L’Horizon ★☆☆☆

Adja va sur ses dix-huit ans. Elle suit, sans passion des études de puéricultrice et effectue un stage dans un EHPAD. Son frère aîné est une vedette de football dont une blessure va bientôt hypothéquer l’avenir. Sa meilleure amie ne vit que par les réseaux sociaux où elle a une petite notoriété.
Adja a le béguin pour Arthur, un ami de classe qui, avec une bande de militants, occupe une ZAD constituée sur les terres de son père, un agriculteur bio menacé d’expropriation.
Adja considère d’abord avec méfiance l’engagement d’Arthur ; mais elle va bientôt le rejoindre dans son combat.

L’Horizon est un film qui entrelace deux thématiques. D’une part, celle bien connue du « film de banlieue » avec pour héros, ses immigrés de deuxième génération qui cherchent leur place  dans une France pas toujours hospitalière (Les Misérables, Shéhérazade, Divines, Tout ce qui brille….) ; d’autre part, celle plus originale, même si elle est vouée à un bel avenir (on pense à l’hilarant Problemos, à l’ambigu Autonomes ou à l’inquiétant Le Grand Jeu), du film social sur la défense de l’environnement.

La mayonnaise pourrait prendre : ouvrir les banlieues bétonnées aux campagnes verdoyantes qui les entourent, les filmer selon des lignes d’horizon différentes de celles qu’on a l’habitude de voir est un pari stimulant. Hélas ici elle ne prend pas. La faute à des acteurs sans doute charmants, mais mal dirigés dont les scènes ont parfois le ridicule empesé des pires télénovelas mexicaines. La faute aussi à un scénario faiblard qui certes ne nous fait pas mourir d’ennui mais qui, pour autant, peine à susciter l’intérêt d’un film qui dure pourtant à peine quatre-vingt quatre minutes.

La bande-annonce

La Légende du roi crabe ☆☆☆☆

Une joyeuse assemblée de chasseurs italiens raconte une ancienne légende, vieille d’au moins un siècle : elle a pour héros Luciano, un ivrogne, qui défia le prince de Tuscie qui avait interdit aux bergers et à leurs bêtes le passage à travers sa propriété. Obligé de s’exiler en Terre de Feu, Luciano y partit à la recherche d’un trésor avec comme seule boussole…. un crabe.

La Légende du roi crabe est l’œuvre de deux co-réalisateurs américano-italiens, amis d’enfance, venus du documentaire. En 2013, ils tournaient ensemble un court-métrage consacré à une autre légende colportée par les chasseurs de Vejano, ce petit village du Latium où débute La Légende du roi crabe : elle avait pour principale protagoniste une panthère noire que l’un d’entre eux prétendait avoir vue. Il Solengo en 2015 était consacré à un vagabond, vivant tel un ermite dans les bois près de Rome.

La Légende du roi crabe aurait pu être un documentaire. Il a finalement pris la forme d’une reconstitution historique découpée en deux parties nettement distinctes. La première se déroule dans la campagne romaine à une époque indéterminée, presqu’atemporelle, qui pourrait être la fin du XIXème siècle ou le début du XXième. On y découvre Luciano, un fier-à-bras porté sur la bouteille qui n’hésite pas à tenir tête aux autorités. Cette partie raconte la passion qui l’unit à Maria, la fille d’un paysan qui voit d’un mauvais œil cette amourette.

La seconde partie nous fait traverser l’Atlantique. On se retrouve dans les décors arides, glacés et majestueux de la Patagonie où Viggo Mortensen était déjà allé se perdre dans un film, Jauja, qui présente bien des analogies formelles avec celui-ci (j’en avais fait en douze mots la critique la plus courte de ce blog).
La majesté des paysages fueginos a sur moi un effet puissamment narcoleptique. J’ai vaillamment résisté au sommeil jusqu’à la dernière des quatre-vingt-dix-neuf interminables minutes que compte ce film. Mon endurance a été récompensée par un beau duel au soleil, digne des meilleurs westerns., et par un épilogue dont je ne suis pas sûr d’avoir compris le sens (pour être clair, je ne sais pas si finalement Luciano trouve ou pas son trésor…. et, pour être honnête, je m’en étais désintéressé depuis longtemps)

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Media Crash ★☆☆☆

Luc Hermann, codirigeant de l’agence Premières Lignes, une société de production spécialisée dans le journalisme d’investigation notamment productrice de Cash Investigation sur France 2, et Valentine Oberti, journaliste à Mediapart passée par Cash Investigation ou Quotidien sur Canal, ont réalisé en quelques mois à peine ce documentaire dont la sortie à la mi-février a coïncidé avec les travaux de la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias.
Ils y dénoncent le danger que fait peser sur la démocratie la concentration des médias français, de la presse écrite et audiovisuelle, entre les mains de quelques milliardaires.

Découpé en trois chapitres (les incendiaires, les barbouzes et les complices), le documentaire se présente, au risque de l’éparpillement voire du hors sujet, comme une succession de mini-reportages d’une dizaine de minutes chacun.
Media Crash montre comment les chaines de Vincent Bolloré, C News et D8, ont servi de rampe de lancement aux idées d’extrême-droite et à la campagne d’Eric Zemmour. Il montre aussi les pressions que le milliardaire s’est autorisées sur Le Monde quand le quotidien du soir a publié une enquête dénonçant ses opérations en Afrique.
De longs développements sont également consacrés à Bernard Arnault, le président de LVMH, et sur la façon dont, avec l’aide de l’ancien patron des RG, Bernard Squarcini, il a en 2013 bâillonné François Ruffin, qui dirigeait à l’époque le journal Fakir et tournait Merci patron !. Un reportage montre les pressions qu’il exerce sur Tristan Waleckx, un journaliste parti enquêter en Roumanie sur les sous-traitants du maroquinier de luxe.
Une dernière séquence – dont on peine à comprendre le lien avec le sujet du documentaire – raconte les difficultés rencontrées par Valentine Oberti, accusée de mettre en cause la sécurité nationale, pour enquêter sur les ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et leur utilisation au Yémen contre des cibles civiles.

Les faits que Media Crash documentent sont choquants. Ils révèlent les dérives que la concentration des médias aux mains de quelques capitaines d’industrie autorise. Pour autant, comme le montre d’ailleurs honnêtement ce documentaire, les pressions exercées par les Bolloré ou Arnault rencontrent des résistances : plusieurs reportages du service public de France Télévisions ont finalement été diffusés sans changement malgré les interventions pressantes visant à les censurer.
En affirmant « Il y a ce que vous voyez, ce que certains souhaitent que vous voyiez, et ce que vous ne voyez pas », Media Crash jette la suspicion sur l’ensemble des médias, encourage la défiance et nourrit le complotisme.

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Un peuple ★★☆☆

Emmanuel Gras, documentariste déjà salué pour Bovines, 300 hommes et Makala, est allé filmer un groupe de Gilets jaunes, à Chartres, début 2019. Il en a suivi les membres au jour le jour, qui se réunissaient sur un rond-point autour d’un brasero et menèrent quelques actions : une manifestation dans les rues de Chartres, l’ouverture des barrières de l’autoroute… Il les a accompagnés à Paris.

Le documentaire d’Emmanuel Gras arrive bien tard. Le mouvement des Gilets jaunes a débuté à l’automne 2018 avant de se dissoudre lentement au printemps 2019. Plusieurs documentaires lui ont déjà été consacrés : celui du sautillant François Ruffin J’veux du soleil et celui de David Dufresne sur les violences policières commises durant ces manifestations Un pays qui se tient sage. À l’un comme à l’autre, j’avais mis trois étoiles, séduit par leur énergie et par leur intelligence.

Mon opinion sur Un peuple est plus réservée, même si j’en salue la qualité de la réalisation (l’image est impeccable, contrastant avec celle souvent médiocre de documentaires filmés à la va-vite) et surtout la délicatesse du regard qu’Emmanuel Gras porte sur les manifestants qu’il filme. Car c’est bien là le principal atout de ce documentaire empathique : Un peuple s’intéresse aux hommes et aux femmes qui vont battre le pavé chaque jour, chaque week-end. C’est du coup son principal défaut : Un peuple, contrairement à son titre ronflant et à quelqu’un de ses plans tournés par drone, ne prend pas assez de hauteur, ne donne jamais de l’ensemble du mouvement une vision synthétique.

Un peuple ne s’intéresse pas aux Gilets jaunes en général, mais à Benoît, Agnès, Nathalie, Allan et quelques autres. Avec beaucoup d’humour, ils se qualifient eux-mêmes de « cassos sur un rond-point » et redoutent de renvoyer cette image guère valorisante aux médias. Pourtant, même s’ils connaissent des fins de mois difficiles où chaque euro est compté, même si la hausse des prix de l’essence – qui aura mis le feu aux poudres – menace l’équilibre de leurs petits budgets, les Gilets jaunes ne sont pas pauvres. Ils l’ont été comme Benoît qui raconte son lourd passé d’alcoolisme ou Nathalie qui évoque ses difficultés à élever ses deux enfants ; mais ils ne le sont plus. Pour manifester, il faut un téléphone portable, un moyen de locomotion et un toit sous lequel se réchauffer après une journée dehors dans les frimas.

Les Gilets jaunes que filme Emmanuel Gras appartiennent à cette France périphérique qui stagne juste au-dessus du seuil de pauvreté et qui redoute d’y tomber ou d’y retomber. Ils sont unis par une même colère, par le même sentiment d’injustice et de révolte. Ils nourrissent une haine disproportionnée pour les politiques qui nous gouvernent et au premier chef pour le Président de la République dont ils réclament la démission, sinon la tête.

Un peuple devient passionnant quand il interroge les formes de l’action collective (comme l’avait fait pour Nuit debout L’Assemblée de Mariana Otero). Car, contrairement à l’image déformée qui en a souvent été donnée, les Gilets jaunes ne constituaient pas une populace amorphe sans programme politique. Le groupe filmé par Emmanuel Gras est conscient de la nécessité de s’organiser, de penser un projet. Il repose sur quelques revendications : la suppression de la TVA pour les biens de première nécessité, le relèvement des minima sociaux, le référendum d’initiative citoyenne (RIC)…

Un peuple filme aussi les logiques de groupe, parfois galvanisantes, souvent délétères. Il commence par l’élection unanime à mains levée du coordinateur, Benoît, et de son adjoint. Mais il filme aussi, sans concession, une réunion dès potron-minet, convoquée à sept heures du matin, à laquelle quasiment personne ne se présente, provoquant la rage des quelques présents et les excuses confuses des absents.

En évoquant avec pudeur la vie cabossée de Benoît, en saluant le dévouement de Nathalie, en se moquant gentiment des utopies d’Allan, Un peuple souligne peut-être l’aspect le plus important du mouvement : il était constitué d’hommes et de femmes qui s’estimaient – à tort ou à raison – méprisés par le « système » (mot fourre-tout dans lequel on met ce que l’on veut) et qui, dans l’action collective, ont retrouvé un peu de leur dignité perdue.

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Sous le ciel de Koutaïssi ☆☆☆☆

À Koutaïssi, en Géorgie, Lisa est préparatrice en pharmacie,  Giorgi joueur de football. Ils se rencontrent et tombent instantanément amoureux l’un de l’autre. Mais, une malédiction pèse sur leurs têtes. Dès le lendemain, ils sont condamnés à changer d’apparence et à ne plus se reconnaître.

Je me sens fort gêné de critiquer ce film…. car j’ai dormi pendant une bonne moitié de sa projection. La faute en incombe-t-elle au déjeuner trop copieux que j’avais pris juste avant ? à la nuit trop courte de la veille ? Ou à la longueur excessive d’un film de 2h31, véritable OVNI cinématographique à mi-chemin du conte et du documentaire voire de la performance ?

Un couple de spectateurs discutait à la sortie de la longue scène qui en constituait le mitan : une partie de football entre adolescents filmée au ralenti pendant près de dix minutes. Elle : « Quelle poésie ! »; lui : « quel ennui ! ». J’étais d’accord avec tous les deux…. avec une légère préférence pour le second !

Sous le ciel de Koutaïssi est (peut-être) un film très poétique. Il filme la ville de Koutaïssi, qui fut la capitale historique de la Géorgie au temps de la Colchide avant de sombrer dans l’oubli et dans l’ennui (la fin de cette phrase vaut tout autant pour la ville que pour l’œuvre). Il filme surtout avec beaucoup de délicatesse un jeune homme et une jeune femme éprouvant l’un pour l’autre une attirance d’une touchante pudeur – qui espérait de cette séance des scènes de sexe torrides aura été amèrement déçu. L’aurait-il fait en quatre-vingt dix minutes, je n’aurais pas été le dernier à saluer sa modestie et sa fraîcheur. Mais l’obésité de son film le prive de son charme.

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Zaï Zaï Zaï Zaï ★★★☆

Fabrice (Jean-Paul Rouve) est un acteur comique de cinéma jouissant d’une petite notoriété. Il vit heureux dans un pavillon de banlieue avec son épouse Fabienne (Julie Depardieu) et son fils Gérard. Il commet hélas l’erreur de faire les courses de la semaine au supermarché sans sa carte de fidélité et devient illico l’ennemi public numéro un. Toutes les polices de France, sous la direction du commissaire Jeanne Weber (Yolande Moreau), spécialement rappelée au service pour l’occasion, sont à ses trousses. Fabrice part se cacher en Lozère. La population réclame la tête du criminel. Une partie de la profession, sous l’égide de Florence (Julie Gayet) se mobilise pour le défendre. Un film se prépare même où Benjamin (Ramzy Bedia) interprétera le rôle de Fabrice.

Fabrice Caro alias Fabcaro est à la mode ces temps-ci. Quelques mois après son roman Le Discours, c’est au tour de la bande dessinée qui l’avait révélé au grand public en 2015 d’être adaptée au cinéma.

Le Discours m’avait enthousiasmé ; c’est coup double avec Zaï Zaï Zaï Zaï. J’en ai aimé l’humour burlesque. J’ai été convaincu par la dénonciation volontiers politiquement incorrecte de nos sociétés contemporaines et de leurs travers. J’ai pouffé de rire à quelques unes des scènes les plus drôles – je rends grâce aux distributeurs du film de ne pas les avoir toutes éventées dans la bande annonce (« Non, pas toi Malek »).

Attention ! Cet humour ne plaira peut-être pas à tous. D’ailleurs il montre vite ses limites après la première heure de film, l’introduction de tous les personnages, l’intrigue lancée sur ses rails. Zaï Zaï Zaï Zaï s’essoufle un peu dans son dernier tiers mais a l’intelligence de ne durer que quatre-vingt deux minutes à peine. la bonne humeur qu’il a su nous insuffler n’a pas eu le temps de se dissiper avant son générique.

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Piccolo Corpo ★☆☆☆

Au début du vingtième siècle, dans un petit village de pêcheurs sur une plage du Frioul, Agata accouche d’une fille mort-née, enterrée avant d’être baptisée. La jeune mère ne se résout pas à laisser son enfant errer anonyme dans les limbes. Elle a vent d’une légende : il existerait un sanctuaire dans la montagne où les enfants mort-nés sont ressuscités le temps qu’on les prénomme. Elle décide, contre toute raison, de s’y rendre. En chemin, sa route croise celle de Lynx, un autre vagabond.

Présenté à la Semaine de la Critique, à Cannes, en 2021, Piccolo Corpo fait partie de ces films exotiques et intemporels, qui auraient pu être filmés sous n’importe quelle latitude, à n’importe quelle époque. On retrouve, en le regardant, le parfum des vieux films des frères Taviani ou de Ermanno Olmi (on pense à L’Arbre aux sabots, Palme d’or à Cannes en 1978). On y retrouve des gens de peu, des paysans durs à la tâche, vivant depuis des temps immémoriaux des fruits trop rares qu’une Nature ingrate leur concède.

Piccolo Corpo suit pas à pas Agata dans son long voyage. Les personnes qu’elle rencontre parlent toutes sortes de langages (que je ne suis pas certain d’avoir tous reconnus) : l’italien, le frioulan, le slovène peut-être. On s’attend à ce que cette odyssée la change, à ce qu’on nous raconte son émancipation. Mais hélas, son registre ne change jamais. Un seul motif la meut, aussi irrationnel soit-il : le deuil impossible de son enfant. Piccolo Corpo, bien qu’en constant mouvement, fait du surplace, jusqu’à sa conclusion tristement prévisible. L’ambiguïté de Lynx, qu’on découvrira à la toute fin ou, si on a été attentif, à la lecture de la distribution, est à peine exploitée.

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Great Freedom ★☆☆☆

En vertu de l’article 175 du Code pénal allemand, qui depuis 1871 pénalise l’homosexualité, Hans Hoffmann (Franz Rogowski) a été arrêté et déporté sous le nazisme. Mais, à la chute d’Hitler il doit encore exécuter le reliquat de sa peine avant d’être libéré. En 1957 et en 1968, il sera à nouveau arrêté et emprisonné dans le même établissement où il retrouve Viktor (Georg Friedrich), un héroïnomane qui deviendra, malgré son homophobie, son ami le plus cher.

Que la pénalisation de l’homosexualité – en Allemagne comme dans bien d’autres pays du monde – fut et reste encore aujourd’hui une aberration et une monstruosité, bien difficile de ne pas le reconnaître. Le sujet est bien connu qui donna lieu à beaucoup de livres, de films, de documentaires, au rang desquels celui réalisé en 2000 par Rob Epstein et Jeffrey Friedman ressorti le mois dernier à l’Espace Saint-Michel.

Mais on se demande diable quelle actualité a poussé Sebastian Meise, réalisateur allemand inconnu de ce côté-ci du Rhin, à réaliser en 2020 ce film-là. S’il s’inspire de faits réels, il a inventé de toutes pièces le personnage de Hans, remarquablement interprété par Franz Rogowski (découvert chez Christian Petzold), et de Viktor. Sans guère de surprises, l’homophobie de son compagnon de cellule se dissout lentement pour se transformer en une émouvante amitié.

Si le montage de Great Freedom (pourquoi ce titre anglais d’un film allemand ?) permet de passer élégamment d’une époque à une autre, ce film trop classique dure une bonne demie heure de trop.

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Ils sont vivants ★★☆☆

Béatrice a quarante-quatre ans. Aide soignante dans un hôpital gériatrique, elle vient de perdre son mari, employé de police violent, alcoolique et volontiers raciste. À Calais, ni lui, ni elle ni les autres policiers qui l’assurent de son amitié ne portent dans leurs cœurs les réfugiés qui s’entassent dans la « jungle » dans l’attente d’un hypothétique passage en Angleterre.
Une succession de hasards conduit néanmoins Béatrice à secourir un réfugié, à apporter de vieux vêtements au camp, à accepter d’y travailler bénévolement et même à recevoir chez elle quelques réfugiés. Parmi eux, Mokhtar, un Iranien, l’attire irrésistiblement

Il y avait bien des dangers à transposer à l’écran Calais mon amour, le témoignage de Béatrice Huret, une Calaisienne tombée amoureuse d’un migrant iranien et condamnée en 2017 pour aide au séjour irrégulier d’un étranger en France. Le premier : verser dans la bluette amoureuse. Le deuxième : le recours un peu trop racoleur aux bons sentiments censés inspirer l’injustice faite aux migrants. Le troisième : que l’histoire et ses rebondissements nous soient déjà connus d’avance.

Jérémie Elkaïm, dont le charme primesautier fait depuis longtemps merveille devant la caméra surtout quand il est filmé avec le regard énamouré de Valérie Donzelli, ne les évite qu’en partie dans sa toute première réalisation. Ils sont vivants n’est pas sans défaut, à commencer par son titre lourdement démonstratif (Calais mon amour – dont Ils sont vivants ne dévie guère – aurait fait un titre plus fidèle).

Mais il est sauvé par l’interprétation extraordinaire, toute en subtilité, de Marina Foïs. Elle ne campe pas une pasionaria droitsdelhommiste, une pieta qui viendrait au secours de toute la misère du monde (la soi-disant pieta jouée par Laetitia Dosch en prend plutôt pour son grade). Elle décoche dans les premières minutes du film quelques répliques à faire se pâmer les zemmouristes les plus enragés – et il n’est pas certain qu’elle ne les décocherait pas non plus à la fin.
Mais, entretemps, l’amour la transfigure. Rien de niaiseux dans cette transfiguration. Au contraire, l’expression d’une attirance sexuelle, d’un désir qui ne mâche pas ses mots – même si l’absence de langue commune à Béatrice, qui ne parle pas l’anglais, et à Mokhtar, qui ne parle pas le français, les empêche de communiquer. On trouve dans Ils sont vivants une scène de sexe particulièrement explicite (bien que le film soit classé « tous publics ») et parfaitement réaliste.

[Il y a quelques jours, j’ai écrit une critique particulièrement méchante de Vous ne désirez que moi. Je reprochais notamment au film de ne pas donner sa juste part à la dimension sexuelle de la relation entre Marguerite Duras et Yann Andréa, sinon à travers quelques dessins apocryphes, réalisés pour le film. Claire Simon raconte qu’elle avait hésité à filmer des scènes de sexe mais y avait renoncé. Eût-elle vu le film de Jérémie Elkaïm, elle aurait pu utilement s’en inspirer.]

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Selon la police ★☆☆☆

Une journée presque banale sur les pas de cinq policiers toulousains. Zineb (Sofia Lesaffre) a caché à ses parents qu’elle avait l’intention d’intégrer les rangs de la police. Elle partage une chambre d’hôtel avec Delphine (Laëtitia Casta), la quarantaine, qui est de service de nuit et souffre d’être éloignée de son mari et de ses enfants. Tristan (Simon Abkarian) est un brigadier aguerri qui doute de plus en plus du sens de sa mission. Drago (Alban Lenoir) est un flic au sang chaud qui essaie de convaincre son frère Joël (Emile Berling) de suivre la même voix que lui.
La banale journée de ces cinq policiers là a commencé par le geste peu banal d’un sixième : le brigadier Laborderie alias Ping Pong (Patrick d’Assumçao) – le surnom lui vient des matchs de ping pong qu’il organisait dans les quartiers difficiles pour y faire retomber la tension – a brûlé sa carte professionnelle avant de disparaître.

Selon la police est organisé selon une structure très ambitieuse et très intelligente. Tout part de la scène filmée en plan-séquence où on voit Ping-Pong quitter le commissariat au matin. Il y croise Zineb, Delphine, Tristan, Drago et Joël qu’on retrouvera à tour de rôle pendant les vingt-quatre heures qui suivent. Ils sont tour à tour les personnages principaux de cinq histoires qui s’entrelacent et qui ont pour fil directeur la longue errance de Ping-Pong dans les rues de Toulouse – qu’on peine à reconnaître tant elle est filmée à rebours de l’image de carte postale qu’on en donne souvent.

Cette construction sophistiquée est hélas la seule qualité du film qui, sinon, accumule les défauts. Là où Polisse de Maïwenn réussissait à brosser un portrait kaléidoscopique d’un commissariat, Selon la police (pourquoi ce titre qui laisserait plutôt escompter l’histoire d’un fait divers où la version officielle et la vérité divergent ?) sombre dans la caricature. Ses personnages sont faussement ambigus ou, pour le dire autrement, cachent tous une dualité qui emprunte aux mêmes ressorts : ainsi du personnage interprété par Simon Abkarian, un mauvais flic qui cache un cœur d’or. Certains personnages sont assez peu crédibles tels que Joël.

Selon la police achève de se décrédibiliser dans son dernier quart d’heure. Deux scènes le clôturent dont on s’interdira de trop en dire. La première est exagérément dramatique ; la seconde trop mélodramatique.

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