambres : un nouveau riche particulièrement impoli (Charlie Day), une mystérieuse Française qui se révèlera vite être une tueuse à gages (Sofia Boutella), un braqueur de banques et son frère (Sterling K. Brown).
Mais tout va se compliquer quand le propriétaire des lieux, KingWolf (Jeff Goldblum) et son fils (Zachary Quinto), s’annoncent.

Voilà bien longtemps qu’on n’avait plus vu Jodie Foster, en tous cas, dans le rôle principal. Drew Pearce est derrière la caméra, qui a signé le scénario de quelques fameux blockbusters (Mission Impossible – Rogue Nation, Godzilla, Iron Man3). Cliff Martinez (Neo Demon, Only God Forgives, Drive) signe la musique. On en avait l’eau à la bouche et le pot de pop corn bien rempli.

Quelle ne fut notre déception. Car cet Hotel Artemis est un nanar couturé de défauts. Au point qu’on se demande pourquoi, à un moment de la production, quelqu’un (le stagiaire de troisième ?) n’a pas dit : « Arrêtez tout ! »

On a beau se creuser la tête, on n’y trouvera rien à sauver, si ce n’est peut-être ce lieu original – qui n’est pas sans rappeler le Million Dollar Hotel de Wim Wenders. Mais passé la première demie-heure, une fois que le scénario s’est mis en place, que les principaux personnages ont été introduits, l’histoire se déroule mollement. Le terrible traumatisme que cache l’infirmière Jean Thomas, qui l’empêche de franchir la porte de la clinique où elle vit terrée depuis des années, est si prévisible que sa révélation laborieuse ne surprendra personne.

Le seul intérêt du film : retrouver Jodie Foster et Jeff Goldblum, constater qu’ils ont beaucoup vieilli (elle surtout défigurée par un épais maquillage), mais qu’ils n’ont rien perdu de leur talent.

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The Charmer ★★★☆

Esmail a émigré d’Iran au Danemark. Hébergé dans un appartement sordide, il vit de petits boulots. Il est sous la menace d’une reconduite à la frontière s’il n’administre pas la preuve qu’il s’est assimilé. Sa seule solution : séduire une Danoise et l’épouser.

Le pitch de The Charmer, son titre badin peuvent induire en erreur : il ne s’agit pas d’une comédie romantique sur un dragueur iranien à la recherche de l’âme sœur au Danemark.
La caméra naturaliste de Milad Alami (d’origine iranienne, il a grandi en Suède et vit désormais au Danemark) a tôt fait de tirer The Charmer du côté du drame. Un drame désespéré ou désespérant qui s’ouvre par une scène coup de poing : une femme se suicide en se jetant d’une fenêtre. On voit ensuite Esmail, après une dure journée de travail, revêtir son plus beau costume et aller dans un bar chic du centre ville à la recherche d’une femme disponible. C’est là qu’il rencontre Sarah, une Iranienne de la seconde génération, immigrée au Danemark de longue date (la chanteuse Soho Rezanejad donne à son personnage une fragilité crâne), que le petit jeu de Esmail ne trompe pas.

The Charmer m’a touché. Le personnage d’Esmail est attachant, dont le cynisme à utiliser son corps comme une monnaie d’échange pourrait choquer, mais dont on partage l’urgence à trouver une solution à sa situation administrative. Le couple qu’il forme avec Sarah est toujours juste.

J’imaginais que le film nous amène dans une direction : que Sarah utilise Esmail – comme lui-même avait déjà vainement tenté d’utiliser d’autres femmes – afin de quitter une mère étouffante et de conquérir son autonomie. Milad Alami en choisit une autre. Elle est étonnante. Je laisse l’épilogue vous emporter.

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Hotel Salvation ★★☆☆

Pressentant sa fin prochaine, Daya décide de quitter son foyer et d’aller mourir à Bénarès. Sa décision bouleverse sa famille qui vit sous le même toit : son fils, sa belle-fille, sa petite-fille qui l’adore. Mais Daya n’en démord pas et loue une chambre à l’hôtel Salvation sur les bords du Gange.
Comme le veut la réglementation, il a quinze jours pour mourir. Son fils l’accompagne.

Le premier film du jeune réalisateur Shubhashish Bhutiani, fraîchement émoulu de la School of Visual Arts de New York, arrive sur nos écrans auréolé d’une critique élogieuse. Hotel Salvation ne ressemble en rien aux blockbusters bollywoodiens auxquels les spectateurs occidentaux se sont peu à peu habitués. Sans musique ni chorégraphie, c’est un drame familial dont la tendresse du traitement ne laisse pas oublier la gravité du sujet.

Il n’y est pas question d’euthanasie – comme dans le déchirant Quelques heures de printemps de Stéphane Brizé – mais d’acceptation réconciliée de la mort. Une échéance qui n’a rien de tragique, rien de morbide. Au contraire, les habitants de Bénarès attendent comme une délivrance et célèbrent comme une fête la mort d’un des leurs dans la ville sainte.

Hotel Salvation a une autre dimension. Le départ de Daya pour Bénarès est l’occasion pour lui de se réconcilier avec son fils Rajiv (Adil Hussain star bollywoodienne devenue célèbre à l’étranger avec L’Odyssée de Pi) qu’il avait écrasé de son mépris sa vie durant faute pour le fils d’avoir su satisfaire les ambitions du père.

Hotel Salvation est un film délicat qu’on aurait aimé aimer. Mais il n’est pas assez exotique pour être dépaysant, pas assez américain pour qu’on y trouve ses marques, pas assez grave pour être déchirant, pas assez léger pour nous faire sourire. Au bord du Gange, comme on serait au bord du Styx, il reste entre deux rives à force d’hésiter sur son parti pris.

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Fleuve noir ★☆☆☆

Le cheveu filasse, l’imperméable informe, la cravate défaite, la bibine matinale, le commandant Visconti (Vincent Cassel) fait peine à voir. Sa vie va à vau-l’eau : sa femme l’a quitté et son fils tourne mal. C’est lui qui enregistre la plainte de Solange Arnault (Sandrine Kiberlain) inquiète de la disparition de son fils Danny. Les soupçons de Visconti se tournent rapidement vers un voisin, Yann Bellaile (Romain Duris), qui porte à son enquête un intérêt suspect.

Où était passé Érick Zonca, le réalisateur dont le premier film, La Vie rêvée des anges, emportait la Croisette en 1998 et décrochait dans la foulée le César du meilleur film ? Il revient au cinéma après dix ans d’absence en adaptant un polar israélien à succès, Une inquiétante disparition (où diable le film est-il allé chercher son titre auquel rien dans son sujet ne fait référence ?).

Il en transpose l’action à Paris, quelque part entre Pigalle où le fils de Visconti est impliqué dans des deals minables – dont l’action se désintéresse bientôt sans espoir de retour – et une résidence de banlieue en bordure de forêt où Danny a semble-t-il disparu en allant à son lycée.

Comme dans le roman dont il est l’adaptation, Fleuve noir raconte l’enquête du point de vue de l’officier de police qui en a la charge. Vincent Cassel en rajoute dans la caricature de ce croisement improbable entre l’inspecteur Colombo et Mikael Blomkvist (le héros de la saga suédoise Millenium). Romain Duris en fait presqu’autant dans celui d’un professeur pervers et narcissique. Son personnage fait de lui un coupable si previsible qu’on tremble un instant que le scénariste, à force de se désintéresser de l’intrigue, ne finisse par lui faire porter le chapeau de la disparition de Dany.

Fleuve noir est sauvé par son denouement à tiroirs (d’où sa durée un chouïa excessive). Pour autant il ne suffit pas à faire de ce polar oubliable une expérience mémorable.

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Zama ★☆☆☆

À la fin du XVIIIème siècle, le corregidor don Diego de Zama est affecté dans une petite bourgade du Chaco, une région reculée de l’empire espagnol. Il attend impatiemment son rappel à Buenos Aires où l’attendent sa femme et ses enfants. Mais l’ordre de mutation tarde et Zama perd patience.

Le pitch de Zama pourrait se prêter à toutes sortes de traitements. Il pourrait s’agir, comme dans Coup de torchon, de chroniquer la vie aux colonies, ses petitesses et son exotisme frelaté. Il pourrait s’agir au contraire, comme dans Les Caprices d’un fleuve – qui se déroule lui aussi à la fin du XVIIIème siècle mais sur les bords du fleuve Sénégal – de rendre compte de la sauvage beauté d’un paysage étranger et de la difficulté d’y créer un lien avec la population indigène en situation coloniale.

Lucrecia Martel opte pour un parti plus esthétisant, qui fait se pâmer les critiques les plus exigeants, depuis Mathieu Macharet au Monde à Nicolas Azalbert aux Cahiers en passant par Serge Aganski aux Inrocks. On se sent du coup tout bête de ne pas partager leur unanimisme, craignant de rejoindre la horde des scrogneugneux, incapables de s’élever à d’autres formes de narration, aveugles aux longs travellings contemplatifs, sourds aux disharmonies de la bande son.

Il est vrai que le CV de Lucrecia Martel a de quoi intimider, qui fut au début des années 2000 un des chefs de file de la « nouvelle école argentine » avec des films qui avaient marqué leur temps – à défaut de me convaincre tout à fait : La Ciénaga, La Nina Santa, La Femme sans tête… On n’avait plus de nouvelles d’elle depuis bientôt dix ans. Elle revient en quittant la bourgeoise argentine contemporaine qui constituait le milieu dans lequel elle avait tourné ses trois films.

Pendant les deux premiers tiers du film, on y voit Diego de Zama se débattre avec la population de la bourgade où il officie : un gouverneur qui le mène en bateau, un adjoint qui conteste son autorité, une épouse qui l’émoustille sans lui céder. En arrière-plan, les indigènes sont omniprésents, mais silencieux.  L’impression est volontairement chaotique, comme si les saynètes se succédaient sans logique, comme si leur contenu même était diffracté, certains dialogues se répétant absurdement.

Le cadre change dans le dernier tiers du film. Renonçant à l’attente stérile, Zama part dans la jungle à la recherche d’un mystérieux bandit qui terrorise la région. La poursuite se transforme bientôt en piège. La petite bande armée est faite prisonnière par les Indiens. La fin est, selon comme on la considère, atroce ou grandiose, traumatisante ou sereine. C’est tout dire…

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