Cyrille a trente ans et a repris, à la mort de sa mère, l’exploitation familiale. Il travaille du matin au soir, sans week-end, sans vacances. Il s’occupe patiemment de ses vaches, trait leur lait, baratte leur beurre. mais les revenus générés par leur vente ne suffisent pas à couvrir les dépenses occasionnées par le remboursement de l’emprunt contracté pour l’acquisition d’une unité de stabulation. Le redressement judiciaire a déjà été prononcé. Quand le documentariste Rodolphe Marconi s’installe chez Cyrille pendant quatre mois, la liquidation menace.
Plus la France s’urbanise, plus le cinéma français s’intéresse à ses agriculteurs. On n’a jamais vu autant de films ou de documentaires sur le monde paysan que ces dernières années. Et il ne s’agit pas de réalisations éphémères vouées à une obsolescence programmée, mais de surprenants succès populaires : Petit Paysan, huit nominations aux Césars 2018 et le prix du meilleur acteur pour Swann Arlaud, Au nom de la terre, près de deux millions de spectateurs et deux nominations aux prochains Césars, La Famille Bélier, Je vous trouve très beau… Sans parler des documentaires de Raymond Depardon (La Vie moderne, Profils paysans), d’Emmanuel Gras (Bovines) et d’Ariane Doublet (Les Terriens).
Le documentaire de Cyrille Marconi vient s’ajouter à cette énumération bien longue. Il n’a donc pas la fraîcheur de la nouveauté, braquant ses projecteurs sur une réalité déjà bien documentée : la misère économique et humaine des petits paysans.
Mais il le fait avec une telle délicatesse, avec une telle humanité qu’on aurait tort de l’ignorer.
On suit Cyrille pendant l’hiver et le printemps 2019. Le documentariste l’avait rencontré l’été précédent sur une plage de Charente. Il s’était étonné de voir un grand dadais rester au bord de l’eau et avait appris de lui qu’il ne savait pas nager. Les paysans n’ont guère de vacances et peu d’occasions d’apprendre à nager.
Cyrille est une personnalité attachante qui trime du matin au soir, arrondissant le salaire qu’il ne se verse pas en faisant le dimanche le service et la plonge du petit restaurant de la ville voisine. On découvre vite son homosexualité qu’il a bien du mal à vivre dans une ferme isolée au cœur de l’Auvergne et dans une maison qu’il partage avec un père qu’on devine homophobe. Cyrille était proche de sa mère qui vient de mourir et dont il fleurit régulièrement la tombe. Sa solitude est poignante.
La caméra de Rodolphe Marconi (qui avait signé il y a plus de dix ans un documentaire sur Karl Lagerfeld animé par la même bienveillance) n’esthétise pas la campagne bourbonnaise. Elle filme à hauteur d’homme les heures et les jours de la vie d’un paysan : un vêlage au forceps, la mort d’une bête que Cyrille avait vu naître et à laquelle il était attaché, l’arrivée d’un huissier qui menace de saisir sa voiture, le marché où il vend ses plaquettes de beurre trois euros pièce…
Cyrille est piégé dans des problèmes auxquels il ne trouve pas de solutions malgré l’aide bienveillante de deux bénévoles de l’association Solidarité paysanne. Aucune révolte, aucun désespoir de sa part. Il dit n’avoir jamais pensé au suicide, qui tue un paysan français tous les deux jours. S’il pleure, ce sont des larmes de fatigue plus que de chagrin.
Rodolphe Marconi relève le défi de signer un portrait intime mais pas impudique, bouleversant sans verser dans le sentimentalisme. Une réussite.
La bande-annonce