Marin des montagnes ★★☆☆

Le réalisateur Karim Aïnouz (Madame Sata, La Vie invisible d’Eurídice Gusmão, Le Jeu de la reine) est né d’une mère brésilienne et d’un père algérien qui se sont rencontrés aux Etats-Unis au mitan des années 60. Ils y étaient venus l’un et l’autre poursuivre leurs études supérieures. Après sa conception, sa mère enceinte est revenue au Brésil à Fortaleza, où le jeune Karim a grandi tandis que son père est retourné en Algérie pour participer à la construction de son pays nouvellement indépendant. Karim a entretenu avec ce père absent des relations épisodiques. En 2019, après la mort de sa mère, il entreprend son premier voyage en Kabylie sur ses traces.

Marin des montagnes est l’autobiographie d’un retour au pays natal. Ou plutôt – car il est impropre de parler d’un retour dans un pays où on n’est jamais allé – une enquête menée par le réalisateur au pays de son père.

Ce qui frappe d’abord, ce sont les images de l’Algérie et de la Kabylie, volées par une caméra cachée, alors que le pays est sur le point d’exploser avec l’Hirak. L’Algérie est étouffée par son histoire post-coloniale, par un gouvernement incapable d’offrir à sa jeunesse un emploi et un espoir, par les frustrations que suscite un Occident opulent qui le nargue de l’autre côté de la Méditerranée.

Mais Marin des montagnes ne se réduit pas à un album touristique. C’est surtout le journal intime d’un homme à la recherche de ses racines. Les vues d’Algérie sont montées alternativement avec des photos d’archives de ses parents, jeunes et beaux, comme on l’était dans les années 60. Karim Aïnouz reste très pudique sur leur couple : sa conception était-elle désirée ? pourquoi le couple s’est-il séparé ? son père a-t-il réclamé à sa mère sa garde ? On n’en saura rien.

Marin des montagnes devient vertigineux quand Karim Aïnouz, au terme d’une longue route, atteint le village de son père et de ses aïeux. Il y rencontre ses cousins. Il y imagine un instant la vie qui aurait été la sienne s’il avait grandi ici. Aurait-il vécu les mêmes expériences ? aurait-il eu les mêmes opportunités ? serait-il devenu celui qu’il est aujourd’hui ? se serait-il dans ce cas alors rendu à Fortaleza pour y imaginer la vie qu’il aurait vécue s’il y avait été élevé par sa mère ?

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Il pleut dans la maison ★☆☆☆

Makenzy, quinze ans, et Purdey, de deux ans son aînée, sont frère et sœur. Laissés à eux-mêmes par une mère alcoolique, dans une maison qui tombe lentement en ruines, ils n’ont d’autre alternative que de s’assumer. Makenzy s’est acoquiné avec un autre adolescent de son âge, Donovan, et commet avec lui de menus larcins. Purdey a trouvé un job d’été dans une résidence hôtelière et rêve d’indépendance à l’approche de sa majorité.

Il pleut dans la maison m’a évoqué Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018. J’y ai retrouvé la même ambiance estivale, les mêmes bords de lac balnéaires (dans les Vosges pour Nicolas Mathieu, dans le Hainaut pour ce premier film d’une jeune réalisatrice belge) et surtout la description d’une même jeunesse blanche désœuvrée de la France périphérique, loin de celle des banlieues si souvent et si caricaturalement filmées.

J’aime les films estivaux. Ils ont un parfum immédiatement reconnaissable. Ils sentent l’ambre solaire, la sueur, le sel ou le chlore : La Piscine, L’Eté meurtrier, L’Eté en pente douce, L’Année des méduses… J’aime aussi ces héros adolescents qui sortent de l’enfance pour entrer dans l’âge adulte, de La Fureur de vivre à Bande de filles en passant par Bonjour Tristesse, Les Quatre Cents coups, Le Péril jeune ou Les Roseaux sauvages.

Le premier film de cette réalisatrice belge, qui fait tourner son neveu et sa nièce, avait donc tout pour me plaire, jusqu’à son naturalisme revendiqué : les deux acteurs, demi-frère et demi-sœur dans la vraie vie, y jouent sous leur propre prénom. Le problème est que rien ne s’y passe. Le scénario, soit par paresse, soit par parti-pris, ne raconte rien. Le film commence, le film s’achève après une heure vingt à peine sans avoir vraiment commencé, comme si sa mise en route avait été trop longtemps retardée. Entre ces deux points, rien ne se tend ; pas le début d’une intrigue ne se noue, sinon celle vite expédiée de l’agression commise par Makenzy, sous le coup de la haine de classe, contre un gamin plus nanti que lui.

On aurait aimé aimer Il pleut dans la maison ; mais encore eût-il fallu qu’Il pleut dans la maison nous donne des raisons de l’aimer.

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Le Vieil Homme et l’Enfant ★★☆☆

Gunnar a passé toute sa vie dans sa ferme, héritée de son père et de son grand-père. Il y a vécu seul, sans femme, avec la seule compagnie de ses chevaux. Quand l’État l’en exproprie pour la construction d’un barrage, il reçoit un gros pécule dont il ne sait que faire. Contraint de se réinstaller en ville, il s’habitue mal à son nouvel environnement. C’est là qu’il fait la connaissance du fils de ses voisins, Ari, un rouquin haut comme trois pommes.

Le Vieil Homme et l’Enfant a le même titre que le film célèbre de Claude Berri avec Michel Simon. La ressemblance s’arrête là.

Je suis allé voir ce film islandais par amour inconditionnel pour ce petit pays nordique où j’ai réalisé peut-être le plus beau de tous mes voyages. Las ! Ma soif de paysages volcaniques et glacés battus par les vents a été mal récompensée par ce film dont l’action, mis à part quelques rares scènes dans la ferme de Gunnar, se déroule pour l’essentiel dans les paysages tristes d’une ville anonyme et pluvieuse.

À cette première déception allait bientôt s’en rajouter une seconde : l’amitié naissante entre Gunnar et Ari se déploie gentiment, sans tension ni enjeu, pendant le deuxième tiers du film. Elle nous fait craindre un film gentillet réduit à cela : un vieux fermier solitaire, contraint de quitter sa ferme, voit son exil attendri par la fréquentation d’un gamin joueur.

Dieu merci, le film connaît dans son dernier tiers une bifurcation inattendue. Elle le sauve. Elle aurait pu donner lieu à de plus amples développements : pourquoi Ari a-t-il agi ainsi ? pourquoi Gunnar n’a-t-il pas réagi autrement ? mais Le Vieil Homme et l’Enfant se termine déjà, après une heure et quinze minutes à peine, en nous laissant imaginer deux fins alternatives.

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Resilient Man ★☆☆☆

L’Australien Steven MacRae est danseur étoile au Royal Ballet de Londres depuis 2009. En octobre 2019, il se brise le talon d’Achille en plein spectacle. Sa carrière est compromise. Mais au terme d’une longue convalescence, Steven MacRae prépare son retour sur scène dans Roméo et Juliette. Le français Stéphane Carrel, qui a déjà consacré plusieurs documentaires à la danse, l’a suivi pas à pas.

Resilient Man n’est pas sans atouts.

Le premier, bien sûr, qui attirera tous les passionnés de danse, est de nous faire pénétrer au cœur d’un des plus prestigieux ballets au monde, sur les traces d’un de ses plus célèbres danseurs. Ce sujet n’est guère original (La Danse de Frederick Wiseman, Relève de Benjamin Millepied, L’Opéra de Jean-Stéphane Bron, Indes galantes sur la mise en scène de Clément Cogitore..) ; mais on ne s’en lasse pas.

Le second est le portrait de son héros. À la différence de celui de Musil, l’homme a toutes les qualités : mari aimant d’une ancienne soliste du Royal Ballet, père dévoué de trois enfants en bas âge, il est beau comme une divinité celtique, intelligent et…. résilient. Sa discipline, sa détermination forcent l’admiration.

Mais le problème de ce documentaire est que, au-delà de ces deux atouts-là, il n’a pas grand-chose à proposer. Certes, il donne à réfléchir sur la pression qui pèse sur les danseurs-étoiles, sur les performances physiques qui sont attendues d’eux au risque de leur santé et sur la nécessité pour eux de mener leur carrière sans négliger leur hygiène de vie et leur équilibre mental. Benjamin Millepied évoquait cet aspect des choses dans Relève. Mais une fois qu’on a mis en garde contre le danger de sacrifier son corps à une gloire éphémère, un point qui ne fait guère débat, on n’a pas dit grand-chose.

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Apolonia, Apolonia ★★☆☆

Apolonia Sokol est née en 1988 à Paris d’un père français et d’une mère qui a successivement vécu en Pologne et au Danemark. Elle a grandi dans l’ambiance bohême du Lavoir moderne parisien, au cœur du XVIIIème arrondissement parisien. C’est là que la jeune cinéaste danoise Lea Glob l’a rencontrée en 2009. Les deux femmes se sont liées. Pendant treize ans, de Paris à New York, des premières toiles aux premières expositions, Lea Glob a filmé Apolonia et sa renommée grandissante.

Apolonia, Apolonia est un film profondément original. Alors qu’un documentaire est normalement tourné en quelques semaines, quelques mois tout au plus, qu’il peut certes faire revivre le passé, grâce au recours aux archives ou aux interviews de témoins, celui-ci a été filmé pendant treize ans et nous fait vivre en direct le temps qui passe et un talent qui éclot. Lea Glob ne se contente pas de nous raconter la vie d’Apolonia, elle la filme au jour le jour. Une étrange symbiose naît entre les deux côtés de la caméra, entre celle qui filme – et qui parfois s’autorise à entrer dans le champ – et celle qui est filmée.

Apolonia, Apolonia est donc doublement intéressant.
D’une part, il montre l’éclosion d’une artiste. Comment devient-on une peintre mondialement reconnue ? Apolonia Sokol est née dans un milieu cosmopolite et bohême. Elle est passée par les Beaux-Arts de Paris (poke à son directeur, collègue et ami). Elle semble surtout tout entière investie dans son art, prête à tous les sacrifices, notamment celui de la maternité, pour le vivre intensément. Est-elle douée ou pas ? je serais bien incapable de le dire, vaguement méfiant envers l’art contemporain et ses brusques emballements dont on se demande parfois s’ils dépendent plus des stratégies d’investissement des collectionneurs que du réel talent des artistes.

D’autre part, il témoigne d’une amitié. Amitié entre Apolonia et Lea. Mais amitié aussi avec un troisième personnage, Oksana Chatchko, la co-fondatrice des Femen, réfugiée politique en France en 2013. Le documentaire témoigne du lien si fort qui unissent les trois jeunes femmes. On imagine l’émotion d’Apolonia et de Lea à sa première projection. On pourrait s’en sentir exclu – et on le pourrait d’autant plus en tant qu’homme car ces féministes radicales tangentent la misandrie – mais au contraire on est ému par cette brûlante sororité.

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La Machine à écrire et autres sources de tracas ★☆☆☆

La Machine à écrire…. est le troisième volet du triptyque, que Nicolas Philibert, peut-être le plus grand documentariste français contemporain (ex aequo avec Raymond Depardon), consacre à la psychiatrie. Il a commencé l’an dernier avec Sur l’Adamant, auquel l’Ours d’or de Berlin a donné une publicité inespérée, et s’est prolongé, il y a quelques semaines à peine, avec Averroès & Rosa Parks.

Après ces deux volets, je m’étais fait une idée préconçue du troisième. J’avais eu connaissance de son thème – les visites domiciliaires des soignants de l’Adamant à des patients résidant hors de l’hôpital en milieu ouvert – et j’avais  logiquement imaginé que ce troisième volet achèverait un mouvement : de l’intérieur vers l’extérieur, du soin prodigué à l’hôpital à la lente réinsertion du patient psychiatrique, à sa progressive réacclimatation à une vie ordinaire.

Hélas, La Machine à écrire…. n’a pas une telle ambition. Comme Nicolas Philibert l’a candidement avoué durant le débat qui a suivi sa projection en avant-première et auquel j’ai eu la chance d’assister la semaine dernière, ce troisième volet est né du hasard. Un jour, pendant le tournage sur l’Adamant, il a accompagné deux soignants chez un patient. Chaque mercredi en effet, deux bricoleurs se proposent de rendre visite aux patients qui en expriment le souhait pour les aider dans leur quotidien à réparer un frigo, une machine à laver…. ou une machine à écrire – ce qui, pour des jeunes de la génération Y qui n’en avaient jamais vu, relève du bizutage !

Au-delà du coup de main ponctuel, il s’agit pour les soignants d’apporter un peu de réconfort et de s’assurer que le patient ne rencontre pas de problèmes dans sa vie quotidienne.

Le problème de cette Machine à écrire… est sa forme très relâchée. Il s’agit d’un film d’une heure douze à peine – alors qu’Averroés & Rosa Parks, autrement charpenté, durait le double. Il a été tourné sans repérage, sans répétition, au petit bonheur la chance. Il est constitué de quatre visites successives, montées sans guère d’efforts, à la chaîne, l’une derrière l’autre.

On a un peu l’impression d’être devant des chutes, un addendum, un codicille, qui aurait pu tout aussi bien être inséré à la fin de Sur l’Adamant. Comme Proust, grand écrivain, dont on se délecte à lire la liste des commissions, Philibert est un grand documentariste dont même les chutes sont intéressantes. On n’en a pas moins l’impression de se faire un peu arnaquer et de payer pour un sous-produit qui n’a ni l’étoffe ni l’amplitude de ses autres réalisations plus roboratives.

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L’Homme aux 1000 visages ★★★☆

Chirurgien, ingénieur ou photographe, argentin, brésilien, ou portugais, Ricardo, Alexandre ou Daniel a mille visages. Ce séduisant mythomane mène plusieurs vies avec plusieurs femmes simultanément.
L’une d’entre elles a contacté Sonia Kronlund, la productrice des Pieds sur terre, l’émission quotidienne de France Culture. Une émission lui a été consacrée en 2017. La productrice, qui a elle-même connu des déconvenues amoureuses similaires auprès d’affabulateurs, s’est passionnée pour cette histoire. Dans un premier temps, elle a voulu réunir les témoignages des femmes bernées par « Ricardo ». Elle a mené une enquête au long cours qui l’a menée jusqu’au Brésil. Dans un second temps, elle s’est mise en tête de retrouver Ricardo. Pour ce faire, elle a recruté un improbable détective privé polonais.

L’Homme aux 1000 visages est un documentaire sur le mensonge et sur la crédulité. Son héros est incroyable. Serait-il le héros d’une fiction, façon Catch Me If You Can, qu’on la trouverait médiocrement crédible : comment un même homme peut-il vivre maritalement en même temps avec quatre femmes différentes dans plusieurs pays européens et même avoir un enfant avec l’une d’entre elles ? Autant d’habileté dans la manipulation a de quoi forcer l’admiration. D’autant que l’homme est charmant et que la séduction qu’il exerce sur ses conquêtes se comprend aisément. Comme Sonia Kronlund qui n’hésite pas à se mettre elle-même en scène jusqu’à un final franchement hilarant, le spectateur est face à Ricardo partagé entre plusieurs sentiments contradictoires : l’incrédulité, la fascination, la terreur, l’amusement…

Documentaire sur le mensonge, L’Homme aux 1000 visages est symétriquement un documentaire sur la crédulité. Comment ces femmes ont-elles pu se laisser berner ? Comment n’ont-elles pas plus tôt réalisé que Ricardo n’était pas l’homme qu’il prétendait être, qu’il n’avait pas de travail, pas de famille, pas d’ami sinon celui imaginaire qu’il s’était inventé ? Étaient-elles trop crédules ? Ricardo les choisissait-il précisément car il avait identifié chez elles cette faiblesse-là ?
Confortablement installé dans son fauteuil de cinéma, le spectateur regarde ces femmes avec un mélange de pitié et d’empathie. Il n’a pas vécu ce qu’elles ont vécu et s’en porte bien. Mais peut-il en être aussi sûr ? Si elles se sont fait si facilement berner, est-il certain de ne l’avoir jamais été ? Lentement, pendant la projection et après en y repensant, le doute s’immisce dans son esprit paranoïaque : peut-il tenir pour acquis la réalité des êtres et des choses qui l’entoure ? quelle part de mensonge s’y dissimule ? La même angoisse vertigineuse qu’à la lecture de L’Adversaire d’Emmanuel Carrère sur l’histoire vraie de Jean-Claude Romand qui avait pendant vingt ans prétendu à sa famille et à ses amis exercer la profession de médecin à Genève, le saisit.

On applaudit le générique de fin et la réalisatrice, timide et modeste, qui vient trop brièvement répondre aux questions dont le public enthousiaste l’assaille : où est Ricardo aujourd’hui ? est-il au courant de ce film ? ne risque-t-il pas de vous poursuivre pour défendre son droit à l’image ? avez-vous découvert d’autres victimes ? que sont-elles devenues ?

Et en quittant la salle et en repensant à ce documentaire sur le mensonge et la crédulité, un ultime doute nous saisit : Ricardo existe-t-il vraiment ? Sonia Kronlund n’a-t-elle pas joué sur le pacte implicite noué avec le spectateur – ce qui lui est montré est vrai – sur sa crédibilité, pour réaliser un « documenteur » sur un mythomane imaginaire ?

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LaRoy ★★★☆

LaRoy est une petite bourgade (imaginaire) du Texas. Ray, loser pathétique qui gère un magasin de bricolage avec son grand frère, un bellâtre coureur de jupons, découvre que sa femme, une ancienne miss, le trompe. De désespoir, il s’apprête à se suicider quand une succession de quiproquos le met sur la route d’un tueur à gages venu remplir un contrat et empocher un magot.

Plane sur LaRoy l’ombre des frères Coen, et plus encore celle de Fargo dont il reproduit le schéma, sinon le climat. Mêmes personnages de sympathiques nobodies, mêmes successions improbables d’événements inattendus, même déchaînement de violence dans un patelin sans histoires…. Chaque acteur de LaRoy ressemble à un autre, plus connu : John Magaro, le héros, à Steve Buscemi, Steve Zahn, le détective privé coiffé de son Stetson, à Woody Harrelson, Dylan Baker, le tueur à gages méthodique à William H. Macy et Matthew Del Negro à Matt Dillon ou à Matthew McConaughey.

Impression de déjà vu ? Certes. Mais cela n’a pas suffi à entamer mon plaisir. Car LaRoy est fichtrement bien troussé. Son scénario contient juste ce qu’il faut de rebondissements pour retenir l’attention pendant ses presque deux heures. Et son ton est toujours juste, qui ne se prend jamais au sérieux sans pour autant sombrer dans la bouffonnerie.

Je ne suis pas sûr que ce film me laissera une marque mémorable. Mais la qualité d’un film dépend-elle de la marque qu’il laisse ? J’aurai passé un bon moment devant LaRoy – un argument que je récuse régulièrement quand on me l’oppose – et, pour une fois, je trouve cet argument-là parfaitement recevable.

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Monkey Man ★★☆☆

Un orphelin a perdu sa mère, violée puis brûlée vive sous ses yeux, lors de l’expropriation de sa cahute, par le chef corrompu de la police, Rana Singh, sous les ordres d’un gourou malfaisant, Baba Shakti. Il s’est juré de la venger. Pour ce faire, il va s’installer à Yanata, la grande métropole, concourt dans des combats illégaux de MMA et se fait embaucher sous un faux nom dans le palace fréquenté par ses cibles.

La star indienne Dev Patel, révélée par Slumdog Millionaire, qu’on a vu ensuite dans Indian Palace, Lion et L’Histoire personnelle de David Copperfield (sur Amazon Prime) a bien grandi. Dev Patel a décidé de passer derrière la caméra, tout en restant devant. C’est lui, bodybuildé, sec comme une trique, sexy en diable, qui tient le premier rôle de ce Monkey Man, curieux assemblage de John Wick et de Rocky, assaisonné à la sauce hindie.

Pour l’apprécier, il ne faut bien sûr pas être allergique à ce genre de films hyper-testostéronés, où des combats sanglants, orchestrés comme des chorégraphies virevoltantes, se succèdent. Le héros en sort toujours victorieux quel que soit le nombre toujours plus élevé de combattants qui lui sont opposés. Les rôles sont grossièrement manichéens : les deux méchants incarnent, l’un la corruption financière des forces de l’ordre, qui renoncent à protéger les citoyens en échange d’un pot-de-vin, l’autre la corruption morale des faux gourous, prêts à tromper la foule de leurs croyants crédules pour nourrir leur goût du pouvoir. Quelques allusions politiques, à la condition féminine et à celle des transgenres en Inde, fleurent bon le politiquement correct.

Mais je serais bien hypocrite de ne pas confesser le plaisir régressif que j’ai pris à ce film. Je n’ai pas regardé ma montre une seule fois, même s’il durait deux bonnes heures – alors que je trouve le temps souvent bien long au cinéma, même devant les films laotiens en noir et blanc dont je fais des critiques enamourées. Mieux, je me suis bien amusé devant les rebondissements d’une vengeance qui culmine, comme de bien entendu, dans un combat tarantinesque à souhait où l’hémoglobine coule à flots et les méchants sont punis.

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Quitter la nuit ★★☆☆

Une femme, Aly (Selma Alaoui), la nuit, passagère d’un véhicule conduit par Dary (Guillaume Duhesme), un homme mutique et menaçant, appelle la police. À mots couverts, elle se dit menacée. Pour donner le change à son conducteur, elle prétend appeler sa sœur. La lucidité d’Anna (Veerle Baetens), la policière qui prend son appel, la sauvera.
Le temps passe. Aly a déposé plainte pour viol mais  appréhende le procès qui se tiendra dans plusieurs années au terme d’une interminable instruction. Dary, laissé en liberté dans l’attente de son procès, est lui aussi rongé par l’angoisse. Et Anna veut connaître l’issue de cette affaire.

Les quinze premières minutes de Quitter la nuit reprennent le court-métrage Une sœur, que la réalisatrice Delphine Girard avait tourné il y a quelques années. Elles rappellent le polar danois The Guilty qui se déroulait en temps réel dans un centre d’appel de la police. Une conversation téléphonique, une victime terrifiée au bout du film, sous la menace de son agresseur, un policier à l’autre bout qui essaie de la localiser, de l’aider, voilà qui, à soi seul, pourrait, comme dans The Guilty, nourrir un film tout entier, à condition d’y instiller suffisamment de rebondissements.

Mais Quitter la nuit abandonne cette scène-là au bout de quinze minutes pour se dilater dans le temps. Son vrai sujet, ce sont les deux années qui séparent la nuit du crime du jour de son procès. Trois protagonistes s’y étaient croisés : la victime, son agresseur et la policière. On suivra leur évolution pendant ces deux années dans trois directions différentes : le refoulement chez Aly, la sublimation chez Dary, l’entêtement chez Anna.

Quitter la nuit est censé reposer sur un doute : y a-t-il ou non eu viol ? La question est malaisante en ces temps de #MeToo où la parole des victimes d’agression sexuelle doit être sacralisée. Récemment, Pas de vagues marchait sur des œufs qui, dans sa défense légitime de la profession enseignante, risquait, avec l’eau du bain, de jeter un doute sur la parole des victimes. Ici comme dans Les Choses humaines, la question n’est pas binaire et la parole de la victime est dans tous les cas respectée : c’est moins la réalité de l’acte sexuel qui est questionnée, sur laquelle tout le monde s’accorde, que celle du consentement d’Aly.

Grâce à son montage serré, qui circule d’un personnage à l’autre, d’un point de vue à l’autre, Quitter la nuit est tout entier tendu vers son terme. Sa conclusion à tiroirs tire un peu trop à la ligne et fait, à mon sens, la part trop belle à cette fameuse sororité dont on nous rebat les oreilles ces temps-ci. Mais elle n’ôte rien à l’intelligence du propos et à la qualité de sa présentation.

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